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L'ECHEC EN FIN D'ETUDES SUPERIEURES.


Frédéric SIEGELBAUM

(Cahier 1:17)

Depuis la fin des années cinquante, la grande majorité des données statistiques, concernant la proportion des échecs dans les études supérieures, démontre une augmentation inquiétante, aussi bien à l'université que dans l'enseignement supérieur en général.

Nul n'ignore la place prépondérante qu'occupe désormais la pédagogie de l'échec dans les préoccupations des professionnels de l'éducation. Pour tous, la question principale est: comment diminuer la proportion d'échecs dans les études supérieures?

Dans cette optique, l'intérêt se porte naturellement sur l'accès aux études et sur les premières années de progression. On cherche alors à identifier les variables pouvant agir dans l'échec ou l'abandon des études. Celles-ci recouvrent le champ de plusieurs disciplines : la pédagogie met l'accent sur les prérequis, les méthodes de travail, la qualité de l'enseignement; la psychologie s'intéresse aux choix motivationnels, aux intérêts et aux aptitudes; la sociologie se centre plus particulièrement sur l'enseignement en tant qu'il peut être générateur d'inégalités sociales.

Ainsi, cerner l'échec scolaire nécessite une approche multimodale et multifocale, prenant en compte les variables psychologiques, pédagogiques, sociales et économiques, voire même politiques.

Cependant, un autre aspect de l'échec dans les études supérieures mérite notre attention. Parmi les étudiants privilégiés qui traversent les mailles du filet des premières années, quelques-uns ne termineront pas leurs études.

Ces étudiants qui n'ont pas encore rencontré l'échec n'ont plus qu'une année ou deux d'études avant que leurs efforts ne soient récompensés par l'obtention d'un diplôme.

Mais dans l'incompréhension générale, ils vont abandonner ou échouer. Leur petit nombre les fait échapper au recensement statistique, ils vont disparaître de l'espace universitaire et devenir, en quelque sorte, les "oubliés de l'échec scolaire".

Le profil de l'échec en fin d'études pourrait aussi plus spécifiquement faire référence à une autre hypothèse, celle de la névrose d'échec, comme modèle explicatif de ceux qui échouent devant le succès.

Avant de développer les caractéristiques de notre recherche,nous retracerons un bref historique du concept de névrose d'échec.

En effet, ce concept charrie d'importantes difficultés nosographiques et diagnostiques qui peuvent s'expliquer par son développement au cours de l'histoire de la psychanalyse.

La névrose d'échec

Freud et ceux qui échouent devant le succès

Devant le constat que certaines personnes tombent malade au moment où leur plus profond désir est en passe de se réaliser, Freud postule l'existence d'une corrélation entre succès et maladie. Confronté à ce paradoxe, il explique, dans "quelques types de caractères dégagés par la psychanalyse", que le Moi tolère un désir comme étant inoffensif, aussi longtemps que ce désir n'existe qu'à l'état de fantasme. Ainsi"...le Moi se met vivement en garde dès que ce désir approche de sa réalisation et menace de se muer en réalité" (Freud, 1916).

Le succès, désiré consciemment par l'individu et associé dans l'inconscient à un fantasme jusqu'alors toléré par le Moi, entraîne une réalisation du fantasme de désir, qui en devient insupportable.

La réalisation du désir concrétise, de façon massive et brutale, le triomphe d'un désir inconscient, coupable, interdit ou dangereux. La névrose naît du conflit entre le Moi qui refuse maintenant le fantasme et la libido qui y est associée.

L'autopunition (l'échec) soulage le sentiment de culpabilité inconscient et annule les résultats acquis par le succès, et donc aussi le sentiment de faute inconscient qui lui est associé. Freud voit dans ce conflit l'action de forces interdictrices du Moi, qu'il appelle "conscience morale et tendances justicières et punitives".

On pressent déjà l'ébauche du concept de Surmoi que Freud développera sept ans plus tard dans le cadre de sa seconde théorie de l'appareil psychique.

C'est donc dans le cadre d'une étiologie névrotique et résolument oedipienne que Freud décrit ces observations : "...les forces de la conscience morale, qui font qu'on tombe malade devant le succès au lieu de tomber malade, comme d'ordinaire, de par la frustration, sont intimement liées au complexe d'Oedipe" (Freud, 1916).

