Une somme clinique et ses limites
Jean-Paul ABRIBAT
Parler de psychopathie sexuelle, placer les pervers parmi les psychopathes, quels en furent et quels en sont les effets? En quoi la clinique "classique" des perversions interroge-t-elle aujourd'hui une clinique psychanalytique, les "soignants" et les juristes...? leurs "clients"!
En 1905, les "Trois Essais" font coupure dans la clinique des perversions.
En témoigneraient - s'il en était besoin, aujourd'hui encore..., au-delà même du refus de comprendre jungien qui, toujours maintenu de 1907 à 1912, au long de la participation de Jung au mouvement psychanalytique, aboutira à sa rupture avec Freud - les résistances que Freud évoquera en 1920, dans la préface de la quatrième édition: "L'accent mis sur l'importance de la vie sexuelle pour toutes les réalisations humaines et l'élargissement ici tenté du concept de la sexualité ont fourni, depuis toujours, les motifs les plus forts à la résistance contre la psychanalyse"... à côté desquelles la résistance à "l'interprétation des rêves" apparaît comme moins systématique, sinon moins enracinée.
Freud, au fil des éditions successives, a explicitement situé le refus de comprendre ( qui ne fait qu'un avec le terme et la critique de pansexualisme) : l'extension du concept de sexualité - extension et non dilution jungienne... et autres - où la "sexualité" coïncide avec l'Eros du divin Platon.
Ne manque-t-on pas cette extension - Ausdehnung: spatialité; topologie de la "sexualité" - dès la traduction du titre si l'on choisit de traduire "théorie de la sexualité" comme il fut traditionnel, ou "théorie sexuelle", comme plus récemment? Comme partout, la traduction engage la "compréhension" de l'objet: il s'agit de la théorie du sexuel et seules les questions posées par la psychanalyse - qui ne prétend pas, souligne Freud, apporter une théorie biologique complète de la sexualité - inscrivent cette rupture: les "Trois Essais" sont pris dans la confiance que Freud a accordée au signifiant dès "L'Esquisse" de 1895, comme l'a dit Lacan dans son séminaire sur l'Ethique de la Psychanalyse: "Les Triebe (pulsions) ont été découverts et explorés par Freud à l'intérieur d'une expérience fondée sur la confiance faite au jeu des signifiants".
Avec Freud - sinon après..., car, des "Trois Essais", combien n'en ont rien voulu savoir, et employer un temps du passé est un euphémisme -, la clinique des "psychopathies sexuelles" ne peut plus demeurer inchangée, ne serait-ce que sur le point suivant et capital: "La toute puissance de l'amour ne se montre nulle part aussi forte que dans ces aberrations". Idéalisation de la pulsion, survalorisation de l'objet, voilà barrée la voie de toute explication des perversions comme déficit, dégénérescence, immaturité des prétendus instincts, sexualité du débile ou de l'idiot comme d'ailleurs du soi disant primat d'une agressivité ou d'une haine désintriquée de l'amour, quoi qu'en dise la psychanalyse "américaine" avec Robert Stoller.
Aberration traduit mal le terme allemand Abirrung; il ne s'agit pas d'un écart médical par rapport à un fonctionnement biologique mais des "chemins de traverse" par rapport à des effets de sens, de méprise signifiante: la vérité du désir surgit de la méprise et, comme l'écrivait Lacan dans "Subversion du Sujet": la perversion chez l'homme accentue à peine la fonction du désir!
Freud a effectué une subversion: voilà ce qui, pour Jung qui parlait d'accommoder cette découverte , notamment à la pruderie anglo-saxonne, est à jamais resté scellé, et dont il n'est pas si sûr que l'expertise médico-légale se soit laissée interroger, complètement et radicalement, jusqu'à aujourd'hui.
Mais Freud ne pouvait inscrire cette rupture qu'en reconnaissant sa dette ou plutôt en se reconnaissant lecteur des psychiatres et des psychologues de la vie sexuelle dont les travaux l'avaient précédé:"..les publications de V. Krafft-Ebing, Moll, Moebius, Havelock Ellis, V. Schrenck-Notzing, Löwenfeld, Bloch, Magnus Hirschfeld.."
Son originalité n'existerait pas s'il n'était pas "passé par leurs signifiants", notamment par la récapitulation qu'avait rédigée Magnus Hirschfeld dans les "Annales des étapes sexuelles intermédiaires".
Oublier ce travail de Freud n'a qu'un effet: contribuer à gommer la subversion qu'il opère; ceci ne concernant pas seulement "l'histoire des idées", mais aussi la clinique des perversions et des égarements sexuels: le champ de la pratique psychanalytique, médicale et juridique... tant il est vrai que la transmission - dialectique - d'un savoir ne fait qu'un avec le combat des Lumières.
Du (bon?) usage d'un herbier...
Comme a pu le remarquer Lacan, non sans quelqu'ironie, on en est arrivé à se demander si l'oeuvre de Krafft-Ebing - "Psychopathia sexualis", parue en 1887 - n'avait pas épuisé la matière clinique en ce qui concerne les perversions, aberrations, égarements... sexuels.
Revue, complétée, réorganisée par Moll, cette gigantesque casuistique - car tel est le terme employé, qu'il est essentiel de relever - ne semble rien laisser hors de sa prise de catalogue. Triomphe de la clinique certes mais dans sa "naïveté" car il n'omet qu'une question: qu'est-ce qui peut faire cas?
Le détail, le concret ou prétendu concret y suffit-il?
Qu'y prennent garde ceux qui, en tous domaines, entonnent aujourd'hui le prône d'un retour à la clinique, après, si on les croit, les "intellectualisations théoriques". Le récit ou la description rechutent à l'anecdote dont nous dirons avec Lacan qu'elle peut avoir pour fonction de dissimuler la structure. Une épistémologie empiriste de la classification ne fait qu'y dévoiler son insuffisance et son ennui itératif; son point aveugle tout aussi bien. S'il s'agit d'un tableau clinique, quelle était donc la position de l'observateur, du médecin ou du juriste, du "soignant" éventuel dans le tableau?
Lacan, à la fin du séminaire sur "La logique du fantasme", reparlait d'un cas - "Florie" - repris de Havelock Ellis; Florie avait fini par mettre en acte des fantasmes masochistes où intervenait, fouet en main, un personnage respectable et élevé dont elle ne savait préciser l'identité. Havelock Ellis prenant soin de préciser qu'il s'était gardé de lui en demander plus, assurait qu'il ignorait de qui il pouvait bien s'agir alors que, commente Lacan, comme au père Ubu, on lui voyait encore par là même "la queue du cochon entre les dents"... Où, pour citer Lacan, la longue et précise observation clinique s'avère être une "saloperie" (sic). Tant il est vrai que l'intérêt pour un matériau clinique, plus "charnel et succulent", gagne à s'éclairer de quelques repères de structure... quant au désir du clinicien. Comme devrait être interrogé cet usage que Krafft-Ebing et Moll font du latin lorsque des précisions risqueraient de véhiculer obscénités ou pornographie. Que se passe-t-il dans cette traduction d'une langue courante à une langue morte, représentative d'une cléricature religieuse puis médicale? D'un pouvoir inquisitorial; précaution, ou caution, de culture et de société mais qui pressentirait le pluralisme des discours sur la sexualité perverse et le sexuel comme effet de sens? N'allons pas trop vite pour ne pas non plus aller trop loin! Posons cependant la question: qu'est-ce qui dans les égarements sexuels requiert la traduction?
