De la Schicksalsanalyse à la Pathoanalyse
Jacques SCHOTTE
Le texte qu'on va lire est la transcription intégrale de l'allocution prononcée par Jaques SCHOTTE au Colloque International commémoratif du centième anniversaire de la naissance de Léopold SZONDI(1893-1986), le jeudi 15 avril 1993 á Budapest. Sa forme un peu particulière tient au fait que chaque phrase, suivie immédiatement de sa traduction en hongrois, se devait d’être aussi claire, concise et compréhensible que possible. SCHOTTE s’est admirablement prêté à cette discipline imposée ex abrupto par les circonstances.
Discours purement oral donc, servi à coups de, manteau par un grand artisan de la pensée. Transmetteur infatigable de ces idées fortes qui nous ont tant appris et qui, longtemps, nourriront la pensée de ceux qui croient que penser autrement - autrement mieux !- n’est pas in vain. Nous n’avons rien retranché, rien ajouté. Seuls les ponctuations, les artifices topographique et les notes en bas de page sont de nous (JM).
De la Schicksalsanalyse à la Pathoanalyse
Jacques SCHOTTE
La première idée fondamentale qu'il faut rappeler, c'est que la Schicksalsanalyse (1) ne se réduit pas au test de SZONDI, mais elle ne se résume pas d’avantage à l'adjonction , au test, de sa préhistoire du coté de la génétropisme. (2)
Ce qui est pour nous essentiel, ce qui est là découverte géniale de SZONDI, c’est la constitution du système des pulsions. Ce système des pulsions est à la source, évidement, de la construction du test, il est lié dans la pratique qu’il en permet, ce test.
Mais il dépasse cet usage testologique empirique et notamment il est déjà là au fondement, puisqu'il a été l'instrument d'analyse de toute la théorie génotropique elle-même.
Il faut bien dire qu’il y a quelque chose de mystérieux dans cette découverte du schéma pulsionnel avec ces huit facteurs que maintenant tout le monde connaît. (3) Dans le film qu’il lui a consacré, vous avez pu entendre Claude VAN REET poser à SZONDI, de manière insistante, cette question du moment fécond de sa découverte. Vous avez pu entendre de sa bouche ce que SZONDI, à ma connaissance, n’a écrit nulle part, c'est que la formule définitive du schéma pulsionnel a été inventée, découverte en rêve.
Il ne suffit pas, évidemment, d'aller se coucher pour faire une découverte de génie. Cela vérifie le célèbre dicton des cinq minutes d'inspiration après des journées de transpiration.
Il y a eu un travail de recherche préliminaire sur lequel SZONDI n'a pas dit grand chose non plus. Ainsi donc tout-à-coup le système était là. Cela correspond d'ailleurs à un phénomène connu dans l'histoire des sciences : ce sont les rêves de découverte. Parmi les exemples bien connus, on peut citer KEKULE pour le noyau du benzène et EINSTEIN pour l’équivalence de la matière et de l’énergie.
D'une certaine façon on pourrait dire que FREUD aussi a découvert le secret du rêve à travers un rêve mas là, c'est un peu plus compliqué.
La théorie des circuits, qu'on va évoquer tout à l'heure, a également été découverte par votre serviteur, en rêve.
Car enfin i1 y a quelque chose d'étrange dans le fait que SZONDI a toujours considéré que ce schéma allait de soi. Et tous ses élevés avec lui.
Par exemple, dans les notes biographiques de BENEDEK, il y a quelques lignes concernant le problème du choix des photos de chaque catégorie. (4)
Mais il y a nécessairement quelque chose qui vient auparavant, c'est le choix des catégories elles-mêmes. Alors je crois qu’il faut le dire sans plus : c'est que SZONDI, en découvrant ce système, ne savait pas ce qu'il faisait.
Par après, il fallait expliquer - au moins essayer d'expliquer - ce qu’il
avait fait. C'est cela que nous avons essayé de faire.
Et puisque nous sommes entre nous, je vais ajouter quelques citations personnelles. SZONDI disait :'-. Moi j'intuitionne et puis je fais de la recherche", ("Ich ahne
und dann forsche ich), "Et puis viennent les gens de SCHOTTE et ceux-là, ils pensent". (Und dann kommen die Leute mit dem Schotte, und die denken) "Et cela m'en impose parce que ca, je ne sais pas faire". ("Und das imponiert mich denn ich kann das nicht). C'est SZONDI qui parle.
Alors la question que je me suis posée déjà très anciennement et qui est déposée dans mon premier article, écrit pour le 70e anniversaire de SZONDI, c'est : quelle est la justification du système à huit facteurs ?
