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Notes sur l'intropathie.

Jean Mélon

L'article qui suit est une reprise du commentaire improvisé que j'ai fait, le 10 novembre 1994 à Vaalbeek , en ouverture du Ve Colloque International du CEP, à propos des associations d'Henri M. sur les photos du test de Szondi. J'avais, sur une suggestion de SCHOTTE, intitulé mon exposé: "Introduction dramatique au test de Szondi".

Sans les notes manuscrites aimablement consignées par Karl LOUVET, je n'aurais pas repris ce travail, que j'ai risqué avec beaucoup de réticences. En effet, ce ne sont qu'associations plus ou moins libres à partir d'autres associations, bien plus riches que celles que j'aurais pu faire moi-même, celles d'Henri M.

En vingt-cinq années de pratique presque quotidienne du test, je n'ai jamais rencontré pareil phénomène. Dans mes années d'apprentissage, j'ai utilisé le test de Szondi comme test projectif, en demandant à mes patients d'associer sur les photos. J'ai fini par abandonner cette expérience en raison du fait que la grande majorité des sujets n'associent pas mais projettent une part de leur problématique sur les visages du test de Szondi sans tenir compte de la spécificité supposée du drame particulier inscrit sur les physionomies des 48 "ancêtres". Ce n'est qu'exceptionnellement que je recueillais des associations vraies, éventuellement susceptibles de concourir à cette forme de validation du test que SZONDI appelait de ses voeux, mais qui ne s'est jamais réalisée jusqu'à présent.

Mon intention n'est pas de produire ici un document qui pourrait être versé au dossier immense et jamais classé concernant la question de la validité du test. Pour les szondiens fidèles, un document comme celui-ci ne peut pas étonner. Ils y retrouveront sans difficulté, transposés en termes métaphoriques d'une réelle poésie, les concepts bien connus qu'ils élaborent théoriquement sans relâche à la charnière du "schéma des pulsions" et de leur expérience clinique immédiate. Quant aux sceptiques, ils y trouveront un argument supplémentaire pour dénoncer le flou impressionniste depuis toujours implicitement reproché à SZONDI, fruit d'une pensée intuitive incompatible avec une rationalité scientifique qui a depuis longtemps renié le temps où, avec ARISTOTE, la tecnh renvoyait indifféremment à l"art" ou/et à la "technique" du savant et de l'artiste,et qui bien souvent se confondaient dans le personne d'un sujet unique dont Léonard de Vinci est le plus bel et le dernier exemple vraiment représentatif.

Intropathie est un néologisme qui, si mes références sont exactes, a été introduit pour la première fois dans la langue française par Paul RICOEUR dans sa traduction des "Ideen" de HUSSERL en 1950, pour faire résonner en français la notion difficilement transposable d' "Einfühlung" qu'on a toujours traduite antérieurement par "empathie". Maurice de GANDILLAC a de même rendu par intropathie le mot allemand Einfühlung dans la traduction qu'il a donnée en 1955 du "Formalisme en éthique" de Max SCHELER. Pour le psychanalyste, l'intropathie devrait être immédiatement signifiante, dans la mesure où elle traduit un processus analogue, dans le registre des affects, à celui de l'introjection qui n'est pertinent, stricto sensu, que dans le registre de la représentation. Nous faisons ici allusion à l'opposition, fondamentale chez FREUD, entre affects ( Affekte) et représentations ( Vorstellungen ), les uns et les autres étant par ailleurs considérés comme les représentants ( Repräsentanten ) premiers des pulsions ( Triebe ) .

Je dirai donc que ce qui m'a émerveillé chez Henri M., c'est son extraordinaire faculté d'intropahie, ce don d'entrer en résonance avec la disposition affective dominante de l'autre, en- deçà et au-delà du langage des représentations-mots et des représentations-choses, cette étonnante aptitude à intérioriser les affects de l'autre pour leur prêter, précisément, une expression langagière qui ne soit ni réductrice ni hyperbolique, mais qui soit simplement vraie, c'est-à-dire absolument et authentiquement poétique, quelque chose d'aussi cristallin que "Le parti-pris des choses" de Francis PONGE. Henri M. réalise cette performance, pour nous inouïe - un inouï par rapport à quoi nous mesurons notre degré d'atrophie intropathique -, de faire vivre les photos du test , au point qu'il arrive à faire dialoguer les personnages entre eux, les amenant à se rencontrer au sens fort de la tuch grecque : quelque chose ad-vient, se passe entre eux, qui fait que la vérité de leur daimwn s'en trouve à la fois révélée et transcendée à travers son épiphanie dia-loguante.

