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Métapsychologiefn 1de l'adolescence

Martine Stassart

Dans un article publié en 1958,Anna FREUDfn 2 a écrit que l' "adolescence était la Cendrillon de la psychanalyse",soulignant par là le peu d'intérêt que l'adolescence avait suscité jusqu'alors dans la recherche et la littérature psychanalytiques.

La spécificité de l'adolescence avait pour ainsi dire disparu derrière l'importance accordée à l'étude des premières années de l'enfant.

Avant 1960, une revue de la littérature psychanalytique consacrée à l'adolescence n'aurait pas demandé un grand travail. Il en serait ressorti l'essentiel du peu de chose que FREUD a dit à ce sujet, à savoir que l'adolescence ne fait que répéter le conflit oedipien, le facteur économique, représenté par la poussée génitale liée à l'éveil pubertaire, étant ce qui déclenche le processus, poussant le sujet à trouver l'objet génital.

Pour FREUD, c'est la recherche de l'objet qui domine toute la quête de l'adolescent(e).

Le chapitre trois des "Trois Essais sur la théorie de la sexualité" commence ainsi:

"Avec le commencement de la puberté apparaissent les transformations qui amèneront la vie sexuelle infantile à sa forme définitive et normale.La pulsion sexuelle était jusqu'ici essentiellement autoérotique; elle va maintenant découvrir l'objet sexuel. Elle provenait de pulsions partielles et de zones érogènes qui, indépendamment les unes des autres, recherchaient comme unique but de la sexualité un certain plaisir. Maintenant, un but sexuel nouveau est donné, à la réalisation duquel toutes les pulsions partielles coopèrent, tandis que les zones érogènes se subordonnent au primat de la zone génitale"fn 3.

C'est à partir de là que FREUD opère la distinction bien connue entre plaisir préliminaire et plaisir terminal.

"Le plaisir préliminaire est ce à quoi les pulsions sexuelles infantiles peuvent aboutir, encore que d'une façon rudimentaire. La chose nouvelle qui apparaît est le plaisir terminal, lequel par conséquent, selon toutes probabilités, est lié à certaines conditions ne se présentant qu'à la puberté".fn 4

FREUD ne pense toutefois pas, contrairement à ce que prétendent beaucoup d'auteurs qui paraissent ne l'avoir jamais lu , que l'adolescence se définit par l'accès au génital, comme si toute la première enfance devait être qualifiée, dans cette logique de pensée, de prégénitale. Prégénital ne doit pas être confondu avec autoérotique. L'enfant accède bien au stade génital mais il ne peut le faire que dans le cadre de l'autoérotisme, c'est-à-dire sur le mode du fantasme parce que les voies de la réalisation effective du désir sont impraticables. Ce qui sombre au moment du déclin du complexe d'Oedipe, ce sont les espoirs de réalisation du fantasme génital, soit le désir d'union avec le parent hétérosexuel. Les fixations prégénitales sont d'autant plus redoutables que l'accès au génital a été faible ou nul dans la première enfance.

"De nombreuses perversions sont caractérisées par un arrêt aux phases préparatoires ( préliminaires) .On évitera le mieux cet avortement du mécanisme dû au plaisir préliminaire, quand le primat de la zone génitale aura été préformé pendant l'enfance".fn 5

Le chapitre 5, intitulé "La découverte de l'objet", est d'une importance capitale car, si on le lit attentivement, on peut se rendre compte que cette quête de l'objet génital qui domine toute l'adolescence est d'abord et avant tout la quête d'un premier objet, le sein maternel, à jamais perdu dans le réel. Aussi la poussée génitale pubertaire ramène-t-elle nécessairement aux origines de la vie psychosexuelle, aux moments inauguraux de celle-ci quand elle se constitue à travers l'émergence de la vie de représentation, de l'autoérotisme, du rebroussement dans le fantasme et de la perte d'une certaine réalité - le réel de la chose - qui ne sera jamais plus retrouvée.

Une déchirure radicale, une séparation irréversible se produit dès lors que le sujet qui n'en est pas encore un, découvre que l'objet est en dehors de lui, qu'il n'en fait pas davantage partie que l'objet ne fait partie de lui.

C'est cette douleur de la séparation primordiale qui sera (re)vécue , avec toute l'intensité de l'après-coup, tout au long de l'adolescence.

"A l'époque où la satisfaction sexuelle était liée à l'absorption des aliments, la pulsion sexuelle trouvait son objet au dehors, dans le sein maternel. La pulsion sexuelle a ultérieurement perdu cet objet, peut-être justement au moment où la possibilité a été acquise par l'enfant de se faire une représentation globale de la personne ( die Möglichkeit eine Gesamtvorstellung der Person zu bilden ) à qui appartient l'organe dispensateur du plaisir.La pulsion sexuelle devient dès lors autoérotique, et ce n'est qu'après avoir dépassé la période de latence que le rapport originel se rétablit. Ce n'est pas sans raison que l'enfant au sein de la mère est devenu le prototype de toute relation amoureuse.Trouver l'objet sexuel n'est en somme que le retrouver.... Toutefois, de ce rapport sexuel qui est le premier et le plus important de tous, il subsiste, même après la séparation effectuée de l'activité sexuelle d'avec l'absorption des aliments, un résidu important qui contribue à préparer le choix de l'objet, et ainsi à retrouver le bonheur perdu..."fn 6

En mettant l'accent sur la notion de bonheur perdu ( das verlorene Glück) , FREUD souligne le fait que ce qui est recherché avant tout, c'est une sensation première génératrice d'une nostalgie qui pousse à trouver dans la réalité un objet susceptible d'apporter la satisfaction d'une tension de désir inévitablement incestueuse dans ses origines.

Le désir originaire est incestueux .

Dès lors, il y a un risque que l'objet le soit aussi . Le type d'angoisse que la quête de l'objet éveille est autant l'angoisse de castration, dont on sait qu'elle est étroitement imbriquée avec la résolution du conflit oedipien, que l'angoisse primordiale de la séparation et du sevrage, elle-même en rapport étroit avec l'angoisse de dépersonnalisation et de morcellement.

Ce n'est sans doute pas un hasard si, après avoir pointé la perte de l'objet, FREUD évoque l'angoisse la plus primitive:

"L'angoisse chez les enfants n'est à l'origine pas autre chose qu'un sentiment d'absence de la personne aimée.C'est pourquoi ils s'approchent de tout étranger avec peur..."fn 7

Il est remarquable que FREUD évoque ici cette angoisse que René SPITZ appellera plus tard l'angoisse devant l'étranger ou angoisse du huitième mois, qui correspond justement au moment où l'enfant , devenu capable de réaliser que sa mère correspond à "une représentation globale" perçue comme ne faisant pas partie de lui, s'accroche anxieusement à cette mère devenue tout-à-coup quelqu'un qu'il pourrait perdre, cependant que dans le même temps, il projette massivement cette menace de la perte dans l'étranger, c'est-à-dire dans tout ce qui n'est pas la mère , et qui peut éventuellement être le père, et devenir ainsi le précurseur du futur père castrateur du temps de l'Oedipe.

Le retour de l'angoisse de séparation et de la perte de l'objet d'amour, pendant toute l'adolescence, atteint une telle intensité qu'on a pu dire que souvent, le clinicien a moins affaire à un "retour de l'Oedipe" qu'à un "recours à l'Oedipe"fn 8, comme si beaucoup d'adolescents utilisaient la dramatique oedipienne pour se défendre d'un plongeon dans le monde des angoisses archaïques de fusion et de morcellement.

On pourrait dire, pour résumer, que le drame se joue essentiellement entre le désir incestueux qui voudrait faire fi de la barrière des représentations, et le désir oedipien qui passe par les transformations représentatives du désir, par le biais de ses multiples déplacements, et fonctionne de ce chef comme "négatif de l'inceste" (P.C.RACAMIER).

FREUD avait bien vu que là se trouve le noeud de la problématique cruciale de l'adolescence: refaire le chemin qui mène de la compulsion incestueuse à son élaboration psychique par le truchement d'un conflit oedipien revivifié dans l'imaginaire avant d'aboutir, dans les cas heureux, à son assomption symbolique: l'homme quittera son père et sa mère pour devenir à son tour un père ou une mère qui auront comme tâche principale de se séparer de leurs enfants en leur apprenant à se séparer d'eux-mêmes...et ainsi de suite, de génération en génération.

"Certes,l'enfant aurait naturellement tendance à choisir les personnes qu'il a aimées depuis son enfance, par l'effet d'une libido en quelque sorte atténuée.Mais la maturité sexuelle a été différée, on a gagné le temps nécessaire pour édifier, à côté d'autres inhibitions sexuelles, la barrière contre l'inceste...Une telle inhibition est commandée par la société, obligée d'empêcher que la famille n'absorbe toutes les forces dont elle doit se servir pour former des organisations sociales supérieures. La société fait alors usage de tous les moyens, afin que, en chacun de ses membres, et particulièrement chez l'adolescent, se relâchent les liens familiaux qui existaient seuls pendant l'enfance.

Mais le choix de l'objet s'accomplit d'abord sous la forme de représentations, et la vie sexuelle de l'adolescent ne peut, pour le moment, que s'abandonner à des fantasmes,c'est-à-dire à des représentations qui ne sont pas destinées à se réaliser. (Note additive datée de 1920:"Les fantasmes du temps de la puberté, qui ont pour point de départ les investigations sexuelles que l'enfant a fini par abandonner, peuvent même exister avant la fin de la période de latence.Ils peuvent, en totalité ou en partie, rester dans l'inconscient...Parmi les fantasmes sexuels du temps de la puberté, il en est qui sont caractérisés par le fait qu'ils se produisent chez presque tout individu, quelles que soient ses expériences personnelles. Dans cet ordre d'idées, mentionnons les visions d'après lesquelles l'enfant se représente qu'il a assisté au coït de ses parents, qu'une personne aimée l'a séduit prématurément, qu'il est menaçé d'être châtré et que, séjournant dans le sein de la mère, il y a passé toutes sortes de vicissitudes...On a raison de dire que le complexe d'Oedipe constitue le complexe nucléaire des névroses, qu'il constitue la partie essentielle du contenu de ces maladies. C'est en lui que la sexualité infantile, qui exercera ultérieurement une influence décisive sur la sexualité de l'adulte, atteint son point culminant.Tout être humain se voit imposer la tâche de maîtriser le complexe d'Oedipe ; s'il faillit à cette tâche, il sera un névrosé...). Dans ces fantasmes, on retrouve chez tous les hommes les tendances et inclinations de l'enfant renforcées par le développement somatique; et parmi ces tendances, celle qui compte le plus par l'importance et la fréquence, est l'inclination sexuelle qui, la plupart du temps, a acquis un caractère différencié en vertu de l'attirance sexuelle de l'enfant vers les parents: le fils vers la mère et la fille vers le père.En même temps que ces fantasmes incestueux sont rejetés et dépassés, s'accomplit un travail psychique propre au temps de la puberté qui compte parmi les plus importants mais aussi parmi les plus douloureux, à savoir l'effort que fait l'enfant pour se soustraire à l'autorité des parents, effort qui seul produit l'opposition, si importante pour le progrès, entre la nouvelle génération et l'ancienne"fn 9

Si nous avons longuement cité ce texte, c'est d'une part parce qu'il valorise "l'effort d'opposition " et la souffrance qui, contrairement à ce que beaucoup pensent, l'accompagne comme son ombre, d'autre part , parce que, sous le couvert du complexe d'Oedipe qui autorise leur "Aufhebung", l'entrée dans l'adolescence rabat le sujet sur ce qui fait le fond archaïque - au sens de l'arch qui signifie à la fois origine et commandement - de la psyché: les fantasmes originaires.

A travers ces textes, il apparaît clairement que l'adolescent se voit imposer deux tâches majeures:

• celle de renoncer définitivement à la jouissance incestueuse, en faisant le deuil des imagos parentales archaïques et de la toute-puissance primitive dont il participait pleinement tant qu'il fusionnait avec elles,et,

• celle d'affronter ces mêmes parents, sur le terrain de la réalité cette fois - car nul ne peut être tué in effigie - afin de conquérir son identité propre, ce qui n'est pas possible, du moins dans une culture comme la nôtre - où le Père et la Mère sont encore et toujours à tuer - , sans qu'éclatent de vives controverses entre les générations successives . Comme FREUD le souligne avec le réalisme implacable qui le caractérise: le progrès est à ce prix.

Bien que FREUD n'ait écrit que quelques pages sur l'adolescence, on peut se rendre compte qu'il a dit l'essentiel, mais il l'a dit de manière tellement condensée que seul le coeur du drame a été dévoilé.

Les déterminants du processus, l'extrême difficulté de trouver l'objet dans une culture où le choix en est paradoxalement illimité, et d'accrocher à cet objet les lambeaux d'une libido objectale souvent exsangue , les aléas infinis d'une crise identitaire générée par la remise en cause brutale des identifications anciennes dans une culture qui ne privilégie plus officiellement aucun modèle sauf à destination publicitaire, l'ébranlement des assises du surmoi et des idéaux traditionnels, la désexualisation de la sexualité génitale au profit de la sexualisation de toute une foule d'activités normalement désexuées, l'activité mentale entre autres, tout ce remue-ménage,ce tourbillon, ce "turmoil",ce "Sturm",ce "Rhumb" (VALERY), dont nous gardons souvent le souvenir proche, à l'opposé de l'amnésie infantile, méritait qu'on s'y intéressât d'un peu plus près.

Le peu d'intérêt manifesté pour la chose jusqu'en 1960, dans le monde psychanalytique comme partout ailleurs - sauf chez les romanciers et les poètes - , est sans doute lié à ce sentiment illusoire que nous, jeunes ou vieux adultes, savons très bien de quoi il retourne pour avoir "vécu" cette chose si intensément que nous entretenons souvent sa mémoire jusqu'à l'halluciner au point d'être tenté d'y revenir sans cesse,

"Car temps perdu et jeunesse passée

Être ne peut par deux fois amassée"

(Clément Marot).

Il n'y a pas de doute que l'intérêt actuellement porté à l'adolescence répond à des préoccupations urgentes.