En d'autres termes, le succès est indissociable de l'Oedipe, il représente le meurtre imaginaire du parent de même sexe et la réalisation du souhait incestueux.

Laforgue et la notion de névrose d'échec.

René Laforgue est le premier à introduire la notion de névrose d'échec. Se basant sur les premières observations de FREUD, il développe ce concept en l'étendant directement à de très nombreuses manifestations cliniques hétérogènes. Son apport théorique, en plus de la création du terme de névrose d'échec, peut se résumer en trois points.

Premièrement, il souligne que l'échec n'apparaît pas que devant le succès, mais peut également surgir après le succès, lorsque des circonstances extérieures modifient les conditions de vie d'un individu (avancement, succession, gains de loterie).

La différence essentielle de ce type d'échec par rapport à la formulation freudienne est que, dans ces cas, le sujet n'a pas anticipé le succès et la réalisation du désir.

Ensuite, Laforgue insiste sur l'importance du Super-Ego (Surmoi), qu'il juge responsable du sentiment de culpabilité lié à la réalisation du désir, ce que Freud avait déjà souligné dans son article.

La troisième caractéristique de la théorie de Laforgue se révèle dans les conceptions socio-politiques qu'il développe tout au long de son oeuvre. Il utilise la théorie de la névrose d'échec dans le but d'établir des conclusions discutables, de caractère résolument politique.

Mais le point le plus controversé dans la conception de Laforgue est qu'il n'établit pas de différences entre l'échec, conséquence inévitable de toute névrose, et l'échec en tant que symptôme clef de la névrose d'échec.

Difficultés nosographiques et diagnostiques.

Il faut attendre Laplanche et Pontalis pour voir apparaître une différenciation précise entre névrose et névrose d'échec : "on ne parlera de névrose d'échec (terme consacré par l'usage) que dans les cas où l'échec n'est pas le produit de surcroît du symptôme, mais constitue le symptôme lui-même et appelle une explication spécifique".

Le trouble concernant cette pathologie nous semble donc provenir de l'histoire même du concept et de sa difficulté diagnostique. Laforgue, en créant le terme de névrose d'échec, nous semble avoir jeté le discrédit sur cette pathologie spécifique, en raison des conceptions idéologiques qui contaminent son oeuvre.

La difficulté de diagnostic différentiel entre névrose classique et névrose d'échec est bien compréhensible. En effet, devant "l'éveil du fantasme" par le succès, le Moi fragilisé ne dispose plus que de solutions pathologiques pour faire face à sa culpabilité (oedipienne selon Freud). On verra se manifester alors une inhibition intellectuelle, un passage à l'acte (abandon des études), ou tout autre symptôme psychopathologique inscrit dans la personnalité du sujet.

Une conduite phobique, un comportement obsessionnel pourront être utilisés pour entraîner l'échec nécessaire à l'équilibre réclamé par l'économie psychique. Dans ces cas, les diagnostics correspondants masqueront la spécificité de l'échec, ainsi que la signification du succès qui commande le besoin d'échec.

Une telle étiologie ne peut pratiquement être mise en évidence que par une analyse approfondie, ce qui rend son identification aléatoire.

Enfin, on remarquera également la disparité terminologique du concept : névrose d'échec, syndrome d'échec, conduite d'échec et pour la littérature de langue anglaise, névrose de succès (success neurosis).

Recherches actuelles

La somme de toutes les imprécisions théoriques concernant la névrose d'échec, ainsi que la difficulté de son diagnostic différentiel ont, sans aucun doute, contribué au désintérêt des professionnels de la santé pour ce sujet. Mais l'augmentation des échecs académiques et la prolifération des services d'aide aux étudiants ont entraîné un léger regain d'intérêt pour les conduites d'échec. Les seules publications sur la névrose d'échec, depuis Laforgue, proviennent de services spécialisés dans les problèmes d'étudiants de l'enseignement supérieur. Après avoir été bannie du langage des "psy" pendant plusieurs décennies, la névrose d'échec tend à refaire surface dans les études concernant l'échec à l'université.

