UNIVERSITE DE LIEGE

FACULTE DE PSYCHOLOGIE

et des

SCIENCES DE L’EDUCATION

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une lecture d’une logique du processus de la création à l’aide du test de Szondi

 

 

par

 

Karl Louvet

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Promoteur : Professeur Jean Mélon                                                            Mémoire présenté                                                                                                                                                            pour l’obtention                                                                                                                                                  du grade de licencié                                                                                                                                                       en Psychologie.                     

Septembre 1995


Introduction

 

 

Créer, c’est aller au-delà des limites du concevable. C’est le mouvement qui se transcende sur le parcours qui va du point d’origine au point créé. Ce mouvement peut prendre plusieurs aspects allant d’une mise en place d’un rapport aux choses différent à la mise en forme de quelque chose qui n’en n’avait pas.

Cette trajectoire de la pensée qui crée est positive dans le sens où le résultat n’est pas une déconstruction pure et simple. C’est la trajectoire du regard qui expulse son propre regard et le pose en objet du regard. Ce retournement sur soi qui chosifie son existence permet de sidérer en objet ce soi pour mieux le percevoir et donc mieux s’en détacher.

Cette transformation alchimique de la pensée humaine qui s’expulse de soi permet à son essence de se dérouler à plat dans l’existentiel. Car, créer, c’est plonger dans son essence pour tendre vers l’être qui nous libère de nos choix antérieurs. Dans le fond, tout est possible car non différencié, tout est potentialité d’être. L’esprit libère les enclaves de son étant et s’imprègne de la liberté de l’Etre vis-à-vis de l’attachement aux choses. Un pur mouvement tendu vers.

Toucher le processus créateur; c’est dissocier quelque chose en nous, un peu comme si les amarres du bateau devenaient tout à coup fragiles.

Mais nous vivons dans un espace-temps où la pensée doit concilier deux versants : celui du concrétisé, l’arrimage dans un corps qu’il soit humain, familial, social,...; et celui de la potentialité, cette néoténie de la pensée qui caractérise l’espèce humaine. C’est à ce carrefour digne du diable que s’inscrit la dialectique entre le détachement et l’attachement, entre la toute-puissance et la limite, entre soi et l’Autre.

L’être humain est intrinsèquement un carrefour entre deux plans dimensionnels : l’abstrait et le concret. Il est une transition incarnée. C’est peut-être cette nature de l’entre-deux qui lui a permis d’aller aussi loin dans la création. Celle-ci n’est possible qu’à l’intersection continuelle entre deux mondes : celui qui est et celui qui advient. Créer est une position où le créateur est à la tangente de lui-même, en précession de soi. C’est la transition dans une nature transitionnelle, celle qui consiste à s’anticiper et donc à exister sur deux plans : le virtuel et celui qui existe.

Aller puiser les idées est une chose, les rendre concrètes en est une autre. Si la pensée peut se transcender par elle-même, peut-elle, par elle-même, s’autolimiter ? Nous verrons en quoi l’éclairage de la figure mythique de Némésis peut nous faire entrer dans cette obscure partie de nous qui prend parfois les décisions les plus néantisantes pour notre destin.

Entrer dans le monde des créateurs, c’est apprendre toute la valeur et l’importance que nous portons à notre vision du monde, à ses illusions et à ses impasses. Notre regard regarde tout le temps le monde mais regardons-nous suffisamment ce regard afin de le corriger. Et s’il se perdait dans les labyrinthes de nos désirs ou des désirs des autres, comment sortir du dedans d’un regard ? Et quand bien même, nous réussissions à le faire, que penser quand on est nu face à son regard qui nous transperce de vérité ? Quoi se dire quand on s’est rendu compte que tous nos mots se perdaient dans une impasse existentielle et que ce qu’il nous reste est juste un regard sur les choses ?

C’est bien peu de choses un regard et pourtant, il est présent à chaque instant, il marque son empreinte sur tout ce qui rentre en nous. Petit à petit, ce regard a tracé la voie d’une autre perception des choses et d’une autre manière de se représenter. Chaque jour, tout ce qui s’édifie en nous est l’héritage de ce regard. Les choix que nous faisons portent la marque de ce regard. Et, un beau jour, nous ouvrons les yeux et quand nous regardons devant nous, nous n’en croyons pas nos yeux : tout a changé. Et, en nous, c’est pareil, ce n’est plus le même et nous regardons en arrière notre passé et il nous apparaît comme un autre monde, d’une autre dimension.

Entre le dedans et le dehors, dans toutes ces choses, il y a ce regard comme un ciment de vie. C’est peut-être ce que voulait dire cette phrase dans la Bible qui dit : « Et nous serons tous changé en un clin d’oeil ». Nous le croyons en effet, si notre regard change, c’est tout qui change. Car c’est notre perception qui change, notre manière de ressentir les choses et finalement nos représentations et dès lors, tous les choix et les toutes décisions que nous prenons sont connectés à ce regard. Sortir de son regard et changer celui-ci, c’est tout changer car il est à la source.

Mais sortir de son regard, c’est entrer dans la faille, la discontinuité. C’est un peu comme si la toile sur laquelle nous projetons notre vision se déchire et nous sommes face à notre regard. La faille, c’est un élément du système qui se rend compte qu’il est dans un système qui le menace et qui par son regard en vient à ne plus faire partie du système puisqu’il l’a vu du dehors. Tant qu’il ne savait pas, il était dans le dedans du système.

Quand le système a menacé l’intégrité de cet élément, celui-ci a regardé le système avec son propre regard et non pas avec le regard du système. Il a vu où il était, et en le percevant, il a pré-détaché son être de ce système. Il a créé un regard propre à lui qui n’était pas inscrit dans le système. S’il a vu juste, il changera le système. Alors, nous disons qu’il s’agit d’un créateur. S’il ne change pas le système, il restera sur le bord, en errance, considéré comme un « fou », un « déconnecté ».

Parler de la création sans parler de la faille, c’est comme parler de la vie en omettant la mort. Seule une faille dans le rapport au connu, au concevable peut pousser le créateur vers l’inconnu. Et cette faille semble se situer dans la menace qui pèse sur le moi du créateur qui s’inscrirait dans une pensée participative. C’est ainsi que pour approcher le processus de la création, l’éclairage, en autre, de la dialectique entre l’ipséité et l’altérité semble essentielle.

Le test de Szondi sera, nous l’espérons, un allié fidèle dans cette traversée. Il devrait nous permettre de poser des bornes à la manière du petit poucet.

Le sujet de notre mémoire n’est pas seul. En fait, ce mémoire appelle trois sujets :

·    Le sujet proprement dit du mémoire c'est-à-dire  son contenu, l’objet de la connaissance : le processus de la création.

·    Le sujet qui a écrit ce mémoire, le sujet de la connaissance, en l’occurrence nous-mêmes et les auteurs sur lesquels nous comptons être en filiation de pensée.

·    Le sujet pour qui ce mémoire est destiné, les lecteurs de ce mémoire.

Ces trois sujets ont en commun d’être en advenir. La théorie avance toujours vers des horizons qui reculent. Elle est continuellement remaniée grâce à l’apport de tous. Le sujet qui écrit le mémoire est en advenir d’obtenir son diplôme et est donc en transition existentielle. Enfin, le sujet qui lira ce mémoire est aussi en advenir en tant qu’être humain qui va au devant de la connaissance.

Si, comprendre veut dire prendre avec, lire ce mémoire, c’est accepter quelque part de suivre, à côté, le cheminement inscrit dans une pensée qui a essayé de serrer au plus près une logique du processus créateur. C’est peut-être le dénominateur commun aux trois sujets - être en advenir - qui peut, peut-être, permettre d’établir un champs commun aux trois sujets. Une piste est proposée pour prendre avec soi ce sujet qui est en nous tous.

Venons-en au premier sujet, celui du mémoire.

 

 

 


Table des matières

Introduction.........................................................................................................................................................

Finalité du mémoire........................................................................................................................................

Principes....................................................................................................................................................................

Etapes générales..............................................................................................................................................

Population..............................................................................................................................................................

Le test de Szondi................................................................................................................................................

1. Description du test...............................................................................................................................................

1.1 Introduction théorique.........................................................................................................................................

1.1.1 Le problème structural de la Schiksalsanalyse............................................................................................

1.1.2 Le point de vue structural et la référence aux fantasmes originaires............................................................

1.1.3 Le point de vue ontogénétique et la théorie des circuits pulsionnels..........................................................

1.2 Les indices........................................................................................................................................................

1.2.1 Index symptomatique (Sy%)....................................................................................................................

1.2.2 Index d'acting  (S0/±)...............................................................................................................................

1.2.3 Index tensionnel (S!)................................................................................................................................

1.2.4 Index social...............................................................................................................................................

1.2.5 Index de variabilité....................................................................................................................................

1.2.6 Index de désorganisation..........................................................................................................................

1.2.7 La formule pulsionnelle et les facteurs racines..........................................................................................

1.2.8 Les positions pulsionnelles.......................................................................................................................

Les positions premières............................................................................................................................

Les positions deuxièmes..........................................................................................................................

Les positions troisièmes...........................................................................................................................

Les positions quatrièmes..........................................................................................................................

1.2.9 Les formes d'existence..............................................................................................................................

1.3 La lecture périodique des circuits pulsionnels...................................................................................................

Tableau périodique des clivages pulsionnels......................................................................................................

1.4 Les profils moyens...........................................................................................................................................

2. Trois niveaux d’analyse....................................................................................................................................

La grille d’accompagnement...............................................................................................................

1. Finalité.................................................................................................................................................................

2. Description..........................................................................................................................................................

Les continuums..................................................................................................................................................

Continuum n°1.........................................................................................................................................

Continuum n°2.........................................................................................................................................

Continuum n°3.........................................................................................................................................

Continuum n°4.........................................................................................................................................

Continuum n°5.........................................................................................................................................

Continuum n°6.........................................................................................................................................

Continuum n°7.........................................................................................................................................

Approche méthodologique....................................................................................................................

1. Généralités..........................................................................................................................................................

2. L’entretien et la passation................................................................................................................................

Bibliographie.....................................................................................................................................................


 

Méthodologie

Introduction

Il s’agit de cerner ce qui serait probablement un processus de création à l’oeuvre chez la plupart des créateurs. Notre visée serait clinique au sens d’une rencontre entre un psychologue qui disposerait d’une grille de lecture et une personne dans la création. Ce serait une rencontre à mi-chemin entre le savoir du psychologue très souvent de type psychiatrique à visée nosologique et celui du créateur plus philosophique, ouvert un peu tout azimut et donc éclectique.

Chaque créateur a une ou plusieurs manières à lui de fonctionner mais nous osons espérer pouvoir décrypter une certaine cohérence au niveau des règles de fonctionnement : c’est le propos de ce mémoire.

La méthode est en quelque sorte un chemin que l’on suit pour atteindre un certain but. Notre idée de méthode se déduit donc du but de notre recherche, ce qui revient finalement à expliquer la finalité de ce mémoire.

Finalité du mémoire

C’est essayer à l’aide du test de Szondi d’approcher ce qui serait de l’ordre d’un processus de création. En somme, nous espérons dégager un éclairage du processus de création grâce au test de Szondi principalement.

Nous choisissons un cadre de référence théorique et nous regardons si ce cadre peut faire parler un processus. Est-ce qu’il permet de rencontrer le créateur dans son vécu ?