Dans le film de VAN REETH, vous avez entendu une des justifications que SZONDI se donnait : que personne ne lui a jamais apporté un autre facteur qui n'était pas déjà dans le schéma ! Évidemment les facteurs pulsionnels, ça ne se trouve pas tout seul comme les morceaux de craie que je vous montre dans cette boite.
Une autre justification qu’il a donnée, c'est à travers la génétique ;
Il a dit qu’il avait fait les vecteurs pulsionnels en s’inspirant des troubles psychiatriques pour lesquels il existe une transmission héréditaire. Mais les psychiatres qui s'intéressent à l’hérédité - un sujet qui refait surface après avoir été longtemps honni - n'ont pas la même classification, n'est-ce pas ? Par conséquent il v a quelque chose de plus.
Et le degré auquel SZONDI ne savait pas au fond ce qu’il faisait, apparaît dans un détail que je vais maintenant évoquer.
C'est que, d’après ce qu’il m'a dit - et peut-être les anciens le savent-ils, il a essayé des systèmes autrement composés et notamment un système à cinq vecteurs. Le cinquième vecteur était manifestement inspiré par toute la partie de la recherche dont nous avons entendu parler surtout ce matin, que nous appelons maintenant la recherche pré-schicksalsanalytique.
Car pour nous, évidemment la Schicksalsanalyse ça commence avec ça (c'est-à-dire avec le schéma pulsionnel à quatre vecteurs). Désormais on peut vraiment parler de destin, (Schicksal), et plus de constitution.
Notamment pour cette raison que la notion de destin est une notion strictement humaine tandis que la notion de constitution est une notion biologique générale.
Ce qu’il y avait dans le cinquième vecteur, c'est quelque chose qui a fait affaire avec la génialité et la débilité. Laissons entre parenthèses la génialité. Mais la débilité mentale, ou la démence sénile, et beaucoup d'autres choses dont on parle dans les traités de psychiatrie, n'ont rien à voir avec ça (c'est-à-dire avec ce dont il est question dans le schéma).
Parce que ce qui est mis dans ce schéma, alors même que SZONDI n'a jamais employé ce terme, c'est ce que nous appelons maintenant le schéma d'une anthropopsychiatrie.
Ce qui ne veut pas dire qu'on va faire maintenant de la psychiatrie d'une manière humaine, humaniste, caritative, tout ce qu'on voudra..... Ce n’est pas de la science, cette façon d'envisager les choses.
Ce qui est isolé ici, hors des traités de psychiatrie, qu'est-ce que c'est ? C'est l'ensemble présumé complet de toutes les perturbations spécifiques de l'homme.
Soit dit en passant, c'est exactement le morceau de la psychiatrie dont a parlé FREUD. Il n’a jamais rien dit sur la débilité mentale ni sur la démence sénile ni sur rien de ce genre ; ca n'a rien à voir avec l'objet scientifique qu’il s'était donné.
Ici, présomptivement, nous avons affaire avec ce qui atteint l'homme dans son humanité même. Il y a des fonctions spécifiquement humaines de l'homme et ces fonctions ont des perturbations ; et ceci - le schéma pulsionnel - est le système de ces perturbations.
Qu'est-ce que ca veut dire ? Ca veut dire au fond que ce dont il s'agit dans ces différents secteurs ou vecteurs - ce sont les problèmes humains, spécifiquement humains, de chacun et de tous.
Mais c'est comme disait ORWELL : si tous les hommes sont égaux devant la loi, certains sont plus égaux que d'autres. Ceux qui sont plus égaux que les autres devant la loi qui fait que les problèmes de l'épileptique ou du schizophrène ne sont épargnés à personne, les plus égaux donc, dans ce domaine, sont ceux que nous appelons des malades.
En même temps, il se produit un renversement déjà fait chez FREUD, qu'on peut considérer comme la révolution copernicienne dans la psychiatrie. C'est ce que nous appelons la révolution pathoanalytique.
Ce qui signifie qu’on fait non pas l’analyse du pathologique mais qu’on fait l’analyse du Normal - ou sain- à travers le pathologique.
Ce principe pathoanalytique se trouve chez FREUD.
FREUD a produit une métaphore et nous appelons ca entre nous le "principe du cristal"(5): Si je prends ce verre qui n'est probablement pas en cristal mais peu importe, si je prends ce verre et que je le jette par terre, il va se briser selon certaines lignes de structure. Mais aussi longtemps que le verre n'est pas cassé, on ne voit pas la structure. Une fois qu'il est cassé, on la voit.
Ce que FREUD dit, c'est que ce que nous appelons des maladies mentales, ce sont de pareilles structures brisées.