Les recherches actuelles s'accordent toutes pour étendre l'étiologie des conduites d'échec, au départ strictement oedipienne, aux problématiques prégénitales et/ou narcissiques.

Nous ne développerons pas dans cet article ces recherches prometteuses. Le lecteur intéressé pourra se référer aux remarquables travaux de Henry Danon-Boileau, ainsi qu'à ceux de Frank et Roulet.

Remarquons toutefois que l'élargissement étiologique que proposent ces auteurs participe également à la confusion diagnostique concernant la névrose d'échec.

Méthodologie

Nous nous proposons donc de tenter de répondre à deux questions principales caractérisant notre approche de l'échec dans les études supérieures.

1. Pourquoi certains étudiants, disposant indéniablement de capacités intellectuelles largement suffisantes, échouent-ils aux études supérieures

2. Quels sont les facteurs sociologiques, cognitifs et psychodynamiques pouvant intervenir dans ce phénomène

3. Ces étudiants répondent-ils aux caractéristiques psychopathologiques de la névrose d'échec?

Sélection de l'échantillon.

Le problème était de s'assurer de la faible importance des facteurs pédagogiques traditionnels influençant l'échec.

Nous avons choisi comme critère de sélection la réussite de plusieurs années d'études sans aucun échec. Dans ce cas, les facteurs traditionnels ne semblent plus pouvoir agir. En effet, comment mettre en doute les capacités intellectuelles ou les méthodes de travail d'étudiants arrivés en dernière ou avant-dernière année d'études, alors qu'ils ont toujours brillamment réussi. L'échec dans ces conditions n'en devient que plus étonnant et intéressant pour le chercheur.

Notre critère de sélection est donc le suivant: nous retiendrons tout étudiant, ayant réussi trois années d'études minimum sans échec, qui abandonne ou présente des échecs répétés qui entraînent le renvoi du fait de l'interdiction légale de tripler.

La population étudiée recouvre tous les étudiants universitaires, ainsi que ceux de l'enseignement supérieur de type long, de la province de Liège, inscrits depuis l'année académique 1981-1982.

27 étudiants répondaient à nos critères. Afin de respecter les règles de la démarche expérimentale, nous avons constitué un groupe contrôle apparié. Pour chaque sujet du groupe expérimental, nous avons procédé à un appariement avec un sujet du groupe contrôle, de milieu socio-économico-culturel le plus proche possible, ayant réalisé les mêmes études et, bien entendu, ayant définitivement réussi.

Nous avons utilisé une échelle socio-économico-culturelle afin de construire le groupe contrôle. Nous avons également appliqué aux deux groupes une autre échelle, cognitive celle-ci, évaluant le lieu de contrôle (locus of contrôl).

Cependant, dans le cadre de cette communication, nous ne nous limiterons qu'à l'exposé des résultats et conclusions de l'approche projective, constituée par le Rorschach, le T.A.T. et le Szondi.

Confronté à une comparaison intergroupale , il nous a semblé nécessaire d'enrichir les méthodes projectives par des outils spécifiques facilitant la différenciation de groupes.

En ce qui concerne le Szondi, nous avons axé principalement notre analyse sur l'étude des formes d'existence,méthode qui propose un diagnostic structural en se référant aux différentes formes psychopathologiques décrites par Szondi et ses collaborateurs.

Présentation et discussion des résultats.

Les premiers résultats intéressants nous sont fournis par l'échantillonnage. En effet, sur les ± 24.000 étudiants qui composent notre population, 27 répondaient à nos critères de sélection, 21 proviennent de l'université et 6 de l'enseignement supérieur. Sur ces 27 étudiants, 9 acceptèrent de participer à la recherche.

La répartition des échecs dans les facultés est loin d'être homogène. Sur les 21 universitaires, 5 proviennent de la faculté de médecine, 3 de la faculté des sciences appliquées et 8 de la faculté de psychologie et des sciences de l'éducation. Les 5 autres étudiants se répartissent équitablement dans les facultés restantes.

Cette étape de la recherche appelle plusieurs remarques.