Cette « façon de voir » pourra peut-être apporter un éclairage aux personnes qui sont face à la complexité du processus qui consiste à créer. Notre mémoire ne consiste pas à trouver une théorie exhaustive du processus de la création. Il repose sur l’idée qu’il est possible, à l’aide du test de Szondi, de construire une lecture théorique qui puisse éclairer la clinique au sens très large des créateurs. La clinique des créateurs étant entendue ici comme le vécu des personnes qui se soumettent à un processus créatif.

Notre but serait atteint si ce mémoire permettait une meilleure rencontre entre le savoir du psychologue et celui du créateur. L’enjeu est fondamentalement la rencontre.

Pour cerner le processus, seul l’aller-retour entre la clinique et la théorie nous semble garant d’une « théorie pratique » qui s’ajuste au mieux avec les données de base. Permettre aux créateurs de se resituer par un regard qui n’est pas le leur est souvent, pour eux, une richesse si ce regard respecte le cours de leur pensée. Le psychologue peut dès lors naître avec eux au sens de les co-nnaître.

Il nous est venu l’idée d’un cycle pour mettre en forme les différents concepts théoriques. Cette idée a germée au fil de notre expérience du mode de vie des créateurs. Le savoir des créateurs tend d’ailleurs vers cette idée qu’ils ressentent parfois nettement dans le sens où ils « savent » qu’ils sont saturés et qu’il faut que « cela sorte » sinon « ça » va bloquer. Ils sentent bien que leur vécu a une allure cyclique avec un début, un milieu et une fin même si cela n’est pas toujours aussi net. L’objet qui sera créé oriente le processus selon un cycle étant donné que l’émergence, le faire-oeuvre et l’ « éjection » de cet objet dans le réel repose sur un schéma redondant quelque soit l’objet. Parfois, plusieurs objets en même temps sont en instance de création à différents stades mais même là le créateur situe ces objets selon une stratégie de type cyclique à différents niveaux selon l’objet et son avancement. La littérature parle d’étapes et nous verrons que selon Anzieu, il y a cinq étapes.

Si la dynamique de la création repose sur un processus qui évolue plus ou moins cycliquement, nous sommes en droit de penser que ce processus peut être balisé par différentes configurations mentales. Celles-ci seraient en quelques sortes des bornes sur un chemin. Ces configurations s’enchaîneraient alors suivant une logique d’ensemble qui parcoure le processus.

Principe

La méthode à travers le test consisterait à trouver les différents stades importants dans la création. Ces stades correspondraient à des constellations mentales qui seraient signifiantes par rapport au vécu du créateur. Les questions seraient dès lors de quelle type de configuration il s’agit et comment elles s’enchaînent. Ensuite, dans le meilleur des cas, une théorie globale retracerait tout le parcours en essayant d’éclairer le fil conducteur du processus.

Finalement, à l’aide du test, le clinicien pourrait situer la configuration mentale du créateur sur le cycle. De là, il pourrait dès lors recadrer le vécu du créateur en fonction de la « borne » à laquelle il se trouve.

En effet, c’est la comparaison entre deux logiques qui donnerait une clef d’analyse. La première logique est celle du processus de création avec ses stades, ses aléas, son mouvement interne. La deuxième logique est celle du test qui dit comment l’énergie est distribuée à travers les différents choix; le test donnant un état du « moteur » mental. Ainsi, la confrontation du vécu du créateur avec les données du test permet de voir s’il y a discordance, congruence, tension entre les deux logiques et dans quel domaine. Le créateur aurait ainsi un retour le plus fidèle possible.

La référence serait donc située dans un entre-deux constitué du vécu du créateur et des données issues de l’interprétation du test en accord avec l’expérience du psychologue.

Etapes générales

1 - Observer et retirer de l’observation des faits. La grille d’observation se base sur quelques critères qui sont caractérisés par :

- être le plus possible commun au plus grand nombre de créateurs;

- être basal (indispensable au processus);

- être le plus possible univoque (aller à l’essentiel).

2 - Rester « vierge » de littérature sur le sujet. Ne pas aller puiser directement dans les livres des informations qui empêcherait d’observer certaines choses. Susciter une « soif » d’information en nous, un manque de savoir afin d’aiguiser l’observation. Etre un regard qui regarde et non un regard qui confirme. Deuil d’un savoir-maîtrise pour un savoir-découverte. Donc, accepter des zones d’ombre jusque tard dans la recherche.

3 - Aller-retour continuel entre les éléments théoriques dégagés et l’empirie. Au plus les aspects théoriques se précisent, au plus l’information retirée de l’empirie est précise et de qualité. Evolution des données.

4 - Rendre visible le visible : amener sa perception au degré zéro. « Ce que je regarde, je le regarde encore mal, qu’est-ce que je vois de manière évidente ? » Nous pensons particulièrement à Einstein qui disait que : « c’est la théorie qui décide de ce que nous pouvons observer » ou encore à Piaget qui dit que : « le milieu n’agit que dans la mesure où l’autorise le niveau atteint par l’individu ». Cela nous oblige à un champs de regard assez vaste.

5 - Trouver une ligne de conduite, un fil conducteur entre les faits.

6 - Aménager des « espaces théoriques » un peu comme des îlots pas nécessairement reliés à l’ensemble mais qui « tiennent suffisamment la route » (une sorte de suspension non homogène qui finira par le devenir).

7 - Edifier une première architecture théorique et la remodeler pour obtenir celle qui soit la moins insatisfaisante possible. Renouveler l’observation selon celle-ci.

8 - Lire sur le sujet et affiner l’ensemble.

A vol d’oiseau, en utilisant le vocabulaire szondien, nous sommes passés tout au long de notre mémoire d’un état d’introjection maximal (k +) à un état k -, c’est-à-dire une position légaliste-réaliste-rationnel. Parfois, il reste des zones d’ombres de type k ± c’est-à-dire mi-réaliste et mi-intuitive en fin de parcours.

L’expression « savoir-découverte » est dès lors la bienvenue pour qualifier ce mémoire. Finalement, ce n’est qu’une lecture qui aide à comprendre dans le meilleur des cas l’empirie. Mais ce n’est jamais qu’une approximation de la complexité du psychisme humain.

En fin de compte, posséder un savoir-maîtrise est rassurant et gratifiant mais où se situe la rencontre ? Par contre, faire le deuil de la toute-puissance du savoir théorique est difficile. Nous pensons dès lors que le plus important reste le juste milieu.

Population

Les personnes testées sont sélectionnées en fonction d’un processus de création. Cela veut dire que ces personnes suivent ce processus dans leur vie. Certaines depuis longtemps, d’autres depuis peu, et cela avec plus ou moins d’intensité selon les moments.

Comment définir de telle personnes ? Nous nous sommes rangés selon l’opinion qui consiste à prendre des personnes considérées comme créatrices. Nous n’avons pas de critères suffisant pour dire que tel ou tel individu sont plus créateurs que d’autres. L’aspect quantitatif est relatif. L’aspect qualitatif aussi. Un créateur connu peut se cantonner dans la même veine alors qu’une étudiante peut créer une méthode d’analyse particulièrement difficile à saisir sans pour autant être reconnue à ce moment-là comme créatrice. Les moments féconds de la création ont des hauts et des bas chez une même personne. Le maître-mot est « imprévisible ». A la limite, c’est un peu un mélange d’intuition, de réputation, de circonstances propices et de commodités pratiques qui nous ont fait choisir ces personnes.

La plupart sont considérés comme très créateurs par plusieurs personnes différentes. La production créatrice atteste dans ce sens. Pour ceux-là, il ne fait aucun doute que la création soit partie prenante de leur vie. Il s’agit d’Henri, de Georges, de Jeanne, de Jean-Marie, de JP, de Mité, de Joseph et de Pierre.

Par contre, trois sujets plus jeunes ont été choisis pour leur « entrée » dans la dimension créatrice. Ces trois personnes sont susceptibles d’une démarche créatrice en plein essor. Ils ne sont pas vraiment connus pour leur aspect créatif. C’est plutôt leur démarche personnelle qui les amène à la création avec plus ou moins de résultats. Quoiqu’il en soit, nous trouvons intéressant qu’ils aient leur place dans notre mémoire car ils représentent des tentatives d’organisation d’une démarche créative. Il s’agit d’Anne, de Zénon d’Elée et de Zéphyrin.

Les personnes dans la création ne sont pas facile à faire entrer dans une démarche comme la nôtre. Nous avons essuyé des refus. Par ailleurs, deux personnes ont arrêté après quelques profils. La première de ces personnes s’est retranchée car elle sentait des influences négatives à cause du test. Quoique qu’on en pense, ce test dérangeait cette personne. La deuxième personne a repris le testing après avoir pris du recul.

Bien souvent, c’est assez difficile pour les créateurs d’accepter d’ouvrir leur espace intérieur souvent fort protégé sans savoir ce qu’il en retourne en fin de compte. Ils essayent très souvent de connaître un maximum de données sur ce qui les intéresse. Cette « emprise » mentale sur ce qui les touche et la difficulté de le faire avec notre mémoire peut peut-être expliquer cette méfiance.

Pour notre part, nous avons longuement parlé avec eux. Nous leur avons laissé la possibilité de se faire leur propre opinion sur notre démarche en répondant à toutes leurs questions. Cette attitude est très coûteuse en temps puisque un profil peut s’inscrire dans une discussion d’une durée de cinq heures. Nous n’avons pas empêché le créateur de s’intéresser à notre monde privé. C’est un peu un retour de notre monde pour un reçu du leur. Tout cela n’est possible avec sérénité que si nous sommes foncièrement intéressé à la création.

Par contre, s’il sent l’ « objectivation scientifique », la porte se ferme automatiquement. Il y a rencontre entre deux êtres humains préoccupés chacun par leur recherche ou il n’y a pas de rencontre.

Toutes les personnes testées ont accepté d’entrer en contact avec nous et notre démarche par l’entremise d’une personne que nous connaissons et qui fut chaque fois différente. C’est la confiance en cet intermédiaire qui a permis d’ouvrir la porte du créateur. Pour d’autres créateurs, c’est le fait de les connaître personnellement qui nous a permis d’entamer cette recherche avec eux.

Quatre de ces personnes ont accepté de se faire tester de nombreuses fois afin nous puissions posséder un maximum de profils pour une analyse sur une plus vaste échelle. Pour les autres, la moyenne des profils est de six par personnes environ sauf deux sujets avec lesquels nous n’avons que trois profils chacun.

Cette disproportion reflète la tentative de posséder un noyau de base constitué de protocoles importants et des éclairages constitués par des petits protocoles. Nous ne cachons pas qu’il est très fastidieux d’obtenir de si nombreux profils avec la même personne qui, plus est, créatrice et donc peu encline à se plier à une procédure aussi lourde. Nous sommes contents d’avoir quatre « gros » protocoles. Même pour « les petits protocoles », il n’a pas été aisé de les obtenir. Bien souvent, le créateur avait envie de « souffler » avant un nouveau profil. Nous mettions souvent « la pression » gentiment pour rapprocher les RDV.

Georges est un peu particulier dans le sens où il a longtemps été chez un psychologue szondien qui a bien voulu nous donner ses protocoles. Nous possédons donc à son sujet une quarantaine de profil retraçant une période dite « bloquée » de sa vie en plus de ceux que nous avons récolté.