Comme l'exprimera Henri M. lui-même dans ses associations à propos de la dernière série de photos, les personnages du test offrent à voir l'immuable, cet immuable qui "déracine" celui qui les regarde, dans l'exacte mesure où il se laisse pénétrer par leur regard à eux, au point qu'à la fin, le rapport à ses propres racines s'en trouve insensiblement mais inéluctablement modifié.

Un artifice s'est glissé dans la transcription des associations de Henri M.

Il concerne la transcription des associations en rapport avec la première série. La première fois que Henri M. a produit ses associations, c'était à propos de la première série, et je ne disposais pas des moyens de les transcrire fidèlement. En dépit de l'artéfact que j'introduisais de la sorte, j'ai demandé à Henri M. de m'autoriser à faire un enregistrement audiophonique à partir de la deuxième passation, ce qu'il a accepté sans aucune réticence. Les associations à propos de la première série ont été recueillies une deuxième fois à la septième séance. Pour l'essentiel, ces associations avaient peu changé. J'ai pensé qu'en l'occurence, il y avait une obligation de coller au texte de Henri M.

Lui-même a bien voulu relire le texte final de mes transcriptions dactylographiées et n'a pas fait de critiques.

J'ai essayé, par le biais des artifices de ponctuation, de rendre aussi fidèlement que possible, jusque dans son tempo, le dire de Henri M.

Je le remercie une fois encore de m'avoir autorisé à reproduire ce document.

Voici donc, dans l'ordre, et avec un minimum de commentaires personnels, les associations de Henri M.

Première série

Lors de la première séance, Henri M. a médité longtemps sur le visage de m1. Il évoque le souvenir d'une mère, tout entier fait de réminiscences sensorielles, à l'exclusion de toute référence historique ou anecdotique. C'est bien à ce registre de la sensation pure que renvoie pour nous le facteur m. On est en-deçà des représentations, de mot et même de chose, en-deçà de l'objet, ou au-delà, si on veut. C'est bien pourquoi de tels souvenirs meurent d'être soumis à l'exigence de représentation. Nous avons affaire à la présence pure qui ne subsiste que dans le souvenir de la sensation et dans rien d'autre. La représentation, et notamment la représentation photographique, fait ici obstacle à la réminiscence. "C'est extrêmement faux...". La mémoire vive que nourrissent les sensations ne peut tolérer les signifiants quels qu'ils soient. La sensation inhérente au registre m, coïncide avec la retrouvaille - proustienne - d'un maternel ineffable qu'il est impossible de retrouver sinon dans la sensation elle-même. C'est aussi le registre du contactuel pur , qui s'évanouit d'être transposé dans le registre objectal, représentatif par définition.

Le sujet hy1 évoque à la fois la duplicité de la personnalité double et la bisexualité de l'homme qui pourrait être une femme - parce que châtré - ou vice-versa. Il est remarquable que Henri M. fasse cette association avec duplicité et bisexualité à propos de toutes les photos hy ou presque, et uniquement à leur propos. Le drame de l'hystérique, suggère-t-il, est d'être un banni, exilé dans un fantasme, à l'instar d'Oedipe, le banni-mystique. Son drame est d' être devenu le prisonnier du fantasme, de ne plus être à même de pouvoir vivre ailleurs que dans son fantasme.

Les associations autour de h1 renvoient simultanément à la spécularité gémellaire, au thème de l'exploitation de l'autre, qui introduit la dimension perverse, et à l'anomalie anatomique, à l'en-trop qui signifie aussi bien un en-moins, comme c'est le cas, exemplairement, chez l'hermaphrodite. Cette allusion à l'anomalie physique ne sera plus évoquée dans la suite à propos des photos h. Ce qui s'y substituera, c'est l'idée d'un inachèvement, d'un arrêt du développement, psychique dans son principe et quasi physique dans ses effets : immature d'avoir été trop aimé.