Premièrement, lorsque nous avons contacté ces étudiants, nous nous sommes aperçus que notre population "éclatait". Nous entendons par là qu'une incroyable "mortalité statistique" s'est présentée; la plupart des sujets sont pratiquement impossibles à joindre. Plusieurs sont partis à l'étranger; quelques uns ont refusé de participer à notre recherche; deux autres sont hospitalisés pour "troubles psychologiques"; un étudiant est incarcéré, un autre est maintenant membre d'une secte et ne peut être contacté, un troisième s'est suicidé.

Ces observations nous permettent de poser l'hypothèse d'un lien entre l'échec et ces différentes attitudes (départ, troubles psychologiques), mais il nous est impossible de connaître la nature de ce lien. Quoi qu'il en soit, le caractère "marginal" de l'évolution de ces personnes nous renforce dans notre intérêt pour ce type d' échec en fin d'étude, qui semble entretenir des relations particulières avec les troubles psychologiques.

Une seconde remarque s'applique à la répartition des échecs dans les facultés, concentrés en psychologie, médecine et sciences appliquées. Lorsqu'on analyse cette répartition, on s'aperçoit que 43 % d'entre eux apparaissent au cours d'une année où l'étudiant doit présenter un mémoire (3e licence en psychologie et 3e épreuve d'ingénieur civil).

On remarque également que l'échec apparaît pour 52 % chez des étudiants qui expérimentent leur future profession d'une façon pratique sous forme de stages à l'extérieur de l'université (licence en psychologie et doctorat en médecine).

Les étudiants en psychologie cumulent ces deux caractéristiques et nous pouvons raisonnablement poser l'hypothèse que les stages et le mémoire concrétisent, aux yeux de l'étudiant et de son entourage, l'éventualité de la réussite.

Notons que les mêmes remarques s'appliquent aux étudiants de l'enseignement supérieur de type long.

Résultats

Avant de développer les résultats du Szondi, nous allons résumer brièvement les observations obtenues au Rorschach et au T.A.T.

En ce qui concerne le Rorschach, nous obtenons d'une manière significative le schéma suivant : face à l'effroi qu'évoque la castration, la majorité des sujets du groupe expérimental surinvestit la libido narcissique phallique, dans un mouvement extrêmement agressif et revendicateur. Ce narcissisme phallique exacerbé a pour conséquence un retrait de la libido d'objet au profit exclusif du Moi, ce qui entraîne un désintérêt et une perte de contact avec la réalité.

Un trouble de l'adaptation résulte logiquement de cette attitude "autistique", dans le sens du retrait de la libido d'objet. Cependant, l'épreuve de la réalité est inévitable, elle s'impose et confronte certains à l'échec de leur narcissisme.

En ce qui concerne l'analyse du T.A.T., nous avons choisi la méthode d'Atkinson, qui se propose d'étudier les principales motivations de l'individu et dispose d'un système de cotation strict. La réalisation de soi, "achievement", l'affiliation et le pouvoir constituent les trois motivations les plus étudiées. Nous y avons ajouté une quatrième particulièrement intéressante pour notre recherche; il s'agit de la crainte dans la réalisation de soi ,"fear of success", encore appelée "motive to avoid success".

Si nous observons une plus grande intensité dans l'expression de la réalisation de soi au sein du groupe expérimental, nous ne notons aucune différence significative entre les groupes à propos de la crainte dans la réalisation de soi. Cette observation étonnante chez des sujets qui viennent d'échouer dans la réalité, pourrait se justifier par l'hypothèse de la névrose d'échec. Si l'échec est nécessaire et désiré inconsciemment, nous pourrions envisager que la crainte de l'échec, le doute sur ses capacités, soient précisément compensés par cette nécessité inconsciente. Les sujets n'auraient pas "peur" de l'échec au niveau des récits fantasmatiques du T.A.T., puisque cet échec est inconsciemment désiré et s'impose dans la réalité.

L'analyse des autres motivations confirme les observations du Rorschach : un important trouble dans les relations avec autrui, ainsi que dans le contact avec la réalité extérieure.

Au Szondi, la méthode des formes d'existence nous a invité à étudier le rapport des formes d'existence névrotiques sur les autres formes d'existence (pré-psychotiques, psychotiques et perverses).