C'est donc la brisure de la structure, apparemment sans structure, du normal qui révèle la structure cachée du normal.
En même temps, chacun des grands groupes de ces structures brisées révèle une problématique particulière de l'humain qui peut aussi avoir des formes de manifestation non morbides.
Mais FREUD n'a pas posé la question du système global de toutes les formes de brisures. La raison en tient à la forme particulière de la pensée de FREUD. Il avait horreur des sciences psychologiques et psychiatriques qui ne savent rien faire d'autre, comme il disait que de décrire et classer. SZONDI au contraire était un maniaque des classifications.
Mais une fois, une nuit, en un rêve, les classifications se sont dépassées à travers un système qui n'est plus classificatoire. C'est ce que j'ai appelé dans mon premier texte le "passage des classes aux catégories".
Les catégories ne sont pas des classes mais, comme disent les philosophes, des classes de prédicats. Qu'est-ce que ca veut dire ?
Par exemple, une catégorie, chez ARISTOTE, c'est notamment la grandeur. Parce que tous les êtres dont nous pouvons parler ont une certaine grandeur. Ou une certaine place etc. Il y a ainsi un système des catégories chez ARISTOTE, dont KANT allait dire d'ailleurs qu'il n'était pas systématique puisqu'on pouvait en ajouter.
Je ne vais pas développer cette question au plan philosophique. J'en viens directement au système szondien dont au fond vous savez tous très bien - mais vous n'y réfléchissez peut-être pas assez - que c'est un système catégoriel et pas un système de classes.
En effet, quand quelqu'un passe le test de Szondi, le psychologue ne pense jamais qu’il pourrait le localiser dans une des soi-disant classes.
Mais on va se demander quelle est la position du sujet par rapport à la maniacalité, l’épileptoïdie, la paranoïdie etc..... de tous les humains.
Vous comprenez donc que ces fameuses initiales (h, s, e, hy, k, p, d, m) désignent désormais des catégories et plus des classes.
Nous voyons donc dans ce système tout autre chose, beaucoup plus qu'un instrument qui - par hasard fonctionne et qu'on pourrait sans plus appliquer à la psychologie ou à la psychiatrie sans changer le reste.
SZONDI lui-même a réalisé un grand nombre de travaux de ce genre
par exemple, dans la "Triebpathologie, (7) il examine les grands syndromes de la psychiatrie classique - qui sont donc des classes - pour voir quels sont les syndromes testologiques qu'on y trouve.
Ce genre de travail, on peut toujours à nouveau le faire, et il faut, et on doit le faire mais ce n'est pas suffisant. Il faut faire autre chose et plus.
Il faut avant tout se demander quelle est la justification de ce système d'ensemble par rapport aux principes que j'ai déjà commencé d'énoncer. Or ceci est une révolution fondamentale.
Parce que, comprenez-vous, le concept fondamental de la médecine moderne, en ce compris la psychiatrie - et par moderne je veux dire ce qui commence au dix-septième siècle -
c'est le concept de la classe comme espéce morbide, "species morbosa".
Ce concept a été introduit - et pensé - par le fondateur de la médecine moderne, SYDENHAM, un écossais du dix-septième siècle.
La classe est définie comme espèce au sens, précise SYDENHAM, ou les médecins doivent maintenant décrire les espèces de maladies comme les botanistes décrivent les espèces de plantes.
C’est-à-dire que chez toute une série d'individus, on trouve un groupe de symptômes, chaque fois le même; ca fait une "espèce" qui en quelque sorte pend en l'air par dessus les individus.
Et l'ensemble de ces espèces sont classées comme dans les systèmes botaniques, à cette différence prés que l'ensemble de toutes les maladies sont extérieures par rapport au normal; ca n'a rien à voir l'un avec l'autre.
Avec FREUD tout se renverse. Le normal n'est plus extérieur au pathologique. Le normal est ce dont la structure est révélée par le pathologique.
C'est pourquoi l'hystérie de FREUD n'est plus la même que l'hystérie de CIIARCOT. Et les perversions sexuelles ne sont plus les mémés que celles de KRAFFT-EBING. Et les psychoses chez FREUD ne sont plus les mêmes que celles de KRAEPELIN.
Et notamment parce que chacun de ces grands groupes est mis en rapport avec un problème humain fondamental.
Par exemple
· le problème de l'identité sexuelle, ou
· le problème de la loi et des normes éthiques, et
· le problème des contraventions à ces lois, qui entraînent les problèmes de censure et de retour du refoulé;
tous ces problèmes sont des problèmes éthiques, n'est-ce pas, des problèmes spécifiquement humains.