Cette immaturité, Henri M. l'attribue aussi bien aux sujets h qu'aux sujets s. Dans les deux cas, il y a arrêt du développement, soit parce que le sujet a eu trop de chance (s), soit parce qu'il a été trop aimé (h).

Faut-il rappeler que cette notion d'un arrêt du développement, et de l'inachèvement qui en résulte, est centrale dans la théorie freudienne des perversions. Puisque c'est un des thèmes de ce colloque, il serait intéressant de repenser, à partir de cette forme d'"arrêt" particulier qui est propre aux perversions, les diverses acceptions possibles de la temporalité que nous avons pris l'habitude de nommer statique (S), cyclique (C), critique (P) et processuelle (Sch ). Il s'agit sans nul doute, dans les perversions, d'un "arrêt sur image" . Pour Henri M., c'est très simple, ce sont les images représentatives du "veinard" qui est souvent un "fils-à-papa" (s) et du "trop aimé" qui est un "fils-à-sa-maman" (h). Voilà résolue en deux coups de cuillère à pot l'énigme de la parenté secrète des homosexuels et des sadiques.

Deuxième série

Les voici d'ailleurs rassemblés au début de la seconde série, dans le cadre on ne peut plus idoine du service militaire. C'est un couple sado-masochiste qui se forme: "Je les sens complémentaires ... il y aurait des heurts ... mais ce qui affleurerait, c'est leur complicité... une même attitude où on ne refuse ni on ne reçoit...".

Nous sommes ici dans le sexuel pur, dans la relation duelle où l'échange est affaire de contrat privé, en marge de toute institution, l'institution - le service militaire! - quand elle existe, devenant prétexte ou support de sa potentielle subversion. Il y a dans la perversion une simplicité, voire une sincérité et une innocence, qui ne sont évidemment plus accessibles au névrosé, qui ne les retrouve jamais, sauf par la grâce de l'état amoureux.

J'ai parlé tout-à-l'heure de la temporalité. Je fais maintenant allusion à l'historicité. L'histoire proprement dite commence avec l'entrée en P, et la rencontre avec l'instance de la Loi, qui commande l'arrachement à soi, qui oblige à sortir de l'immanence ( de la relation de soi à soi ). En C et S, il n'y a pas d'histoire, il y a seulement du jeu (S) et du rythme (C). En P et Sch, on ne joue plus, en tout cas plus le même jeu. Si le jeu peut reprendre en Sch, c'est à la condition de transcender l'histoire à travers le jeu du Je avec le Monde, où la condition tragique de l'humain se révèle , et peut en même temps se dépasser , dans l'affirmation nietzschéenne de l'éternel retour.

A propos de m2 et p2 :"Ils ont besoin de règles ces deux-là!"

Dire du maniaque et du paranoïaque qu'ils sont également suspendus aux règles peut surprendre au premier abord. Pourtant, si on y pense.. D'abord n'est-ce pas ce qu'enseigne la clinique? Apparemment affranchis des règles communes, le paranoïaque et le maniaque ont au moins ceci en commun qu'ils nous infligent la leur, et en définitive, lorsque nous trouvons le maniaque et le paranoïaque sympathiques, n'est-ce pas surtout parce que nous leur envions ce priviliège d'être affranchis de toutes les règles excepté la leur propre? Avoir sa propre règle, c'est une façon d'être autonome, et c'est probablement cette autonomie que nous voudrions faire nôtre, ce qui pourrait expliquer la fréquence de p+ m+ dans notre culture qui prône cet idéal d'autonomie fort teinté de mégalomanie, alors que c'est l'inverse dans les cultures archaïques ou traditionnelles.

Avec hy2 s'introduit le thème de l'esclavage. L'hystérique est, comme l'amoureux, un esclave dans le rapport pseudo-duel, issu du refus de l'instance tierce, qu'il instaure dans la relation au maître, confondant le maître avec l'instance qui lui confère sa fonction législatrice. A l'idée d'esclavage s'associent la bisexualité ( ... deux moitiés d'homme châtré, ça donne une femme ! ) et la castration (.. un sens a subi une mutilation et ça provoque une douleur sourde... ), manière de redéfinir le processus qui engendre l'hystérie de conversion.