Dans un monde qui change à une telle allure que la seule constante est devenue le changement lui-même, quand les repères identificatoires traditionnels disparaissent, vacillent ou se métamorphosent de la manière la plus imprévisible, il devient inévitable que l'adolescence, en tant qu'elle correspond elle-même au procès de changement le plus radical de toute l'existence humaine, cette période transitoire devient de toute évidence toujours plus problématique.

Dans le prolongement des "Trois essais", Ernest JONESfn 10 est un des rares auteurs à avoir abordé le problème.Il rapproche l'adolescence (12-18 ans) de la première enfance (1-5 ans) d'une part, et la deuxième enfance (5-12 ans) de l'âge adulte d'autre part. De manière plus détaillée que FREUD, JONES insiste sur le fait que l'adolescence récapitule et prolonge le développement accompli durant les cinq premières années.

Il décrit le processus de l'adolescence comme soumis à quatre forces dynamiques, les unes internes, les autres externes . Parmi les sources dynamiques internes, il y a, contradictoirement, une poussée inflative ambitieuse qui tend vers l'épanouissement du Je, et dans l'autre sens une poussée conservatrice qui tend à maintenir les solutions des tout premiers stades du développement ( ce qu'on peut assimiler, sur la base du rapport de Daniel LAGACHE cité supra, au conflit entre Idéal du Moi et Moi idéal ). Les sources dynamiques externes émanent des parents : ils sont en rivalité jalouse avec leurs enfants d'une part, et, dans le sens opposé, ils attendent de leurs enfants qu'ils réalisent leur propre idéal narcissique, ce qui crée une situation qu'on décrirait aujourd'hui en termes de "double lien".

Pour le reste, JONES souligne essentiellement ce qui dans l'adolescence participe d'un processus évolutif : le développement de l'idéal fait passer de l'égocentrisme à l'altruisme en même temps qu'il permet des déplacements d'investissement libidinal, autorisant la levée de l'inhibition pulsionnelle qui résultait de la prégnance du refoulement dans la période de latence. Parallèlement, la dépendance vis-à-vis des parents s'estompe et le choix d'objet s'oriente dans un sens exogamique tandis que le besoin infantile d'être aimé fait place à la capacité d'aimer.

La retraversée de la phase anale lui apparaît capitale car c'est elle qui permet de passer d'un autoérotisme diffus à l'hétérosexualité. A partir de ce point de vue, JONES décrit cinq stades de l'adolescence : auto-érotique diffus, sadique-anal, génital-narcissique (phallique), homosexuel puis finalement hétérosexuel.

On voit que JONES, tout en soulevant quelques points nouveaux, notamment l'importance des attentes parentales, la mise en place de l'instance de l'idéal et la nécessité vitale de déplacer les investissements pulsionnels, se fait une représentation schématique et quelque peu idéaliste de l'adolescence en lui fixant des étapes calquées sur le modèle freudien classique.Le point de vue génétique est prévalent comme c'est presque toujours le cas chez les auteurs anglo-américains .

Dans son livre sur "Le moi et les mécanismes de défense"fn 11, Anna FREUD met l'accent sur deux mécanismes fréquemment rencontrés à l'adolescence, l'intellectualisation et l'ascétisme, qui sont interprétés par elle dans le cadre du premier dualisme pulsionnel opposant les pulsions sexuelles aux pulsions du moi. L'adolescent combat violemment ses pulsions sexuelles en éreintant son moi déjà fortement ébranlé dans ses assises narcissiques. L'anorexie mentale apparaît comme le prototype de ce mode de défense radical qui combine la sexualisation du fonctionnement mental avec le rejet de toutes les satisfactions pulsionnelles trop directement liées au corps.

Un article souvent cité, parce qu'il est aussi percutant que dérangeant, est celui de Kurt EISSLER (1958).fn 12

L'auteur y soutient l'idée que, dans une cure analytique classique, la plupart des adolescents recourent massivement à la défense par le clivage plutôt qu'au refoulement, tant et si bien qu'ils produisent alternativement, dans l'espace d'une même séance, des pathologies authentiquement psychotiques ou perverses, mélangées à des éléments névrotiques. L'analyste est alors requis de traiter le sujet tantôt comme un psychotique, un pervers ou un névrosé. Cette conception a été largement critiquée, notamment par Evelyne KESTEMBERG dont on lira plus loin le commentaire à ce sujet, que nous jugeons pertinent.

Cependant, si cette façon de considérer les phénomènes cliniques d'un point de vue trop classiquement nosographique est criticable, elle a au moins le mérite de souligner le caractère le plus souvent polymorphe de la pathologie de l'adolescence.

Tous les auteurs, qu'ils soient ou non d'obédience psychanalytiquefn 13, reconnaissent l'extrême difficulté de poser , pour ce qui concerne l'adolescent(e), un diagnostic non équivoque aussi longtemps qu'on se réfère à la séméiologie et aux critères classiques de la psychopathologie de l'adulte.

Aussi est-il tentant de produire une nosograhie spécifique de l'adolescence, ce qu'a tenté de faire un auteur comme Pierre MÂLEfn 14 en proposant de limiter la psychopathologie de l'adolescence à trois entités différenciées,la névrose d'inhibition, la névrose d'échec et la morosité. On sent bien tout de suite qu'une telle nosographie ne peut être que caduque, inspirée qu'elle est par l'affect immédiat ressenti au contact de l'adolescent par un adulte compatissant, ce qui n'enlève rien au mérite de son auteur, qui a inspiré toute une génération de psychothérapeutes d'adolescents, mais qui relève un peu trop de l'impressionnisme clinique, nourri du fantasme que le contact immédiat avec le "vécu" de l'autre tient lieu de médiateur suprême ou suffisant.

La controverse diagnostique culmine dans l'attribution de l'étiquette "cas-limite" (Borderline)fn 15.

En effet, si on définit le cas-limite comme un sujet cantonné à la frontière de toutes les psychopathologies (névrotique,perverse,psychopathique et psychotique), sans qu'une pseudo-adaptation à la réalité immédiate n'en soit pour autant apparemment affectée, on le qualifie alors comme un sujet essentiellement narcissique, c'est-à-dire narcissiquement susceptible en raison de la fragilité et de l'instabilité de ses identifications ou, si on veut exprimer les choses autrement, de la porosité ou de l'imprécision de ses limites du moi, cette carence étant constamment associée à l'impossibilité concomitante de réaliser un investissement objectal de bon aloi - pour pouvoir investir, il faut d'abord être riche - , ce qui aboutit à ce que l'objet en est réduit à ses fonctions archaïques de contenant, de pare-excitation, ou d'étayage, soit narcissique (Self-Object) , soit anaclitique. Dès lors, la sexualité, du fait de son ancrage génital faible ou nul, emprunte nécessairement les voies d'une prégénitalité qui est soit de l'ordre de la symbiose ou du parasitisme, soit fortement teintée de perversion, l'objet passant du statut de support à celui d' "objet" au sens le plus trivial du terme, à savoir ce qu'on jette en avant de soi - "ob-jectum" - pour n'avoir pas à y reconnaître le fond de sa propre misère, et qu'on piétine à loisir pour oublier qu'on fut soi-même un jour ce déchet qui ne vaut rien sauf comme exutoire d'une jouissance qui est rejet de soi-même.

Si c'est ainsi qu'on définit le cas-limite, alors on peut comprendre que l'adolescent, dans la mesure où son narcissisme est ébranlé autant qu'il est exacerbé, où son besoin d'indépendance et d'individuation est contrebalancé par une sensibilité extrême à l'environnement et une forte dépendance à ce qui lui tient encore lieu de support plus fondamental que jamais, à savoir ses parents qu'il investit paradoxalement avec une intensité égale au rejet qu'il leur signifie, dans la mesure aussi où

• son identité est constamment ébranlée par le conflit des identifications contradictoires axé sur le remaniement des relations entre un surmoi déjà fixé et des idéaux du moi en attente de modèles per-formants;

• son potentiel génital nouvellement acquis ne peut trouver le moyen - autrement dit l'objet - de s'investir valablement avant longtemps;

• il est condamné à des reculades autoérotiques désespérantes ou bien à des tocades amoureuses qui se révèlent à l'expérience n'être que de vaines tentatives de restaurer un narcissisme en voie d'extinction,

alors il est vrai, au vu de cette caricature, que l'adolescent fait figure de cas-limite exemplaire, de telle sorte que le cas-limite adulte mériterait d'être défini comme un adolescent anachronique, ce qui est effectivement le cas, le cas-limite étant celui qui répète indéfiniment la problématique de l'adolescence qui est précisément celle des limites qu'il faut savoir reconnaître d'abord, occuper ensuite.

Nombreux sont les travaux qui, concernant l'adolescent, tentent d'établir des critères distinctifs afin de différencier le cas-limite physiologique du cas-limite pathologique. Il apparaît que seul le point de vue économique est ici comme ailleurs , décisif car la structure et la dynamique qui l'anime sont le plus souvent identiques.

Dans notre premier travailfn 16, lorsque nous avons utilisé la grille de TIMSIT pour le diagnostic au Rorschach du syndrome "borderline", tous nos sujets sauf un ont obtenu un score élevé qui autorisait à les faire entrer dans la catégorie des cas-limites.Un article récent de Catherine CHABERT fn 17tente à nouveau de faire le point sur cette question mais il faut bien avouer que le problème est loin d'être éclairci, si tant est que la chose soit possible.

* * *

La réflexion psychanalytique à propos de la problématique spécifique de l'adolescence prend son véritable essor en 1962.

Hasard ou non, c'est en cette année 1962 que paraissent trois publications phares qui constitueront une référence obligée pour tous les auteurs qui traiteront du problème par la suite.

Ce sont les articles de WINNICOTT fn 18et KESTEMBERGfn 19 et le livre de BLOSfn 20.

A partir de là, on assiste à une inflation extraordinaire de la littérature psychanalytique consacrée à l'adolescence, si bien qu'une revue exhaustive qui aurait été aisée il y a deux décades, exigerait aujourd'hui le dépouillement de centaines de livres et d'articles.

Comme la plupart des auteurs citent abondamment les trois pionniers nommés plus haut, nous consacrerons l'essentiel de notre propos au commentaire de ces trois ouvrages, pour ensuite y ajouter quelques apports utiles d'auteurs ultérieurs afin de faire une mise au point actuelle aussi fidèle que possible, sur des questions qui restent en pleine discussion.

L'intérêt de l'article de WINNICOTT tient notamment au fait qu'il a été écrit à partir d'une conférence faite en 1961 devant un public non spécialisé.Le style, constamment assertif, est si vif, si clair et en définitive si percutant qu'on aurait envie de le citer in extenso. Nous nous contenterons de citer quelques passages dont la plupart se passent de commentaires.Les termes soulignés le sont par nous.

"On peut présumer sans crainte de se tromper que l'intérêt nouveau pour l'adolescence n'est pas étranger aux conditions sociales particulières à notre temps..."

"Ceux qui explorent ce domaine de la psychologie doivent d'abord savoir que l'adolescent - garçon ou fille - ne désire pas être compris.Il faut que les adultes gardent pour eux ce qu'ils parviennent à comprendre de l'adolescence. Il serait absurde d'écrire un livre sur l'adolescence à l'intention des adolescents, car cette période de la vie qui est essentiellement celle d'une découverte personnelle doit être vécue. Chaque individu est engagé dans une expérience, celle de vivre, et dans un problème, celui d'exister."

"Il n'existe qu'un remède à l'adolescence et un seul et il ne peut intéresser le garçon ou la fille qui est dans l'angoisse. Le remède, c'est le temps qui passe et les processus de maturation graduels qui aboutissent finalement à l'apparition de la personne adulte. On ne peut ni les accélérer ni les ralentir, mais en intervenant on risque de les interrompre et de les détruire, ou encore ils peuvent se flétrir du dedans et aboutir à la maladie mentale."

"L'adolescence est quelque chose qui ne meurt jamais en nous mais il ne faut quand même pas oublier que tout adolescent devient en quelques années un adulte".

"Le garçon ou la fille de cet âge doit avant tout affronter les modifications de sa personne dues à la puberté".

"En particulier, tout être, pour autant qu'il est en bonne santé a vécu, avant la période de latence, un complexe d'Oedipe vrai, c'est-à-dire qu'il a fait l'expérience des deux principales positions dans la relation triangulaire avec les deux parents, et chaque adolescent a élaboré des moyens organisés afin d'éviter la souffrance ou d'accepter et de tolérer les conflits inhérents à ces conditions essentiellement complexes."

"Aussi le garçon ou la fille arrive à la puberté avec des schèmes prédéterminés en raison de ses expériences de nourrisson et d'enfant . Une bonne partie en est inconsciente et il y a une partie qu' il ignore parce qu'il ne l'a pas encore ressentie .
Le problème qui en résulte peut être plus ou moins grave et de types très variés mais le fond est toujours le même: comment cette organisation du moi fera-t-elle face à cette nouvelle poussée du ça? Comment chacun traitera-t-il ce nouveau pouvoir de destruction ou même de mort,
ce pouvoir qui ne venait pas compliquer les sentiments de haine de la petite enfance"

Il est intéressant de noter que WINNICOTT, exactement comme FREUD qui le répète inlassablement dans "Le moi et le ça", considère toujours que les poussées du ça, passé le temps heureux mais révolu de la préambivalence d'avant la "découverte" - qui équivaut à sa "perte" - de l'objet, ces poussées ont toujours une valence destructrice prévalente au sens où les pulsions "attaquent" le moi et sont par essence "toxiques" pour celui-ci.Pas plus chez WINNICOTT que chez FREUD, il n'y a d'idéalisation des pulsions du ça comme c'est le cas chez beaucoup d'auteurs, les plus représentatifs de ce courant idéalisant étant Georg GRODDECK et Wilhelm REICH.

"Le milieu joue un rôle extrêmement significatif à ce stade...(d'où)...l'importance essentielle de l'environnement et du cadre familial chez la plupart des adolescents.."

"Chez ces jeunes, et c'est une caractéristique de cet âge, alternent rapidement l'indépendance qui défie et la dépendance régressive; parfois même les deux extrêmes coexistent pour un temps".