Nous constatons que le groupe contrôle présente un profil plus franchement névrotique, dans le sens où les F.E.(Formes d’Existence) névrotiques dominent nettement les autres F.E.

Ce constat, d'une plus grande tendance névrotique pour le groupe contrôle, pourrait étonner lorsqu'on étudie la névrose d'échec. Cependant, ce résultat nous paraît tout à fait logique. La névrose est ici entendue dans le sens de la soumission à la réalité extérieure, adaptation qui se fait au prix du refoulement.

Les sujets du groupe contrôle répriment plus leur vie pulsionnelle; le Moi, au service de la réalité, procède au refoulement des motions pulsionnelles dites "dangereuses" qui sont inscrites dans les autres F.E., non-névrotiques.

Les F.E. névrotiques (de 11 à 15), socialisées (16) et sublimées (17) ont en commun un mouvement d'adaptation, de soumission au principe de réalité. Les normes et les interdits sont acceptés et intégrés

(prépondérance des F.E. névrotiques), soit par le biais de la condamnation des exigences pulsionnelles (F.E. de 11 à 16) soit par la sublimation (F.E. 17).

Lorsque les autres F.E. dominent, comme pour le groupe expérimental, l'acceptation et l'adaptation à la réalité sont remises en cause. Ces F.E. non-névrotiques témoignent d'un rejet de la réalité et d'une tentative d'y substituer une réalité nouvelle(fonctionnement psychotique), d'origine fantasmatique.

Quelle est cette réalité déniée, désavouée par le pervers (F.E. 8 et 10) et rejetée, forclose par le psychotique (F.E. 2, 3 et 7)?

Nous avons vu que l'adaptation à la réalité consiste dans l'intégration des normes et interdits, le renoncement aux aspirations du Ca et la soumission au Surmoi. Cette castration symbolique (au sens de Lacan) se fonde sur la prise au sérieux de la menace de castration et postule donc l'acceptation de la différence des sexes.

Cette "réalité" que fonde la reconnaissance de la différence n'est pas simplement niée, refoulée, comme dans le groupe contrôle, elle est rejetée ou désavouée par le groupe expérimental. Comme on sait,le rejet de la "réalité" de la castration entraîne un rejet, un désinvestissement de la réalité en général. C'est ainsi que FREUD définit la psychose et, dans une moindre mesure,la perversion: la libido retirée à une certaine réalité reflue sur ce qui peut encore la fixer, en principe le moi ou ce qui en reste, et dans la psychose, il n'en reste pas grand chose, des lambeaux, un fantôme, un moi fantôme comme on dit un "membre fantôme".

Ce rejet de la réalité se manifeste directement ou indirectement dans la rupture du contact (C--), ou dans l'inflation narcissique secondaire (F.E. 3) et dans la projection persécutive (F.E. 2), et cela pour presque tous les sujets du groupe expérimental, avec une intensité variable mais toujours importante.

Nous retrouvons ici la séquence, que nous avons par ailleurs identifiée au Rorschach (substitution des lacunes blanches par un symbole phallique),avec un surinvestissement du narcissisme secondaire, en réaction à la menace de la castration. Ces sujets semblent s'investir massivement dans un idéal grandiose, mégalomaniaque.

La réaction pulsionnelle p+! (7 sujets sur 9) illustre parfaitement ce mécanisme d'inflation narcissique. Cette inflation dans le vecteur du Moi a pour effet de drainer toute l'énergie des autres vecteurs. Le moi, surinvesti narcissiquement, se désintéresse des objets (rupture du contact) et la sexualité s'organise sur un mode pervers (7 sujets sur 9 du groupe expérimental présentent des F.E. perverses). On observe d'ailleurs une importante fréquence de S ±± à l'arrière plan, ainsi que de nombreuses inversions sexuelles.

Ces deux modes d'organisation sexuelle se caractérisent par une nette bisexualité, qui traduit un refus de la différence des sexes corrélative d'une persistance de la croyance panphallique.