Bref chaque groupement de la nosographie psychiatrique doit être mis en rapport avec une problématique humaine , et finalement la question sera de savoir
s'il y a une systématique des grands problèmes humains fondamentaux dont les formes de manifestation extrêmes sont les différentes formes de la pathologie psychiatrique.
A notre avis, ce système des problèmes humains, le voilà bien, le centre de la découverte szondienne.
Par exemple il est clair que la dimension de la norme, de la loi éthico-morale, est à mettre en rapport direct, comme l'a fait SZONDI, avec les troubles paroxystiques.
Maintenant demandons-nous quels seraient les concepts correspondant à celui de dimension éthico-morale (pour le vecteur P ) pour ce qui concerne les autres registres (les vecteurs autres que le vecteur P).
Nous allons nous approcher progressivement de cette justification.
Une idée qu'on peut avoir déjà assez rapidement mais qui est tout-à-fait étrangère à la psychiatrie botanisante, c'est que les différents problèmes humains ne sont pas tous du même niveau.
Ainsi tout le monde est à peu prés d'accord pour considérer que les troubles schizophréniques sont plus profonds, comme on dit, plus radicaux que les troubles éthico-moraux.
Mals ce qui a été le plus important dans cette remise en mouvement du schéma d'un point de vue dynamiste-génétique, c'est la place donnée par SZONDI au vecteur du Contact (C).
Quelque chose qui a été très important dans la préhistoire de la découverte du système, ce sont les discussions poursuivies, parait-il pendant des années, entre SZONDI et HERMANN à propos du Contact.
Voilà précisément un problème auquel on n'a pas prêté suffisamment d'attention pour ce qui concerne l'histoire de la genèse de l'Analyse du Destin.
Heureusement, grâce à l'invitation de feu Monsieur MEREI, j'ai participé ici, il y a quelques années déjà, à un colloque de sociologie de la littérature, ce genre de colloque où on discute un peu de tout et ça m'a permis de rencontrer Imre HERMANN personnellement. J'ai parlé avec lui de ses rapports avec SZONDI, qu'il m'a décrits comme la rencontre inaugurale et créatrice entre le jeune psychanalyste, lui, et le jeune psychopathologiste, SZONDI.
HERMANN, comme on sait, avait déjà eu l’idée qu’il fallait étendre le système des pulsions de FREUD, et notamment dans le sens d'une dynamique plus primitive que la dynamique érotico-sexuelle de FREUD.
HERMANN est le premier à avoir introduit ces notions désormais bien connues du cramponnement, de l'accrochage, du " Sich Anklammern, de la recherche, Auf Suche gehen Voyez-vous! ca, c'est l'étincelle de génie!
Le psychanalyste qui veut étendre le système des pulsions, et le psychopathologiste, ensemble, font le rapport entre un dynamisme psychologique et un probléme psychiatique.
Les quatre dynamismes de HERMANN, nous les reformulons d'une manière un peu généralisée: la prise, la retenue, la recherche et le lâchage.
SZONIDI a là une idée de génie : c'est ce qui correspond aux facteurs (d) et (m). Ceci est très important pour la mise en forme du système.
Pourquoi? Parce que pour les troubles maniaco-dépressifs il est classique de les concevoir dans la perspective d'une antinomie des deux facteurs manie (m) et dépression(d).
SZONDI va étendre ce principe de dualité à tout l'ensemble.
Remarquez autre chose: à l'intérieur d'un vecteur, il y a quatre
tendances, nous préférons dire quatre positions...
Et il y a aussi quatre vecteurs!
Curieux! Non? Il est sûr que ce type de phénomène joue un rôle dans les découvertes scientifiques. Parce que ca rend le système symétrique alors qu'avec un cinquième vecteur, quoi qu'on ait mis dedans, la symétrie disparaissait. Comme vous savez, pour les scientifiques purs et durs, les physiciens, une équation ou une théorie qui n'est pas belle a toutes les chances d’être fausse. Ceci est au contraire d'une beauté géométrique parfaite.
Encore fallait-il savoir ce qu'on met dedans.
Revenons aux dynamismes primitifs de HERMANN on les met en rapport avec les troubles maniaco-dépressifs. Il y a là quelque chose qui va se révéler important pour la suite de l'histoire de la psychiatrie.
Vous savez qu'on considère encore volontiers la mélancolie comme le modèle des troubles dépressifs. Dans le DSM III, c’est devenu les MDD (Major depressive disorders); on ne sait plus parler avec des mots, on ne connaît plus que des initiales.