Le paranoïaque est réintroduit, cette fois-ci en relation de complémentarité avec l'épileptique.

En tant que père de la fille épileptique, le paranoïaque lui inflige "son étroitesse d'esprit" et la détruit psychiquement. C'est l'occasion de rappeler le rapport singulier que SZONDI établit entre épilepsie et paranoïa, en se référant à BUCHOLZ (1888), et de rappeler la mémoire de Françoise MINKOWSKA, qui, de son côté, opposait épilepsie et paranoïdie comme s'opposent, au Rorschach, les signes "lien" et "Spaltung". Ce qui à la fois rapproche et oppose l'épileptique et le paranoïaque ou le paranoïde, c'est leur commun affrontement direct à la pulsion de mort, affrontement qui est au coeur de la dialectique interne des pulsions du moi, en tant que le moi se constitue, plus radicalement que dans la confrontation à l'objet et aux pulsions sexuelles, dans la rencontre avec le rien auquel renvoie l'absence ou le vide de l'objet, ce qui devient seulement évident quand on prend sérieusement en compte la problématique spécifiquement psychotique. On pourrait alors dire, revenant au dénominateur commun du maniaque et du paranoïaque, que c'est dans et par la règle - une certaine règle qui fait office de loi-ersatz - qu'ils trouvent une forme de salut, au prix de l'imposer aux autres le cas échéant. En tout cas, ils ne se plient ni l'un ni l'autre à une Loi symbolique; mais qui s'y plie en définitive? C'est un idéal - celui du KANT de l'impératif catégorique - que chacun tente d'accomoder à sa propre sauce, mais que, fondamentalement, tout le monde rejette peu ou prou. L'espèce humaine ne se fera jamais à l'idée que le "Du sollst" soit la solution pour la perte de l'instinct.

Il est pour le moins intéressant de noter que le plus souvent, Henri M. compare les hystériques aux épileptiques comme les "mutilés" aux "massacrés". L'épileptique, par opposition au sadique, est quelqu'un "qui n'a pas eu de chance". C'est cette malchance qui domine son destin, négativement, s'il accepte le massacre, positivement, s'il arrive à le dépasser dans un projet rédempteur. Le sujet e2 se laise massacrer par p2.

Un autre rapport qui donne à penser est celui qu'Henri M. établit entre le déprimé et le catatonique. Il y a quelque chose de dépressif chez le catatonique, comme il y a quelque chose de catonique chez le déprimé. Ce qui leur est commun, c'est l'importance qu'ils donnent à la question de l'objet perdu et de son introjection, avec cette obnubilation têtue qui les rapproche, nonobstant le fait que la problématique du catatonique est toujours plus élaborée, davantage "pensée", moins "basale" que celle du déprimé qui en reste à des réactions d' "humeur" et qui faute de pouvoir dépasser cette réaction primaire, n'en sort pas.

Troisième série

A propos de hy3, l'accent porte à nouveau sur la nature double de l'hystérique, ici devenu le fils de la paranoïaque. Ce qui est davantage souligné, c'est le projet de se faire valoir en accomplissant l'action d'éclat qui propulsera le sujet à la une des journaux populaires. L'hystérique comme belle âme histrionique! Toute autre est sa mère, p3, garante d'un principe transcendantal qui la situe au-delà du temps et du monde : "Elle a toujours été vieille". Mais c'est une belle et noble vieille dont le visage fait autorité jusqu'à gommer la différence des sexes.

Curieusement, mais ce n'est sans doute pas le fait du hasard, une ségrégation s'opère qui regroupe hy et k autour de p d'une part, les autres autour de d.

Tout se passe comme si hy et k avaient besoin de la transcendance de p pour qu'un sens soit conféré à leur existence, tandis que pour les autres, c'est d qui fait sens, selon que la culpabilité ou la honte sont acceptés ou refusés par chacun.