Que Krafft-Ebing, comme le souligne Bercherie dans "Fondements de la clinique" (1980), avec l'école d'Ilenau et le grand asile de Bade, ait été en 1879 l'auteur d'un traité de psychiatrie qui hérite de Griesinger en Allemagne et de Morel en France, éclaire la "Psychopathia sexualis": théorie de la dégénérescence, grandes classes de la nosologie, folies des lésions idiopathiques du cerveau et des intoxications, folies névrosiques et héréditaires. Les perversions seront pensées en termes d'arrêt du développement, d'hérédité, d'intoxication ( alcoolisme, morphinisme) ou de constitution, où l'action de causes occasionnelles puissantes, physiques ou morales, prendra une résonance excessive, avec la distinction entre les formes aiguës et les formes secondaires, qui repose sur le critère d'intensité ou de degré. Notons la notion de "faiblesse irritable" avec troubles de l'émotivité, coenestopathies, humeur dépressive etc...., proche de l'état habituel du "dégénéré". L'influence profonde de Krafft-Ebing et de son traité sur la clinique de Kraepelin est indéniable. Les termes de constitution et de disposition ne sont pas absents chez Freud mais la préface de la quatrième édition des Trois Essais les ramène à l'historicité: la référence au préhistorique fait-elle rien d'autre que de marquer comme "trans-individuel" le discours où le sujet se trouve inscrit avant même que de naître? L'inconscient comme discours de l'Autre.
Dans la somme que constitue la "Psychopathia sexualis", comment s'orienter? "Paradoxie" ( instinct sexuel en dehors de l'âge normal ), anesthésie, hypoesthésie, hyperesthésie sexuelles, sadisme, masochisme, fétichisme, exhibitionnisme, homosexualité, pédophilie érotique, gérontophilie, zoophilie ... et il reste encore à classer les tendances amoureuses singulières où Krafft-Ebing et Moll regroupent à la fois les mésalliances - l'oubli de son rang social signe-t-il l'irresponsabilité? - et les incestes - regroupement éloquent s'il en est! -, l'autosexualisme où Havelock Ellis a regroupé ce qu'il appelle auto-érotisme: rêves érotiques diurnes, rêves nocturnes érotiques, masturbation et narcissisme ( défini comme penchant exclusif pour son propre corps, pouvant aller jusqu'à la "folie des miroirs" ), enfin ce que Westphal en 1870 avait nommé la "façon de sentir sexuelle contraire", à quoi il rattachait transvestisme et transsexualisme.
Aussi bien Moll que Krafft-Ebing ont été mus par le génie ou la passion encyclopédique, passion du collectionneur qui, pour sa part, n'est pas interrogée.
Quelques fils conducteurs apparaissent. Notons d'abord que Krafft-Ebing fut le premier, ou des premiers, à se référer à l'oeuvre du divin marquis pour le sadisme, aux romans de Sacher-Masoch pour le masochisme, acte de nomination s'il en fut, et qui pose sans en traiter toutes les questions de la perversion et de l'écriture. Le cocasse est que la référence à l'oeuvre de Goethe, par ailleurs, sert souvent quant à elle à innocenter le grand homme de la perversion dont il avait été soupçonné. La théorie du génie de Lombroso, du génie comme "dégénéré supérieur", n'est pas loin. Mais nul n'ignore que la réflexion freudienne sur la sublimation - "libre" jeu des pulsions partielles comme on dit - est restée une esquisse. Ce ne sont pas les ravalements des épigones cherchant le critère de la sublimation dans une réussite sociale qui en ferait une "oeuvre", qui ont si peu que ce soit fait avancer la question... Mieux vaudrait chercher du côté du Beau comme - pour citer Lacan - ultime barrière avant l'horreur de la Chose! Soulignons surtout que la distinction, imputée à Freud, entre l'objet et le but de la libido sexualis ainsi qu' écrit Moll, est tout à fait explicite chez Krafft-Ebing, comme a su le voir Lanteri-Laura dans son bref ouvrage - trop bref! -: "Lecture des perversions. Histoire de leur appropriation médicale" (Masson, 1979).
Mais voilà bien où risque de se produire le malentendu car de quel objet, de quel but parlons-nous?
La notion de "paradoxie" montre bien que pour Krafft-Ebing et Moll, il existe un objet "naturel" de la sexualité: le sexe "complémentaire" et l'âge requis, ni trop jeune ni trop vieux, celui de la maturité sexuelle. Il faut même souligner que des mésalliances trop flagrantes amènent l'expert auquel la famille a recours à s'interroger sur la responsabilité mentale du contrevenant. Certes, et Moll notamment le souligne, ces "tendances amoureuses singulières" ne permettent pas de conclure dans de nombreux cas à l'irresponsabilité mais voilà bel et bien l'expert sexologue au service et au secours des familles, apportant ses lumières dans des procédures de divorce. Qu'il nous plaise de penser qu'il s'agit là d'un document d'époque pittoresque du siècle passé, préjugé à jamais loin derrière nous! chaque époque rit bien sûr du miroir que lui tendent les siècles. Si la sexualité a un objet naturel, on comprend mieux que Moll récuse Freud, très précisément que les plaisirs enfantins, que Moll n'ignore pas, puissent être qualifiés de sexuels, plaisirs des sens sans doute mais à la condition de barrer tout ce qui dans l'expression de sexualité infantile peut faire jouer l'équivoque. Pour Krafft-Ebing et Moll, la libido sexualis, si elle est saine, est un équilibre, ni trop (hyperesthésie) ni trop peu (hypo- ou anesthésie). On arrive à l'idée que les délinquants sexuels manquent de maîtrise, de contrôle ou comme diraient certains, d'un moi fort, bref, pour être en règle avec le code, mieux vaut ne pas être trop porté sur la chose. Sommes-nous si certains qu'il ne subsiste plus rien de cette idéologie de l'équilibre qui stigmatise les personnalités "déséquilibrées"?
Certes Lanteri-Laura a raison quand il souligne que la démarche scientifique positiviste de Krafft-Ebing et de Moll visant à constituer une science sexuelle est en rupture avec la morale théologique qui définissait la perversion comme toute conduite sexuelle qui exclut la procréation. Puisque la libido sexualis peut se décharger par la masturbation - "l'instinct de détumescence"- en dehors du "vas naturale", le lien avec la procréation est, disent-ils, téléologique, non physiologique, relevant de la volonté comme cause finale, visée du bien, de l'arbitre et de l'arbitraire de l'Homme, et Lanteri-Laura conclut que jamais le positivisme et le scientisme sexologique n'ira plus loin dans son détachement de la morale théologique, ce qui est vrai. Nous compléterons que même en ajoutant que le plaisir mutuel peut avoir pour but de faire vivre et fleurir l'amour - ce que la morale théologique a toujours dit, nonobstant le fait que les aggiornamento de toute espèce y insistent -, nous restons dans le même cercle de la complémentarité des sexes, de l'animus et de l'anima, du yin et du yang... avec le tiers qui en apportera la preuve: l'enfant, ou, pour reprendre l'expression célèbre, les petits trous pour les petites chevilles, les petites chevilles pour les petits trous, de quoi faire de l'Éros, dieu noir, un mouton frisé du Bon Pasteur! Ce qui aux juges comme aux psy, ne rend pas la compréhension des perversions plus facile...