La plupart des personnes testées ont un savoir sur leur processus. Il est né au fil du temps de leur vécu, de leurs expériences, mais ce qui est plus difficile pour nous, c’est que ce savoir repose sur un discours qui est fort attaché au vécu créateur. Il est fait d’intuition, de ressenti, de sentiment, de stratégies, de rituels, de lectures,... Ainsi pour pouvoir transférer ce savoir dans un discours psychologique, nous nous sommes aidés du test de Szondi sensé éclairer le vécu des créateurs.

Le test de Szondi

Nous nous sommes largement et amplement basé sur la thèse de Martine Stassart pour la présentation du test (15). Nous avons plus ou moins suivi son agencement afin de respecter la cohérence de son travail. C’est assez long mais c’est la richesse et la complexité du test de Szondi qui se fait jour. Nous tenons à saluer le travail de M. Stassart qui nous permet de donner au lecteur une présentation du test dont la clarté est de loin la meilleure possible à notre connaissance.

1. Description du test

Le test comporte six séries de huit photographies. Il est administré en présentant au sujet chaque série les unes à la suite des autres. La consigne consiste à demander au sujet de faire des choix concernant ces photographies. Il lui est demandé de choisir deux photos qu’il juge antipathiques et deux autres qu’il juge sympathiques. Les quatre autres photos reviendront dans un deuxième tour.

Chaque photographie montre un visage. Chaque visage renvoit à un « destin » psychiatrique sensé s’inscrire dans le visage. Comme nous le montrerons à travers la thèse de M. Stassart, Szondi a choisit d’une manière précise huit types d’individus que l’on retrouve à chaque fois dans les six séries.

Une fois les choix faits, un système de code permet d’aligner un profil comprenant huit éléments desquels démarre l’analyse.

Nous renvoyons le lecteur à l’ouvrage de Jean Mélon, « Théorie et pratique du Szondi » de 1975 (8) pour l’encodage du test.

1.1 Introduction théorique

A la différence des autres tests projectifs, le test de Szondi contient sa propre théorie; elle lui est intrinsèque.

La découverte majeure de Szondi réside dans son schéma pulsionnel (Triebschema) puisque ce schéma a présidé aussi bien à la construction et à la mise en forme du test qu'aux élaborations théoriques des données empiriques issues de l'expérimentation testologique.

1.1.1 Le problème structural de la Schiksalsanalyse.

Construit sur la base des grandes entités cliniques de la psychiatrie classique, le système pulsionnel (Triebsystem) opère, selon le mot de Schotte, "le passage des classes aux catégories". (Schotte, 13, pp. 21-76)

Les classes sont celles d'un regroupement nosographique original produit au croisement des oeuvres de Kraepelin et Bleuler, pour ce qui est de la mise en ordre du champ psychiatrique à travers l'opposition entre les cyclophrénies (C) et les schizophrénies (Sch), et de Freud pour ce qui concerne le rapprochement entre les perversions sexuelles (S) et les névroses définies comme "négatif de la perversion", dont le paradigme est l'hystérie redéfinie comme affection paroxysmale (P).

Quant aux catégories, ce sont celles de l'existence humaine ressaisie dans une perspective anthropopsychiatrique qui, conformément au principe du cristal, veut voir dans les formes pathologiques de cette existence, la "voie royale" qui mène à la compréhension du fonctionnement psychologique normal, l'homme étant considéré comme un être en devenir (point de vue ontogénétique) dont le développement est soumis à un ensemble de lois (point de vue structural) invariables et universelles.

Szondi se rallie explicitement à l'opinion fondamentale de Freud lorsque celui-ci affirme notamment:

"Nous savons depuis longtemps que nous devons nous attendre à rencontrer les mêmes complexes et les mêmes conflits chez les malades et chez les gens sains et normaux. Nous nous sommes même habitués à supposer chez tout homme civilisé une certaine dose de refoulement des motions perverses, d'érotisme anal, homosexualité et autres, ainsi qu'une part de complexe paternel et maternel, et d'autres complexes encore, tout comme dans l'analyse élémentaire d'un corps organique nous pouvons déceler en toute certitude les éléments : carbone, oxygène, hydrogène, azote et un peu de soufre. Ce qui distingue les uns des autres les corps organiques, c'est la proportion quantitative de ces éléments et la constitution des liaisons qu'ils établissent entre eux. Ce dont il s'agit chez les normaux et les névrosés, ce n'est donc pas l'existence de ces complexes et conflits, mais la question de savoir si ceux-ci sont devenus pathogènes, et en ce cas quels mécanismes ils ont alors mis en oeuvre".(Freud, 5, p.180)

L'ambition première de Szondi a toujours été de fonder la psychopathologie comme science, avec ses objets  et ses lois propres, d'en faire une science auto-logique, comme toutes les autres sciences fondamentales, pour n'avoir pas besoin d'importer ses concepts d'autres domaines du savoir et de fonctionner toujours de manière bâtarde, ana-logique.

A cette fin, Szondi tente de faire la part de l'essentiel et de l'accessoire dans la nosographie psychiatrique de son époque. Il aboutit à redisposer les choses dans un certain ordre, et ce, à partir du concept de pulsion qu'il emprunte évidemment à Freud.

Son acte décisif aura été de dénombrer les pulsions, de les agencer entre elles au sein d'un système, de clôturer l'ensemble et d'affirmer que cet ensemble faisait structure, que c'est la structure-même du fonctionnement de l'être humain en tant que l'homme est animé , non par des instincts immuables, comme l'animal, mais par un jeu de pulsions dont le destin est imprévisible.

C'est la clôture de l'énumération des facteurs et vecteurs pulsionnels, et leur présentation dans le tableau de protocole du test qui confère au schéma pulsionnel son caractère de structure. Désormais, chaque facteur, chaque vecteur, chaque constituant du tableau se définit par rapport aux autres :

"Plus rien n'a d'existence autonome, tout est reconstitué en et par des réseaux de relations significatives : nous venons de quitter le régime dans lequel les maladies mentales sont considérées "partes extra partes", pour l'articulation d'une structure unique dont l'ensemble les recoupe et non plus les regroupe".(Schotte, 13, p.155)

De par la mise en tableau, chaque constituant reçoit, outre sa signification propre, une valeur de position dans l'ensemble.(Mélon, 11, p.5)

C'est ce qui conduit à parler de "positions pulsionnelles", au sens kleinien du terme, plutôt que de tendance ou de réaction pulsionnelles comme le faisait Szondi. Pour Szondi, les maladies psychiques ou mentales ne sont pas des maladies du cerveau (Hirnkrankheiten) ou de l'esprit (Geisteskrankheiten) mais des maladies pulsionnelles (Triebkrankheiten). Quand il produit son système des pulsions, Szondi en distingue quatre, qu'il juge fondamentales :

  la pulsion du Contact

  la pulsion Sexuelle (S)

  la pulsion des affects, appelée Paroxysmale (P)

  la pulsion du moi (Sch), Sch correspondant ici aux trois premières lettres de schizophrénie.

Les pulsions, Freud l'avait déjà dit, ne sont pas identifiables en elles-mêmes. On ne peut les reconnaître qu'à travers leurs représentants (Repräsentanten) et, au mieux, quand ceux-ci se livrent, au plan des affects (Affekte) et des représentations (Vorstellungen) de chose (Sache) et de mots (Worte), à des manifestations extrêmes, qui font  que l'une et/ou l'autre des pulsions se dissocient d'une totalité où elles étaient censées faire bon ménage avec les autres.

C'est la démesure d'une revendication pulsionnelle qui déséquilibre la structure globale et, en la faisant saillir exagérément, la fait se révéler dans sa singularité.

Par exemple, le besoin de se venger (e - ) ou, à l'inverse, de réparer (e + ), de se racheter par ses mérites, ces besoins peuvent être si forts qu'ils orientent toute la destinée d'un sujet, faisant parfois la grandeur de cette destinée, mais parfois aussi sa misère, le rendant malade ou fou, infernal pour lui-même et pour les autres.

Si nous envisageons les quatre grandes pulsions ou les quatre vecteurs pulsionnels (comme Szondi les appelle), nous pouvons dire que :

Les troubles du Contact sont les troubles de l’humeur, que nous appelons thymopsychopathies, représentées à l'extrême par la manie et la dépression; m et d, initiales de manie et dépression, deviennent les deux facteurs constitutifs du vecteur du Contact.

Les troubles du contact sont les troubles de l'humeur qui sont des troubles de notre relation fondamentale au monde environnant, troubles de l'accordement (au sens musical du terme, Stimmung) au rythme de la vie, troubles du rapport à l'ambiance; la mauvaise humeur, pour dire les choses simplement, est une humeur désaccordée.

Les troubles Sexuels sont les perversions. Le déséquilibre pervers se produit quand toute la vie est dominée par le désir de posséder pleinement l'objet sexuel, lorsque la jouissance au sens quasi notarial du terme, devient le seul but ou le but suprême; les représentants prototypiques de la perversion sont l'homosexuel et le sadique.

Les troubles Paroxysmaux sont les troubles névrotiques. La définition que Szondi se donne de la névrose n'est pas celle de tout le monde. Pour Szondi, les troubles névrotiques au sens strict, sont ceux qui interviennent dans la vie des affects et qui se manifestent bruyamment par des crises, par des paroxysmes, d'où dérive le concept de paroxysmalité. Mais qu'est-ce qui produit les affects ?

C'est, dit Szondi, non pas la relation à l'objet ou à l'ambiance mais la rencontre toujours surprenante et immanquablement conflictuelle avec le principe de la Loi et des deux grands interdits fondamentaux que sont l'interdit du meurtre du père et l'interdit de l'inceste, autrement dit l'Oedipe.

Les représentants prototypiques de la névrose, définie comme état de crise plus ou moins permanent sont, pour Szondi, non pas l'obsessionnel et l'hystérique, comme c'est le cas chez Freud. Mais l'épileptique et l'hystérique, c'est-à-dire ceux qui réagissent violemment à la crise (oedipienne) en faisant précisément des "crises".

Enfin, les troubles du moi sont ceux qui concernent l'ontogenèse du moi, son auto-ob-tention (Selbst-er-haltung) comme son autoconservation (Selbsterhaltung) et, négativement, la destruction du rapport du sujet à soi-même qui conduit aux formes extrêmes des troubles de l'identité rencontrés dans la psychose et plus particulièrement la Schizophrénie dont les figures prototypiques sont celles du katatonique et du paranoïaque.

1.1.2 Le point de vue structural et la référence aux fantasmes originaires.

Le mérite revient à Jean Mélon d'avoir pointé ce qui fait structure chez Szondi, comme chez Freud d'ailleurs, en établissant l'homologie de fait entre les vecteurs szondiens et les fantasmes originaires freudiens.(Mélon, 10, pp. 673-680)

Les fantasmes originaires en tant que "noyau de l'inconscient" (Kern des Unbewussten ) et inducteurs d'une précompréhension - à quoi correspondent les théories sexuelles infantiles - de ce qui advient au petit d'homme défini comme sujet des/aux pulsions, sont les organisateurs du désir humain en tant que ce désir plonge précisément ses racines dans le(s) fantasme(s).