C'est la déprimée qui porte la faute. Mais elle y tient, "elle se venge par l'amertume, elle ne veut plus croire en rien" - ce n'est pas parce qu'un ami vous trahit, disait justement Kant, qu'il faut révoquer en doute la question de l'amitié, autrement dit les universaux ne sont pas qu'un vain mot -, elle ne se laisse pas déposséder de son fardeau. Il n'est pas difficile de comprendre pourquoi le déprimé est tellement attaché à ce qui paraît lui causer tant de peine. De cette peine, il jouit. Homme ou femme du ressentiment, il culpabilise par sa culpabilité. Il n'est que trop heureux d'être la victime d'un goujat. C'est bien la preuve que la goujaterie mène le monde. Comme les goujats s'écartent de lui, le déprimé, reproche vivant, en est réduit à faire payer le crime universel à ceux qui sont le moins mauvais, comme l'épileptique, toujours prêt à payer pour les autres.

Mais l'épileptique n'a pas besoin, pour voler à son secours, que le déprimé l'appelle. D'ailleurs avez-vous jamais vu un déprimé demander quoi que ce soit. S'il lui arrivait de demander au lieu de reprocher, il ne serait plus déprimé. Or il y tient, à rester dans sa merde. L'épileptique, qui n'est d'ailleurs pas un demandeur lui non plus - souvenons-nous de Caïn: plutôt crever que d'élever la moindre plainte -, incarne ici une des figures de l'amour, celle dont Lacan a dit que :"L'amour, ça consiste à donner quelque chose qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas." Ce schéma, qui n'est qu'un schéma parmi beaucoup d'autres, désignant ici une forme d'amour à fonds perdu, trouve son incarnation dans le couple formé par l'épileptique qui en fait trop - si on considère l'inanité de la demande - et la déprimée qui n'en veut pas. Parmi les quatre sujets que la déprimée accuse ou convoque implicitement, seul l'épileptique est vraiment en prise sur la question de la faute dans ce qu'elle a de spécifiquement humain, liée qu'elle est à la notion de transgression. Seul l'épileptique est vraiment réceptif au sentiment de culpabilité. Le déprimé, avons-nous vu, est coupable mais pas vraiment si on tient compte du fait que son mobile n'est pas le rachat mais la vengeance. L'installation dans la dépression, c'est sa vengeance. On ne peut plus compter sur lui, sinon pour empoisonner l'atmosphère. Le maniaque est tout à fait en dehors de ces préoccupations. Le sujet h est peut-être conscient de l'avoir "abusée" mais dans sa logique consciente, ce n'est que la réponse du berger à la bergère, les femmes sont toutes des p.., c'est bien connu . Seul indice d'une culpabilité qui ne s'avouera jamais: "il l'évitera", dernier mot de Henri M. à propos de cette petite frappe infatuée qu'il a située au coeur et à l'origine du destin tragique de d3. Oscar WILDE, qui s'y connaissait, disait :" Si quelqu'un vous évite, dites-vous qu'il vous a fait du tort". Monsieur, le fils-à-papa, comment pourrait-il être coupable, lui qui n'a jamais eu à exercer d'autres fonctions que celle de l'héritier fortuné? Mais voilà, si h3 s'est vengé sur d3 des abus qu'il a subis de la part d'une mère séductrice, s3, lui, voudrait bien que d3 l'accueille comme l'homme providentiel, celui qui "a" la chose qui manque à d, cela situe parfaitement le désir de s3: prouver qu'il est un homme, le plus bêtement du monde, en apportant tous les indices ad hoc, depuis le fond du froc jusqu'au sommet du toc, en passant par toutes les formes du troc. Regardez-les bien tous les cinq. S' il y a une correspondance possible, c'est entre le regard de la déprimée et celui de l'épileptique qui ont au moins ceci en commun qu'ils sont rentrés en eux-mêmes, dans l'attente d'un je ne sais quoi qui reste malgré tout la condition de toute évolution, de toute reprise.... Repriser: ravauder un tissu déchiré.

Quatrième série

Remarquable est la réminiscence qui amène à rapprocher immédiatement h4 de h3. C'est vrai qu'ils ont quelque chose en commun , mais qu'est-ce? Une nouvelle fois, ce qui est opposé au destin court de l'homosexuel, c'est le destin "long" et d'une certaine manière infini de l'épileptique, puisque son destin est inséparable de la question des "fins dernières".