Mais nous savons - et c'est une preuve que le système est catégoriel et non plus classificatoire - que les troubles caractéristiques de la mélancolie se trouvent aussi représentés ailleurs. Par exemple dans le facteur (k) , dans le sadomasochisme et ailleurs encore. (8)
Dans la Triebpathologie, Szondi présente le tableau global qui suit comme typique de la mélancholie: (h+, s-!, e- hy+ k+ p- d+ m ±)
Alors, que veut dire cette concentration de la maniaco-dépressive en C? Eh bien, c'est en quelque sorte une notion nouvelle des troubles dépressifs ou des troubles de l'humeur qui trouve par avance sa place ici.
Si on pouvait isoler le vecteur C du système, ce qui est toujours un peu une abstraction, mais qu'on peut se permettre provisoirement pour des raisons méthodologiques, on pourrait dire que ce qui a trouvé ici sa place, ce n'est pas la mélancolie, ce sont les troubles de l'humeur simples. Ces troubles de l'humeur peuvent en fait être compliqués par des réactions névrotiques, psychotiques ou perverses.
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Un jour, alors que j'étais chez SZONDI en supervision à propos d'une interprétation de test, il m'a dit quelque chose qui m'a étonné, que je n'ai pas compris, et que j'ai mis des années à penser, justement!
Il disait à propos de ce cas: "C'est la forme psychopathique de la psychose maniaco-dépressive". ("Das ist die psychopathische Form des manisch-depressiven Irreseins")
Alors, même si on peut trouver quelque chose d'analogue du coté de Kurt SCHNEIDER et de quelques autres, avouez que c'est une formule curieuse: une forme psychopathique de psychose!
Qu'est-ce que ca veut dire?
Ca veut dire que les classes nosographiques sont soumises à un brassage qui en fait sortir quelque chose d'autre.
Ici, précisément, ca veut dire que nous obtenons une notion nouvelle de l'humeur, de la "Stimmung", qui la rapproche structurellement des psychopathies, à condition évidemment qu'on pense les psychopathies autrement qu'on ne l'a fait jusqu'ici; parce qu'il faut s'habituer à tout penser autrement!
Ceci - le vecteur C - va devenir, dans l'ensemble du système, le représentant du groupe de ce que nous appelons désormais les "thymopsychopathies", du grec thumos qui veut dire humeur. Ainsi nous lisons autrement le schéma, soit, dans l'ordre:
1) C= thymopsychopathies,
2) S= perversions,
3) P= névroses,
4) Sch= psychoses.
Je reviens à la question anthropo-psychiatrique: quelle est la dimension de l'existence qui est visée dans l’humeur, ou la Stimmung, ou le Contact. C'est quelque chose de très éloigné de la mélancolie.
Nous la rattachons, cette dimension, à ces formes simples de thymo-psychopathie. Nous avons pris l'habitude d'appeler cela la dimension esthétique de l'existence. (9)
Esthétique s'entend dans deux sens, le sens grec et le sens moderne. Aisthésis chez les Grecs, c'est la vie sensible sensori-motrice, c'est le registre de la participation à la fois active et réceptive à la vie ambiante et universelle.
La phénoménologie de cette dimension de l’existence a été produite par Erwin STRAUS (10) et continuée par Henri MALDINEY (11)
Il y a chez ces auteurs une approche phénoménologique de l’humeur qui est aussi celle de la sensorimotricité rythmique primordiale.
On voit que la nouvelle définition des troubles de l’humeur peut se faire à partir de là beaucoup mieux qu'à partir des traités de psychiatrie.
Qu'est-ce qui définit l'état dépressif? C'est la perte de l’élan productif de la vie et de la participation à cet élan; c'est l'anhormie, c'est l'anhédonie.
En même temps que l’élan, c'est la possibilité réceptive d'avoir du
plaisir qui est perdue. Et c'est enfin la perte de la rythmicité même de la vie.
Qu'est-ce que cela peut bien avoir à faire avec l’esthétique au sens moderne, c'est-à-dire ce qui a trait au beau et à l'art? C'est que, beaucoup de vous le savent, cette dimension est très importante dans la psychologie des artistes comme de nous tous d'ailleurs qui lorsque nous contemplons une oeuvre d'art, baignons à nouveau dans cette dimension-là de l’existence.
Comme le dit Henri MALDINEY, "l'art nous donne la vérité du sentir". Vous voyez donc là un exemple primordial de cette anthropopsychiatrie; nous avons un registre qui vient de la grande psychopathologie psychiatrique mais qui est restitué autrement par sa mise en rapport avec l'ensemble du système.