Comme Laplanche et Pontalis l'ont remarquablement montré (Laplanche et Pontalis, 6, pp.1833-1868), les fantasmes originaires sont chargés de rendre compte de l'origine et du surgissement des éléments premiers constitutifs du désir proprement humain en même temps qu'ils lui offrent un moule et lui donnent une forme à travers une mise en scène où les positions de sujet et d'objet ne sont pas données d'avance.

Si on se réfère à la trilogie lacanienne du Symbolique, de l'Imaginaire et du Réel, on peut dire que le réel, impossible à connaître comme tel, c'est la pulsion, que l'imaginaire est constitué par la série des fantasmes idiosyncrasiques du sujet, "pensées de liaison et de transition"(Mélon, 10), et que le symbolique est l'ensemble, la structure, des lois qui président au fonctionnement de la réalité psychique dont les fantasmes originaires, en tant que schèmes organisateurs du désir, constituent en quelque sorte la matrice.

Il est assez facile de voir que ce qui est en question dans le vecteur sexuel de Szondi, c'est la question du rapport au corps comme objet de séduction et de jouissance. Le vecteur paroxysmal confronte le sujet à la Loi, aux interdits majeurs de l'inceste et du parricide, la scène primitive figurant le lieu de rencontre impossible entre deux sexualités incompatibles, la sexualité infantile et la sexualité adulte.

Le vecteur du moi, posant la question de l'identification différenciatrice, entre être et avoir, renvoie à la question décisive de la différence des sexes à travers le fantasme et la théorie de la castration.

Quant au vecteur du Contact, il est mis en rapport avec le fantasme originaire de régression dans le ventre de la mère, que Freud a toujours hésité à insérer dans la série des fantasmes originaires parce qu'il y voyait une sorte de transposition mythique idéalisée du fantasme de la scène primitive.

 

Vecteurs                                  C                                 S                                 P                               Sch

 

 

Déterminant                But (Ziel)                      Objet (Objekt)           Poussée                   Source

pulsionnel                                                                                                    (Drang)                         (Quelle)

 

 

Fantasme                    Retour dans le          Séduction                  Scène                        Castration

originaire                     sein de la mère                                               primitive

 

 

Traumatisme              Sevrage                      Intrusion                      Différence des        Différence des

originaire                                                                                                     générations               sexes

 

 

Angoisse                     Séparation                 Perte d'                       Culpabilité                Castration

                                         Abandon                       objet                          Punition                    Néantisation

 

Désir                             Plaisir                           Jouissance               Béatitude                   Bonheur

 

 

Destin                           Retournement           Orientation                 Refoulement            Sublimation

pulsionnel                  dans le contraire       vers soi

 

A chacun des vecteurs szondiens correspond un champ particulier du fonctionnement psychique avec sa problématique propre, notamment en ce qui concerne le rapport au corps, la relation sujet-objet, la position grammaticale de la personne, un certain type de visée agressive...Le passage d'un champ à l'autre se réalise au travers d'une filière où doit s'élaborer à chaque fois un type bien défini de conflit dialectique.

1.1.3 Le point de vue ontogénétique et la théorie des circuits pulsionnels.

En 1975, Jacques Schotte (14, pp.20-25) a proposé de généraliser aux quatre vecteurs du schéma la notion de circuit pulsionnel (Triebesumlaufsbahn) que Szondi avait introduite pour le seul vecteur Sch (16, pp.389-391).

Cette notion de circuit, chez Szondi lui-même, renvoie à deux idées : d'une part que la normalité ou la santé mentale est liée à une certaine mobilité de la vie pulsionnelle par opposition à la pétrification dans certains clivages ou dans certaines structures rigides qui caractérisent le pathologique. D'autre part, la notion de circuit évoque l'idée d'un ordre de complexité croissante entre les différentes fonctions du moi.

D'un point de vue génétique, si, au moins pour ce qui concerne notre culture, la tendance négatrice-rationnelle (k - ) s'affirme de mieux en mieux tout au long de la période de latence (entre 6 et 10 ans), la prise de conscience du désir (p +: das Wunschesbewusstwerden) ne prend une certaine ampleur que dans la phase tardive de l'adolescence (Mélon, 9, pp.140-159). Il y a de bonnes raisons de penser que l'ontogenèse du moi se réalise selon le schéma proposé par Susan Deri (1, pp.182-204).

Sch

1. o -                            indistinction du moi et de l'autre (avant un an)

2. + -                            toute-puissance magique-autistique (pré-oedipe)

3. ± -                            phase de turbulence (âge oedipien)                      

4. - -                             période de latence

5. - o                            début de l'adolescence

6. - +                            adolescence

 

Le sujet se découvre d'abord dans son semblable ou son image en miroir, ce qui correspond au mécanisme de l'identification projective (Sch  o - ), ensuite il introjecte cette image (k +) pour en faire le noyau de son moi idéal (Sch + - ), instance d'essence corporelle douée de toute-puissance magique.

Ainsi se constitue le narcissisme primaire au sens strict du terme, par l'investissement privilégié de l'objet-moi produit au départ de l'image spéculaire, ce que le mythe de Narcisse illustre assez bien.

Cette imago narcissique primaire qui résulte en fait d'une séduction, créant chez le sujet l'illusion qu'il est le centre du monde et l'objet exclusif du désir de l'autre ou bien, ce qui revient au même, l'objet - le phallus - qui manque à l'autre.

Cette imago va nécessairement subir une déflation sous le double impact de la révélation de la différence des générations - "Tu n'es encore nulle part!" - et des sexes : "Il te manque quelque chose ou il y a quelque chose que tout le monde n'a pas et dont tu pourrais être privé".

La réaction k - qui oppose la négation et le refoulement à l'affirmation et à l'introjection (k+ ) assure une fonction de transformation au sens paradoxal de l'Aufhebung, c'est-à-dire d'une mutation où la suppression de l'ancien état n'implique pas sa destruction pure et simple mais assure au contraire sa conservation sous une espèce nouvelle; l'Aufhebung remplit la double fonction de destituer le narcissisme primaire par l'auto-critique - naissance du surmoi - tout en sauvant ce même narcissisme par la négation des injures faites au premier moi idéal (Sch + - ,+ o ) et le transfert de la libido narcissique primaire sur l'instance secondaire de l'idéal du moi (p + ) que le  sujet "projette en avant de lui comme l'héritier du narcissisme  perdu de son enfance; en ce temps-là il était pour lui-même son propre idéal.."(Freud, 2, p.98).

Or, derrière cette instance de l'idéal du moi se cache la première et la plus importante de toutes les identifications, celle au père de la préhistoire personnelle, identification immédiate, antérieure à tout choix d'objet..."(Freud, 3, p.200)

La prise en compte de ce point de vue amène à considérer que l'identification "primordiale" au père des origines (Urvater), prototype du Surmoi et du Surhomme (Uberich,Ubermensch) est à situer aussi bien à l'origine (arch) qu'à la fin (teloz) du devenir-soi, comme imago archaïque (Urmensch) et modèle téléologique (Übermensch) du devenir-homme.

Cette remarque est très importante parce qu'elle souligne combien le point de vue génétique est subordonné au point de vue structural qui l'englobe conformément au principe de la réversibilité ontico-ontologique, ce qui veut dire que du point de vue ontologique, dans l'ordre de l'être, la position p+ se situe à l'origine du circuit, tandis que du point de vue ontique, dans l'ordre de l'étant, p + se trouve au stade terminal du développement et du circuit du moi, ce qui donne son sens à la maxime goethéenne : "Deviens ce que tu es !".

L'identification finale (secondaire) au père relaie l'identification primaire, originaire.

On comprend par là que dans l'ordre ontique (développemental), du fait de la prématurité et de la néoténie qui caractérise spécifiquement l'être humain, le processus identificatoire débute et s'ancre dans la projection primaire ( p - ) qui consiste à situer l'idéal de toute-puissance du moi dans un autre extérieur concret investi de cette toute-puissance, autre dont le sujet "participe" (p - ) comme Freud le montre dans "Psychologie collective et analyse du moi"(Freud, 4), l'autre pouvant être incarné, dans les exemples donnés par Freud, par le chef, l'hypnotiseur, l'objet d'énamoration mais aussi bien la mère .

Si l'introjection (k+) consiste à incorporer en tout ou en partie l'objet d'amour idéal dont le sujet participe (Sch + - ), la négation et le refoulement (k - ) se font au nom d'une instance supérieure, celle du Surmoi-Idéal du Moi (Sch  - + ) qui appelle à la désexualisation et au deuil de l'objet originaire, avec, comme corollaire, l'orientation de la libido en direction des objets extérieurs et l'abandon du narcissisme primaire (corporel) au bénéfice du narcissisme secondaire (spirituel).

On obtient donc un circuit du moi en forme de huit renversé:

                                       k +                       p +

 

                                       k -                        p -

 

Schotte propose de généraliser la notion de circuit aux quatre vecteurs pulsionnels :

 

 

                          S                                         P                                      Sch                                   C

 

                  h+               s+                     e+             hy+                  k+             p+                  d+             m+

 

                  h -               s -                     e -             hy -                  k -             p -                  d -             m -

 

 

A l'intérieur de chaque vecteur, un ordre de succession est introduit entre les quatre pôles constitués par les positions positive et négative de chaque facteur.

Les circuits introduisent une asymétrisation entre les deux facteurs de chaque vecteur. Désormais il existe dans chaque vecteur un vecteur - dit directeur (m, h, e, p) - dont la dialectique interne est médiatisée par l’Autre. Le passage de la première à la dernière position du circuit se fait par l'intermédiaire du second facteur qui sert de médiateur (d, s, hy, k).

Enfin les circuits introduisent une dimension temporelle, progrédiente, dans la lecture du schéma et des positions, là où Szondi en avait proposé un ordonnancement exclusivement spatial. La lecture génétique que nous envisageons désormais est évidemment une exploitation de cette dernière propriété.

Si chaque circuit est le reflet de l'ensemble du schéma, réciproquement, la lecture périodique, qui repose sur l'ordre séquentiel C-S-P-Sch, se trouve complétée ou enrichie, l'ensemble du schéma pouvant désormais aussi être l'objet d'une lecture "en circuit".

Cela signifie que les relations que les vecteurs entretiennent entre eux dans le schéma sont homologues aux relations qu'entretiennent entre elles les positions à l'intérieur d'un vecteur.

L'introduction des circuits fait du schéma pulsionnel une structure à deux niveaux, caractéristique qui se révèle fondamentale pour nos développements actuels, aussi bien d'un point de vue théorique que dans les applications qui en sont faites dans la démarche interprétative au niveau des résultats du test. Le double niveau des circuits permet d'introduire les 16 positions pulsionnelles dans un tableau à double entrée, qui les présente en séries (C: m+ d - d+ m - ) et en niveaux (1: m+ h+ e - p - ), évoquant quelque chose d'analogue au tableau périodique des éléments conçu par Mendeleev :

 

 

 

                                                1                               2                             3                              4

 

 

                  C                           m+                           d -                          d+                           m -

 

                  S                           h+                             s -                          s+                           h -

 

                  P                           e -                            hy+                        hy -                         e+

 

                  Sch                       p -                            k+                          k -                           p+

 

 

 

Tentons maintenant de décrire très brièvement les caractéristiques des différents niveaux représentés par les colonnes du tableau, pour lesquels nous supposons qu'ils se trouvent disposés dans un ordre de complexité croissante.

 

 

 

Niveau 1 et vecteur Contact.