L'épileptique e4 fait justement partie, avec p4 et s4, des réformateurs qui rêvent de refaire le monde et qui ont cette caractéristique en commun ... de ne pouvoir écrire que des choses ennuyeuses. Le prédicateur est aussi un grand marcheur; où nous retrouvons cette conjonction de la dromomanie et de la volonté de convaincre et convertir qui font ensemble partie de la constellation paroxysmale. Ce qui est pointé à travers l'intolérance de l'homme de Dieu, c'est sa dangerosité latente, du fait que son message de paix véhicule inconsciemment une idéologie guerrière. Le paranoïaque, qui est un homme de l'esprit, ne croit pas trop dans son efficacité. A l'instar de Descartes, en dehors du fait qu'il pense et qu'il situe dans sa pensée le noyau de son être, il doute de tout le reste. L'autre réformateur, c'est le sadique, plus redoutable que les autres parce que plus proche de ses sources pulsionnelles. Il n'y a aucun déterminant réflexif dans la démarche offensive du sadique; diriger fait partie de sa nature. C'est bien normal qu'il occupe la fonction du chef. Notons rétrospectivement que lorsque Henri M. évoque la pulsion génitale au sens de vouloir faire des enfants (s1), le besoin d'être-un-homme (s3), d'exercer de hautes responsabilités (s4), voire de s'occuper des handicapés et des malheureux (s5), c'est à propos des sadiques . Dans la pulsion sadique originaire, comme FREUD a fini par le découvrir, il y a cet intérêt spontané pour un autre, petit ou misérable, cette petite chose n'étant que le représentant du double masochiste originaire du sujet. On peut ajouter: le mouvement ( originairement sadique) de surrection primaire équivaut au dépassement du masochisme (primaire) et constitue à ce titre un courant majeur du mouvement autoconstitutif du sujet à proprement parler. Qu'on pense au "sadisme" de l'enfant à la bobine.

Toute autre est la position du déprimé, relativement à la question du pouvoir . Notons que dans la théorie des circuits pulsionnels, s+ et d+ se situent au même niveau troisième. Ce que nous venons de dire à propos du dépassement de la position masochiste primaire vaut pour la position dépressive: le sadisme est un progrès par rapport à la dépression qu'il s'offre à surmonter dans un élan autonomiste. Le déprimé, en effet, n'est pas du tout autonome. On l'a déjà dit à propos de d3, c'est l'homme du ressentiment, et ce qu'il utilise pour refouler l'affect de ressentiment, c'est la notion de mérite. On l'a dit aussi, le déprimé refuse d'entrer dans le registre de la demande, parce qu'il pense que certaines choses devraient aller de soi et notamment qu'on devrait être dûment récompensé quand on s'est ingénié à répondre aux exigences supposées de l'autre. Si nous reprenons la définition lacanienne de l'amour citée plus haut, le déprimé apparaît comme un amoureux déçu qui a donné tout ce qu'il avait à quelqu'un qui n'en avait rien à cirer. De quoi se plaint le déprimé en définitive? De ne jamais recevoir de l'autre ( pour qui il s'est fait crever, pense-t-il ) ce bâton ( fécal ) de maréchal dont il rêve depuis toujours sans avoir jamais osé le demander. Si le sadisme peut être considéré, de ce point de vue, comme un progrès, c'est justement parce que l'autoaafirmation de sa force et de son pouvoir propre, permet à celui qui embrasse le destin sadique, de s'affranchir de cette dépendance infinie dans laquelle stagne le déprimé. Si le catatonique est à nouveau rapproché du déprimé - nous devinons de mieux en mieux ce qu'ils ont en commun - , c'est pour mieux les différencier. Le catatonique est peut-être aussi buté que le déprimé, il s'en différencie radicalement en ce sens que son projet est aussi autistique que celui du déprimé l'est peu.