Krafft-Ebing, Moll, la science sexuelle vont-ils plus loin? Ce n'est pas si sûr, quoi qu'en dise Lanteri-Laura, car à côté de l'instinct de "détumescence", ils placent, ou plutôt ils superposent, l'instinct de "contrectation" , de saisir, de refermer ses bras sur le partenaire... adéquat! "Il y a phénomène pathologique lorsque les organes et les fonctions sont en disparate; le membre viril est destiné à être introduit dans le vagin. Si l'acte ne s'harmonise pas avec cette conformation des parties génitales, il y a là un disparate qui fait apparaître le cas non seulement comme anormal mais comme pathologique". La parité, voilà le critère du normal et du sain, l'ordre de la nature. Le catalogue des psychopathies sexuelles sera celui des formes de disparité; les deux ont à faire la paire; citerons- nous alors le joke fameux d'André Gide: "le numéro deux se réjouit d'être impair.." ?
Pour Krafft-Ebing et Moll, la notion clé qui permet de penser et de classer les perversions est celle de paresthésie, distincte de l'hypo- et de l'hyperesthésie, c'est-à-dire d'une jouissance à côté, de la fonction comme de l'organe. Ils retrouvent ainsi, comme le souligne Lanteri-Laura, le sens originaire du terme, celui du Littré: " trouble, dérangement. Il y a perversion de l'appétit dans le pica, de la vue dans la diplopie". La pie (pica) emporte dans son bec même les objets non comestibles; dans le pica le malade mange des objets impropres à la nutrition; dans la diplopie, les yeux qui sont faits pour donner une seule image, voient double. On ne saurait dire plus clairement que la sexualité dans son critère relève d'un fonctionnement physiologique. Et ceci éclaire la distinction que font Krafft-Ebing et Moll entre perversions et perversité. Les perversions sont des comportements de dérangement, la perversité une disposition permanente qui n'aboutit pas forcément à des actes mais qui comme telle est malignité, volonté serve de détruire un ordre, méchanceté et cruauté; là nous sommes vraiment dans le champ des psychopathies, du délire des actes qui détruit ou limite la responsabilité. Esquirol, au début du siècle, avait parlé des monomanies, spécialement des monomanies instinctives, c'est-à-dire d'un délire partiel limité à la sphère des pulsions. La notion fut abandonnée par les disciples d'Esquirol, Falret notamment, car le délire partiel des pulsions renvoie à un trouble profond qui touche la structure d'ensemble où il s'enracine.
L'ouvrage de Krafft-Ebing est à l'usage des médecins et des juristes. Ceci signifie en clair que si les perversions, actes ou comportements sans perversité peuvent selon le code relever de la prison, la perversité pour sa part relève de l'asile. Perversion versus perversité est en parallèle avec prison versus asile. Mais pour Krafft-Ebing et Moll, n'existe-t-il pas des perversions qui seraient "d'aimables fantaisies"? des perversions où "certes l'objet est pervers mais où l'acte ne l'est qu'en conséquence", ce qui, par exemple, distinguerait, sinon opposerait, homosexualité et sadisme criminel. Comme le souligne Lanteri-Laura, au centre de l'ouvrage, nous trouvons la question de l'homosexualité. Le Code allemand contemporain de Krafft-Ebing - à la différence du Code Napoléon ( il est vrai que Cambacérès était passé par là...) - condamnait l'homosexualité, même entre adultes consentants, en se limitant toutefois à la sodomie, ce qui a fait la fortune, si l'on ose dire, de nombreux maîtres chanteurs.
Krafft-Ebing et Moll reprennent sur ce point un combat qui avait été mené par Ulrichs en faveur des uranistes - dont il faisait lui-même partie - et par Westphal. Pour Ulrichs, les uranistes ( "De l'Amour divin. Vénus, céleste fille d'Ouranos" ), ayant un sentiment sexuel contraire, une âme de femme dans un corps d'homme, n'étaient nullement contre nature mais en conformité avec la nature qui parlait en eux d'une manière différente. Mais cette défense des homosexuels et la classification qu'établissent Krafft-Ebing et Moll entre formes innées et acquises, ou précoces et tardives - qui pour autant peuvent être innées mais tarder à se manifester - renvoient à ce qu'ils appellent un hermaphrodisme psychosexuel dont ils cherchent la base physiologique, même s'ils reconnaissent échouer très souvent à la trouver, à un "cerveau de femme dans un corps d'homme" ou inversement. Ils cherchent un support glandulaire, hormonal, d'une bisexualité physiologique. Il s'agit donc de faire rentrer l'homosexualité dans une nature, exceptionnelle ou rare ou particulière, mais néanmoins une nature, ce qui n'est pas sans renvoyer finalement à une tare héréditaire ou à une dégénérescence. Sommes-nous si sûrs que pour nous cette recherche de l'hormone ou du gène, du trouble biochimique de l'homosexualité ait fait définitivement la preuve de l'ineptie de son caractère pseudoscientifique et sournoisement idéologique? Sur ce point, Lanteri-Laura nous éclaire: pour Krafft-Ebing et Moll, il existe de bons pervers, c'est-à-dire des pervers qui se sentent malheureux, coupables, mal dans leur peau, des pervers qui demandent à être soignés, même si le soin qui les débarrasse de leur perversion ne peut les mener qu'à l'anesthésie sexuelle, une "neutralité" sexuelle, pour reprendre le mot savoureux de nos auteurs, bref des pervers névrosés. Est-ce un hasard si même Freud aborde la perversion à travers la névrose, hystérie ou névrose obsessionnelle, comme le montre l'article fameux "On bat un enfant"? La psychanalyse - non, des psychanalystes! - a toute honte bue, si on peut dire, dans ce projet qui court toujours: névrotiser le pervers. Sur ce point, dans "L'Étoile rose", Dominique Fernandez a dit l'essentiel. Ou bien encore, quand sans vergogne, la psychanalyse s'oublie - sous elle...- à devenir "direction de conscience".