Le niveau 1 concerne un sujet essentiellement dépendant, à tous points de vue, tributaire de ce qui se passe dans son environnement, par conséquent susceptible d'être facilement frustré si l'entourage ne répond pas à son attente.

Niveau 2 et vecteur Sexuel.

Les secondes positions des circuits correspondent à un moment de rebroussement auto-érotique dans le fantasme (Mélon et Lekeuche, 12, p.25); c'est un moment spéculaire, imaginaire. En ce sens il marque une première autonomisation par rapport aux positions précédentes.

Si  au niveau 1 prévaut l'idée d'environnement ou de milieu, au niveau 2 apparaît la notion d'objet, en particulier le corps perçu comme totalité objectivée, isolée du fond, dans le champ visuel, ce qui souligne la dimension imaginaire de la catégorie de l'objet parce que avec l'objet, il s'agit avant tout de l'investissement d'une image, l'image du corps narcissique.

Niveau 3 et Vecteur P.

Au niveau 3, le sujet s'arrache à l'autocomplaisance de la position 2, sous l'impact de la loi : privation ,exclusion et interdiction. Le passage de 2 à 3 met en jeu une opération de négation des investissements d'objets conçus dans la position deuxième où prévaut la dimension fantasmatique. Le processus de contre-investissement, contrepartie obligée du refoulement, donne accès à des objets extérieurs, cette fois réellement autres. La position 3 est définie comme position légaliste-réaliste-rationnelle.

Niveau 4 et vecteur Sch.

Le niveau 4 marque l'entrée en scène du sujet en première personne : sujet en projet, sujet désirant, sujet de sa propre parole. C'est le temps de l'autonomisation maximale du sujet, autonomisation qui prend une tournure pathologique (psychotique) si elle est corrélative d'une rupture avec l'environnement.

Le niveau 4 est aussi potentiellement le niveau de la sublimation et de la création où le sujet projette d'être libre et responsable de son destin conçu comme histoire à faire.

1.2 Les indices

1.2.1 Index symptomatique (Sy%)

Il mesure le rapport exprimé en pourcents de la somme des réactions symptomatiques (ambivalentes et nulles, ± et o) à la somme totale des réactions factorielles. Normalement, sa valeur se situe entre 20 et 30. Un index bas (< 15 ) est le signe d'une grande rigidité.
Un index élevé n'a de sens qu'interprété en fonction de l'index d'acting.

1.2.2 Index d'acting  (S0/±)

C'est l'index que Szondi appelle "quotient de tension des tendances" (Tendenzspannungquotient) et qui désigne le produit de la division du total des réactions nulles par le total des réactions ambivalentes.

Les réactions ambivalentes renvoient aux symptômes subjectifs, les réactions nulles, aux symptômes objectifs. De manière plus précise, les réactions ambivalentes sont indicatrices d'un travail psychique qui privilégie l'activité de pensée aux dépens de la décharge immédiate. Elles appartiennent donc plutôt au processus secondaire.

Une réaction ambivalente peut toujours s'interpréter dans le sens que le sujet "se fait un problème" de la question posée par la tendance concernée. Par exemple, "m±" signifie que le sujet se pose la question de rester ou de s'en aller, de maintenir les liens ou de les couper, etc.

Les réactions nulles par contre signifient que la tension pulsionnelle est résolue par la décharge dans le comportement, le passage à l'acte, la conversion hystérique, la somatisation... ou bien par l'intermédiaire du refoulement ou d'un autre mécanisme de défense qui permet d'évacuer la tension en même temps que le problème qui la génère.

Par exemple, les réactions S + o, P o - , Sch - o , C o + , qui sont très fréquemment rencontrées, doivent s'interpréter le plus souvent non pas dans le sens de la décharge mais dans celui de l'évacuation du problème ad hoc, par exemple l'évacuation des questions du manque d'objet (s o), du manque d'investissement (d o), de la conscience de culpabilité (e o) ou de la conscience du désir (p o).

Habituellement, l'index d'acting se situe entre 1 et 3. Lorsqu'il est inférieur à 1, la conflictualité intrapsychique tend à se résoudre dans le registre de la mentalisation. Lorsque l'index est élevé, la résolution des tensions s'effectue plutôt sur le mode de l'agir ou de la symptomatologie conversive.

1.2.3 Index tensionnel (S!)

L'index tensionnel "S!" équivaut à la somme des "!". Il n'a de signification que combiné avec les autres index, comme nous l'expliquerons plus loin.

1.2.4 Index social

L’index social est pour ainsi dire un index de névrotisation car sa valeur augmente avec le poids des réactions qui indiquent que le sujet sublime (h -) ou allie harmonieusement les deux courants de la sexualité (S ++ ), se soumet aux impératifs éthico (e +) -moraux (hy -), accepte la réalité au sens de la raison (k - ) et de la nécessité de (se) contrôler (k±) et se montre fidèle ou conservateur (d - ) dans sa relation aux objets d'accrochage (m+) qui constituent son cadre environnemental.

Les accentuations (!) font chuter l'index social dans la mesure ou on peut les interpréter comme le signe d'un excès au niveau des revendications pulsionnelles (h+!, s+!, s -!, d -!, d+!, m+!), générateur de frustration, ou bien comme la manifestation d'une radicalisation des mécanismes de défense (hy -!, k -!, p+!, etc.) qui fait pencher la balance du côté du narcissisme autarcique, aux dépens de la libido d'objet.

On établit l'index social en affectant d'un signe + ou - chaque réaction vectorielle selon qu'elle va dans le sens d'une attitude socialement positive ou négative. Les accentuations (!) sont toujours cotées négativement.

L'index est obtenu en mettant au dénominateur la somme des réactions (+) et (-) plus celle des accentuations, et en plaçant au numérateur la somme des réactions positives. Le tout est multiplié par 100 pour donner le soc%.

La valeur normale se situe entre 40 et 50. Au-delà de 50 %, le sujet peut être considéré comme névrosé au sens de la soumission excessive aux exigences d'adaptation, de respect de l'autorité, de responsabilité, culpabilité etc. Un index inférieur à 30 est indicateur de tendances anti- ou asociales.

Nous donnons ci-après la table qui permet de calculer les index social, "+" signifiant  socialement positif. Les autres réactions sont forcément "-".

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Table pour le calcul des index social et Dur/Moll

 

                                         S                       P                    Sch                   C

                                                                                                                          

               0          0                                   +                                                                                               +

               0          ±                                                                       +                                                            

               0          +          D                                D                                                                D                 

               0           -                                                                                                                 D                 

 

               ±          0          D                     +        D                      +         D                  +                         +

               ±          ±                                              D                      +         D                  +                          

               ±          +          D                     +        D                      +         D                  +                         +

               ±                                             +                                  +         D                  +      D                +

 

               +          0          D                                                                     D                           D                 

               +          ±                                                                       +                                                            

               +          +          D                     +                                  +                                                            

               +           -                                                                       +         D                           D                 

 

                -          0          D                     +        D                                  D                  +      D                +

                -          ±          D                     +        D                                                        +      D                +

                -          +          D                                D                                                        +                         +

                -           -                                   +        D                                  D                  +      D                 

 

1.2.5 Index de variabilité

Cet index mesure le degré de plasticité globale d'une structure pulsionnelle. On l'obtient en créditant d'un point chaque changement de signe factoriel et en faisant la somme des changements survenus pour les huit facteurs dans la série des dix profils.

Normalement, l'index de variabilité (Var) se situe entre 10 et 25. En dessous de 10, il suppose un contrôle excessif, une rigidité anormale. Au delà de 30 il signifie soit inconstance, manque de contrôle, soit désorganisation ou déstructuration.

1.2.6 Index de désorganisation

Cet index donne une idée de l'intensité des processus de clivage.

Pour chaque facteur, on fait le relevé des réactions + et - . On établit un rapport fractionnel au dénominateur duquel on porte le total de ces réactions. Au numérateur, on indique le chiffre des réaction minoritaires (+ ou - ) en y ajoutant le cas échéant la somme des accentuations (!) à l'exception de celles qui affectent les réactions ambivalentes (±!). On fait la somme des huit numérateurs et dénominateurs. Le quotient obtenu est l'index de désorganisation dont la valeur est normalement inférieure à .10. Au-delà, elle augmente proportionnellement au degré de déstructuration.

1.2.7 La formule pulsionnelle et les facteurs racines

Elle distingue trois types de facteurs : les facteurs symptomatiques, les facteurs submanifestes et les facteurs racines.

Selon M. Stassart, un facteur est considéré comme symptomatique lorsque, dans une série de 10 profils, la somme des réactions nulles et ambivalentes est supérieure ou égale à 5. Les facteurs racines sont ceux pour lesquels cette somme est inférieure à 3.

Pour notre part, nous avons préféré suivre les critères de M. Legrand (7, p.94). Pour lui, est symptomatique un facteur dont la somme des o et ± est égale ou supérieur à 6. Un facteur est dit submanifeste ou sublatent quand la somme des o et des ± est comprise entre 2 et 5. Enfin, un facteur est dit racine quand cette somme est égale à 1 ou 0.

Les facteurs racines, du fait qu'ils correspondent à une tension pulsionnelle maintenue relativement constante, jouent un rôle dynamique dans l'économie psychique.

Par exemple, un sujet qui donne constamment la réaction k - est quelqu'un chez qui le refoulement exerce constamment son action, un sujet qui donne tout le temps d+ est quelqu'un qui est perpétuellement en quête de nouveaux investissements, etc.

1.2.8 Les positions pulsionnelles

La théorie des circuits invite à penser qu'il existe une affinité entre les positions - les réactions - pulsionnelles qui dans chaque vecteur occupent un rang identique.

La question se pose de savoir ce qu'ont en commun les positions:

 

1 C     : m+              h+          e -           p -

2 S     : d -                s -          hy+         k+

3 P     : d+                s+          hy -         k -

4 Sch : m -             h -           e+           p+

 

On peut dire, par exemple, que e -  est la position contactuelle-thymique du vecteur P, que k - est la position névrotique-adaptative-réaliste-légaliste du vecteur Sch,... mais il faut pouvoir ressaisir ce qui spécifie au mieux ces quatuors.

1 C  et le "renversement dans le contraire" (Die Verkehrung ins Gegenteil)

2 S  et le "retournement contre la personne propre" (Die Wendung gegen die                                           eigene Person)

3 P  et le "refoulement" (Die Verdrängung)

4 Sch  et la "sublimation" (Die Sublimierung).

Les positions premières

Ce sont celles où le sujet est le plus dépendant de l'environnement, où le besoin d'un contenant, d'une enveloppe, d'un étayage, d'un support, d'un pare-excitation,...est le besoin majeur. Ce qui est ici en question, c’est : le besoin d'accrochage (m+), d'amour exclusif (h+), la rage (e - ) liée à la frustration, et la projection (p -) comme défense la plus économique mise en acte dans les situations d'extrême détresse (Hilflösigkeit).

La détresse est en effet ce qui menace si l'objet de soutien, que Szondi a si justement nommé "Haltobjekt", vient à manquer.

         En allemand, "Halt" signifie aussi bien arrêt que soutien, appui, support, soutènement, tenue, cohésion, solidité...Le "Haltobjekt" est cet objet dont on a besoin pour s'arrêter ou se tenir debout, pour ne pas aller à la dérive ou s'écrouler.