Enfin il y a hy4 et l'inévitable ambiguïté sexuelle de l'hystérique. L'hystérique aussi, à sa manière, tente de résoudre pour elle-même la question du pouvoir. Cultiver sa bisexualité, c'est une façon comme une autre, quoique purement imaginaire, de sauvegarder un fantasme de toute puissance. Tout l'art de l'hystérique ne consiste-t-il pas à jouer deux airs en même temps, celui de la suffisance imaginaire puisée aux sources de son jardin secret, et celui, plaintif, d'une castration exhibée et savamment entretenue à l'usage des sauveteurs potentiels qui feraient bien de savoir que l'hystérique se sauve très bien tout seul et d'autant plus vite qu'on met d'empressement à le sauver.

Cinquième série

L'homosexuel est une nouvelle fois présenté comme l'homme-enfant qui n'a pas grandi et qui ne grandira plus, piégé qu'il est dans la place du "cadeau" offert à la mère par un père qui se lamente sur le tard de sa méprise. Il ne suffit pas que la mère investisse son enfant mâle comme son complément phallique pour en faire un homosexuel, il faut encore que le père fasse figure de "pigeon" dans ce qui apparaît dès lors comme le jeu de dupe à quoi s'est réduit pour eux ce "piège de la nature", comme disait Schopenhauer à propos de l'amour génital.

C'est l'épileptique qui prend le relais dans l'exercice de la fonction paternelle. L'épileptique s'institue éducateur avec mission de réformer celui qui n'a pas pu ou pas voulu grandir. Mais ce faisant, e5 peut difficilement ne pas s'avouer que sa vocation pédagogique se nourrit secrètement aux sources de l'envie et de la jalousie. Car c'est d'avoir été chassé du giron maternel que l'épileptique garde la cicatrice vive qui alimente son besoin insatiable d'interpeller la conscience coupable de l'autre et de l'éveiller à la responsabilité. Ainsi métabolise-t-il sa fondamentale violence.

C'est un aspect bien connu de la manie qui est ici évoqué pour la première fois à propos de m5. Ce qui est mis en exergue, c'est, conjointement avec le contact superficiellement aisé, la propension à "laisser tomber", notamment l'outil. Manque de sérieux, d'engagement, d'opiniâtreté. Mais les apparences ne doivent pas tromper. Ce qu'il y a au fond de la manie et que la manie a fonction de soulager dans une débauche de jovialité de couverture, c'est une profonde amertume à la limite du désespoir. La veine psychopathique, qui se confond avec l'excitation maniaque, a les mêmes origines et la même finalité : elle est prothèse pour ce que BALINT a si justement nommé "basic fault", qui a à voir avec le deuil impossible d'une perte impensable.

Cette amertume, précisément, c'est ce que le déprimé n'arrive pas à dissimuler. Elle s'exprime sans médiation dans tout son être, et c'est bien parce qu'on ne voit pas ce qui, dans son cas, pourrait faire office de médiateur, qu'on ne voit pas non plus comment en sortir.

La plainte du déprimé se rapporte toujours en définitive à un dol ancien inexpiable dans le chef de l'autre qui l'a infligé.

Mais ce n'est pas de la perte d'un objet qu'il s'agit, c'est d'un état dont l'autre est irrémédiablement l'agent responsable.

S'il y avait un objet, la médiation serait possible, mais il n'y en a pas et l'autre n'est pas un objet ; c'est un autre, ce n'est pas un "semblable", donc il n'y a pas d'assemblage ni d'assemblée possible.