"L'adolescent est essentiellement un isolé. C'est d'une position d'isolement qu'il se lance dans ce qui peut aboutir à des relations entre individus, et éventuellement à la socialisation.... Les jeunes adolescents sont des isolés rassemblés...Ils peuvent se grouper s'ils sont attaqués en tant que groupe, mais c'est là une organisation paranoïde en réaction à l'attaque; si la persécution cesse, les individus redeviennent un agrégat d'isolés".

"Les expériences sexuelles des jeunes adolescents sont marquées par ce phénomène d'isolement; et aussi par le fait que le garçon, ou la fille, ne sait pas encore s'il, ou elle, sera homosexuel(le), hétérosexuel(le) ou simplement narcissique. Dans bien des cas, il y a une longue période d'incertitude pendant laquelle on se demande si seulement un besoin sexuel se manifestera. Une activité masturbatoire compulsive peut représenter une façon de se débarrasser de la sexualité plutôt qu'une forme d'expérience sexuelle. Et même des activités hétérosexuelles ou homosexuelles compulsives peuvent servir à cet âge à se débarrasser de la sexualité ou à décharger des tensions et ne représentent pas une forme d'union entre des êtres humains complets. Cette union apparaît plutôt d'abord dans des jeux sexuels inhibés quant au but, ou dans un comportement affectueux à l'aspect sentimental".

"Un trait caractéristique des adolescents, c'est qu'ils n'acceptent pas de fausses solutions. Cette moralité farouche basée sur le vrai et le faux appartient aussi à la petite enfance et à la maladie d'ordre schizophrénique...Dès qu'il est capable d'admettre qu'on peut se permettre un compromis, l'adolescent est en mesure de découvrir divers moyens d'assouplir sa position vis-à-vis de l'implacabilité de vérités essentielles.(Quand il en arrive là, il est quasiment devenu adulte mais...)...en général, les adolescents rejettent les compromis et ils doivent donc passer par le "pot au noir".."

"On voit beaucoup de jeunes chercher une forme d'identification qui ne les déçoive pas dans leur lutte, la lutte pour se sentir réel, la lutte pour établir une identité personnelle, pour ne pas s'installer dans un rôle assigné par l'adulte quitte à vivre tout ce qu'il faut vivre. Ils ignorent ce qu'ils deviendront. Ils ne savent pas où ils en sont et ils attendent. Parce que tout est en suspens, ils ne se sentent pas réels et cela les conduit à faire certaines choses qu'ils sentent réelles et qui ne nous paraissent que trop réelles à nous, car la société en est affectée".

"En fait nous nous laissons très bien prendre au mélange de défi et de dépendance, si déroutant chez les adolescents. Ceux qui s'occupent d'adolescents sont régulièrement déconcertés par l'attitude exagérément provocante du garçon ou de la fille qui se montre en même temps dépendant au point d'en être infantile. On retrouve alors des schémas de dépendance infantile qui remontent très loin dans l'enfance. En outre, les parents se trouvent avoir à payer pour permettre aux enfants de les défier".

"Les besoins que manifestent les adolescents sont donc les suivants:

Eviter la solution fausse.

Se sentir réel ou accepter de ne rien sentir du tout.

Avoir une attitude de défi dans une situation où la dépendance est satisfaite et ne manquera pas de l'être du fait que les parents restent généralement protecteurs.

Provoquer sans cesse la société afin que l'antagonisme de cette société se manifeste et qu'on puisse y répondre par de l'antagonisme"

Et WINNICOTT de conclure que si les deux premiers besoins peuvent faire le lit d'une schizophrénie et les deux derniers de la délinquance, il ne faut pas trop s'alarmer, considérer que ces "besoins" sont normaux et doivent être satisfaits dans une certaine mesure, qu'il ne faut en tout cas pas essayer de les anéantir car ce serait une forme d'assassinat, d'autant plus inutile que chez la grande majorité des adolescents, il n'y a pas derrière le besoin ou la tendance, une pulsion suffisamment forte pour que le symptôme se constitue vraiment de façon suffisamment gênante pour obliger la société à intervenir par le recours au psychiatre ou à la justice.

Fruit d'une longue expérience psychothérapeutique avec les adolescents, l'article cité plus haut d'Evelyne KESTEMBERG, reste une référence obligée.

L'auteur constate d'abord que l'adolescent(e) ne peut guère trouver de définition claire sinon d'un point de vue négatif: ce n'est plus un enfant, ce n'est pas encore un adulte.

C'est, pour ainsi dire par définition, un immature et un inadapté pour qui se pose essentiellement la question d'Hamlet: "To be or not to be?", et pour qui on espère qu'au bout du chemin, il en aura modifié la syntaxe:"To be or not ? To be!".

S'il y arrive, il aura conquis son identité au prix d'avoir surmonté - inconsciemment pour la plus grande part mais les effets du séisme sont extérieurement très apparents - un conflit identificatoire d'une extrême complexité.

Le dilemme majeur est celui qui anime la dialectique de l'identité et des identifications.

On sait quand l'adolescence commence. C'est quand la poussée pubertaire advient et que, plus ou moins vite, le corps se transforme .

On ne sait pas très bien quand elle finit mais on peut dire, d'un point de vue psychologique, que le terme est atteint lorsque le sujet a acquis une certaine identité, ce qui ne veut pas dire une identité certaine.

"La psychanalyse nous a depuis longtemps enseigné combien la personnalité se structure à partir des relations de l'individu avec son propre corps, depuis le moment où il le sent exister entier en dehors de l'objet maternel, moment crucial du développement qui s'accompagne de ce que Spitz a très bien défini comme l'angoisse du huitième mois de la vie: angoisse nécessaire à ce moment précis de l'évolution, sans doute jamais complètement éteinte au cours de la vie de l'individu, mais pouvant devenir hautement pathogène chaque fois qu'un bouleversement de l'équilibre acquis au fur et à mesure du développement peut la faire ressurgir. Or, très précisément, les modifications du corps de l'adolescent, accompagnées de la confrontation avec des besoins sexuels jusque là méconnus comme tels, sont par définition un de ces bouleversements de nature non seulement à modifier l'équilibre précédemment acquis, mais aussi à réveiller l'angoisse du premier âge sous forme de cette interrogation précise : qu'est-ce que je suis et qui je suis? et comment faire pour être? Il faut bien comprendre que si, comme Freud l'a mis en lumière, la sexualité ou plus exactement les besoins sexuels tissent constamment toutes les étapes du développement individuel, ils demeurent inconscients comme tels, dans la mesure où l'enfant ne se connaît pas d'instrument sexuel spécifique même lors du plaisir masturbatoire génital. Or l'adolescent est confronté avec une acquisition instrumentale qui lui donne un sentiment de fierté largement dépassé par la crainte que la disposition d'un tel instrument en lui suscite et par le sentiment immédiat d'une sorte d'inutilité, car en fait il ne voit pas comment il pourrait s'en servir. De là un sentiment d'inadéquation - l'inadéquation est l'une des caractéristiques les plus générales du comportement des adolescents - ,qui très spécialement dans notre contexte socio-culturel est soi-même une source d'interrogations anxieuses, explicites ou implicites... Nous cernons là d'assez près la dysharmonie évolutive qui préside à l'adolescence, car à la maturation instrumentale sexuelle ne correspond pas la maturation psycho-affective...fn 21

Le remaniement physiologique et biologique auquel l'adolescent est en proie implique le remaniement de l'adolescent avec son corps, qui induit l'assomption de sa personne. Or nous savons, grâce aux connaissances que nous ont apportées les psychanalystes généticiens, que c'est au sein de la relation mère-enfant que se posent et se construisent la connaissance et l'assomption du corps et de la personne ( Qu'on se rappelle la phrase de Freud dans "Le moi et le ça" : le moi est avant tout un analogon du corps, plus exactement un projection de sa surface ). On pourrait dire en avançant ce qui sera le coeur de notre propos que : identité et identification sont alors pratiquement un seul et même mouvement. On retrouvera dans l'adolescence, à la faveur du remaniement biologique et avec une acuité particulière, cette constante communication anxieuse entre l'autre et soi-même, entre l'identification et l'identité. C'est donc au niveau le plus profond que l'on trouve cette dimension relationnelle, constitutive de la personne.

L'adolescence se caractérise par l'acquisition de la maturité accomplie des organes sexuels. Mais c'est également en fonction de l'utilisation avec l'autre de cette acquisition instrumentale, et en fonction des autres, notamment des imagos parentales, que se posent les problèmes. Dès lors nous reprendrons très volontiers à cet égard l'assertion de K.Eissler, pour qui le vrai cogito c'est l'orgasme coïtal. C'est donc bien de l'assomption de sa personne avec un autre par l'exercice des fonctions génitales parvenues à maturité que dépend à ce niveau, le sentiment de sécurité de la cohésion interne, la qualité de l'échange avec l'autre ayant une valeur structurante particulièrement significative quant au devenir. On retrouve là, sur le plan génital, ce que nous avons constaté dans la période pré-génitale très archaïque de la constitution de l'objet, la corrélation profonde, intime entre l'identité et l'identification.

Dans l'expression la plus évoluée de cette dimension relationnelle, à savoir sur le plan des normes socio-culturelles, nous rencontrons à nouveau ce fait fondamental: les adolescents sont et se considèrent en fonction de ce que sont les adultes et de la façon dont ils les considèrent. Ce qui peut également se traduire en termes d'identité ( les adolescents sont...) et d'identification (...en fonction de ce que les adultes sont ou leur apparaissent ) ."fn 22

Il n'échappe pas à l'auteur que l'adolescent occidental actuel est une sorte de mutant qui n'existe que depuis peu de temps. Pour dater le moment de son apparition, l'auteur en appelle aux "Confessions d'un enfant du siècle" d'Alfred de Musset.

Aucun auteur sérieux ne traite plus aujourd'hui de l'adolescence sans la situer dans son contexte historico-social. C'est dire si la "crise" de l'adolescence est en étroite corrélation avec un type de société qui n'en finit pas d'être elle-même en crise, l'état de crise étant pour ainsi dire la seule chose vraiment constante depuis le début de l'ère industrielle . La question est si cruciale que nous avons jugé nécessaire de lui consacrer un chapitre séparé que nous avons intitulé : "Anthropologie de l'adolescence".

Les troubles de l'identité sont courants à l'adolescence et s'ils ne mènent que dans 2 à 3 % des cas à la faillite grave de l'identité que représente la pathologie schizophrénique, il est impossible qu'aucun adolescent échappe complètement à

"...l'inquiétude quant à la cohésion interne de la personne et le sentiment d'inadéquation ou d'étrangeté par rapport à la nouvelle image du corps induite par la maturation génitale pubertaire"fn 23.

Dire que l'adolescence répète l'Oedipe est insuffisant car la clinique enseigne que le foyer du drame est essentiellement constitué par la reviviscence d'une problématique de séparation-individuation qui ravive la première angoisse - celle que Sitz a située au huitième mois comme deuxième organisateur psychique - , et ressuscite les imagos archaïques, avant tout celle de la mère orale toute-puissante, porteuse des fantasmes de destruction et de morcellement. On ne doit donc pas s'étonner de rencontrer à tout moment, chez tous les adolescents, des manifestations d'une angoisse de castration largement infiltrée d'angoisses de séparation, de mort et de morcellement, le renversement d'une angoisse dans l'autre étant la règle plutôt que l'exception.

Une autre manière de traiter la dialectique de l'identité et de l'identification est d'invoquer un autre mouvement dialectique qui traverse le premier : celui du vécu et du connu.

De ce point de vue, il est évident que la période de latence se définit le mieux par la prédominance du connu sur le vécu. Dans cette période de calme relatif, le "vécu" oedipien est frappé d'amnésie et l'enfant peut normalement consacrer toute son énergie qui n'est pas mince, à l'acquisition de connaissances positives et à l'apprentissage des conduites sociales communes; bref il assimile, pourrait-on dire en paraphrasant Kant, les rudiments de la raison pure ( science et technique) et ceux de la raison pratique (morale).

"A cet objet investi (la mère) avec lequel le mode relationnel est essentiellement affectif et qui est à la base de tous les fantasmes inconscients, correspond un mode d'identification qui est celui que Mélanie KLEIN a décrit sous le terme d'identification projective où, en fait, celui qui s'identifie et celui auquel on s'identifie, sont mal différenciés, l'un n'étant que la projection des besoins de l'autre qui est vécu à son tour comme une projection en retour; sujet et objet sont en somme vécus dans une relation de projection et d'introjection. En d'autres termes, l'enfant conçoit sa mère en fonction même de ses propres besoins satisfaits ou insatisfaits et se conçoit en retour en fonction de cette image de sa mère construite à partir des mouvements de tension dont il est la proie. Ce jeu relationnel donne naissance à ces fantasmes inconscients que les psychanalystes ont conceptualisés sous les termes de mère dévorante et de morcellement du corps propre. Ce sont ces fantasmes archaïques qui président aux relations objectales primitives. Au fur et à mesure de l'évolution et de l'acquisition de moyens instrumentaux, telles que la maîtrise motrice d'abord, celle du langage ensuite, va se constituer tout un jeu relationnel complexe qui ne fera pas disparaître pour autant le vécu fantasmatique inconscient des relations primitives.... Tout au long de l'évolution subsisteront côte à côte et pourtant intimement mêlés ces deux systèmes relationnels, l'un essentiellement dans la dimension du vécu, l'autre esssentiellement dans la dimension du connu.. Cette dimension du connu recouvre schématiquement ce qu'il est actuellement convenu d'appeler en psychanalyse les activités autonomes du moi qui se réfèrent donc essentiellement aux possibilités opérationnelles et conceptuelles. Il va de soi que tout connu est sous-entendu par le vécu.... En d'autres termes, il y a au cours de l'évolution un enrichissement et une restructuration constante du vécu par le connu et réciproquement ".fn 24

Dire que tout connu est sous-entendu par un vécu nous paraît fort criticable de même que la notion d'"activité autonome du moi" qui renvoie à celle de "sphère du moi libre de conflits" héritée en ligne directe de l'école américaine de l'Ego Psychlogy. Ce moi autonome existe bel et bien à la période de latence mais il ne peut exister que parce que la coupure avec l'inconscient est absolue, et que l'Oedipe a sombré dans les profondeurs. Ce moi n'élabore en rien le conflit "vécu" de l'Oedipe . C'est exactement le contraire qui se passe : il ne se tourne vers la connaissance et la maîtrise du monde extérieur , et il ne peut le faire , que parce qu'il a rangé l'Oedipe au placard. Mieux, cette activité cognitivo-expérimentale est ce qui permet que la porte du placard reste cadenassée pendant 5-6 ans, c'est-à-dire le temps de l'école primaire. Il y a évidemment des gens pour qui le cadenas restera à jamais fermé . C'est dans ces cas qu'il est justifié de parler de "latence continuée". Autrement dit, ces sujets ne feront pas de crise d'adolescence, ils donneront l'apparence d'une sérénité et d'une maturité tranquilles mais, fondamentalement, ce sont de grands immatures qui n'ont pas de vie psychique véritable,dont la caractéristique est de faire des choses et même souvent beaucoup de choses mais de manière non passionnée, mécanique ou parce qu' "il faut..." ; ils conservent au mieux les intérêts qu'ils ont développés pendant la latence,ils n'ont qu'une pensée opératoire détachée de tout ce qui est humain, c'est-à-dire nourri par le dynamisme pulsionnel et la conflictualité intrapsychique, et ils n'ont pas atteint le stade génital si on entend par là la possibilité d'aimer autrement que l'enfant de 7-8 ans qui est bien gentil certes et de tout repos, mais qui a surtout besoin qu'on l'aime et qu'on le soutienne à coups de renforcements positifs, lui-même n'ayant aucune idée de ce que veut dire aimer au sens objectal et actif du terme.