Le "renversement dans le contraire" concerne avant tout les renversements thymiques de l'humeur (euphorie versus dépression, m versus d) mais plus fondamentalement le renversement de l'amour en haine, la défense par la haine étant ce qui domine le fonctionnement psychique le plus rudimentaire caractérisé par une faible autonomie et une faible différenciation du moi.

Les positions deuxièmes

           La traduction française de "Wendung  gegen..." par "Retournement contre...", qui a reçu la bénédiction de Jean Laplanche et J.B. Pontalis, n'est pas vraiment correcte  dans la mesure ou "Gegen", dans la langue allemande, a deux sens : "contre" et "vis-à-vis de". Quand à "Wendung", on ne peut pas raisonnablement traduire ce mot par retournement, qui évoque un peu trop le retournement du sadisme en masochisme."Wendung" évoque avant tout la notion de "tour"au sens de virage, de détour et de revirement beaucoup plus que de retournement.Donc,"Wendung gegen..." a fondamentalement chez Freud le sens de se "retourner vers soi-même", où il n'y a primitivement aucune idée d'auto-agression mais beaucoup plus la notion de "tourner" la libido vers soi-même qui constitue l'essence du narcissisme. Ce que Freud présente comme la deuxième destinée pulsionnelle possible est, à n'en pas douter, celle du  narcissisme, d'autant plus que "Pulsions et destins des pulsions"(1915) est écrit dans la foulée de "Pour introduire le narcissisme" (1914).

Les positions deuxièmes correspondent, conformément à notre traduction de "Wendung gegen..", au  "virage" de la libido "à l'endroit de" la personne propre, c'est-à-dire au "revirement" narcissique tel que Freud l'a décrit dans "Pour introduire le narcissisme" (1914), virage que Lacan a magnifié dans son "stade du miroir"(1937).

Le sujet adopte une position auto-érotique conservatrice (d -) qui est fortement marquée de rétentionnisme anal, en même temps qu'il s'éprend de son double - son image spéculaire -, produit dans la scène de séduction originaire (s - ); il reste fixé à cette scène, tend à la reproduire en dépit des interdits qui s'y opposent, se fait valoir envers et contre tout (Geltungsdrang), est compulsivement poussé à se donner en spectacle (hy + : "Sich-zur-Schau-Stellen") en se produisant comme "personnage" (k +) au sens du "Persona"  latin qui signifie "masque", le masque en question étant destiné à perpétuer l'image d'un corps glorieux, objet suffisant pour lui-même en même temps qu'objet manquant - "phallus" - pour l'autre.

Les "poses" hiératiques du catatonique, même si elles sont aujourd'hui devenues rares ( alors qu'elles étaient très fréquentes autrefois ), illustrent parfaitement cette compulsion du sujet à se produire comme statue de lui-même (k +).

L'accent mis sur le narcissisme corporel, encore à l'abri de la castration, est ce qu'on retrouve au coeur de la mélancolie, des perversions, surtout masochiste et fétichiste, des traits caractériels les plus spécifiques en tant qu'ils ont un fondement traumatique-cicatriciel mais aussi, pour une part, dans la sublimation, dans la mesure où celle-ci vise à créer des objets dont la perfection est censée rejoindre la perfection inaltérée de l'imago spéculaire.

Les positions troisièmes

Elles vont dans le sens du refoulement à condition d'entendre celui-ci comme l'opération qui consiste à négativer l'imago spéculaire narcissique - imaginaire par définition - et à se détourner en bloc de tout ce qui est imaginaire en investissant préférentiellement la réalité matérielle (d +), en orientant la libido dans le sens de la domination des objets extérieurs au moi (s+), en maîtrisant les affects érotiques par le rejet de toute espèce de sentimentalité jugée ridicule (hy - ) et en privilégiant massivement la perception du réel extérieur qui devient l'étalon de toute réalité (k - : "Un fait vaut mieux qu'un "Lord-Maire"). Cette position peut être qualifiée indifféremment de réaliste, légaliste, rationnelle ou "faitaliste".

C'est la position que nous appelons névrotico-normale, celle qui prévaut absolument dans la période de latence et qui, ultérieurement, moyennant une certaine régression (passage de m - à m+), caractérise la plus grande partie de la population générale. Comme c'est la disposition majoritaire que courtisent les média, il suffit d'ouvrir la télé pour s'en faire une idée.

Les positions quatrièmes

Elles sont en rapport avec la sublimation dans le sens où la sublimation implique un certain détachement par rapport à l'ambiance (m -), une désexualisation avec un "transfert de passion" (h - ), un certain besoin de "réparation" comme l'a bien vu Mélanie Klein (e +) et la transposition du narcissisme primaire sur l'instance - narcissique secondaire - de l'idéal du moi ( p+).

La sublimation, comme la clinique le montre si souvent, est proche de la psychose, dans la mesure où la désexualisation et le retrait de la libido objectale qu'elle implique, risquent toujours de déboucher sur le vide de la psychose.

Jean Mélon a proposé de calculer les proportions des quatre types de positions pulsionnelles, ce qui permet de se faire une idée de leur répartition quantitative, de "mesurer" leur poids respectif et d'élaborer à partir de là une typologie originale qui prend en compte l'idée de destin pulsionnel.

Selon que l'une ou l'autre des positions pulsionnelles première, deuxième,...est relativement majorée par rapport aux autres, on peut décrire quelques cas de figures simples qui correspondent à des tableaux cliniques facilement identifiables et structuralement organisés de manière bien différenciée :

1. Le tableau idéalement équilibré où toutes les positions se retrouvent en proportions égales:

1 2 3 4

2. Les tableaux gravement déséquilibrés dans les sens:

a)                                                            1 2 3 4

où la dépendance extrême vis-à-vis des objets de l'environnement entraîne facilement des troubles de l'humeur et du comportement (thymo-psychopathies),

b)                                                            1 2 3 4

où la revendication narcissique est exacerbée, déterminant des conduites perverses ou affranchies de tout respect des limites, particulièrement sexuelles, l'intrusion étant la règle; c'est le cas dans la "folie" hystérique;

c)                                                            1 2 3 4

où le légalisme, le réalisme et la rationalité sont constamment invoqués, produisant le tableau classique de la "névrose de caractère" obsessionnelle;

d)                                                            1 2 3 4

où le positionnement est typiquement schizoïde, comme on peut le voir, surtout à l'adolescence, dans la "maladie d'idéalité", et chez beaucoup d'anorexiques mentales.

 

3. Les tableaux névrotico-normaux les plus fréquents, associant les positions:

a)                                                            1 2 3 4

caractéristiques des sujets "adaptés" au sens de la socialisation commune, combinant la soumission aux interdits moraux  (hy - ), le respect de la réalité (k - ), l'investissement actif des objets du monde extérieur dans leur concrétude matérielle (d+ s+), la dépendance affective vis-à-vis des objets de soutien (m+), un fort besoin d'être aimé (h+), une intolérance à la frustration avec une propension à la rage (e - ) et la prévalence des idéaux collectifs concrets (p -) sur les idéaux de développement personnel dans le sens spirituel ou éthique du terme;

b)                                                             1 2 3 4

caractéristiques des sujets sublimés chez qui la désexualisation (h - s -) et le retrait hors-monde (d - m - ) sont compensés par le besoin narcissique de créer (k+ p+) et l'exaltation passionnée des affects (e+ hy+);

c)                                                            1 2 3 4

conjoncture plus rare des sujets "obsessionnels" chez qui l'isolation entre la pensée et les affects a pour effet de "mentaliser" tous les problèmes, particulièrement ceux du contrôle de la réalité (k±), de la possession de l'objet (s±), de l'investissement des choses en général (d±) et de l'expression des affects (hy ±).

 

1.2.9 Les formes d'existence

A partir de 1960, en collaboration avec Armin Beeli, Szondi a développé la méthode de diagnostic dite des formes d'existence. Il en distingue 17 qui correspondent chacune à une constellation particulière des huit facteurs du test. A chaque forme d'existence correspond un diagnostic relativement spécifique qui renvoie aux grands syndromes classiques de la psychopathologie mais aussi à des tableaux considérés comme normatifs (formes 16 et 17).

Pour plus de facilité, nous avons utilisé la forme abrégée du "Diagnostic informatisé des modes d'existence" élaboré par Félix Studer et Jean Mélon, que nous reproduisons ci-après.

1.3 La lecture périodique des circuits pulsionnels

Nous ferons encore largement appel à la thèse de Martine Stassart (15) pour éclairer cette lecture.

L'interprétation tient compte ici de la direction de sens, progressive ou régressive, que prend dans chaque vecteur, le travail sur la pulsion, en accord avec la théorie des circuits pulsionnels, qu'elle exploite selon sa logique propre.

Chaque vecteur connaît ainsi quatre périodes désignées par des chiffres romains, suivant que le facteur le plus chargé en + ou en - , appelé dominant, appartient à tel ou tel niveau - ou période - du circuit.

Tableau périodique des clivages pulsionnels

                  C           S              P                 Sch

 

 

d

m

h

s

e

hy

k

p

I

1

o

+

+

o

-

o

o

-

 

2

-

+

+

-

-

+

+

-

 

3

+

+

+

+

-

-

-

-

 

4

±

+

+

±

-

±

±

-

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

o

±

±

o

±

o

o

±

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

II

1

-

o

o

-

o

+

+

o

 

2

-

+

+

-

-

+

+

-

 

3

-

-

-

-

+

+

+

+

 

4

-

±

±

-

±

+

+

±

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

±

o

o

±

o

±

±

o

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

III

1

+

o

o

+

o

-

-

o

 

2

+

+

+

+

-

-

-

-

 

3

+

-

-

+

+

-

-

+

 

4

+

±

±

+

±

-

-

±

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

±

o

o

±

o

±

±

o

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

IV

1

o

-

-

o

+

o

o

+

 

2

-

-

-

-

+

+

+

+

 

3

+

-

-

+

+

-

-

+

 

4

±

-

-

±

+

±

±

+

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

o

±

±

o

±

o

o

±

 

 

 

 

Par exemple, dans le vecteur du Contact (C), si m+ est une position occupée de manière stable et quantitativement supérieure à d+ ou d-, on pose en principe qu'on se trouve dans la première période du circuit du Contact; si d- domine, on est dans la deuxième période et ainsi de suite, la quatrième période impliquant que la position dominante est m-.

Le facteur dominant peut être qualifié de modulant en ce sens qu'il régule, détermine, module le sens que prend la réaction complémentaire, la réaction d dans l'exemple choisi ici.

Suivant que la réaction en d est nulle (o), négative (-), positive (+) ou ambivalente (±), la réaction m+ restant dominante-modulante, on considère qu'on est dans les temps - ou moments ou stades - premier (C o+), deuxième (C -+), troisième (C ++) ou quatrième (C ±+) de la première période du circuit de la pulsion du Contact.

Lorsque l'enfant est au sein ou que le sein est à portée, immédiatement disponible, le besoin d'accrochage à la mère peut varier en intensité - de m+ à m+!!! - mais la question du manque d'objet ne se pose pas parce que les choses se passent comme si l'enfant ne doutait absolument pas que l'objet, réel en l’occurrence, soit à tout instant disponible. Si l'objet vient à manquer, l'enfant manifestera son besoin du sein par de l'agitation, des cris...et, comme le note très justement Freud, ce qui va se modifier, c’est avant tout son humeur. Bien que le terme utilisé par Freud soit ici, non pas Stimmung  mais Gemüt,  c'est bien de la manière basale de "se trouver" - bien ou mal -, de la Befindlichkeit, qu'il s'agit, et c'est de cela qu'il est question dans le vecteur du Contact.