Les mauvais pervers sont pour Krafft-Ebing et Moll, Lanteri-Laura le souligne bien, ceux qui ... jouissent et ne désarment pas. Ils les décrivent alors comme des monstres, "sûrement dangereux, violents, violeurs, peu intelligents, simiesques...". Plus précisément, deux catégories structurent la "Psychopathia sexualis", le ridicule d'une part, le monstrueux de l'autre, Jack l'éventreur d'une part, l'exhibitionniste à la verge flaccide en tapinois de l'autre. Toute une part des perversions est présentée comme illusion, comédie ridicule et honteuse. Le reste est monstrueux, le fait de brutes incultes dont l'appartenance aux basses classes est souvent soulignée, vagabonds, errants, cheminots... On pourrait parler de la politique de la psychopathie sexuelle! Il est remarquable que le ridicule et le monstrueux ne soient pas toujours où nous les attendrions; parmi les fétichistes, Krafft-Ebing et Moll distinguent la catégorie des coupeurs de nattes qui " s'en prennent aux beaux cheveux des jeunes filles, entraînant le désespoir, l'immense douleur causée dans une famille où une jeune fille est ainsi privée de ses beaux cheveux... Il m'est impossible de comprendre qu'on ne conserve pas indéfiniment de tels gens dans un asile... Espérons que la nouvelle loi pénale apportera une amélioration à ce sujet". Il va de soi que nos auteurs ont parlé, parmi tous les objets fétiches, du fétichisme du poil et de la chevelure... Mais quelle est donc la place du clinicien dans le tableau, encore plus inaperçue d'être en conformité avec les données socioculturelles d'un temps?
Il en va de même lorsque Krafft-Ebing et Moll parlent de la sexualité de la femme; ayant des appétits moins puissants et moins impérieux - ou bien alors, nos auteurs retrouvent la nymphomanie, question clé, avec l'onanisme, à la fin du XVIIIème siècle, comme le montre l'ouvrage du Docteur Bienville sur la nymphomanie ou fureur utérine qui deviendra l'hystérie à la fin du XIXème siècle -, la femme, plus orientée vers la tendresse, le couple conjugal et la famille, n'échappe pas, si elle est saine, à un certain degré d'anesthésie sexuelle. Faut-il entendre la frigidité? Avec Lanteri-Laura, nous rappellerons alors la double morale victorienne..., mais l'édition revue par A.Moll date de 1923, et sa traduction préfacée par Pierre Janet, de 1931.. Ne vaut-il pas mieux, avec Lacan, dire que se trouve dans la "perversion" quiconque se pose - se pose à lui-même, si nous osons dire - la question de la jouissance de la femme?
Et si on parlait de la thérapie du conditionnement?
La préface que Janet a donnée à l'ouvrage de Krafft-Ebing et Moll est pour nous aujourd'hui très précieuse car elle montre ce que peut apporter, avec ses limites indépassables, toute théorie de la sexualité qui fait appel à la notion d'une énergie sexuelle indifférenciée. Soyons clairs: en relèverait selon nous l'ensemble des dites nouvelles psychothérapies, prétendues post-freudiennes. C'est du côté du jeu, du "gaspillage" d'un surplus d'énergie, ce qu'il appelle les réactions du triomphe, que Janet cherchait l'explication de la sexualité humaine. L'homme a appris à jouer avec toutes ses fonctions, l'alimentation, la boisson, la marche, le langage... "de très bonne heure, il a appris à jouer avec les fonctions sexuelles".
Les perversions s'expliqueraient alors par des impulsions à la recherche de l'excitation psychique. Délinquantes, voire criminelles, elles le seraient quand elles ne respecteraient pas la liberté d'autrui. Dans son livre "Nous sommes tous des pervers sexuels persécutés", le Docteur Meignant a-t-il dit autre chose? ... en 1980!
Le sadisme ne ferait qu'exacerber le "sentiment de la conquête et de la victoire", élément surajouté d'excitation psychique aux instincts de détumescence et de contrectation. Dans le masochisme, ce serait la soumission, toujours en quelque façon présente dans le don d'amour. L'homosexualité serait la persistance d'un état d'indifférenciation sexuelle, aux origines même de la vie sexuelle, un infantilisme, éventuellement "aimable", ou encore, pour Janet, une phobie, la phobie du sexe opposé, car il est plus difficile, plus "coûteux en énergie, d'aller vers le différent que vers le semblable: "scrupule, timidité sexuelle, obsessions, peur aboulique de toute innovation et effort".
On ne saurait manifester plus totale incompréhension mais il faut rappeler que pour Wilhelm Reich, seule la répression sociale de l'orgasme génital rendait compte de l'homosexualité et qu'on entend encore quelque psychanalyste proférer qu'à l'homosexuel il manquerait la dimension de l'Autre. Quant au fétichiste, il ne ferait qu'amplifier la surévaluation du corps de l'aimée ou tel objet lui appartenant, explication aussi vieille que l'article de Binet même si elle en appelle à la symbolisation qui n'est alors que l'allégorie de signes et d'emblèmes.
De telles théories laissent entière ce que Lanteri-Laura a su marquer comme l'énigme des perversions, par où elles échappent radicalement au regard médical centré sur les fonctions et les fonctionnements, même si, comme Janet déjà, il en appelle au surplus d'énergie, à la marge d'un jeu gratuit de la vie qui caractériserait l'humain. Il s'agit bien, comme le soulignait Lanteri-Laura, de rompre avec le leurre d'une sexologie comme savoir unitaire hiérarchisant des fonctions, sur la base d'un savoir de l'organique que nous apporteraient médecine et biologie humaines. Est-ce totale utopie, rêve naïf que de souhaiter sensibiliser travailleurs sociaux et magistrats à une autre approche du sexuel humain, de ses chemins de traverse, qui y respecte l'historicité, les paradoxes et l'énigme d'un destin singulier? pour reprendre un mot que l'on trouve, ô surprise sous la plume de Krafft-Ebing et de Moll, sa dimension d'aventure? Lacan disait: comment un homme aime-t-il une femme? - par hasard!
Nul ne saurait être surpris que le positivisme sexologique de Krafft-Ebing et de Moll n'aille pas dans ce sens. Pour eux les perversions relèvent de l'évolution biologique. Chez l'homme, les instincts relâchent leur prégnance: affaiblissement voire disparition du rôle de l'odorat, primat de la vue, mélange des signes sexuels secondaires masculins et féminins... avec des réflexions cocasses sur la "décadence de la barbe" et la prise par les femmes de rôles masculins. Ici encore, l'idéologie ne manque pas au rendez-vous. En fin de compte, les perversions relèvent de la fixation d'un comportement, préliminaire ou partiel, qui s'est accompagné de plaisir. La différenciation des sexes s'affaiblit avec la civilisation. Pour Moll, l'homme civilisé est beaucoup plus porté aux perversions que l'homme primitif. Le complexe associatif des caractères excitants s'est dissocié: parfums artificiels, vêtements, et même transformation des visages et des mouvements.. Le développement et les changements dans le vêtement s'accompagnent de fétichisme et les qualités psychiques qui différencient masculin et féminin sont beaucoup moins stables, plus fragiles que les qualités physiques, désormais en voie d'effacement.. Pour Krafft-Ebing et Moll, la civilisation, en particulier urbaine, multiplie la dégénérescence et la transmission des tares héréditaires. Les perversions se caractérisent par leur variabilité: homosexualité, fétichisme, sadisme, masochisme, sont parcourus par le même individu. Pour Krafft-Ebing et Moll, les perversions, sadisme et masochisme, sont une amplification de tendances présentes congénitalement dans la sexualité : plaisir résultant de la résistance maîtrisée, de l'exercice contrôlé de la musculature - bien des thèmes développés autour de la pulsion d'emprise et du sadisme sont dans le droit fil des hypothèses de Krafft-Ebing et Moll -, plaisir lié à la soumission pour le masochisme. Sur ce dernier point, nous trouvons déjà le thème de la passivité féminine et du prétendu masochisme féminin dont Lacan dira qu'il est un fantasme masculin. Le fétichisme pour sa part est à la fois congénital - l'objet excitant est constitué par un complexe de sensations qui peut se dissocier - et accidentel par le lien de plaisir entre telle ou telle partie du corps, tel ou tel objet et le début ou le cours de la vie sexuelle. Ce lien se trouve fixé et persistant. Krafft-Ebing et Moll se réfèrent au fameux article de Binet paru dans la Revue Philosophique en 1887:"Le fétichisme dans l'amour".