Evelyne KESTEMBERG décrit très bien ces sujets "auxquels on ne sait donner d'âge, qui en fait refusent tout contact vrai et se tiennent à une distance, qu'on peut presque palper, de l'appétence et de la jouissance de la vie quotidienne. Il y a là en quelque sorte, un phénomène d'isolation assez analogue quant à sa nature, à celui que l'on trouve dans les rites obsessionnels, et de déplacement semblable à celui qui préside à la phobie... Ce sont ces jeunes qui attendent on ne sait trop quoi. Cette attente, vide de contenu, leur sert à masquer le besoin de rejeter leurs parents, déguise le conflit oedipen ( ,empêche en fait que l'Oedipe fasse retour, ) et renvoie à plus tard l'assomption de leur idéal du Moi"fn 25. Le "plus tard" devient rapidement un "trop tard". On peut se demander si ces faux adolescents qui nous paraissent appartenir à la classe des "moroses" décrits par Pierre MALE, ne sont pas en train de devenir aujourd'hui dans notre aire socio-culturelle, un groupe majoritaire dans le sens précis où l'instance de l'idéal du Moi semble, chez beaucoup de jeunes, manquer de la consistance nécessaire pour produire des personnalités fortes.Il ne fait pas de doute que cette évolution a des soubassements idéologiques liés à la culture aujourd'hui dominante qui impose aux jeunes d'être avant tout performants et "battants" et qui met en avant "la science et la technique comme idéologie"fn 26. Or cet idéal est celui qui présidait à la période de latence. Au lieu de leur permettre de faire une crise d'adolescence en bonne et due forme, qui devrait leur permettre d'avoir une tête bien faite plutôt que bien pleine, comme disait Montaigne, on oblige les jeunes à maintenir l'idéal latentiel, avec cette conséquence aujourd'hui très palpable chez beaucoup de jeunes adultes, d'une sorte de dépression masquée généralisée liée au vide psychique et à l'immaturité affectivo-sexuelle, syndrome rampant si répandu qu'on ne le voit pas et qui s'avère malheureusement incurable, au moins du point de vue du psychanalyste, du fait que l'adolescence, précisément , n'a pas fonctionné comme "organisateur psychique".

Cette remarque nous invite à penser que tous les développements qui suivent sont à considérer d'un point de vue critique, ne serait-ce que parce que l'adolescent des années 60 était probablement différent de celui des années 90. C'est une question qui est évidemment très difficile à trancher, voire impossible à traiter, mais qu'on ne peut pas ne pas soulever.

A la faveur de la poussée pubertaire, l'adolescent (re)vit des choses qu'il ne parvient pas à appréhender par la connaissance. Les ruminations métaphysiques propres à cet âge ne sont que prothèse caduque pour remédier à une fondamentale impuissance à penser ce qui arrive au corps. Le vécu prévaut à nouveau sur le connu, comme c'était le cas dans la première enfance.

Dans cette optique, Evelyne KESTEMBERG suggère de considérer la crise de l'adolescence comme un "quatrième organisateur psychique" au sens de René SPITZ; ou bien comme un cinquième si on considère l'Oedipe infantile comme le quatrième.

Pour endiguer le désarroi provoqué par l'impact pubertaire, l'adolescent tentera soit de se défendre préférentiellement par le passage à l'acte, dans l'exacerbation d'un vécu qui lui fera souvent frôler la mort , et/ou la fuite vers un pseudo-connu que traduit l'effervescence intellectuelle activée par l'accès au mode de pensée formelle, hypothético-déductive - dont PIAGET a bien montré qu'elle n'apparaissait pas avant cet âge - dans un moment où l'activité mentale est menacée d'une (re)sexualisation invasive . Les divagations philosophico-mystiques sont un refuge fragile toujours suspect de constituer la voie d'entrée dans une recréation psychotique d'un monde devenu invivable tant font défaut les objets qui pourraient apaiser une excitation libidinale devenue toxique à l'aune de sa démesure.

Une autre différence marquante entre la latence et l'adolescence tient au fait que dans le premier cas, la libido objectale et la libido narcissique sont parfaitement différenciées quant à leur but et à leur objet : l'enfant conserve un besoin intense d'être aimé par ses parents, sur un mode complètement désexualisé, tandis qu'il tire l'essentiel de ses satisfactions narcissiques des progrès cognitifs et instrumentaux qu'il réalise au nom des idéaux parentaux avec lesquels il est en parfaite compliance. Chez l'adolescent au contraire, libido objectale et libido narcissique (re)fusionnent jusqu'à la confusion.

Les amours adolescentes sont essentiellement narcisssiques.La reviviscence de l'Oedipe dans ses composants les plus archaIques entraîne un désinvestissement des imagos parentales sexuées qui rend compte de l'hostilité et du dégoût à l'égard des parents et de la sexualité en général, avec, concomitament,une haine et un dégoût du corps propre, celui-ci occupant, pour ainsi dire, le lieu traditionnellement réservé à la scène primitive. De la même manière que la scène primitive a fait du petit enfant un banni de la sexualité adulte, le corps sexué de l'adolescent devient l'objet d'un bannissement analogue.

L'appauvrissement considérable de la libido objectale entraîne un reflux narcissique de même ampleur sans que pour autant l'adolescent puisse trouver dans ce registre de quoi satisfaire ses désirs narcissiques. Sauf exception, ces aspirations, même quand elles ne sont pas grandioses, ne peuvent pas trouver les moyens de se concrétiser dans la réalité. Sur le plan objectal aussi bien que sur le plan narcissique, l'adolescent est condamné aux retraites fantasmatiques . Aussi la masturbation génitale prend-elle dans ces circonstances une importance particulière dans la mesure où elle fixe l'angoisse, la culpabilité et la dépressivité avec le risque d'une addiction qui constitue une entrave sévère pour le développement libidinal à venir, en ce sens que la libido objectale ne parviendra plus à trouver le chemin de la réalité : l'objet restera à jamais inaccessible.

Avec le rejet destructeur de tous les objets érotiques y compris et avant tout le corps propre, et l'inflation et l'engorgement narcissiques qui s'ensuivent, les conditions sont réunies pour que se produise une fracture psychotique. Une conséquence banale de ce bouleversement économique est l'apparition d'une certaine hypocondrie qui, pour être transitoire, n'en affecte pas moins presque tout(e) adolescent(e) à un moment ou l'autre, notamment sous la forme de dysmorphophobies ou de doute sur l'intégrité des facultés mentales ou encore de la taille et de la conformité des organes sexuels.

En principe, c'est l'instance de l'Idéal du Moi qui fixe la libido narcissique devenue libre en même temps qu'elle enfle démesurément.

Ici encore, la différence avec la latence est manifeste.

On a l'habitude de considérer que la désexualisation propre à la période de latence accompagne et autorise l'affermissement du surmoi et le développement de l'idéal du moi qui, pour Freud en tout cas, n'est qu'une annexe du surmoi. Mais il est certain que chez l'enfant en latence, on n'observe normalement pas de divorce entre le surmoi et l'idéal du moi.

De plus l'idéal du moi est projeté sur, ou incarné par, les parents et/ou leurs substituts:l'instituteur, le curé, le chef-scout, un champion sportif etc... si bien qu'il se passe alors quelque chose d'analogue au phénomène que FREUD a décrit dans "Psychologie collective et analyse du moi": c'est un autre qui est porteur de l'Idéal, un autre admiré dont l'enfant partage l'aura grâce au mécanisme de l'identification projective-participative . L'idéal du moi est projeté sur le chef de telle sorte que, comme l'écrit Victor Hugo dans son poème sur la Mère,"chacun en a sa part et tous l'ont toute entière". Ce phénomène facilement observable rend compte du fait que c'est avec les enfants de cet âge qu'on fait les meilleures équipes sportives, par exemple , mais aussi que l'enfant en latence incarne le modèle du sujet socialement le mieux adapté, du moins aux yeux des tenants d'un pouvoir fort ou totalitaire.D'où aussi le lien intime qui existe entre adolescence et démocratie, comme nous tenterons de l'expliquer plus loin au chapitre "Anthropologie de l'adolescence".

De la même manière qu'il rejette massivement ses parents sur la base du rejet inconscient de leurs imagos sexuées, l'adolescent opte volontiers pour des idéaux opposés à ceux des parents, avec le risque d'aboutir , sans espoir de retour, à ce qu'Eric ERICKSONfn 27 a bien décrit sous l'appellation désormais consacrée d' "identité négative".

Cependant, le surmoi, de son côté , reste immuable. Il est aussi rigide que l'idéal du moi peut être volatil et influençable.C'est à la plasticité de l'idéal du moi qu'il faut attribuer les "miracles" qu'on obtient souvent dans la psychothérapie des adolescents quel que soit le type de psychothérapie.Un rien suffit,une parole,un sourire, voire un silence, pour remettre en place un idéal du moi qui allait à la dérive et restaurer du même coup l'économie narcissique du sujet.C'est un phénomène propre à l'adolescence , qu'on ne rencontre jamais chez l'adulte, en tout cas pas sous cet aspect spectaculaire.

Evelyne KESTEMBERG brosse finement quelques tableaux typiques de l'adolescence, depuis le latent prolongé décrit plus haut jusqu'au casseur invétéré.La typologie nosographique étant hors de notre propos, nous ne nous attarderons pas à cet aspect du problème ni non plus aux questions thérapeutiques.

Il est cependant un phénomène important que l'auteur est , à notre connaissance, la première à avoir mis en évidence pour ce qui concerne sa généralisation et son ampleur.

Nous avons plaisir à le relever car nous l'avons nous-même rencontré chez la très grande majorité de nos sujets, et cela nous a beaucoup interrogée.

A l'adolescence et plus particulièrement dans sa phase terminale, lorsque le conflit nommément oedipien est en voie d'être, sinon résolu, du moins aménagé, on observe dans la plupart des cas une inversion identificatoire: la fille s'identifie au père et le garçon à la mère.

Une telle identification inversée est toujours défensive, destinée avant tout à escamoter la rivalité avec le parent de même sexe.On l'interprète donc dans le cadre de l'Oedipe classique.

Ce qu'on rencontre ici, c'est une méprise identificatoire qui , dans les cas où elle ne se ramène pas simplement à une manoeuvre stratégique transitoire, risque de mener à une impasse définitive, car l'identification inversée, si elle est fixée de manière rigide, ce qui est par exemple le cas chez les anorexiques, barre l'accès à l'identité sexuelle différenciée et donc non seulement à une identité stable égosyntonique mais aussi à l'instauration d'une relation d'objet génitale, ouvrant ainsi la voie à des régressions prégénitales et narcissiques qui peuvent être, et qui sont souvent, irréversibles.

Qu'arrive-t-il à la fille qui s'est - inconsciemment - identifiée au père? Elle dénie sa génitalité propre et remet ainsi en question la valeur maturante et structurante de l'acquisition récente de l'appareil génital féminin dont elle était souvent tellement fière à l'orée de la puberté.

D'autre part, l'identification paternelle-masculine ne participe pas ici, comme on serait tenté de le croire au premier abord, d'une négation de la castration. C'est tout le contraire : l'identification virile ne vient pas suppléer à l'absence effective,reconnue et assumée, de l'appareil génital masculin, elle renvoie la jeune fille à sa déception fondamentale et ravive la blessure narcissique originaire liée à la découverte de son manque de pénis, la replongeant plus dramatiquement que jamais dans ce mélange de dépression, de rage et d'envie qui fait le fond de la féminité lorsqu'elle ne parvient pas à se définir autrement que sur un mode négatif.

"Si on considère toutes ces adolescentes, on peut remarquer que sous le refus d'identification, sous leur inquiétude manifeste ou tacite concernant leur identité ou leur personne, se cache en fait une identification parfaitement inconsciente à leur père, c'est-à-dire au personnage de sexe opposé.Or, si l'on veut bien admettre que l'acquisition de la sexualité définitive qu'est la puberté entraîne inévitablement un réveil plus ou moins bouleversant du conflit oedipien, il apparaît classique, en fonction des connaissances théoriques de la psychanalyse, de trouver une solution à ce conflit dans une identification au personnage parental du sexe opposé, qui donne toute réassurance quant à la rivalité avec le personnage du même sexe. Cette réassurance est importante car elle semble mettre le sujet à l'abri de l'agressivité destructrice qui viserait à supprimer le rival de même sexe pour prendre sa place et qui risque en retour de provoquer la mort de l'individu. C'est là la composante classique et bien connue de la rivalité oedipienne, la peur intense, profonde qu'elle déclenche, mais c'est aussi inévitablement le réveil d'une angoisse encore plus profonde qui lui est sous-jacente, à savoir l'angoisse archaïque de la disparition de l'être maternel nécessaire à la satisfaction des besoins vitaux. Cependant, les choses semblent être, pour les adolescentes, encore plus complexes car, accepter de s'identifier au personnage paternel de sexe opposé implique la dénégation de l'appareil génital qu'elles viennent d'acquérir, donc la remise en question fondamentale de la valeur maturante et structurante de cette acquisition dont dans un premier temps elles sont généralement fières; mais aussi la reconnaissance d'une castration se traduisant par l'absence de l'appareil génital masculin, donc d'un manque, d'une lacune de leur personne, et de ce fait d'une possibilité de destruction du sentiment d'intégrité que la période de latence, en son mouvement de désinvestissement relatif, leur avait permis de considérer comme acquis.