C'est seulement dans le temps second de la première période du circuit du contact (C-+) que, "retenant" (d-) du sein réel l'engramme re-présentatif de celui-ci, l'enfant pourra halluciner le sein et obtenir la satisfaction auto-érotique. Autrement dit le passage en d- implique l'entrée en jeu du travail de la re-présentation, le rebroussement dans le fantasme qui sous-tend la satisfaction auto-érotique.

Le deuxième temps de la première période du contact (C-+, I 2 ) peut être qualifié suivant les cas d'hallucinatoire, auto-érotique, narcissique ou imaginaire. C'est un temps régulé par le principe de plaisir.

Dans un troisième temps, l'échec de la satisfaction hallucinatoire d'une part, la nécessité imposée par la réalité - le "Not des Lebens" - ou l'autorité d'autre part, vont pousser l'enfant à rechercher dans la réalité (d+) un objet de remplacement - un "Ersatz" - susceptible de lui permettre de retrouver une satisfaction analogue à la satisfaction première. Tant que le souhait de retrouver cette satisfaction-là domine la vie pulsionnelle, on ne sort pas de la première période, dominée par la tendance m+.

Ainsi, la réaction C ++ , I 3 , est celle d'un sujet qui est perpétuellement en quête d'un objet de la réalité extérieure qui pourrait lui rendre le "bonheur perdu".

Ce troisième temps de la première période du circuit du Contact peut être qualifié tantôt de réaliste, objectal, "nécessiteux" ou illusoire, mais toujours mû par le principe de réalité au sens où l'entend Freud.

C'est parce que l'objet premier, le sein réel, est à jamais perdu et ne peut être retrouvé ni dans l'hallucination ni à travers ses innombrables Ersätze, qu'un quatrième temps vient à succéder aux trois premiers.

Dans ce quatrième temps ( C±+, I 4), le doute s'installe quant à la possibilité de trouver jamais un objet qui permettrait de retrouver la satisfaction première et plénière. L'objet est perdu pour de bon.  L'ambivalence survenue dans la quête de l'objet (d±) provoque éventuellement la crise ( C ±± > C o± ) qui aboutit à remettre en cause le principe même de l'idéal de satisfaction première et l'objet qui en était porteur, c'est-à-dire, in fine, la mère originaire, l'Urmutter.

Si le sujet poursuit son évolution dans le cycle de la pulsion du Contact, il entre dans la deuxième période, dont le premier temps est caractérisé par le repli narcissique sur le corps propre.

Si, comme nous l'avons fait pour la première période en invoquant le rapport mythique au sein, nous tenons ici pour paradigme l'installation dans la phase anale du développement libidinal, nous nous représentons le premier temps de la deuxième période ( C -o , II 1) comme le moment où l'enfant fait imaginairement corps avec ses selles vécues comme prolongement narcissique du corps propre, produit précieux entre tous, comme l'avare fait corps avec sa cassette, la mère avec son enfant, le père avec sa famille, l'ouvrier avec son travail, l'artiste avec son oeuvre, l'homme avec sa patrie, sa religion, ses idées, etc.

Le deuxième temps (C -+ , II 2 ) où d- régule ou module m+, correspond au besoin de renouer le contact avec le monde environnant, la suffisance narcissique qui caractérise la position C -o étant devenue aussi intenable que l'était  le C -+ de la première période. On voit bien ici que, selon qu'on se trouve dans la deuxième ou la première période du circuit du contact, la même réaction C -+ reçoit des acceptions différentes voire radicalement opposées. C'est là une des difficultés majeures de l'interprétation du test de Szondi ; on le comprend facilement à partir de cet exemple.

C'est parce que la "demande à l'autre" ou  le "désir du désir de l'autre" échoue d'une manière analogue à ce qui s'était produit dans la quête d'un objet de remplacement (C++) que le sujet en vient éventuellement à se dire qu'il ferait mieux de se passer des autres et de se retirer du monde ( C - -, II 3), le doute surgi sur la question du rapport au désir de l'autre (m±), confondu ici avec le rapport au monde - « le monde s'en fout, que j'y sois ou que j'y sois pas! » - ce doute sur la question du rapport au monde, de son importance, de sa valeur ou de sa nécessité, introduit le sujet dans le temps quatrième de la deuxième période (C -± ,II 4).

Nous pourrions prolonger ces considérations jusqu'au bout et fournir les exemples les plus illustratifs possibles pour les quatorze périodes suivantes.

Nous espérons avoir été suffisamment clair pour que notre démarche soit comprise lorsque nous utiliserons cette méthode.  Disons encore que conformément à cette théorie, les positions les plus spécifiques sont, selon les périodes, pour chacun des vecteurs:

              C I 1 càd C o+

              S II 2 càd S +-

              P III 3 càd P +-

              Sch IV 4 càd Sch ±+

ce qui pourrait se traduire de la manière suivante : un sujet n'est jamais autant "dans" la position contactuelle qu'en C o+, sexuelle qu'en S +-, éthico-morale qu'en P +- et subjectale qu'en Sch ±+.

Le temps quatrième de chaque période est toujours, comme nous espérons l'avoir fait comprendre, le moment où le sujet fait retour sur lui-même, se pose des questions sur ce qui vient à lui faire problème dans un champ particulier, y réfléchit, bref en vient à se poser comme "sujet de" la pulsion autant que "sujet à" la pulsion, voire "sujet contre" (gegen) la pulsion, ce qui nous induit à retenir pour caractériser ce moment le qualificatif de "subjectal", le troisième temps pouvant être rétrospectivement qualifié d'"objectal", le deuxième de "narcissique" et le premier de "pré-objectal", d'autres qualifications restant possibles à la condition de s'en tenir à des corps de concepts homogènes ou homologues, telle que, par exemple, la série posée par Freud dans son étude sur Schreber :

auto-érotisme>narcissisme>homosexualité>hétérosexualité;

ou ailleurs :

principe de constance>principe de plaisir>principe de réalité>au-delà du principe de plaisir;

moi-réalité du début> moi-plaisir (Lust-Ich) > moi-réel (Real-Ich) > moi-réalité-définitif (Endgultiges Real-Ich)...

1.4 Les profils moyens

Les profils moyens tels que nous les approchons est une nouveauté à notre connaissance. Ils ne sont pas expliqués dans la thèse de M. Stassart.

Nous faisons la somme des choix bruts dans chaque polarité de chaque facteur aussi bien à l’avant-plan qu’à l’arrière-plan. Puis, nous faisons la somme des + pour l’avant-plan et l’arrière-plan et nous obtenons un sous-total pour les +. Nous faisons de même pour les -.

Nous faisons la somme de ces deux sous-totaux pour obtenir le nombre de choix total pour le facteur à l’avant-plan et à l’arrière-plan. Ce total est le même pour tous les facteurs. Puis nous convertissons en pourcentage par rapport au total et par rapport au sous-total.

 

 

av

ar

T

 

av

ar

T

 

av

ar

T

 

av

ar

T

h+

12

9

21

s+

29

4

33

e+

15

17

32

hy+

7

21

28

h-

21

18

39

s-

18

9

27

e-

10

18

28

hy-

14

18

32

 

av

ar

T

 

av

ar

T

 

av

ar

T

 

av

ar

T

k+

12

17

29

p+

15

18

33

d+

16

17

33

m+

14

17

31

k-

10

21

31

p-

12

15

27

d-

18

9

27

m-

17

12

29

 

     Ainsi, le total pour h = 60. Donc, (39 / 60) 5100 nous donne 65% pour  h-. De même, le sous-total pour l’avant-plan nous donne 12 + 21 = 33. Et (21 / 33)5100 nous donne 64% environ de h- à l’avant-plan.

Finalement si nous faisons cette procédure pour l’ensemble des facteurs, nous obtenons : 1 - un pourcentage total pour la polarité la plus importante du facteur, 2 - un pourcentage qui donne la polarité la plus importante du facteur à l’avant-plan et 3 - un pourcentage qui donne la polarité la plus importante pour l’arrière-plan.

Par exemple, en ne considérant que les pourcentages les plus élevés, le total pour h est de 65% en faveur pour h-, il est de 64% pour h - à l’avant-plan et de 67% pour h- à l’arrière-plan.

Une fois calculé tous ces pourcentages, il est précieux de savoir les situer par rapport aux accentuations. C’est dans ce sens que nous avons eu l’idée assez simple de reprendre les proportions de base. Ce qui est surtout intéressant, c’est de connaître les limites supérieures de chaque « étage » (±, ±!, + ou -, !, !!, !!!).

·   ± est obtenu par un rapport dont la limite supérieure est de 3/2 (ou 2/3). Donc, sur 5 choix, 3 sont posés comme le plus haut niveau : si nous divisons 3 par le total des choix (5), nous obtenons 60%.

·   ±! est obtenu par un rapport de 4/2 (ou 2/4), donc 6 choix au total : 4/6 = 66%.

·   Les réactions + et - dans leur limite supérieure sont obtenues par un rapport de 3/1 ou de 1/3, donc 4 choix au total : en divisant 3 par 4, nous obtenons comme limite supérieure 75%.

·   Une accentuation est obtenue par le rapport 4/1 ou 1 /4 : donc 4 /5 nous donne 80%. Deux accentuations : 5/1 ou 1 /5 : donc 5/6 c’est-à-dire 83%.

Résumons :

    ±          : jusque 60%
            ± !        : de 61% jusque 66%
            + ou -   : de 67% jusque 75%
            !           : de 76% jusque 80%
            !!          : de 81% jusque 83%
            !!!         : à partir de 84%

Le profil moyen dans ce cas-ci sera :

Total :     h±!            hy±                   
Avant-plan :     h±!    s+        hy±!                  
Arrière-plan :   h-      s-          hy±                d±!  

Nous désolé d’avoir pris comme exemple un profil « monotone » avec une majorité de ± mais ce n’est pas le cas pour tous et des différences marquantes se font jour rapidement.

L’analyse des profils moyens devrait se faire comme d’habitude puisque les proportions de base sont respectées.

Dans le même sens de simplicité, nous avons opté pour une lecture en terme de position dans les circuits pulsionnels pour chaque facteur à l’avant-plan et à l’arrière-plan sur base des chiffres obtenus par la somme des choix bruts.

Cela nous donne le chiffre 1 (première position) pour h+, m+, e- et p-.

Le chiffre 2 pour s-, d-, hy+ et k +.

Le chiffre 3 pour s+, d+, hy- et k-.

Et le chiffre 4 pour h-, m-, e+ et p+.

La traduction du tableau précédent nous donne ceci :

                     Av           Ar                                                            Av           Ar

     h              4              4              65% 4                    s              3              2              55% 3
                e             4              1-4          53% 4                    hy           3              2              53% 3   
                p             4              4              55% 4                    k              2              3              52% 3   
                m            4              1              52% 1                    d             2              3              55% 3

 

Nous voyons d’emblée où se situe les positions plus fusionnelles (1), celles où la réalisation de soi est la plus poussée (4), celles où le principe de plaisir est dominant (2) est celles où le principe de réalité prédomine (3).