Ce registre est lié avec un aspect de la vie de chacun, cet aspect esthétique, et avec une des formes fondamentales de la production culturelle, l'art. C'est très important pour l’exercice même de la psychiatrie puisque la rédéfinition du noyau essentiel de cette pathologie est capitale pour la pratique quotidienne non pas seulement des psychiatres mais de tous les médecins; et la compréhension de ce registre éclaire, c'est évident, notre existence à tous.
Je ne vais pas développer avec le même luxe de détails l'ensemble des registres. Disons simplement que nous appelons le registre S(exuel) le registre pratique, qui renvoie à la dimension pratique de l'existence.
SZONDI disait déjà que S est en rapport avec la technique, et la technicisation, de la civilisation.
Pour le registre paroxystique P, il est évident que nous avons affaire avec la dimension éthique de l'existence, qui renvoie au fait que les hommes n'ont pas, comme on sait, de régulation naturelle, mais qu'ils ont besoin, et sont créateurs, de normes en fonction desquelles ils régulent leur vie éthico-morale.
Enfin ce qui est plus difficile à penser - mais il est toujours plus difficile de penser la schizophrénie que les troubles du contact - , c'est ce que nous appelons la dimension historique-dialogique de l’existence. Alors que les animaux n'ont qu'une évolution ou un devenir naturels, les hommes ont une histoire.
La capacité d'avoir une histoire est la même que la capacité d’entretenir le dialogue entre le même et l'autre. Nous savons tous que les psychotiques par excellence, que sont les schizophrènes, sont perturbés dans la possibilité même d’avoir une histoire et de dialoguer.
Ceci ayant été esquissé, je vais tenter de vous expliquer pourquoi nous lisons toujours le schéma dans l'ordre suivant: 1= C, 2= S, 3= P, 4= Sch.
C'est parce que les structures qui sont en cause deviennent, à partir du plus simple, toujours plus complexes.
Nous rencontrons la différence de niveau que j'évoquais tout à l'heure et nous commençons à entrevoir pourquoi le système est complet et exhaustif.
Ce qui est décisif pour penser les structures du Contact, c'est de voir que nous y sommes dans un monde ou il n'y a pas encore d'objet ni de sujet.
Dans la psychanalyse post-freudienne comme vous savez, il y a une généralisation du concept de "relation d'objet". Or c'est abusif car il y a d'autres modalités d’être-au-monde que celles qui peuvent être pensées à travers le catégorie d'objet. Quand nous contemplons un paysage ou une oeuvre d'art, nous ne sommes pas devant un objet.
Il y a une modalité d’être au monde que nous pouvons appeler participative ou symbiotique, ou il n'y a pas un individu qui s'oppose à autre chose. Nous sommes donc ici dans le "pré-objecto-subjectal", loin en deçà de la distinction de l'objet et du sujet.
Par contre, la catégorie de l'objet est la catégorie dominante du deuxième registre. (S)
Là (en C ) nous étions dans la participation à un milieu ambiant ici, en S, nous sommes en face et dans quelque chose qui a figure d’objet. On entre dans un registre ou, sortant de la symbiose participative, l’individu commence à sortir de l’indivis.
Autre chose est la structure d'objet qui, comme le mot le dit a quelque chose à voir avec le verbe jeter: ob-jet.
Quand je jette quelque chose - rassurez-vous, je ne vais pas jeter la craie dans la salle ! - je m'oppose à ce vers quoi je jette et à ce que je jette.
Il y a là une dualisation objectivante. Et en face d'un objet se constitue d'une certaine manière un sujet; il y a un face à face, quand il est développé, d'objet et de sujet.
C'est le règne des structures dualisées qui sont aussi fondamentales pour l'existence que celles ( symbiotiques-participatives évoquées plus haut) qui ne le sont pas encore.
Ainsi, un phénomène capital dans ce monde de l'objectivation, c'est la séduction. La séduction objective l'autre, et me constitue moi-même aussi en objet, et on ne sait jamais n'est-ce-pas, ici comme dans les jeux d'enfants, qui a commencé. Cette structure ambivalentielle avec renversement est typique pour les perversions.
Nous dirons donc que ceci - le vecteur S - est le registre par excellence de l’objet.
Par rapport à quoi, dans une certaine terminologie - c'est un choix, on peut en faire d'autres - nous parlons volontiers de sujet à propos de ce registre-ci ( le vecteur P ).
Le sujet en proie à ses affects, par exemple celui qui s'éprouve subjectivement, ou aussi celui, comme on dit, qui est " sujet à..." la loi ou l'impératif catégorique auquel il doit se soumettre.
Nous sommes donc ici dans un univers dualiste ou joue l'opposition sujet-objet, alors qu'avant nous étions dans une sorte d'indivis dont ces deux registres ( S et P ) se sont maintenant dégagés.