Il va donc en quelque sorte de soi que, pour les adolescentes, l'acquisition de cette maturation génitale, loin d'être narcissiquement rassurante, implique en fait une remise en question profonde, nous dirions élémentaire, de leur propre personne, de leur intégrité, et de leur possibilité d'être au monde. En effet, en des termes extrêmement simples, si elles ne peuvent répondre au conflit lourd de menaces qu'implique une rivalité avec leur mère - en raison même de ce qu'elles sont devenues semblables à elle - que par une tentative d'identification à leur père qui anatomiquement est différent d'elles, cela revient à dire: "Pour n'être pas détruite par ma mère que je peux détruire si je suis comme elle, il faut que je sois comme mon père qui n'est pas comme moi". Ce qui aboutit à : "De toutes les manières, je ne peux être ce que je suis". Nous trouvons là, nous semble-t-il, assez schématiquement explicitée la corrélation profonde et inévitable que nous postulions entre les difficultés d'identification et l'interrogation sur l'identité.

Quant aux adolescents - dont Freud avait dit que pour le garçon, l'évolution favorable de la puberté et l'intégration du conflit oedipien étaient relativement plus simples - , il nous semble que les choses sont non moins difficiles et complexes. Dans un certain sens , elles nous paraissent même extrêmement dramatiques. En effet, la rivalité avec le père auquel il sont anatomiquement semblables, implique les mêmes dangers de castration et donc de destruction; l'identification à l'imago maternelle leur est cependant également fermée car alors ils sont d'une part en proie à une inquiétude constante de castration que cette identification réalise - la très grande fréquence à cet âge des positions homosexuelles, conscientes ou non, prouve éloquemment la recherche d'une telle identification - ,mais aussi,beaucoup plus en profondeur,en proie à la dépendance étroite d'une imago maternelle archaïque toute-puissante qui seule leur donne consistance et vigueur.Ils ne peuvent plus se passer de cette mère dont la présence peut seule assurer leur cohésion, et, dans une certaine analogie avec l'enfant entre 8 mois et un an, il leur faut en quelque sorte halluciner sa présence, en la recréant à tous moments auprès d'eux..."fn 28

Une dernière question, parmi les plus difficiles, est celle qui concerne la spécificité de la psychopathologie de l'adolescent, qu'on a vite fait de qualifier de polymorphe.

Evelyne KESTEMBERG insiste sur le fait que la crise d'adolescence, même lorsqu'elle s'accompagne d'une symptomatologie évocatrice d'une possible entrée en schizophrénie, gagne à être envisagée dans le sens positif d'un moment organisateur au sens de Spitz. On considérera donc la crise comme le signe d'une transformation obligée.

Puisque le moi est en pleine (r)évolution, des régressions massives ou spectaculaires peuvent survenir passagèrement.Bien que la question se pose souvent de savoir si on se trouve ou non en face d'un processus schizophrénique, le diagnostic de schizophrénie ne doit être posé que dans les cas où il est tout-à-fait patent qu'une fracture irréversible et irrémédiable s'est produite dans le processus évolutif normal et que le sujet n'a plus aucun autre moyen de rétablir l'homéostasie pulsionnelle globale qu'en régressant définitivement vers les positions du moi les plus archaïques. Autrement dit, le moi abandonne ses limites et ses frontières et renonce de ce fait à toute identité , de la même manière que, analogiquement, un peuple peut disparaître s'il abandonne ou renonce à défendre ce qui lui conférait son identité,la langue,les rites,les coutumes etc...

Tant que le sujet lutte pour défendre ou conquérir son identité sur le terrain de la réalité, le spectre de la schizophrénie peut être écarté.

"Loin de vouloir trouver au sein de la symptomatologie polymorphe de la crise de l'adolescence les analogies qui l'assimilent aux adultes et à des entités cliniques connues, nous devons tenter de considérer les adolescents pour ce qu'ils sont afin d'essayer d'en mieux connaître la spécificité structurale.

Si l'on étudie attentivement la crise de l'adolescence, et le Moi des adolescents à cette période, on s'aperçoit en fait que ce Moi fragile et en mouvement ne peut trouver un compromis utile dans une position névrotique stable".fn 29

Sans doute est-il vrai que c'est durant l'adolescence que les grands axes de structuration de la personnalité se dessinent et se constituent mais cela ne veut pas dire qu'ils soient déjà constitués de manière stable.

Le soi-disant polymorphisme de la symptomatologie de l'adolescent peut s'expliquer simplement, comme WINNICOTT l'affirme dans l'article cité supra,du fait que l'adolescent n'accepte pas les compromis. Or qui dit symptôme stable dit formation de compromis stable.

Ce n'est ni possible ni pensable pendant l'adolescence parce que l'inquiétude de l'adolescent est telle, son combat identitaire est si acharné qu'il ne permet pas que s'instaure un compromis symptomatique stable qui serait en mesure de juguler efficacement sa conflictualité intrapsychique aiguë.

Il est vrai aussi que l'adolescent, dans le cadre d'une cure analytique, pourra déployer un éventail impressionnant de pathologies diverses, mais ces pseudo-symptômes sont la plupart du temps extrêmement labiles. On doit les considérer comme des manifestations produites dans le cadre de la relation transférentielle qui, chez l'adolescent, est traversée essentiellement par un besoin de prestance.

"Il ne faut jamais perdre de vue cet aspect relationnel qui préside à tout mouvement et à toute fluctuation du comportement de ces adolescents qui se veulent indifférents aux adultes mais qui, de toutes les manières, n'ont de cesse que de leur prouver combien ils leur sont indifférents....L'adolescent vit dans un monde relationnel, intensément fantasmatisé, hautement érotisé, en contradiction absolue avec ce que constamment, il se veut et se pense. Dès lors il importe, sans jamais heurter la conceptualisation consciente de sa personne, de comprendre d'abord, de lui faire entendre ensuite que sa solitude n'est pas vraie et que, quoi qu'il fasse, c'est toujours à autrui qu'il s'adresse".fn 30

* * *

Le livre de Peter BLOS paru en 1962 est à juste titre considéré comme une référence de base.

S'il est parfois critiqué par les psychanalystes, c'est, à notre avis, parce qu'il s'adresse au grand public et qu'il y réussit au prix de l'abandon du jargon habituel qui semble pour certains constituer une sorte d'imprimatur.

C'est paradoxalement sa clarté et sa simplicité qui ont valu tant de critiques à Peter BLOS alors que non seulement il n'est jamais simpliste mais que sur de nombreux points, il est tout-à-fait original et novateur.

La plupart des idées maîtresses exprimées plus haut à travers les citations de WINNICOTT et KESTEMBERG se retrouvent presque toutes chez BLOS,et, depuis lors, on n'a rien écrit de fondamentalement neuf.

"Il n'existe toujours pas dans la société occidentale de convention sociale quant à l'âge auquel un individu cesse d'être un enfant, ou cesse d'être un adolescent pour devenir un adulte. La définition de la maturité en termes d'âge a varié selon les époques et varie encore aujourd'hui selon les lieux....L'adolescence est comprise ici comme la somme résultante de toutes les tentatives d'accommodation à l'état de puberté, au nouvel ensemble de conditions internes et externes,endogènes et exogènes, qui s'imposent à l'individu. La nécessité impérieuse de faire face à ces conditions nouvelles fait battre le rappel de tous les modes d'excitation, de tension, de gratification et de défense qui ont eu un rôle à jouer au cours des années antérieures, c'est-à-dire pendant le développement psychosexuel de la petite et de la première enfance. De ce composé infantile provient la bizarrerie et l'aspect régressif du comportement de l'adolescent ; rétablir ou maintenir un équilibre psychique menacé par la crise de la puberté, c'est typiquement dans ces termes que s'exprime le combat de l'adolescence. Une récapitulation des besoins et conflits affectifs de la première enfance doit se faire, avant que puissent être trouvées de nouvelles solutions comportant des buts instinctuels et des intérêts du moi qualitativement différents. C'est pourquoi on a dit de l'adolescence qu'elle est une répétition de l'enfance. L'une et l'autre période ont en commun le fait que, comme l'a écrit Anna Freud, "un ça relativement puissant s'oppose à un moi relativement faible". Il ne faut pas oublier que les phases prégénitales de l'organisation sexuelle sont encore actives et qu'elles s'efforcent de s'imposer ; elles viennent contrarier par intermittence le progrès vers la maturité. L'acheminement graduel, au cours de l'adolescence, vers la position génitale et l'orientation hétérosexuelle, n'est autre que la continuation d'un développement qui a marqué un temps d'arrêt au déclin de la phase oedipienne, temps d'arrêt qui accentue le caractère diphasé du développement sexuel chez l'homme.On assiste pendant l'adolescence au franchissement d'un second pas dans la voie de l'individuation, le premier ayant été franchi vers la fin de la deuxième année, au moment où l'enfant faisait l'expérience de la distinction fondamentale entre le "moi" et le "non-moi". Pendant l'adolescence, se fait une expérience d'individuation similaire quoique bien plus complexe qui, en dernière étape, aboutit au sens de l'identité....La prise de conscience de la fin irrémédiable de l'enfance, des contraintes de l'engagement dans le monde, de l'impossibilité d'échapper aux limites de l'existence individuelle, cette prise de conscience fait naître un sentiment de peur,d'oppression, de panique. Aussi nombre d'adolescents tentent-ils de demeurer indéfiniment dans une phase transitoire de développement, l'adolescence attardée".fn 31

On a aussi reproché à BLOS d'avoir artificiellement découpé l'adolescence en cinq stades, assez superposables à ceux que proposait JONES. L'auteur s'en est expliqué d'avance dès les premières lignes du chapitre trois, le plus central et le plus copieux, consacré aux "phases de l'adolescence":

"La traversée de l'adolescence ne se fait ni d'un pas égal ni en droite ligne. Souvent même, les aspirations et les acquisitions de la vie mentale qui caractérisent les diverses phases de l'adolescence ont des orientations contradictoires et sont qualitativement hétérogènes; progression, digression et régression passent alternativement au premier plan durant ces phases où, temporairement, divers buts antagonistes sont poursuivis en même temps. Les mécanismes de défense et d'adaptation s'enchevêtrent, et il n'y a pas de tableau statistique qui puisse fixer aucune de ces phases dans des limites d'âges et de durées. On ne saurait trop insister sur cette extraordinaire élasticité, cause de la diversité spectaculaire de la période d'adolescence. Reste le fait, cependant, qu'il existe bien un ordre dans la suite du développement psychologique et qu'il est possible de le découper théoriquement en phases plus ou moins distinctes".fn 32

La période de latence, rappelle BLOS, ne se caractérise nullement par la disparition des exigences sexuelles. Celles-ci demeurent et sont parfois très puissantes mais, du fait qu'elles cherchent leur satisfaction à l'écart de la finalité génitale, elles ont un caractère forcément prégénital et pervers: masturbation, voyeurisme, exhibitionnisme, sado-masochisme...

Si les exigences sexuelles ne changent pas, le moi, par contre, change considérablement.

Le surmoi se constitue, à bas bruit mais définitivement, tandis que les idéaux du moi, incarnés par les "grands", orientent les investissements de la réalité externe dans un sens qui préfigure les sublimations futures en même temps que l'enfant consolide son narcissisme sur la base de ses performances cognitivo-instrumentales dans le cadre d'une compétition avec ses pairs qui vient se substituer heureusement aux rivalités oedipiennes écartées par le refoulement.

Il ne fait pas de doute - tous les auteurs sont d'accord là-dessus - que l'adolescence sera d'autant mieux traversée que les acquisitions du moi accumulées tout au long de la période de latence auront été quantitativement et qualitativement importantes.Ces acquis cimentent avant tout la part narcissique du moi qui s'alimente du combat et de la maîtrise du réel extérieur.Nous verrons qu'à la phase ultime de l'adolescence, c'est à ce moi-là que le sujet fait appel pour sortir du "pot-au-noir" et forcer les portes de la réalité dans un mouvement sthénique qui se situe "au-delà du principe de plaisir".Mais il ne s'agit pas alors pour autant de restaurer un état antérieur qui aurait été celui de la latence. Autrement dit, le devenir-adulte ne saurait être assimilé à un retour de la latence.

"Les acquis de la latence vont devoir céder sous l'intensification de l'énergie pulsionnelle qu'amène la puberté.Car s'il arrive que la nouvelle condition de puberté ne fasse que renforcer les acquis de la latence, lesquels ont été obtenus à la faveur du sommeil génital, alors, comme l'a fait remarquer Anna Freud, "le caractère de l'individu formé durant la période de latence s'installera une fois pour toutes". Il s'ensuivra une immaturité permanente, comme il arrive toujours quand une phase donnée élude sa tâche spécifique en retombant dans les acquis de la phase de développement qui a précédé, ou en s'y accrochant obstinément".fn 33

La préadolescence se caractérise par la montée en flèche de la sexualité génitale mais l'objet et le but ne sont pas encore déterminés, si bien que toutes les activités du moi risquent d'être sexuellement contaminées.

Chez le garçon, l'organe génital fonctionne à vide comme un instrument de décharge des tensions quelles qu'elles soient. Cette fonction d'élimination et de décharge s'accompagne presque nécessairement d'une régression prégénitale dominée par le modèle sadique-anal, comme c'était déjà le cas pendant la période de latence.