L'objet partiel symbolise l'objet total comme la douleur la domination, ou le pied la soumission. Ce n'est évidemment pas le symbolisme freudien que Moll récuse explicitement mais la partie pour le tout, le signe pour le signifié, analogie voire allégorie.
Pour la genèse des perversions, à côté de la dégénérescence, Krafft-Ebing et Moll font une place aux conditions, à l'environnement favorisant ou défavorisant l'homosexualité, celle des prisonniers, des marins, des soldats. A partir d'une période initiale d'indifférenciation - Moll récuse le terme freudien de polymorphisme -, le processus déterminant est celui de la substitution du moyen au but, sans cesse renforcé par les fantasmes masturbatoires de " l'onanisme psychique". Les perversions apparaissent comme la persistance d'un infantilisme, à partir de l'ambivalence initiale - cruauté mêlée à la volupté, pitié et compassion provoquées menant à l'amour - et grandement favorisé par l'excès de l'énergie tendancielle, à savoir l'hyperesthésie.
Krafft-Ebing et Moll ont su saisir le lien entre jouissance sexuelle et angoisse - le cas de l'enfant découvrant l'orgasme dans la lutte ou l'échec, l'attente des coups dans le masochisme, la volupté qui accompagne l'attente d'être surpris ou puni... -, angoisse que la perversion vient cultiver comme sa base même. De cet aperçu clinique, ils ne tirent évidemment pas toutes les conséquences; il y faudra une clinique de ce singulier objet, objet d'angoisse, objet de désir, objet de jouissance, ce que Lacan, en un acte d'invention, a nommé l'objet a, l'objet petit a.
De même, si Krafft-Ebing et surtout Moll font apparaître l'hétérogénéité de l'homosexualité - tous les homosexuels sont loin d'avoir le sentiment sexuel contraire, une âme de femme dans un corps d'homme - , nos auteurs nous gardent et l'hérédité et la tare et la dégénérescence, nous l'avons souligné d'emblée.
A.Moll saisit la complexité de la vie sexuelle : il tend à penser que pulsion hétérosexuelle et pulsion homosexuelle sont très souvent sinon toujours, simultanément présentes. Mais il refuse l'explication psychanalytique des perversions et fait appel aux événements accidentels, aux occasions, pour déterminer la tendance.
Finalement l'intervention se tourne vers une psychohygiène sexuelle. Le positivisme sexologique est aussi le triomphe de l'hygiénisme accentuant le rôle de l'environnement. Et si la "démocratie du travail" de Wilhelm Reich, "la plénitude des relations humaines" selon le Docteur Meignant et "Union" étaient aussi, à leur façon, un hygiénisme?.. parce que de telles perspectives sont un naturalisme.
Krafft-Ebing et Moll ont d'abord une préoccupation de diagnostic, dans une perspective de soins certes mais aussi sinon surtout dans la perspective de l'expertise. Les indications et les prescriptions prennent alors la forme d'une véritable "chasse aux perversions". Si des actes pervers ne permettent pas toujours de conclure à une perversion, à quels matériaux ou indices se fier? Nous voyons Krafft-Ebing et Moll écarter un certain nombre de faux indices, d'idées reçues et de... sottises: non il n'est pas vrai que les homosexuels se reconnaissent au simple coup d'oeil, et Moll cite des cas où qui s'y est fié, pour des fins personnelles, a pu se retrouver dans une situation tragi-comique... ou entre les mains de la police criminelle. Non il n'est pas vrai non plus que les perversions s'enracinent toujours dans un éveil précoce de la sexualité, une hyperesthésie du sens génital, ni que celui qui regarde des devantures de linge, de chaussures ou de corsets soit plutôt un fétichiste qu'un... commerçant concurrent. Peut-on se fier aux intéressés eux-mêmes?
Nos auteurs entrent alors dans la dialectique du témoignage et de l'aveu; certains vont minimiser leurs actes, invoquant les effets de l'alcool, d'autres au contraire, nombreux, vont les exagérer pour mettre en avant devant le tribunal une tendance innée, irrésistible, assurant l'irresponsabilité. L'enquête judiciaire est à prendre avec au moins autant de prudence que l'autobiographie. Krafft-Ebing et Moll soulignent qu'en présence du médecin, beaucoup d'individus restent impénétrables. Ils ont su voir que le pervers ne s'adresse pas au médecin à cause de sa perversion, mais d'une impuissance, d'une culpabilité ou d'une angoisse persistante. Le médecin, à plus forte raison pour l'expertise, est tenté de glisser dans une posture inquisitoriale, à laquelle Krafft-Ebing et Moll se laissent aller : observation des regards - " la fréquence avec laquelle l'homosexuel regarde la région des parties génitales, même chez les hommes habillés, est suspecte" (sic) -, utilisation des rêves - "l'homosexuel rêve d'hommes, le fétichiste des fétiches qui l'excitent" - mais déjà les choses s'embrouillent: il y a des exceptions, des rêves pervers chez des hommes sains, et des rêves non-pervers chez les pervers. Moll, qui refuse la théorie freudienne , découvre qu'une théorie du rêve comme calque de la réalité éveillée ne tient pas.
Le choix d'indices probants requiert une définition de la perversion. Dans la recherche de cette définition, nous n'allons pas manquer de rencontrer quelque surprise; et d'abord des actes pervers accomplis pour obtenir un "chatouillement périphérique" ne constituent pas une perversion. Moll donne alors au terme de perversité un sens différent de celui que nous avons vu plus haut : des actes pervers accomplis pour soulager une tension sexuelle - l'instinct de détumescence - ne font pas une perversion. En second lieu, la vie sexuelle débutant par une période d'indifférenciation, il peut y avoir alors toutes sortes de sensations perverses sans perversion d'autant plus que pour l'enfant, tous les sentiments sont mélangés et que ce qui pourrait paraître sexuel, la jalousie par exemple, ne l'est pas. Très souvent il n'y a pas de diagnostic possible avant l'âge pubère, et la période d'indifférenciation dure jusqu'à 20 ans chez la femme, 23 ans chez l'homme?! Moll souligne que la cruauté chez l'enfant, à l'égard des bêtes, des animaux domestiques..., n'a en réalité rien à voir avec le sadisme. Chez l'adulte aussi, des sentiments, des passions qui font supposer une perversion, risquent de ne pas être probants: vénération, "amitiés viriles" etc.. Quel est alors le critère? Que les représentations "se projettent sur des organes sexuels périphériques", entraînant l'érection et le plus souvent l'éjaculation. Il est tout à fait remarquable que l'expertise en revienne ainsi à la recherche d'un indice "objectif", de l'ordre du constat, ce qu'elle a d'abord été, sinon demeure: présence du sperme dans les organes, traces physiques du viol etc... Le corps-objet est soumis, sous le regard prétendu neutre et froidement scientifique de l'expert. Mais nos auteurs savent que ce critère est radicalement insuffisant: dans de nombreux cas de perversion, les sentiments, les représentations " ne se projettent pas sur les organes périphériques", les choses se passent dans le domaine psychique; est-ce affaiblissement de l'instinct de détumescence, anesthésie, est-ce réfrènements puissants? Voilà où l'on se cogne à la sexualité - au sexuel - comme psychique sinon comme effet de sens. Et nos auteurs soulignent que de tels cas sont en particulier caractéristiques des tendances sexuelles dans la sexualité féminine, vision d'époque certes mais peut-être aussi pressentiment de ce que Freud appellera l'énigme - sous le regard masculin - du continent noir.