De la même façon qu'il y a un registre plus simple (C ), en deçà du dualisme sujet-objet ( S-P ), il y a un registre plus complexe (Sch) qui est en quelque sorte au-delà.
C'est un point difficile à penser mais à partir duquel se prend la décision de vivre soit dans un régime dualiste, soit dans l’indivision. Pour nous c'est le registre qui est originaire (Sch), aussi bien des psychoses que de l’histoire et de la capacité de dialogue.
C'est donc le registre du mouvement originaire qui fait la dualisation et la recombinaison.
Comme disaient déjà les Grecs à propos du dialogue dans le Logos, il y a Diairécis - scission et - kai Sunthésis- remise ensemble.
Nous avons vu qu'ici ( S-P ) nous étions dans le registre du jeter qui oppose un objet à ce qui peut devenir un sujet.
Il y a un mode de mouvement plus primitif que jeter, c'est - simplement marcher. Le marcheur ne s'oppose pas au milieu dans lequel il marche, Il marche en le déplacent avec lui.
Il y a une troisiéme modalité de mouvement, comme aux jeux Olvmpiques, il y a trois types de disciplines;
Il y a les marches ou les courses,
il y a les jets et il y a, quoi?: les sauts!
Sauter, c'est, si on veut, se jeter soi-même. C'est se séparer de soi-même et se retrouver. N'est-ce pas cela que les schizophrénes ne savent pas faire? Par rapport à des définitions aussi essentielles que celle-ci, toutes les définitions par le délire et tout le reste sont absolument accessoires.
Je vous fais remarquer une chose: si je donne un coup de trique à ce verre et qu'il se fend sans se briser, on va dire qu'il a "sauté". En allemand: "Das Glas hat einen Sprung". Le saut, c'est à la fois la fissure et le mouvement qui transcende la fissure.Ceci nous rappelle ce que disait FREUD sur les structures brisées.
Je ne crois pas qu'il y ait une quatrième discipline olympique dans une même série; il n'y en a que trois. Et il n'y a que cette série de modes d'être-au-monde:
· en deçà de l'objet et du sujet,
· à travers l'objet et le sujet et
· au delà. Il n'y en a pas plus.
Maintenant je vais aller vite avec trois idées sur ce que ça apporte à la psychiatrie, à la psychanalyse et, pour finir, la théorie des circuits.
Les conséquences pour la psychiatrie sont d'une certaine façon géniales dans les quatre secteurs.
Au niveau du contact, SZONDI a fait en quelque sorte d'avance la place pour une nouvelle conception des troubles de l'humeur; une conception, par exemple, qui est capitale même pour le traitement médicamenteux.
Parce que les antidépresseurs travaillent sur ce registre-là beaucoup plus que sur la mélancolie dans ses complications. Une de mes idées, c'est que la suicidalité des mélancoliques ne dépend pas de la dépressivité mais de la combinaison de la dépressivité avec un élément paroxysmal.
C'est d'ailleurs le deuxième coup de génie de SZONDI: d'avoir gardé l’épilepsie dans la psychiatrie. Si on n'avait pas les troubles paroxystiques (P) avec les troubles cycliques (C) les troubles stationnaires (S) et les troubles processuels (Sch) qui évoluent sans jamais revenir au même point, le système ne serai complet.
Or il n'y a que ces quatre formes de déroulement dans le temps:
cycles (C); états (S); paroxysmes ou crises (P) et processivité (Sch). Il n'y en a pas d'autres.
Troisième coup de génie, c'est la spécification des perversions qui trouvent leur place anthropologique dans le système.
Enfin au niveau des psychoses schizophréniques, SZONDI a produit comme chacun sait une analyse du moi, ce qui accomplit le voeu de FREUD. Celui ci avait dit qu'il faudrait arriver à une analyse du moi à partir des psychoses comme lui était arrivé à une analyse de la sexualité à partir des perversions et des névroses.(12) Il a toujours dit que lui-même n'était pas arrivé aussi loin.
Il est évident que la conception szondienne est la plus puissante analyse du moi qui est aujourd'hui, si j'ose dire, sur le marché.
Ceci nous met déjà en prise sur la psychanalyse.
Je vous ai dit que FREUD ne s'était pas posé la question du système
général, mais il a souvent donné des énumérations à quatre termes de toute une série de phénomènes et de concepts.
Par exemple, il v a quatre destins des pulsions,
il y a quatre fantasmes originaires;
il y a quatre formes d'angoisse; y
il y a quatre éléments de la vie pulsionnelle.
Je ne vais pas vous dire comment tous ces quatuors freudiens se mettent dans l’harmonie szondienne, Les esquisses de nosologie complète qu’il y a chez FREUD sont toutes intégrées dans le système szondien.