La fille, par contre, qui était entrée dans la latence en maintenant le primat de la position phallique, va aborder l'adolescence sur le même mode, en affichant souvent et agressivement une super-féminité caricaturale ou bien en développant les caractéristiques typiques du "garçon manqué".

"Le garçon s'oriente vers la position génitale en faisant un détour par l'investissement pulsionnel prégénital; en comparaison, c'est de façon beaucoup plus rapide et directe que la fille se tourne vers l'autre sexe.

Ce n'est qu'à propos du garçon qu'il est correct de dire que l'augmentation quantitative de la pulsion pendant la préadolescence mène à un investissement indiscriminé de la prégénitalité qui marque la fin de la latence pour l'homme. A ce stade, on observe chez les garçons une intensification dans la motilité diffuse ( agitation, fébrilité ) , dans l'avidité orale, dans les activités sadiques, les activités de caractère anal ( coprophilie, goût de la malpropreté, du nauséabond, des mots obscènes, des onomatopées ), et dans les jeux phalliques, exhibitionnistes."fn 34

Une autre différence majeure entre le garçon et la fille, différence qui persistera indéfiniment, est le refoulement beaucoup plus intense chez la fille, des aspects prégénitaux de la sexualité infantile. Comme l'a noté Ruth MACK BRUNSWICK,

"Une des plus grandes différences entre les sexes est l'énorme degré du refoulement de la sexualité infantile chez la fille. Sauf dans des états névrotiques profonds, aucun homme n'a jamais recours à pareille répression de sa sexualité infantile" (La phase préoedipienne du développement de la libido, 1940, cité par Blos ).

Pourquoi en est-il ainsi?

"La disparité dans les comportements préadolescents du garçon et de la fille était préfigurée dans la répression massive de la prégénitalité que la fille avait dû opérer avant de pouvoir entrer dans la phase oedipienne ; en fait, ce refoulement est condition préalable au développement normal de la féminité. En même temps que la fille s'est détournée de sa mère parce que celle-ci, femme castrée, lui a inspiré un désenchantement narcissique, elle a aussi réprimé les pulsions qui étaient intimement liées aux attentions et aux soins corporels dispensés par cette même mère, autrement dit, tout le champ de la prégénitalité "fn 35.

BLOS distingue ensuite deux phases marquées par la recherche et la trouvaille de l'objet, la première phase de l'adolescence où le choix narcissique-homosexuel est dominant et l'adolescence proprement dite où se produit la première véritable percée en direction de l'hétérosexualité.

Si ces deux phases sont d'une extrême complexité, ce sont elles qu'on désigne lorsqu'on essaie de dégager le profil psychodynamique spécifique de l'adolescence . C'est à elles que s'applique tout ce qui a déjà été dit plus haut à ce sujet . Aussi n'allons-nous pas répéter des choses déjà dites et redites. Nous nous contenterons de pointer ce qui chez BLOS nous paraît le plus original.

En ce qui concerne la première phase de l'adolescence, le fait principal réside dans la retraite narcissique et dans l'élection,qui permet d'aménager ce repli, d'un objet d'amour homosexuel idéalisé . C'est le temps des grandes amitiés, éventuellement "particulières" . Ce que le garçon projette dans l'ami est son double homosexuel tandis que pour la fille , il s'agit plutôt de maintenir un fantasme bisexuel ; l'objet de son béguin sera , homme ou femme, un objet doté principalement de qualités éminentes, toujours phalliques en dernière analyse.Ce qui est important à considérer dans cette phase, c'est que ce que le jeune adolescent projette dans l'"ami(e)", préfigure une bonne part de ce qui deviendra son Idéal du Moi, lequel est toujours, lorsqu'il fonctionne normalement, l'héritier de la libido homosexuelle désexualisée .

C'est donc vers la fin de cette première phase de l'adolescence que se constitue vraiment l'instance de l'Idéal du Moi et c'est sur la base de l'affermissement narcissique auquel préside l'Idéal du Moi, que l'adolescent va essentiellement s'appuyer pour s'autoriser à réaliser ce qui est la grande affaire de l'adolescence, la percée en direction du premier objet hétérosexuel.

C'est aussi le moment culminant de la crise, car l'ensemble du processus produit ici ses plus puissants effets économiques:

• la lutte pour le détachement à l'égard des imagos parentales atteint son acmé, ce qui rend compte de l'extrême dysphorie du sujet, dysphorie qui est en définitive toujours sous-tendue par un travail de deuil aussi inconscient que violent;

• parallèlement au désinvestisement objectal des imagos archaïques, l'auto-inflation narcissique est à son comble, l'exaltation mégalomaniaque se mélangeant chaotiquement à la dysphorie du deuil;

• souvent apparaît conjointement une "faim d'objets" qui correspond à une régression orale devant la montée des exigences génitales;

• enfin,parallèlement au dégagement par rapport à la bisexualité et à l'homosexualité de la phase précédente, apparaît l'état amoureux qui est une étape indispensable du mouvement en direction de l'objet génital hétérosexuel.

Cependant, c'est en tout cas l'opinion de BLOS, il s'en faut de beaucoup qu'on puisse parler d'un choix d'objet véritablement hétérosexuel,c'est-à-dire vraiment autre, différencié, pas trop entaché de projections narcissiques. Or ce dont l'adolescent tombe amoureux, c'est de sa moitié, féminine pour le garçon, masculine pour la fille, que chacun concède à l'autre en l'idéalisant

Pour donner un exemple, quand Faust tombe amoureux de Marguerite,c'est Werther que Goethe ressuscite en Marguerite, et, de même qu'il a laissé mourir Werther, son double homosexuel, il abandonnera Marguerite, son double féminin.

Ainsi chacun risque de répudier son double, tant cette relation qui traverse le premier amour est fondée sur un déni d'ambivalence.

C'est le même schéma qui se répète depuis Bérénice, à travers Tristan et Yseut , jusqu'aux héros de Marguerite Duras, pour citer la plus récente incarnation de cette tragicomédie si purement occidentale.

Même si cette avancée correspond en grande partie à un jeu de miroir qui se termine souvent par un bris de glace suivi de sept ans de malheur comme dit la superstition populaire, c'est un pas décisif sur le chemin qui mène à la résolution de l'Oedipe et à la conquête identitaire.

S'il est vrai que l'homme, dans l'état amoureux, projette sur la femme aimée sa partie féminine-homosexuelle, il ne faut pas oublier que cette imago est, pour une part importante, le résidu de l'identification à sa mère, si bien que la femme aimée recueille cet héritage.

Pour la femme amoureuse, il en va de même, c'est l'identification à l'imago phallique qu'elle projette sur l'homme. Ici comme partout, on retrouve, au niveau du choix d'objet, un amalgame difficilement différenciable d'investissements narcissique et objectal.

L'échec du premier amour risque toujours de constituer un traumatisme narcissique sévère qui enclenche l'automatisme de répétition et fait ,comme on dit, qu'on revient toujours à ses premières amours.

Mais si ce pas décisif est franchi de manière relativement satisfaisante, alors peut s'amorcer la phase terminale,que BLOS nomme tardive, de l'adolescence .

C'est sur ce point que son apport nous apparaît le plus original.

Il y fait intervenir les notions de traumatisme, de répétition et d'acquisition d'une identité définitive à travers la précipitation du caractère qui est effectivement quelque chose qui ressemble à un processus cicatriciel.

Nous ne traitons pas cette question ici.

Nous renvoyons le lecteur à la fin de notre chapitre anthropologique.

Au terme du parcours, le sujet, homme ou femme, a conquis une identité dont le "caractère" porte l'empreinte indélébile.Le moi s'est constitué en s'enchâssant dans un soi (Self) qui l'intègre et lui confère une stabilité et une fixité en principe définitives.

Mais ce n'est pas pour autant que l'Oedipe a été complètement résolu. Pour cela, il faut , il faudrait, que le sujet se soit identifié au parent rival de même sexe . Il n'y a que dans ce cas que l'hétérosexualité peut être atteinte et maintenue. Or, ça n'arrive pas toujours vraiment en raison de l'inversion identificatoire relevée par Evelyne KESTEMBERG et des résidus d'homosexualité qu'elle traîne avec elle.

BLOS note que dans la post-adolescence, dont les limites dans le temps sont très imprécises, il reste le plus souvent une lourde tâche à accomplir, celle qui, pour les deux sexes, consiste à "liquider" les résidus persistants de l'homosexualité inconsciente.

Nous avons vu qu'Evelyne KESTEMBERG attribuait l'inversion identificatoire à l'évitement du conflit identificatoire avec le rival oedipien.

Peter BLOS n'explique pas pourquoi subsistent presque toujours ces reliquats d'homosexualité non sublimée qui minent l'épanouissement hétérosexuel, à défaut duquel on ne peut prétendre que le processus évolutif soit arrivé à son terme. Il constate le fait sans plus, comme tous les psychanalystes du monde qui vérifient à chaque fois que la liquidation du transfert homosexuel constitue la pierre d'achoppement de toute cure classique. C'est le constat que FREUD a fait dans "Analyse finie et infinie".

Et si on relit les cinq psychanalyses,qu'il s'agisse de Dora,de Hans,de Schreber,de l'Homme aux rats ou de l'Homme aux Loups, c'est toujours la fixation-régression homosexuelle qui constitue le plat de résistance.

* * *
Questions actuelles

Dans la conclusion de son article "Adolescence et processus de changement" (1994), Philippe JEAMMET fait une remarquable mise au point des questions qui se posent aujourd'hui à propos de l'adolescence:

" L'état d'adolescence comporte des constantes que l'on peut situer, au-delà des différences de structure individuelle et d'organisation sociale, dans la permanence des changements qui affectent le fonctionnement psychique des adolescents. On y voit en effet à l'oeuvre, avec une acuité particulière, ce qui pour Freud définit la pulsion, à savoir cette exigence de travail demandée à la psyché du fait de sa liaison au somatique. C'est bien le poids du somatique, lié à la puberté, qui est à l'origine de ce surcroît de travail psychique qui caractérise l'adolescence, mais avec les particularités que lui confère l' "après-coup", et alors que l'adolescent voit vaciller l'image de lui-même qu'il s'était construite enfant et qu'il est en attente d'un nouveau statut culturel et symbolique. Ainsi, par-delà les conflits d'identification et le complexe d'Oedipe, ce sont les assises les plus profondes de la personnalité et les premières étapes de sa constitution qui sont sollicitées et éprouvées par l'adolescent au travers de la remise en cause du premier temps de l'après-coup et de l'ébranlement de l'unité somato-psychique.

Cette déstabilisation met à l'épreuve les acquis antérieurs comme les relations actuelles de l'adolescent. Elle le rend ainsi vulnérable aux aléas de la conjoncture et le sensibilise aux variations de la distance relationnelle avec les personnes dont il dépend affectivement. Cette dépendance met en danger son équilibre narcissique et dans le même mouvement, l'achèvement de ses identifications.

Les aménagements de cette dépendance et de ses effets, ses échecs et leur lien avec les réponses psychopathologiques demeurent en partie obscures. Il en est de même des réponses selon l'âge, et le sexe, sur lesquelles on ne dispose que de données fragmentaires comme d'ailleurs sur ce qui constitue le processus d'adultisation."fn 36

C'est dire que sur ce chapitre les questions qui restent largement ouvertes sont plus nombreuses que les réponses . C'est à soulever quelques-unes de ces questions que nous allons maintenant nous employer, en nous basant sur les données de la littérature , psychanalytique pour l'essentiel, au-delà de cette année-pivot que nous avons située en 1962.

Jusquà cette date, on s'était habitué à considérer qu'entre les découvertes psychanalytiques concernant l'adulte et l'enfant, l'adolescence n'avait pas de valeur heuristique particulière. Période de transition, elle n'avait pas de véritable épaisseur, pas de spécificité propre.

Dans les trente dernières années, les transformations propres à l'adolescence ont commencé de retenir l'attention d'un nombre croissant d'auteurs, et ce qui a sans doute été le plus étudié est le processus de deuil très particulier qui opère à cet âge, ainsi que tous les mécanismes qui permettent de l'élaborer, de s'en défendre ou de l'escamoter.

Qu'est-ce qui change à l'adolescence? On sait quand elle commence: c'est quand advient la poussée sexuelle pubertaire qui autorise l'accès à une génitalité qui jusque là n'avait pu se déployer que dans le fantasme, et qui s'était même quasiment éteinte pendant la période de latence. Par contre, il est difficile, de plus en plus difficile, de préciser le moment où l'adolescence se termine . C'est de façon tout-à-fait arbitraire qu'on retient l'âge de 20 ans pour les garçons et de 18 ans pour les filles. C'était encore acceptable il y a peu de temps mais personne ne doute plus aujourd'hui que la limite est pour un grand nombre de jeunes largement repoussée en avant, la notion récente de post-adolescence (Blos, 1962) étant là pour souligner que des changements certains sont à l'oeuvre (Rota, 1993).

Le corps est l'objet central de l'adolescence. A aucun autre moment de l'existence, il ne joue un rôle ausi massivement important car, s'il est aussi bien l'élément déclencheur que le révélateur du bouleversement psychophysiologique en cours, il continue, en tant que représentant du moi, de faire partie du monde des représentations psychiques internes tout en faisant partie du monde des représentations externes. Ce double statut d'appartenance fait en sorte qu'il peut aussi bien devenir le représentant privilégié du moi, comme dans les perversions narcissiques, qu'être perçu comme un corps étranger ou étrange, non reconnu par la psyché, comme c'est le cas dans la schizophrénie et , dans une moindre mesure, dans la névrose, ou bien encore devenir l'objet de manipulations et de traitements expérimentaux où le sujet risque littéralement "sa peau" (anorexie, délinquance, toxicomanie, excès de vitesse etc...).