A propos du sadisme, Krafft-Ebing et Moll ont souligné toute l'équivoque de la cruauté. Comment savoir quand son fondement est véritablement sexuel? En l'absence d'excitation périphérique, ne reste probante que l'association, la concomitance avec d'autres tendances, elles sexuelles, ce qu'ils appellent par exemple pour les pédophiles "l'amour de palper"... Encore une fois, insistons sur l'intérêt de tous ces débats: "Devant les tribunaux, la question de savoir si un fait est sexuel ou non a une grande importance, car les articles applicables du code pénal peuvent être très différents", déterminant à qui revient la plainte: à la partie lésée ou au ministère public pour outrage aux bonnes moeurs.
Krafft-Ebing et Moll ont alors recours à un autre critère: l'amour auquel donne naissance "l'instinct sexuel général", l'amour avec sa passion, sa jalousie, qui se distingue de tous les autres sentiments, et Moll écarte l'objection de l'amitié; une amitié empreinte d'érotisme n'est jamais rien d'autre qu'un sentiment sexuel. N'est-ce pas dire qu'une ombre s'étend sur toute amitié un peu trop vive, un peu trop proche?
Il est vrai que l'homosexualité échappe aux critères physiques; n'ayant pas de sentiment sexuel contraire et n'étant pas hermaphrodites, les homosexuels ne se distinguent pas par l'absence de barbe ou de maladies sexuelles ( ce que l'on croyait à l'époque dans certains ouvrages et qui prend de nos jours une saveur... inimitable!) ; ils peuvent être mariés et même pratiquer le coït hétérosexuel, "à l'occasion d'une érection fortuite ... par le recours à la représentation imaginaire perverse"; la paternité ne prouve rien... Voilà, dirons-nous, que les pervers échappent de tous les côtés à une sexologie positiviste et scientiste. Finalement, pour Krafft-Ebing et Moll, une catégorie nosologique va subsumer toutes les perversions. Écartes les délirants paranoïaques qui se vivent transformés en femme, à l'exemple de l'illustre Daniel Paul Schreber, les pervers, sans être des malades, font preuve de morbidité: organes et fonctions sont en disparate, et Moll se repère aux "malformations" : bec de lièvre, mains à six doigts... L'absence d'instinct sexuel normal est un symptôme morbide et pour Moll, la fonction sexuelle normale est celle qui assure à l'individu "la garantie de l'immortalité" par sa descendance. Que cela soit pour nous l'occasion de marquer que cette mythification - mystification - de la fonction montre comme l'a dit Lacan, que dans le naturalisme, voire dans le matérialisme scientiste, on a continué furieusement à croire en Dieu.
Les pervers, morbides mais non malades, rentrent dans la grande catégorie des psychopathes: impulsivité, faiblesse de pensée, vacillation de la conscience morale, angoisse se déchargeant dans le passage à l'acte, comportements violents. Le tableau, classique et encore repris de nos jours, est complet. Mais entre sain et malade existent des.. transitions et nous découvrons qu'il n'y a pas d'individu sain à l'abri d'une pulsion perverse passagère - citons:".. à la vue d'un petit garçon délicat, à la figure pâle..."-, sensible à tel élément de la toilette féminine, à telle partie du corps. L'intensité même de l'instinct ne cesse de varier: tel pratique le coït six à huit fois en une seule nuit, tel une ou deux fois..! Les expressions de "l'amitié virile" sont parfois très vives... Alors, conclut Moll, méfions-nous des diagnostics trop rapides; et il ajoute que certains qui se croient pervers ne sont qu'obsédés, sans que jamais aucun acte soit venu justifier les "idées" qui les tourmentent de culpabilité. Un peu plus et ils avoueraient... tout! Si l'on ajoute que les pervers peuvent garder quelque tendance hétérosexuelle non perverse, voilà qu'une fois de plus, aux frontières, tout se mêle. A quoi se fier si même les lettres prouvant l'homosexualité des femmes peuvent être une fabrication des maris pour divorcer, et réciproquement? L'expert voit fuir son objet, le sexologue sa science positive. Y trouverons-nous, avec Lanteri-Laura, la démonstration de l'impossibilité d'un savoir scientifique et unitaire du sexuel? A.Moll, pour sa part, trouve dans ces difficultés le fondement de sa thérapeutique. Il est remarquable que pour traiter et soigner les perversions, il écarte d'abord un certain nombre de pratiques courantes à son époque ( et qui n'ont pas forcément disparu ) : ainsi le conseil de pratiquer le coït en réponse à des inhibitions ou à l'impuissance. Si Moll ne fait aucune mention du rôle des fantasmes, il sait que dans cette voie, il est impossible " qu'il se produise quoi que ce soit pour la guérison de la perversion". Néanmoins, il n'exclut pas tout à fait, dans le cas de l'existence d'une tendance hétérosexuelle normale, l'utilisation du conseil médical pour "l'utilisation thérapeutique des tentatives de coït". Il pense ainsi qu'adviendra un renforcement de l'association du plaisir et des représentations et comportements "sains", cela ne valant que pour les perversions "occasionnelles". Ces conseils sont d'abord pour lui toujours subordonnés à l'hygiénisme - le risque des maladies vénériennes ne cesse pas d'être évoqué - et aux règles morales: "Il est absolument impossible de conseiller le commerce sexuel illégitime, dit-il, dans le cas des femmes": ce serait les vouer à " la déchéance sociale, l'exclusion de la société, voire la maternité hors mariage"... expression sans vergogne de la "double morale", qui se renforce lorsqu'il s'agit de conseiller le mariage: si les hommes pervers restent aptes au commerce sexuel, que dire des femmes qui ont une passivité de nature! Homosexuelles, elles restent aptes à l'accouplement et la procréation. Nous n'hésitons pas à citer: " L'horreur que certaines femmes homosexuelles éprouvent à l'idée de l'étreinte de l'homme doit être prise d'autant moins en considération qu'elle s'atténue par l'habitude, ou bien qu'elle disparaît et fait place à l'indifférence. Dans bien des cas, elle n'existe même pas." Ce qui fait hésiter Moll est alors la théorie de la dégénérescence: les pervers ne vont-ils pas transmettre une lourde hérédité? A.Moll a su, se référant à Mendel, mettre en question la psychiatrie de Morel et Magnan: les effets de l'hérédité s'atténuent au cours des générations successives, s'avèrent aléatoires, se brouillent, car qui peut penser être inscrit dans une filiation saine depuis... les origines? On peut dire que si Moll continue à penser dans le cadre de la théorie de la dégénérescence comme cause principale des perversions, il aboutit à le vider de tout contenu explicatif précis. N'est-ce pas ce que Freud a fait pour les notions biologiques de constitution et de disposition? Ce qui renvoie chez Freud à ce qu'il appelle "le choix de la névrose" ou de la perversion, autant dire l'historicité des effets de sens. A travers tout ce débat, l'important est que s'affirme la position médicale comme régulant, conseillant, autorisant ou interdisant le mariage ou ... de l'ordre médical se substituant à l'ordre théologique comme contrôle de la conjugalité, ce qui aujourd'hui n'est pas sans interroger la pratique du conseil conjugal, se ferait-elle au nom de la psychanalyse! S'il s'agit véritablement de conseiller, nous n'avons pas quitté l'idéologie qui inspire Moll, même sous des habits neufs, et s'il ne s'agit pas de conseiller, quels effets de sens attend-on de l'emploi du terme? Limitées ou écartées ces pratiques de direction de conscience, Moll se trouve en face de l'alternative: biochimie ou psychisme, qui n'a pas aujourd'hui fini de faire couler de l'encre. Castration, greffes etc.. relèvent de la première. Moll reste sceptique; la pulsion perverse peut résister, ou même s'accentuer avec le traitement physiologique, nous dirions hormonal. Rêve scientiste perpétuellement renaissant de la recherche du gène de l'homosexualité, de telles pratiques sont-elles autre chose que transsexualisme dans la limite des pures convenances médicales? ou la médecine et la chirurgie mettant le fantasme "au service" de la bienséance pseudoscientifique?