Le lien avec la castration est évident, et le trouble de la sexualité trouve son origine dans le refus de la castration, ainsi que dans le retrait de la libido d'objet, au bénéfice exclusif de la libido du moi.

L'idéal du Moi (p+!) représente le moteur de l'individuation, source principale des motivations et des projets personnels. Cependant, lorsqu'il est surinvesti , l'idéal perd son aspect moteur; il est pour ainsi dire perverti, détourné de sa fonction trophique et utilisé comme réconfort narcissique, fétichisé en quelque sorte.

En effet, l'idéal du Moi est une instance essentiellement narcissique : "Ce que l'homme projette devant lui comme son idéal est le substitut du narcissisme perdu de son enfance".

Les buts proposés par l'inflation narcissique sont démesurés, inaccessibles, si bien que toute satisfaction en devient impossible (quoi que l'on fasse, cette instance ne sera jamais comblée).

Dans cette hypothèse, l'échec s'affirme comme le plus sûr moyen de se prémunir contre la déception de rester dans la "moyenne", dévalorisé parce que "comme tout le monde", déception qui équivaut à la perte de la toute puissance à laquelle aspire l'idéal du Moi. La réussite serait un échec, car elle implique l'adhésion à la norme qui oblige elle-même de renoncer à la toute puissance. Ce paradoxe nous montre un mépris pour la réalité, jugée incompatible avec l'idéal, et dès lors désinvestie, rejetée.

Cette hypothèse ne prend son véritable sens que lorsqu'on analyse le mécanisme de l'inflation narcissique. Cet investissement, qui s'apparente presque à une régression, prend sa source dans un refus de la castration. Les sujets présentant ce profil (p+ ! , C--), ne semblent pas avoir accepté la frustration oedipienne de leur narcissisme primaire; l'idéal du Moi refuse donc de se soumettre à cette réalité et tente de conserver la toute puissance originaire.

Il reste cependant, chez tous les sujets du groupe expérimental, une certaine organisation névrotique qui préserve contre l'effondrement du Moi devant les tendances psychotiques et perverses. Sans cette présence névrotique, nous pourrions voir apparaître des réactions franchement pathologiques, peut-être semblables à celles que nous avons constatées au moment de procéder à l'échantillonnage (suicide, internement, secte,...).

Conclusions.

Notre recherche qui, rappelons-le, en plus des méthodes projectives s'étayait sur d'autres outils (lieu de contrôle, échelle SEC et analyse de cas), se proposait donc de définir l'échec en fin d'études en testant l'hypothèse de la névrose d'échec.

Le premier constat, qui se dégage de l'analyse des résultats de tous nos tests, est celui d'une faible, ou difficile adaptation à la réalité. Celle-ci se manifeste dans la fréquence des ruptures de contact au Szondi, dans le faible F+ % au Rorschach, ainsi que dans les contenus des réponses. Ces manifestations sont exclusivement présentes dans le groupe expérimental.

La difficulté du contact avec le réel semble être la conséquence d'un débordement pulsionnel-fantasmatique à caractère fortement narcissique, voire mégalomaniaque. Les indices ne manquent pas qui témoignent d'un rejet de la castration associé comme c'est la règle, à un reflux narcissique de la libido.

Ce phénomène se traduit par une espèce de fuite en avant vers un idéal du Moi grandiose (p+ !), concentrant toute la libido sur le Moi aux dépens de la libido d'objet (narcissisme secondaire) ou, de manière moins fréquente, par un mouvement de repli vers le Moi idéal(narcissisme primaire). Nous adoptons ici la distinction entre moi idéal(pervers) et idéal du moi(psychotique) établie par NUNBERG et reprise par LAGACHE.Le moi idéal et l'idéal du moi en tant qu'instances représentatives, respectivement, des narcissismes primaire et secondaire ne sont évidemment pas pervers ni psychotique dans leur essence, mais dans les cas où la libido se détourne de l'objet et ,par extension, de la réalité, c'est vers ces instances qu'elle reflue. Le débordement pulsionnel traduit les fantasmes de toute puissance qui tentent de masquer le narcissisme originaire perdu, que les sujets tentent de préserver de la castration symbolique par un retrait de la réalité.