Le plus important, au regard de l'expérience analytique, est le fait que:

"Ce corps potentiellement étranger, qui perd avec l'adolescence sa familiarité, qu'il va falloir réapprendre à aimer et à assimiler à son image de soi, est aussi un corps incestueux, fruit de l'union des parents, représentant privilégié de la scène primitive et des parents combinés. Les attaques, les rejets globaux ou focalisés dont il est l'objet ( comme dans les dysmorphophobies par exemple ) sont toujours des atttaques contre les objets internes et les figures parentales et, à travers eux, atteignent bien sûr le narcissisme du sujet et la représentation de lui-même qu'ils contribuent à altérer et à amputer. En attaquant et en rejetant tout ou partie de son corps, c'est avec ses parents que l'adolescent règle ses comptes, mais c'est tout ou partie de lui-même qu'il répudie, avec les risques qu'une telle attitude fait courir à son équilibre intérieur".fn 37

C'est sur la scène du corps que se joue le conflit majeur, à travers des conduites et comportements presque toujours inconscients dans leurs motivations mais qui manifestent bruyamment la haine extrême de l'objet-corps devenu l'ersatz des imagos sexuées des parents, en même temps que se développe , de manière apparemment paradoxale, une extrême dépendance vis-à-vis des parents réels ou de leurs substituts. La violence exercée sur le corps n'est toutefois pas que l'expression de la haine de l'objet; elle répond aussi, mais de manière encore plus inconsciente, à la nécessité imposée par la Loi symbolique - et qui se manifestait autrefois à travers les rites de passage - , de couper définitivement le lien incestueux pour accéder à l'ordre symbolique, socioculturel, spécifiquement humain.Il y a un paradoxe criant à l'adolescence; à travers la revendication du droit à user librement de son corps , que ce soit dans des expériences sexuelles pseudo-perverses, dans le risque toxicomaniaque de frôler la mort, dans la revendication du droit au suicide et toutes sortes d'expériences extrêmes qui font douter que l'instinct de conservation existe encore, il y a finalement une sorte de soumission à un surmoi archaïque, mal symbolisé, qui commande de s'arracher violemment à l'univers maternel incestueux, et cette soumission équivaut à embrasser la pulsion de mort .L'idéal du moi qui devrait normalement fonctionner comme relais du narcissisme conservateur de la vie et constituer le moteur d'un projet de vie ( Aulagnier 1968) qui étaierait l'élan vital au sens de l'Eros freudien, devient l'allié d'un surmoi mortifère ( Laufer 1980, Chasseguet-Smirgel 1973 ) .

C'est là l'autre, un autre, aspect du problème : le changement de statut de l'individu appelé à devenir adulte dans son milieu social, culturel, familial, économique...

Toute société commence par la mise en place et la régulation des deux grands interdits majeurs, les interdits de l' inceste et du parricide, qui constituent les deux axes conjugués du complexe d'Oedipe.

L'adolescent, aujourd'hui plus qu'autrefois, est soumis à la contrainte paradoxale d'avoir à conquérir une autonomie et une individuation toujours plus poussées, tout en restant , par la force des choses, et dans la réalité la plus triviale, plus longtemps et plus lourdement dépendant de ses parents, ce qui suffit à justifier que soit apparue cette condition inédite qu'on désigne aujourd'hui sous l'appellation de post-adolescence.

Cette conjoncture particulière, assez récente, aboutit à prolonger démesurément la reviviscence de la "crise" oedipienne et lui confère souvent des aspects caricaturaux.

La double tâche d'avoir à se séparer des objets de l'enfance en faisant le deuil des imagos parentales et de s'individuer en conquérant une identité qui ne peut pas ne pas s'étayer positivement ou négativement sur ces mêmes imagos (Laufer 1986), plonge l'adolescent dans une situation extrêmement conflictuelle qui se manifeste dès le début de la puberté par un réaménagement souvent spectaculaire du style de relation qu'il entretenait avec ses parents et ses proches.

Il est inutile de rappeler le rejet et le dégoût que lui inspire souvent ses parents, la fuite du contact physique, les conduites d'opposition et d'isolement, la recherche de l'originalité à tous crins etc... Ce qui frappe le plus l'attention, c'est la brusquerie, voire la brutalité de ces changements d'attitude et la violence qui les accompagne, enfin leur essentielle paradoxalité qui aboutit à ce que l'adolescent devient d'autant plus dépendant qu'il revendique son autonomie, laquelle lui est tout aussi paradoxalement commandée par l'idéologie inconsciente de notre culture.

Un auteur comme James Marcia distingue quatre types de statut identitaire possibles au sortir de l'adolescence, qu'il désigne par les termes "Identity Achievements" (réussite identitaire) , "Foreclosures" ( identité forclose au sens d'aliénée ) , "Identity diffusions" (identité imprécise) et "Moratoriums" ( identité en suspens) selon que, respectivement et dans les deux domaines du choix profesionnel et de l'idéologie , un sujet a : 1) traversé la crise de l'adolescence , a conquis une identité personnelle et s'est engagé ( commitment ) résolument dans l'existence , 2) n'a pas fait de crise et a fait des choix qui sont ceux de ses parents plutôt que les siens propres , 3) n'a pas fait de choix et n'a pas pris d'engagement , qu'il ait fait une crise ou non, et, 4) continue d'être en crise et ne peut de ce fait s'engager sérieusement. Cette typologie correspond sans doute à une certaine réalité mais elle nous paraît par trop descriptive pour mériter d'être retenue dans l'optique dynamique qui est la nôtre. Des attitudes dissemblables voire opposées peuvent être sous-tendues par des dynamiques psychiques identiques et vice versa.

Si nous envisageons les choses d'un point de vue psychodynamique en considérant le réaménagement de la distance par rapport aux objets d'investissements libidinaux ou désexualisés, réaménagement qui est le propre de l'adolescence et qui peut se caractériser autrement en termes de réaménagement ( Jeammet , 1980 ) des rapports entre l'espace psychique ( interne) et l'espace de la réalité (externe) , on peut dire, suivant l'expression de F.G.Ladame (1991), que l'adolescent se situe entre le rêve et l'action. Il faut alors considérer les changements d'attitude de l'adolescent comme un phénomène d'extériorisation des tensions et des exigences de travail et de transformation qui mobilisent l'appareil psychique. L'extériorisation des tensions et des conflits, à cet âge de la vie, doit être considérée avec une extrême circonspection afin de ne pas tomber dans le piège tendu par une vision trop psychopathologisante qui opposerait l'agir comme limite ou échec du travail psychique et la fantasmatisation ou la rêverie qui en constituerait le label de qualité. A l'adolescence, la perspective doit souvent être inversée en ce sens que l'action en direction de la réalité externe correspond fréquemment à un prolongement du travail d'élaboration psychique tandis qu'à l'inverse, le refuge dans le fantasme et la rêverie est une forme d'aménagement des conflits qui s'apparente à l'agir et ne correspond pas à un travail psychique d'élaboration des tensions. Autrement dit, il est des agirs intériorisés comme il y a un travail psychique qui passe par la mise en acte. Il faut bien faire la distinction entre l'action qui actualise le travail d'élaboration psychique et l'agir (acting) qui peut tout aussi bien se manifester dans l'extériorisation du passage à l'acte ( acting out) que dans le refuge dans la rêverie (action-fantasying).

Ce qui permet d'opérer la distinction entre l'un et l'autre, c'est que dans le cas où le travail psychique se prolonge en action, il y a toujours un déplacement quant au but et à l'objet de la pulsion, ce qui n'est pas le cas dans l'agir.

Cette question est d'importance car, comme nous avons pu le constater dans notre population, à travers les tests de Rorschach et du TAT, la sexualisation de l'activité mentale est manifeste dans une bonne moitié des cas, ce qui ne doit pas étonner puisqu'il s'agit d'adolescents ou de postadolescents, mais doit nous inviter à la plus grande prudence dans l'interprétation, sans quoi nous arrivons dans presque tous les cas, si on se réfère aux critères de la psychopathologie de l'adulte, au diagnostic uniforme de cas-limite, ce qui ne veut plus rien dire ( Masterson 1971, Chabert 1994, Stassart 1988).

Cette réflexion nous conduit vers une autre qui concerne les rapports réciproques des notions de temps et d'espace ( Jeammet 1994).

L'adolescent fait préférentiellement recours à l'espace et à l'utilisation de l'espace afin de réguler la distance psychique par rapport aux objets.L'utilisation de l'espace fait partie du mouvement d'extériorisation grâce auquel l'adolescent trouve le moyen de donner une figure et donc une représentation aux contenus intrapsychiques en même temps qu'il exerce par là une maîtrise sur eux. Contrôler la distance aux objets externes - qu'on pense à la façon souvent grossière dont l'adolescent traite ses parents - est beaucoup plus facile que de se positionner par rapport aux objets internes. C'est pourquoi quelqu'un comme Winnicott a pu dire que les tâches de l'adolescence et celles que requiert le travail analytique sont absolument antinomiques puisque la psychanalyse n'est rien d'autre que la confrontation du sujet avec ses objets internes, confrontation momentanément impossible pour l'adolescent. C'est aussi ce qui permet de comprendre qu'une analyste aussi expérimentée qu'Evelyne Kestemberg ( Kestemberg 1971, 1986 ) déconseille la cure classique pendant l'adolescence sauf, paradoxalement, dans les cas désespérés, ce qui se comprend facilement si on tient compte du fait que dans ces cas désespérés souvent proches de la psychose, on n'a plus rien à perdre en confrontant directement le sujet à ses objets internes puisque la lutte à mort qu'il leur livre ne peut déboucher que sur sa propre mort, au moins psychique.

Considéré sous cet angle, l'espace s'oppose évidemment au temps et à la temporalité qui renvoie à l'attente et donc aussi à une certaine passivité et une absence de maîtrise et d'emprise sur le réel.

"Passivité qui n'est pas sans analogie avec celle du moi de l'adolescent face aux changements pubertaires qui s'imposent à lui tout comme les désirs et d'une façon plus générale le monde interne.De même l'infigurabilité de la temporalité renvoie l'adolescent à sa difficulté à saisir sa propre image.Il existe ainsi une opposition dialectique potentielle entre l'espace et le temps comme entre réalité externe et réalité interne. La temporalité est la référence des adultes. Ils vont sans cesse l'invoquer face à l'adolescent et ils le convient à laisser faire le temps qui apportera les solutions introuvables pour le moment. Mais à cette invitation à un déploiement sur l'avenir des tensions du moment,l'adolescent répond par un déploiement dans l'espace et une mise à distance immédiate d'une tension interne que l'attente ne fait qu'exaspérer".fn 38

Comme le dit très bien en d'autres termes Evelyne Kestemberg:

"On retrouve à l'adolescence un moment très archaïque de l'organisation psychique, à savoir le besoin de : tout, tout de suite, maintenant, sinon il n'y a rien. C'est dire que l'intéressé est confronté, en même temps, à un projet très prégnant et très idéalisé quant à ses propres réalisations et à une incapacité à vivre le projet comme projet, et non comme une réalisation immédiate..... C'est là, je crois, le problème fondamental de la période de l'adolescence que de retrouver le temps d'attendre et de fantasmer. Sur le plan économique, il s'agit de la réacquisition d'un seuil tolérable des excitations, et sur les plans topique et dynamique d'une possibilité à les maîtriser sans détruire l'objet ou se détruire.En d'autres termes, il s'agit du temps de la conflictualité, apprivoisé, intégré, qui permet de passer de la déception à la conquête".fn 39

Si la destruction de l'objet et du moi menace tellement à l'adolescence avec le risque de la destruction de l'appareil psychique lui-même telle qu'elle se manifeste à l'état pur dans la schizophrénie grave, c'est parce que la reviviscence de l'Oedipe, aucun auteur n'en doute plus aujourd'hui, réactive avant tout les angoisses archaïques de séparation, d'abandon, de perte d'objet, de destruction et de morcellement que l'Oedipe a mission de subsumer sous le primat de l'angoisse de castration. Ce n'est pas la configuration oedipienne par elle-même qui est génératrice de conflits, ce sont les difficultés non surmontées - non symbolisées - des phases antérieures qui gangrènent l'Oedipe et minent son pouvoir organisateur, empêchant par le fait même sa résolution.

Ce que l'Oedipe met , devrait pouvoir mettre en forme, ce sont les fantasmes originaires qui, fouettés par la poussée pubertaire, jouent chacun leur partition pour leur propre compte: séduction destructrice, scène primitive vécue à même le corps propre, castration retraversée par le morcellement, régression mortifère . C'est ,dans les cas heureux, ce qui s'était produit au moment de l'installation de la période de latence . Le surmoi , "héritier du complexe d'Oedipe", avait eu raison des fantasmagories incestueuses et il avait bien aidé le moi à s'orienter vers le réel extérieur pour y réaliser des "contre"-investissements avec la bénédiction d'un Idéal du Moi encore confondu avec les attentes normatives des parents.

A l'adolescence, la possibilité offerte d'une réalisation effective des vieux désirs encore tout infiltrés de relents incestueux, risque de réduire à néant le travail psychique réalisé tout au long de la période de latence .

L'adolescence correspond à un travail de deuil nécessaire qui se révèle être en dernière analyse, le deuil du premier objet , le sein , objet toujours déjà perdu dans le réel.

C'est dans le phénomène, relevant de la "psychopathologie de la vie quotidienne", du "premier amour", que se révèlent les avatars parfois tragiques du travail de deuil.

"Là où naît l'amour, périt le moi, ce sombre tyran".

Quand naît l'amour, les limites du moi "éclatent", notamment parce que les limites, si elles sont constitutives du moi, sont aussi, contradictoirement, ce qui offense au plus haut point le narcissisme originaire dont le moi est issu.

Il se produit alors une véritable poussée vers l'illimité, une sorte de "Drang nach Östen", si on veut bien nous permettre cette sinistre métaphore, une poussée vers l'est, vers le soleil levant, "comme au premier matin du monde".

Cette sensation de l'illimité et d'une nouvelle naissance est évidemment proche de la réalisation hallucinatoire du désir.

Il y a une brutale effraction du narcissisme qui est corrélative de l'éclatement des limites et ce "trauma" est la violence faite au moi par:

"...un objet extérieur d'autant plus réel que ses qualités sont projectivement celles qui, dans ce passé non mémorisable où s'est construit le narcissisme primaire, dans ce temps de la mégalomanie infantile, étaient celles de la mère: odeur, saveur, traces acoustiques. C'est la mère qui est prise dans le cadre vide de l'hallucination négative mais qui devient structure encadrante pour le sujet lui-même.