Reste le traitement psychique. Moll reconnaît la valeur - limitée - de la suggestion et de l'hypnose. Elles butent contre des résistances insurmontables, des dégoûts et des horreurs indépassables, "horror feminae" de certains homosexuels notamment. Moll reconnaît l'intérêt de la cure psychanalytique... s'il y a demande. Mais il ne la croit guère efficace comme voie de guérison. Surtout pour lui Freud a méconnu son ressort principal: encore et toujours la suggestion, ce qui est manquer tout à fait la question du transfert. Encore faudrait-il voir les pratiques qui ont cours sur le marché aujourd'hui. Finalement Mol préconise une thérapie d'association dans une relation de confiance au médecin: trouver le pont, toujours persistant entre perversion et normalité, renforcer l'association des représentations hétérosexuelles normales qui existent avec le plaisir, refouler les images perverses volontaires, ce qui affaiblit la force des images involontaires s'imposant à la personne malgré elle, proscrire les lectures perverses, faire la chasse aux séducteurs de la jeunesse au stade d'indifférenciation, combattre sans trêve l'onanisme psychique qui utilise des représentations perverses... Cette thérapie est une pédagogie, une orthopédie psychique. Ces termes employés par Moll sont remarquables; il est un précurseur des thérapies du conditionnement, du renforcement positif skinnérien. Qui oserait dire par les temps qui courent que l'avenir ne lui était pas assuré? Ainsi conçue, la thérapie assure au médecin sexologue sa position de maîtrise: bien étudier l'individualité perverse, trouver la faille dans la perversion, diriger la décomposition et la recomposition des complexes associatifs, évaluer les progrès dans l'accomplissement des actes vers la santé psychique, la normalité sexuelle. Est-il alors surprenant que le tout se conclut dans la position de l'expert au service et aussi en face des juristes?
Repères pour un code
Krafft-Ebing et Moll travaillaient par rapport au code allemand. A la différence du Code pénal napoléonien, il ne se limitait pas à protéger et garantir les droits du citoyen et à réprimer les outrages publics aux bonnes moeurs, il continuait partiellement à prétendre régir " les rapports sexuels des personnes adultes, même lorsque les droits de tiers ne sont pas lésés", frappant l'homosexualité entre adultes, même consentants, dans le cas de rapport contre nature, c'est-à-dire de sodomie; vestige certes de la morale sociale théologique mais aussi prise de position implicite sur l'implication entre l'ordre social et l'ordre sexuel: pas de société où certains actes et rapports sexuels ne se trouvent en réalité prohibés et sélectionnés - même "arbitrairement et sans logique", dit Moll - comme punissables. Moll énumère ainsi les principaux délits sexuels: "viol, assassinat par lubricité, vols par fétichisme, provocation d'un scandale public par des actes immoraux, débauche contre nature...". Il note la progression de ces délits avec la vie de civilisation: indulgence excessive du législateur peut-être, surtout dissociation des complexes associatifs "naturels" avec la civilisation, nous l'avons dit. Un premier repère est constitué par la notion de responsabilité. Elle peut tout juste engager une rivalité entre experts-médecins et juristes qui estiment pouvoir juger par eux-mêmes. Moll se fait le défenseur de l'intervention d'experts qui seuls ont une compétence qui échappe aux juristes, sur la motivation, la responsabilité, les effets des tendances perverses sur la volonté humaine, d'experts médecins spécialisés dans la "chose sexuelle", mais à une condition: qu'ils se fassent les défenseurs de la loi et de l'intérêt collectif, c'est-à-dire ne multiplient pas circonstances atténuantes et attestations d'irresponsabilité. La maladie mentale avérée entraîne irresponsabilité mais encore faut-il la diagnostiquer; et de plus, les psychopathes dont les pervers font éminemment partie, manifestent plus un "état morbide" qu'une maladie mentale au sens strict. Impulsifs, inconstants dans leur vie privée et professionnelle, ils rentrent sous une catégorie plus large: la morbidité. Comment juger que la volonté est atteinte? Moll recourt alors à un critère que la loi américainefn 1 avait aussi posé: pas de responsabilité si le prévenu n'a pas conscience du bien et du mal, de l'illégalité de son acte. Mais ce critère peut s'avérer défaillant lorsque la personne consciente de l'illégalité s'affirme "contrainte". Nous touchons là au domaine des "impulsions morbides" et aussi au domaine des obsessions et des actes compulsifs. Et le degré d'irresponsabilité fait problème: Moll admet des degrés dans l'irresponsabilité mais met en garde contre cette notion qui peut ouvrir à un laxisme juridique, comme on dit. Là encore, l'expert médecin, et le juriste, voient fuir l'objet prétendu d'une détermination positive: leur objet. Moll fait une large place aux états d'inconscience au sens de l'obnubilation; il y range l'ivresse pathologique. Mais comment la distinguer, la caractériser? Il est fait alors appel à la médecine générale: base pathologique d'ensemble, surmenage, maladie infectieuse, réactions motrices particulières, sommeil terminal après l'acte etc.... Casuistique fondamentalement conjecturale, particulière, l'expertise relève alors plus d'un art que d'une science.