Puisque je viens d'évoquer le "défaut fondamental" ( basic fault ), je vais faire allusion à ce qui lui fait pendant : l'amour primaire inconditionnel, le "primary love" dont le déprimé se plaint d'en avoir manqué ou de ne l'avoir pas connu. C'est dire que sa revendication est sans limite. Pour revenir en arrière et reparler du mérite auquel il en appelle pour se plaindre à nouveau que l'autre n'en tient pas compte, on peut voir que le déprimé s'enferme là dans une contradiction sans issue. Il fait valoir ses mérites en même temps qu'il réclame un amour inconditionnel; mais alors, pourquoi s'acharne-t-il à brandir le chapelet de ses exploits obscurs, sinon pour faire en fin de compte la démonstration que, quoi qu'on fasse, on ne l'aime pas. Ce n'est pas qu'il n'y ait pas d'amour heureux - celui qui dit ça fait le constat des limites de l'amour d'objet -, il n'y a pas d'amour du tout. Voilà ce que proclame, avec une obstination butée, le déprimé. Il n'est pas difficile de comprendre qu'en affirmant le non-amour, il ne fait rien d'autre qu'exprimer l'incapacité où il se trouve d'aimer au sens tout à fait premier et basal du terme qui a à voir avec l'élan vital. L'anhormie se manifeste invariablement, comme on sait, dans ce qui est le symptôme cardinal de la dépression, l'angoisse du réveil, l'impossibilité de se mettre debout, condition pour pouvoir se mettre en marche. Le déprimé ne hait pas vraiment l'autre et s'il se plaint d'un dol comme je l'ai dit plus haut, il ne faut pas se méprendre: le dol, c'est l'extrême inconfort où il se trouve d'avoir à vivre au sens où la vie est mouvement et où l'autre, quel qu'il soit, est mauvais du seul fait qu'il incite à vivre. La vie des autres fait mal au déprimé, en deçà de toute jalousie: le mouvement l'exaspère, tous ces gens qui vont et viennent...

J'ai toujours pensé que la fameuse phrase de SARTRE - "L'enfer c'est les autres" - n'était que le cri d'un oiseau tombé du nid, projetant sur les "autres" son abominable inconfort d'avoir à mettre un pied devant l'autre. Vu sous cet angle, l'existentialisme est la pilule philosophique des déprimés s'exhortant à sortir de leur inertie.

En fait d'obstination, le catatonique est proche du déprimé - et plus encore de cette variété de déprimé spécialisé qu'est le mélancolique - mais sa complainte est à usage interne, elle ne s'adresse à personne, elle est hors contact. La revendication muette porte sur un objet - narcissique - dont le manque fait se révéler une faille dans l'être. Cet objet absent est aussi un objet de la pensée qui obnubile l'activité de pensée. Ce n'est pas un hasard si k5 souffre de migraines ( "c'est terrible"). Si tous les catatoniques ne souffrent pas de céphalées, loin de là, tous ont des troubles de la pensée : idée fixe, obsession, barrage de la pensée, écho ( - lalie, -mimie, -praxie ), tentative de retenir un objet éternellement hors de prise, dont la signification est essentiellement symbolique ( phallique) et qui ne peut être atteint que dans sa capture imaginaire, hallucinatoire ou magique.

La jeune fille à la toque, si on l'oppose à k5 et à d5, est dans une autre position par rapport à l'objet, elle est en quête et en demande d'un objet d'amour tangible, et si elle ne le trouve pas, au moins son insatisfaction pourra-t-elle trouver l'apaisement, la Befriedigung, dans un ersatz infantile du don d'amour qu'en bonne hystérique, jouant de sa fragilité et de son immaturité savamment entretenue, elle trouvera auprès d'un père-mère qui la protégera des duretés de l'existence. C'est une figure classique de l'hystérie qui n'avait pas encore été évoquée. Elle se pase de commentaires. Mais quelque condescendance qu'on affiche volontiers à l'endroit du désir de l'hystérique, puisque c'est, reconnaissons-le, le fond le plus commun du désir humain - au sens où nous le partageons tous -, admettons aussi que c'est seulement dans la mesure où notre hystérie est apaisée, c'est-à-dire lorsque nous avons trouvé le compromis qui ne nous convient pas trop mal, que notre insatiable faim d'objet ( et d'amour ) devient quelque chose de tolérable et finalement de vivable. Tout commence et tout finit par l'hystérie.

Reste p5. Ce qui est pointé chez lui, c'est l'outrecuidance d'une pensée mégalomaniaque qui le fera basculer dans l'insignifiance. A vouloir trop signifier, on ne signifie plus rien.

Henri M. n'ira pas plus loin, comme si, à travers p5, il avait fait l'expérience des limites du signifiable.

Son poème s'achève dans l'au-delà du langage que permettent le chant et la musique pure. C'est ainsi qu'à propos de la dernière série, il saisit la meilleure occasion de sortir de scène.

C'est assez pensé, n'est-ce-pas?

Comme l'a dit Nietzsche, " sans la musique, la vie serait une erreur".

© 1996-2001 Leo Berlips, JP Berlips & Jens Berlips, Slavick Shibayev