On retrouve la fragilité de cet éblouissement dans le désespoir qui s'installe au moindre doute sur l'amour partagé, et dans ce sentiment d'insipide réalité qui s'empare fortuitement de l'amoureux tout à coup dégrisé.La réalisation hallucinatoire du désir est au plus près de l'irrémédiabilité de la perte."fn 40

Le coup de foudre détient l'efficacité de son pouvoir d'instantanée et mystérieuse fascination de l'occultation quasiment fétichiste - dans le sens où le fétiche a pour fonction d'occulter une béance - du détail spécifique qui a ressuscité le premier objet d'amour infantile qui est le plus souvent, mais pas nécessairement, la mère.

Si les limites éclatent et que la flambée amoureuse advient, ce ne peut être que parce que le moi manque d'un "quelque chose" qui est à l'origine du désir, et que le besoin de combler ce manque est tout à coup devenu impérieux.

Ce qui nous intéresse, ce sont les bouleversements de l'économie psychique que produit l'énamoration.

FREUD, comme à l'habitude, a dit l'essentiel sur ce phénomène, en quelques phrases concises:

"La passion amoureuse consiste en un débordement de la libido du moi sur l'objet. Elle a la force de supprimer les refoulements et de rétablir les perversions. Elle élève l'objet sexuel au rang d'idéal sexuel.... L'idéal sexuel peut entrer dans une relation d'assistance intéressante avec l'idéal du moi....ce qui possède la qualité éminente qui manque au moi pour atteindre l'idéal est aimé. Un tel expédient a une importance particulière pour le névrosé, qui, par le fait de ses investisssements d'objets excessifs, s'appauvrit dans son moi, et devient dès lors incapable d'accomplir son idéal du moi..."fn 41

Cependant, l'adolescent amoureux, qui n'est pas plus psychotique parce que les limites du moi sont subitement abolies, qu'il n'est pervers parce qu'il est obnubilé par un objet-fétiche, et qui ne saurait pas sublimer tant qu'il est dans le paroxysme de la passion, cet adolescent dispose de deux atouts nouveaux par rapport à l'enfant qu'il était encore peu auparavant: la possibilité d'accomplitr le coït et celle d'inventrer un nouveau langage.

L'état amoureux se reconnaît notamment à une certaine inflation verbale et scripturale. L'amoureux n'arrête pas de parler et d'écrire, ses deux mots préférés étant "partout" et "toujours"; les limites du temps et de l'espace sont pulvérisées, l'objet remplit le monde pour l'éternité, les amoureux sont seuls au monde et si l'objet vient à manquer, le monde est dépeuplé, le temps s'arrête.

Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé,

Qu 'importe le soleil, je n'attends rien des jours.

(Alphonse de Lamartine).

Mais l'adolescent est sur ce point moins naïf que l'adulte. L'outrance verbale ne doit point leurrer. L'adolescent est rarement érotomane. Il ne se fait aucune illusion quant au désir de l'autre. Il sait très bien que son désir ne se nourrit que de lui-même et il devine que la concrétisation sexuelle de son élan amoureux pourrait être son chant du cygne. C'est pourquoi la défense la plus habituellement mise en place par l'adolescent est celle de l'amour platonique. Il est bon qu'il en soit ainsi car c'est par là que le travail du deuil peut commencer de s'accomplir.

"Ainsi, brutalement ou par étapes, il se désenchante ; il échappe au sortilège, exalté par sa liberté retrouvée ou bien envahi de mouvements de haine envers l'objet aussi forts que l'était sa "cristallisation amoureuse" et il fait le deuil de ce premier amour.

Cette trace heureusement traumatique ordonnera d'autres amours, des amours d'adultes...

L'adulte devenu sage aura appris que le paradis est une deuxième fois perdu. Retrouvant la sexualité infantile, aves ses alliages subtils de pulsions partielles, il va transformer son désir de fusion en désir de maîtrise."fn 42

L'amour est d'autant plus infantile que son courant fusionnel est plus fort, et d'autant plus adulte qu'il assume au mieux l'exigence de maîtriser tous les courants pulsionnels partiels .

C'est ainsi qu'il faut définir la génitalité , plutôt qu'en référence à un soi-disant objet génital qui, du dehors et comme par enchantement, viendrait transformer en symphonie le charivari des pulsions partielles.

S'il est normal d'idéaliser l'objet, il est dangereux d'idéaliser l'amour parce que c'est tout-à-fait irréaliste.

S'il fallait dresser la liste des éléments qui entrent dans la composition de l'amour génital-objectal, on serait bien obligé d'y inclure le sado-masochisme , en premier lieu, puis toute la gamme des petites perversions, la possessivité, la jalousie, la rancune et même l'infidélité, mais aussi la peur de perdre le support, la culpabilité, le besoin de réparer etc.. Tous ces éléments qu'on qualifie tantôt de négatifs, tantôt de résidus prégénitaux infantiles, ne méritent certes pas qu'on en fasse l'apologie mais il est conforme au principe de réalité de les accepter comme incontournables et de les reconnaître comme les éléments nécessaires de l'amour.

Par exemple, on peut douter que celui qui n'est pas jaloux soit amoureux.Idem pour la peur d'être abandonné,le besoin de se faire pardonner etc... En cette matière, plus que dans toutes les autres, celui ou celle qui veut faire l'ange fait la bête.

C'est pourquoi le poète a raison de dire qu' "Il n'y a pas d'amour heureux". Le travail de deuil n'est jamais rien d'autre que l'acceptation d'une certaine réalité et c'est évidemment dans le domaine de l'amour que le principe de réalité est le plus mal accepté.

"La pulsion sexuelle reste suspendue dans son développement psychique, elle reste très longtemps sous la domination du principe de plaisir à laquelle, chez beaucoup de personnes, elle ne peut absolument jamais se soustraire".fn 43

Les échecs dtu travail du deuil se reconnaissent à l'impossibilité de tolérer le négatif. Ils se manifestent de multiples manières, mais plus particulièrement dans la compulsion amoureuse et le suicide qui lui est souvent associé.

La compulsion amoureuse réside dans le fait de ne pas pouvoir sortir de l'état amoureux ou d'avoir besoin d'y retomber sans cesse.Cette problématique n'est pas spécifique de l'adolescence, elle apparaît dans tous les moments critiques de l'existence, elle peut même constituer la marque essentielle de la destinée d'un sujet, mais c'est chez l'adolescent qu'elle revêt sa forme la plus pure et la plus pathétique.

Dans cette optique, l'état amoureux devenu "chronique" plutôt que signe d'un passage "critique", se définit, selon l'expression de Jean GUILLAUMIN, par l' "aveuglement et l'addiction".

"Par l'aveuglement amoureux, le sujet se donne le moyen de traiter en quelque sorte sans le savoir, par déplacement projectif, en agir sentimental, et souvent matériel, à travers des choix d'objets incongrus, imprévus, marginaux, choquants pour le milieu, sa défiance et son défi à l'égard des interdits internes de l'enfance et de l'adolescence. De là sans doute cet aspect de perversion affective que l'état amoureux prend aux yeux de certains observateurs."fn 44

La séparation s'opère sans qu'il y ait un véritable travail de deuil, car si le deuil est acceptation de l'inéluctable réalité, il est aussi, conjointement, acceptation de l'ambivalence que suscite toute réalité. En lieu et place d'une dépression attendue, conséquence logique d'une perte assumée, il y a une formidable élation, phénomène bien connu qui a fait définir l'amour comme "folie passagère" au sens de la "mania" qu'y voyaient les Grecs.

Une des caractéristiques majeures de cet aveuglement consiste en ceci que le sujet transfère en dehors du moi bien plus qu'un idéal sexuel rapporté à un objet interne, il transfère sur son objet d'amour la totalité de son appareil psychique , l'appareil étant en quelque sorte comme attribué en gérance à la dyade formée avec l'objet d'une manière comparable à ce qu'on observe communément dans les couples gémellaires.L'objet est requis de remplir toutes les fonctions, source des pulsions, épreuve de la réalité, censure etc...

Quant à l'"addiction", au sens d'une toxico-manie, d'une folie (manie) devenue toxicogène au point qu'il n' y a plus moyen de s'en passer, elle consiste en ceci que l'autre, qui cesse par là-même d'être un objet au sens propre et qualifié du terme, devient, pour l'amoureux, la "substance" dont il manque et non plus le porteur des marques identitaires qui lui font défaut et qui pourraient le compléter idéalement.

On comprend facilement que cette toxicomanie amoureuse correspond à une totale démission psychique puisqu'elle aboutit à maintenir l'hallucination positive de la mère primitive incestueuse, contenante et comblante, en même temps que se réalise l'hallucination négative de ce premier objet à travers l'élection d'un objet d'amour qui apparaît comme son antithèse absolue.

C'est le mérite de l'analyse systémique d'avoir mis en lumière le fait que de tels phénomènes d'identification considérée comme négative en première approximation, s'expliquent le plus souvent par une identification à un personnage plus ou moins légendaire de la saga familiale ou à la partie "folle" de l'un et/ou l'autre des deux parents, l'adolescent réalisant ainsi sur le mode de la folie mise en acte la partie des désirs les plus secrets et les plus inavouables - inconscients ou bien conscients mais non-dits - des parents. Ainsi:

"...le "héros d'amour" qu'est l'amoreux transi ou indomptable inscrit sa transgression narcissique-érotique au lieu même de la convergence des conflits internes ( assez généralement ceux des parents) de la famille. Il imposera alors un sentiment tellement ambivalent et complexe aux membres du groupe familial, que le rejet dont il aura "bénéficié" pour "partir" et "décoller", se transformera souvent plus tard en tolérance extrême, et peut-être même ressoudera, dans un silence réparateur au sujet de cet éclat, l'union de ceux que le jeune aura laissé derrière lui: nouvelle alliance dénégatoire...."fn 45

On retrouve ici la tendance "traumatophilique" déjà maintes fois évoquée et qui apparaît comme un des éléments de compréhension majeurs de la psychologie de l'adolescent.

C'est dans cette perspective que s'inscrit la problématique du suicide à l'adolescence.

Comme le "héros d'amour", l'adolescent qui se suicide s'identifie souvent à un personnage de la mythologie familiale qui aurait vécu l'expérience paradoxale d'atteindre à la Vie en se précipitant dans la Mort. Comme l'a écrit André MALRAUX: " L'homme ne se suicide jamais que pour exister".

" Le problème grave est qu' un tel modèle est le plus souvent réprimé ou nié et fonctionne comme un crypto-modèle dans l'imaginaire familial. Il est donc d'autant plus séduisant dans la recherche des solutions au problème de l'individuation et de la séparation.... La mort par suicide peut fonctionner, de façon très imprévue, précisément comme solution idéale de séparation et d'affirmation de soi. Des trois séparations majeures de l'existence, naissance, fin de l'adolescence et mort, la dernière se substitue alors aux deux autres, désastreusement, sans qu'on l'aît attendue ... L'amour narcissique vertigineux du "falling in love" se corrompt dans l'amour de la mort. Mais dans les deux cas, banal ou pathologique, l'évitement du travail de deuil est au premier plan.fn 46"

( à suivre)

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Footnotes

1. La métapsychologie est la branche de la psychologie qui prend en compte la notion de fantasme(s) inconscient(s) comme constituant le noyau de la réalité intrapsychique et utilise la notion de pulsion comme outil conceptuel majeur.

2. Anna Freud .Adolescence. The Psychoanalytic Study of the Child ,XIII, 1958.

3. Sigmund Freud (1905). Trois essais sur la théorie de la sexualité. Paris, Gallimard Idées, 1966, p.111.

4. Ibidem, p. 117.

5. Ibidem , p.118.

6. Ibidem, p. 132.

7. Ibidem, p. 135.

8. Jacqueline Rousseau et Paul Israël.Jalons pour une étude métapsychologique de l'adolescence. L'Inconscient, 6, 1968, pp. 105-115.

9. Freud. Ibidem, pp.136-137 et 186-187.

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19. Evelyne Kestemberg. L'identité et l'identification chez les adolescents. In La Psychiatrie de l'Enfant,V,2,1962, pp. 441-522.

20. Peter Blos (1962). Les adolescents. Paris, Stock, 1967,287 p.

21. Op. cit., p. 445.

22. Ibidem , pp. 148-149.

23. Ibidem, p.449 , en note.

24. Ibidem, p. 451.

25. Ibidem, p. 455.

26. Jürgen Habermas (1968). La technique et la science comme idéologie . Paris, Gallimard, 1973, 212 pages.

27. Eric Erickson ( 1968). Adolescence et crise. La quête de l'identité. Paris, Flammarion, 1973, 341 p.

28. Op. cit., pp. 480-481.

29. Ibidem, p. 488.

30. Ibidem, p. 489.

31. Op. cit., p. 23.

32. Ibidem, p. 69.

33. Ibidem, p. 73.

34. Ibidem , p. 78.

35. Ibidem, p. 83.

36. Philippe Jeammet , 1994 , op. cit. , p. 724.

37. Ibidem , p. 690.

38. Philippe Jeammet 1994 , p.695.

39. Evelyne Kestemberg . Notule sur la crise de l'adolescence. De la déception à la conquête . Revue Française de Psychanalyse, 47 ,3-4, 1980, p. 527.

40. Simone Daymas-Lugassy . Premier amour. In Revue Française de Psychanalyse,44, 3-4, 1980, p. 544.

41. Sigmund Freud (1914). Pour introduire le narcissisme . In La vie sexuelle, Paris, PUF, 1970, p. 104.

42. "Premier amour". Op. cit.,p. 546.

43. Sigmund Freud (1911). Formulations sur les deux principes du cours des événements psychiques. In Résultats,idées,problèmes I ,Paris,PUF,1984, p. 139.

44. Jean Guillaumin . L'adolescence et la séparation . La position amoureuse comme défense contre la dépression par mise en réserve des deuils ineffectués et ses échecs suicidaires. In Adolescence, 4, 2, 1986 , p. 293.

45. Ibidem, p. 301.

46. Ibidem, p. 303.

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