Elle risque de mettre en rapport avec le délit sexuel des facteurs qui n'en ont peut-être aucun. Que dire alors des signes de dégénérescence ou de tare héréditaire relevés par une observation du corps référé à des normes physiques dont l'arbitraire - aujourd'hui!- peut faire sourire, tels les multiples plis des oreilles ou les dissymétries crâniennes. La répétition d'un acte, sa cruauté, son caractère incompréhensible seront invoqués pour présumer l'irresponsabilité. On n'échappe pas à la recherche et à la pesée des motivations; toute la personnalité, ses acquis, son histoire, son état actuel seront convoqués. Parfois, dit Moll, seule l'observation après internement permettra de trancher de l'état d'irresponsabilité. Notons que pour Moll, la perversion ne saurait en rien atténuer la responsabilité dans le cas de délits non sexuels mais liés à la perversion, vols, meurtres... Elle les explique, elle ne les atténue pas. L'expertise rencontre de plein fouet la question de la simulation. Finalement, les psychopathies, caractérisées par l'impulsivité de l'acte, se trouvent aussi rapprochées des états d'idiotie - "l'individu recherche sa satisfaction avec impétuosité, comme l'animal en rut" - , d'imbécillité - "les représentations de réfrènement sont minimes" -, ne résistons pas à citer:"même quand elles appartiennent à des classes élevées de la société, des personnes élevées peuvent déchoir jusque dans la prostitution". Les psychopathies sont également rapprochées de la débilité acquise par traumatisme ou maladie, notamment la paralysie progressive, la syphilis, les crises périodiques d'épilepsie, la démence maniaque. L'accent est mis dans ces cas sur l'augmentation excessive de l'instinct en l'absence de réfrènements, c'est-à-dire la fameuse hyperesthésie. La simple exaltation maniaque - assiduités bizarres, discours frivoles et lascifs, "penchant à faire la jolie dans la société des hommes", coquetterie démesurée, ferveur religieuse malencontreuse... - manifeste déjà cette aggravation de l'excitation sexuelle. Tout ce qui heurte par trop les bienséances sociales - recherche immodérée d'artistes pour le père de famille, toilette trop voyante pour les jeunes filles rangées, achat sans raison d'un travestissement pour aller au bal... - amène à soupçonner une intensification anormale de l'instinct, mettant peu ou prou en cause la responsabilité. Que dire des "délires passionnels" que pourchassera avec toute sa rigueur De Clérambault, phénomènes déjà épinglés par Kraepelin: passions irréalistes, lettres enflammées à quelque inconnu, jalousies subites immotivées? S'y ajoute tout le champ de la dégénérescence hystérique, de la paranoïa érotique etc.... Le thème de l'aggravation de l'instinct, qui renvoie à la norme d'une sexualité bien tempérée et même au demeurant... un peu tiède - amène les psychopathies sexuelles à confiner avec toutes les formes de délire dégénératif et de psychoses.
On comprend alors le point central du propos: pas question que le non-lieu pour irresponsabilité permette aux psychopathes d'échapper au médecin que le pervers fuit habituellement. Pour Moll, la prison ne doit s'en dessaisir que pour ouvrir l'asile avec le long internement dont nous avons vu que relèvent notamment les coupeurs de nattes fétichistes en compagnie des assassins par lubricité. L'expert médical spécialisé s'approprie décidément les perversions étiquetées psychopathies... et les pervers. L'absence de soins ne promet que la répétition de la récidive des "exhibitionnistes, fétichistes, sadiques, et de nombreux homosexuels...". "La protection de la collectivité exige de sévères mesures". Triomphe s'il en est de ce que Freud épingle comme "furor sanandi". Mais qu'en est-il de la jouissance de l'expert spécialisé qui, pour soigner "partout où il faut", veut savoir, comme disait le regretté Michel Foucault?
L'expert-médecin spécialisé intervient aussi dans le domaine régi par le code civil. Nous ne pouvons que convoquer le "tribunal de l'impuissance"fn 2, des perversions et des malformations aussi, qui peuvent être invoquées pour justifier un divorce, ou l'annulation d'un testament, l'interdiction ou la mise en tutelle de tel "incapable majeur". Là aussi Krafft-Ebing et Moll tiennent la position d'une "scientia sexualis" qui vient éclairer les débats et permettre les décisions de justice. Il reste qu'après Krafft-Ebing, Moll, s'interrogeant sur la psychologie du témoignage, et en particulier celui des enfants, a su pressentir toute la force des "fantasmes". Notons que par ailleurs le terme lui reste étranger, comme aussi que tout ce qu'il appelle "servitude sexuelle" qui pointe vers la caractérisation du désir comme désir de l'Autre.
Ouverture (?)
La lecture pas à pas de cette somme clinique, de ce monument intitulé "Psychopathia sexualis", ne nous aura pas déçus. Dans ses limites, celle de toute sexologie positiviste à vouloir se présenter comme science, dans ses hésitations, voire ses contradictions, en tout cas aussi ses ... "pressentiments". Le délit, le crime sexuels sont un confluent clinique et théorique: ils jettent une lumière trouble, tamisée par les idéaux d'époque, sur le passage à l'acte, "l'impulsivité morbide" du psychopathe. Reste-t-il à construire une psychanalyse des comportements violents " et à laisser jouer l'équivoque... violants"? fn 3Cette "haine érotique" dont Robert Stoller parle, à notre avis, trop aisément?
Après Krafft-Ebing et Moll, la sexologie se cherche des bases anatomo-pathologiques: la base est le centre génito-spinal, "supervisé" si on peut dire, par des centres corticaux dans une hiérarchisation ordonnée pour l'acte complet et normal. La dissociation, jacksonienne en somme, distinguera des spinaux, des spinocérébraux postérieurs et antérieurs, des cérébraux antérieurs... Les perversions sont pensées comme effet de dissolution d'une structure anatomo-physiologique de l'appareil nerveux. Les magistrats en sont encore plus dépossédés au profit de la compétence médicale. Sont recherchés les stigmates, physiques, familiaux, psychiques. Le lien avec la criminologie de Lombroso est direct.
Le fameux rapport de Dupré sur " Les perversions instinctives" (1912) sera un aboutissement; les perversions seront pensées par rapport à des instincts de conservation, de reproduction, d'association... et le sexuel noyé et estompé dans la "constitution perverse": conduites agressives dès l'enfance, malignité déplorable, "tendance première, avant tout apprentissage, à accomplir le mal, à le préférer au bien". Dupré décrit une "véritable cour des miracles" où se répète à satiété "l'odyssée du pervers".
L'ouverture est ailleurs : non point constitution ou structure fixe mais historicité d'un sujet et des effets de sens où, comme dit Lacan, dans l'identification, perversion, névrose et psychose relèvent d'un même jeu, "normal" dans la psychose, "normal" dans la perversion, et "normal" dans la névrose: "A ce niveau, le névrosé comme le pervers et comme le psychotique lui-même ne sont que des faces de la structure normale".
Destin irréductible du singulier, seule ouverture où "soignants", magistrats et... "clients" peuvent, peut-être, respirer.
Footnotes
1. Szasz Th. (1963). La liberté,la loi et la psychiatrie. Paris, Payot, 1977.
2. Darmon. Le Tribunal de l'impuissance. Paris, Seuil, 1979.
3. Balier Claude. Psychanalyse des comportements violents. Paris, PUF, 1988.
|