Vous comprenez que chez FREUD déjà, il ne s'agissait plus d’espèces morbides mais de concepts psychopathologiques humains fondamentaux.
J'en viens finalement aux circuits. SZONDI a dans ses derniers ouvrages posé la question d'un circuit du Moi. (14)
Cela se passait dans les années ou j'étais moi-même à Zürich et cela se présentait sous cette forme:
3 : k + | 2 : p + |
4: k- | 1: p- |
Un contenu psychique, disait-il, est d'abord vécu par projection (p-), il est ensuite redoublé inflativement (p+), puis il est introjecté (k+), et enfin nié (k-).
J'ai discuté pendant des heures avec SZONDI pour prétendre que l'introjection était plus primitive que l’inflation; ce qui nous donnait le circuit que voici:
Mais ça ne me satisfaisait pas non plus, parce que, contrairement à SZONDI, je suis un être peut-être moins négatif. Alors je ne pouvais pas me résoudre à voir la négation comme le télos du système.
Après beaucoup de transpiration, à un moment que beaucoup d'amis et collaborateurs ici présents ont connu dans le cours de l'été 75, m'est venue la formule qui est maintenant la nôtre.
Je l'ai vue en rêve, et en même temps j'ai vu les autres, les problèmes des circuits des autres vecteurs que SZONDI n'a jamais posés.
Vous allez voir comme c'est beau!
Dans le vecteur C, ça commence par (m+), alors qu'en Sch ça part de
(p-), et dans la gauche du schéma en S et P c'est exactement symétrique.
Je ne peux pas développer toute la théorisation des circuits. Je voudrais seulement dire que ça permet de présenter et d'écrire le système pulsionnel d'une façon différente.
Le circuit C va de (m+), à travers (d-), puis (d+) à (m-);
Le circuit S de (h+) à h-, à travers (s-) et (s+); et les deux autres s'écrivent ainsi:
| 1 | 2 | 3 | 4 | <#0>
Vektor C | m+ | d- | d+ | m- |
Vektor S | h+ | s- | s+ | h- |
Vektor P | e- | hy+ | hy- | e+ |
Vektor Sch | p- | k+ | k- | p+ |
C'est une façon d'écrire qu'est du même ordre que la table, de MENDELJEV de la chimie, le tableau périodique des éléments que tout le monde connaît.
Ceci est le tableau périodique des éléments de la vie pulsionnelle. A chaque période on retrouve un élément qui a une structure homologue à un autre niveau. Et il y a plus.
Les éléments, les positions élémentaires premières par exemple (m+, h+ e- p- ) ont quelque chose d'homologue au premier vecteur ( C)
. et ainsi de suite.
Ce qui donne une quadrature complète, et souligne la cohérence du système. A partir de là on peut à nouveau faire des spéculations qui reconduisent à la clinique. Par exemple, à l'intérieur du registre thymopsychopathique, il y a une position psychopathique par excellence, c'est celle des toxicomanes: (m+).
Il y a une position qui a quelque chose de pervers c'est celle des
dépressions chroniques amorties : (d-)
Il y a une position qui a quelque chose de névrotique, si on veut, c'est celle des déprimés qui se remettent en mouvement et qui souffrent d'ailleurs plus que les précédents : (d+) et enfin
il est évidant que, dans le circuit du Contact, s'il y a une position qui a quelque chose de psychotique, c'est (m-).
De même que -SZONDI a déjà décrit comment
(p-) est la position du moi directrice de la participation,
(k+)) est la position sine qua non pour les perversions,
(k-) est la position , sans laquelle on ne peut pas parler de névrose et
(p+)) est à notre avis la position psychotique par excellence
.
au moment fécond de la psychose et non bien sûr au moment régressif chronicisé au moment que l’on pourrait appeler de psychopathisation de la psychose.
Moyennant quoi il ne faut jamais oublier que tous ces termes psychopathologiques, psychose, névrose etc. .... prennent aussi leur sens anthropologique de renvoyer aux dimensions esthétique, pratique, éthique, dialogique
.. Voilà donc la façon dont nous avons essayé de réaliser le rêve de SZONDI.
C'est le rêve d'être objet d'enseignement plutôt qu'enseignant, étant bien entendu que par rapport à un créateur, Il faut l'aborder de manière créatrice à l’intérieur de sa propre création, en essayant de penser toujours plus avant ce qu'il avait laissé impensé ou insuffisamment pensé, tout en nous donnant le schéma fondamental auquel notre pensée peut continuer de s'attacher.
(FIN DISCOURS)
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