L'idéal du moi perd ainsi sa fonction motrice et organisatrice pour se transformer en une instance démesurée, érigée sur les ruines du narcissisme originaire perdu.

Face à ce rejet de la castration, les sujets s'organisent préférentiellement sur un mode pervers et/ou pré-psychotique. L'idéal du Moi, ainsi perverti, n'a plus pour fonction que de protéger illusoirement le Moi contre la réalité frustrante, car toujours insatisfaisante pour les aspirations grandioses des sujets.

Ce profil, dégagé par les méthodes projectives, s'ajoute aux étiologies oedipiennes classiques souvent présentes où la réussite signifie la mort du rival et l'inceste; il confirme également le courant des recherches actuelles, notamment celle de H. Danon-Boileau, qui élargit la dimension pathogénique du concept aux problématiques prégénitales et narcissiques.

Il semblerait donc que l'échec en fin d'études, dans les conditions étudiées, trouve une explication dans le cadre, élargi, de la névrose d'échec et nulle part ailleurs. Pour s'en convaincre, nous remarquerons le nombre de nos sujets suivis pour troubles psychologiques, ainsi que l'étrange mortalité statistique de l'échantillonnage.

Mais en quoi ces observations renforcent-elles l'hypothèse de la névrose d'échec ?

L'analyse de cas nous a montré que les troubles psychologiques identifiés chez nos sujets n'étaient pas des conséquences de l'échec (troubles réactionnels à l'échec), mais qu'ils accompagnent plutôt celui-ci dans la lutte contre le retour du refoulé. L'échec ou l'abandon n'est pas le résultat de psychopathologies claires et définies, mais plutôt la solution à un conflit

Notons que devant le conflit entre le fantasme envahissant et les exigences du Moi, certains sujets du groupe expérimental trouvent un équilibre dans un compromis avec la réalité (par exemple dans l'abandon des études universitaires pour d'autres études moins chargées de significations).

Mais au contraire, la majorité, refusant cette réalité qui signifie l'abandon de la toute puissance, donc la castration, s'enfoncent dans la spirale de l'échec dont la signification se généralise à tout succès.

Cette dernière attitude relève plutôt du fonctionnement "psychotique", où la réalité extérieure est remplacée (reconstruite) par une autre réalité d'origine fantasmatique.

Ainsi, la solution névrotique, qui voudrait que le refoulement agisse grâce à la suppression de la réussite, cède bien souvent la place à une solution psychotique qui transforme la réalité en mettant le Moi au service du fantasme.

Ce profil particulier, dégagé par les techniques projectives, échappe à la nosographie classique de la névrose d'échec, puisqu'il se caractérise par une allégeance du Moi envers le Ca, plus que par une soumission au principe de réalité.

Cependant, une disparité étiologique persiste et les conflits oedipiens sous-tendent presque toujours les échecs. Les pathologies narcissiques peuvent d'ailleurs se greffer sur la problématique oedipienne si on accepte de renoncer à l'équivalence simpliste entre le névrotique et l'oedipien qui résulte d'une interprétation malheureuse de la formule célèbre de FREUD: "Le conflit oedipien est le complexe nucléaire de la névrose". Justement, dans la névrose, il y a conflit. Dans les pathologies non-névrotiques, il n'y a pas ou plus de conflit, intrapsychique s'entend.

Nous n'avons pu, dans le cadre limité de cet article, développer toutes les réflexions théoriques qu'entraîne notre recherche, notamment en ce qui concerne la nosographie du concept de névrose d'échec, les réactions thérapeutiques négatives, ainsi que l'élargissement de cette pathologie à d'autres types d'échecs, social, affectif, sexuel et scolaire. Notre critère strict de sélection n'exclut pas que cet échec se manifeste plus précocement dans les études, éventuellement sous d'autres formes.

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Bibliographie succincte.

DANON-BOILEAU H. (1984). Les études et l'échec. Payot.Paris.

FRANK H. (1977). Dynamics patterns for failure in college

students, some further reflections on success

neurosis. Canadian Psychiatric Association,

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FREUD S. (1916). Essai de psychanalyse appliquée. Quelques

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ROULET N. (1976). Success neurosis in college seniors.

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