Nous les avons groupés de telle manière à voir les facteurs « états » ou directeurs (h, e, p, m) et les facteurs médiateurs (s, hy, k, d) en vis-à-vis. Les facteurs médiateurs sont ceux par lesquels, dans le circuit, on passe entre les deux extrêmes (positions 1 et 4). Un facteur médiateur en 2 est plus proche d’un état de départ (1) tandis qu’un facteur en 3 est plus proche d’un état final (4).

Nous pouvons enfin compléter ce petit tableau par les pourcentages totaux qui donne la polarité du facteur la plus importante et qui est retraduite en termes de position dans le circuit par un chiffre compris entre 1 et 4 qui accompagne le pourcentage.

2. Trois niveaux d’analyse

Le premier niveau consiste en données générales qui situent le créateur dans sa démarche : ce sont quelques repères. Ensuite, viennent les indices du test. C’est le point de vue « macroscopique ».

Le deuxième niveau est caractérisé par les profils « moyens » et la lecture selon les positions dans les circuits. C’est un niveau intermédiaire.

Le troisième niveau est l’entrée dans le point de vue « microscopique ». Nous nous attacherons à saisir à travers les commentaires les significations possibles des différents profils. Nous verrons en quoi la théorie peut éclairer l’interprétation des « balises » du processus de création. Nous nous attacherons à une sélection de profils sensés être les plus « éclairants ». C’est ainsi que nous ne saurions pas nous atteler à l’analyse « profil par profil » selon les commentaires car cela serait fastidieux et plus encombrant qu’utile puisque la masse d’informations serait énorme.

La grille d’accompagnement

1. Finalité

Cette grille a été utilisée afin de pouvoir cerner différents aspects suspectés dans le processus de la création. L’idée est d’« étoffer » les profils d’informations susceptibles d’éclairer ceux-ci. Nous ne savions pas comment établir des critères d’évaluation parallèles au testing. Nous nous sommes fiés à notre expérience personnelle qui est le fruit d’une grande écoute de plusieurs années au côté de personnes sujettes à la création. Une rubrique « commentaires » termine la grille. Elle sert d’espace blanc pour des traits non formulables en termes quantitatif.

Cette grille quoique incomplète et subjective a le mérite de lancer quelques bornes avec lesquelles le créateur va se positionner.

2. Description

Elle est constituée de sept continuums reprenant chacun un aspect bipolaire de ce que nous suspectons comme important dans la création.

Chaque continuum comprend deux pôles antinomiques dont un maximum est fixé arbitrairement à 100% de chaque côté. Au milieu de ce continuum réside le point « zéro » où les deux pôles se rejoignent sans que ni l’un ni l’autre ne prédomine. Le sujet est invité à cocher sur le continuum pour se positionner. Il peut le faire comme il le veut (une ou deux croix par exemple). Il peut aussi faire des commentaires sur ses choix.

La consigne stipule au sujet de cocher les continuums selon son état d’esprit au moment du testing. Or, surtout au début, nous avons remarqué que les sujets cochaient selon une sorte de « bilan » des derniers jours qui précédaient le testing. Nous ignorons dans quelle mesure ce biais d’évaluation de nos sujets a affecté la précision des données.

Les continuums

Continuum n°1

Deux pôles : le monde des autres et son monde à soi.

« Le monde des autres » rassemble l’ensemble des règles, conventions en vigueur socialement. L’envie de partager avec les autres, d’être disponible, de ne pas trop avoir d’exigences personnelles. Le monde tourne et soi avec lui dans une communion. C’est aussi la prégnance du regard de l’Autre en soi. La réalité des autres, la vraisemblance de la réalité sociale sont des choses auxquelles on participe.

« Son monde à soi » rassemble tout ce qui fait partie spécifiquement de son monde. C’est l’intérêt pour ses préoccupations personnelles. Son regard personnel est prégnant sur celui des autres. Ce qui concerne l’Autre est évacué, il ne reste que ce qui concerne le soi. La vraisemblance de la réalité sociale est mise en cause. Il n’y a plus de participation.

Continuum n°2

Deux pôles : l’attachement et le détachement.

C’est le point de vue de l’Autre qui est utilisé ici : attachement à l’Autre et détachement par rapport à lui.

L’attachement concerne ce qui nous attache, ce qui fait que l’on tend vers quelque chose, qu’on s’en rapproche. C’est l’établissement d’un processus qui nous lie à cette chose. Le détachement nous détache de cette chose, on s’en éloigne, cela nous délie de notre relation à cette chose qui devient moins importante presque virtuelle.

Par exemple, dans la relation à l’Autre, l’attachement s’exprime par le fait de penser à l’Autre, d’avoir envie d’être avec, d’avoir difficile d’être séparé de lui, il manque quelque chose quand il n’est pas là et intérieurement, une force tend à le retrouver.

Le détachement s’exprimera par l’inverse de l’attachement. Notamment, par un flux intense de question qui met en suspens la participation à la chose pensée. Une question ouvre une brèche conceptuelle dans le lien participatif à une chose. Le domaine des questions est d’autant plus original que le détachement opère. Il y a un côté « magique dans l’air », on ne « colle » pas au réel. C’est la prégnance de son propre regard sur soi et sur les choses. La vraisemblance du monde est évacuée dans le domaine où agit le détachement.

Continuum n°3

Deux pôles : l’envie de se conformer et l’envie de créer.

C’est la tendance à « rentrer dans les rangs » ou à en sortir. C’est la différence entre pensée convergeant vers les normes et une pensée divergeant des normes.

Continuum n°4

Deux pôles : le sentiment de dispersion de soi et celui d’unité en soi.

Le sentiment de dispersion consisterait à se sentir vague, confus, incohérent, comme si on était un « peu morcelé ». Il y a un manque d’unité interne. Les choses ne vont pas de soi, on a dû mal à « rassembler ses nougats ». Le sentiment d’unité est à l’inverse de celui de dispersion. Nous pourrons dès lors avoir une idée des schismes subjectifs.

Continuum n°5

Deux pôles : l’angoisse et la paix intérieure.

L’angoisse ou l’absence d’angoisse prédomine. Par angoisse, nous entendons ce que la plupart des gens entendent. Nous ne cherchons pas à être précis quant à la définition d’une angoisse, nous voulons simplement que le créateur coche vers le pôle « angoisse » quand il se sent angoissé. Cela nous signale ses difficultés.

Continuum n°6

Deux pôles : exister au quotidien spontanément ou avec effort.

Exister avec effort au quotidien, c’est faire un effort pour maintenir les différentes choses qui font le quotidien comme aller faire les courses, se laver, se lever, préparer le repas et le manger, rendre visite, aller travailler,... Tous ces choses demandent un effort quand on coche vers le pôle « exister avec effort », un effort plus grand que d’habitude.

Exister spontanément, c’est vivre le quotidien de manière spontanée, sans qu’il soit question de faire un effort, « ça roule », c’est automatique, la vie coule et soi avec elle.

Continuum n°7

Deux pôles : un flux créatif en soi nul ou intense.

Le flux créatif consiste dans ce flux d’idées, de pensées, d’images, de sons,... qui ressemblerait à un fleuve que l’on sent se déverser dans son être. Toutes ces choses auraient pour caractéristique d’être en phase avec la recherche créatrice de la personne. Le débit de ce fleuve est variable.

Par exemple, un flux intense pour un compositeur serait une imagination débordante pour mettre en chanson une idée, un sentiment. Les mots afflueraient abondamment, riches en association, percutants,...

Nous signalons dans les commentaires la production créatrice qui est différente du flux créatif en soi dans le sens où la production est la réalisation concrète du faire-oeuvre.

Approche méthodologique

1. Généralités

Il s’agit de trouver une information récurrente, un fil conducteur à travers les différents paramètres mis en place. Or, ce qui est constant, c’est la variation. Par exemple, pour Jeanne, cette inconstance suit de très près les différents stades qu’elle considère nécessaire pour créer ou pour reprendre le contact avec l’Autre.

Les repères stables et redondants sont souvent absents : ça bouge beaucoup, c’est variable, cela évolue et s’adapte aux nouvelles données de leur vécu.

L’émergence d’une idée propice à la démarche créative peut survenir à n’importe quel moment, la saisie de cette idée par contre peut être postposée. Patrick saisit le mouvement tournoyant de sa cuillère dans son café et modifie le mouvement de son pinceau quand il peint. Jeanne est prise par une forme « intéressante » en regardant des épluchures.

Bien souvent, la fatigue du corps vient stopper le processus. Le rythme est variable parce que chaque jour apporte sa moisson de modifications auxquelles il faut s’adapter et le processus de création fait avec. Donc, ce n’est pas un processus nécessairement continu-homogène et les profils même à intervalles fixes ne vont pas capter des stades successifs qui se suivent en file indienne. Parfois, rien ne sera mis en place pendant une semaine ; un autre jour, deux heures sur la journée seront consacrées à la création et le reste de la journée se passera pour finir devant la télé le soir. D’autres moments, une poussée créative exigera plus de temps pour soi et la personne sera indisponible pendant trois jours. Donc, nous observons des moments créateurs ponctuels, impulsifs et ce que nous appellerons des périodes créatives plus continue.

Cerner un processus très variable dans le temps est difficile. Il y a une rythmique de création différente d’une personne à l’autre et au sein même d’une personne. Cela peut rendre très complexe la recherche du fil conducteur. La question devient : comment cerner quelque chose dont on n’a pas le déroulement à plat ?

Par un aller-retour continuel entre les éléments théoriques, la clinique, la réflexion du créateur et la nôtre, grâce aussi à la richesse d’un vécu de longue date ainsi qu’une écoute toujours attentive. Tout cela s’agrège en une constellation signifiante autour de laquelle gravite ce qui s’inscrira ultérieurement quand la configuration du noyau le permettra.

Tout cela pose la question de la grille de lecture du moment du testing. On démarre avec une théorie qui permet de comprendre plus ou moins ce qui se passe. Puis, l’aller-retour entre la théorie et l’empirie aboutit à un affinage de la grille qui se précise de plus en plus. Cela est facilité quand le créateur possède un regard et une expérience de son vécu créatif, il s’agit en quelque sorte d’une perception de soi consolidée par une capacité à verbaliser ce vécu. Cela nécessite un vocabulaire approprié. Parfois, nos sujets seront précis parfois ils seront très vagues.

Nous espérons trouver ces précisions chez de « vieux routiers » de la création. Ils ont parcourus les routes de la création et ses pièges pour arriver à une meilleure gestion de leur processus c’est-à-dire une plus grande maîtrise, d’où le terme de création sculptée. De notre côté, notre expérience de vie dans un milieu créatif est un atout majeur pour accompagner ces personnes lors du testing. Seulement, pour que le créateur nous parle de son vécu, il doit avoir une certaine confiance dans notre démarche.

Le psychologue n’est pas toujours le bienvenu chez les créateurs et cette attitude semble, parfois, justifiée par des expériences « malheureuses ». Il n’est pas rare qu’un créateur se retrouve dans les « zones d’ombre » de la société surtout dans sa jeunesse et qu’il doivent rencontrer des psychologues pour des événements malencontreux sans pouvoir communiquer sa manière d’être pour d’innombrables raisons mais dont la première est l’absence de rencontre entre le psychologue et le créateur. Ce mémoire est une tentative pour surmonter ce « mur ».

2. L’entretien et la passation

L’aménagement du test dans la rencontre passait par la démystification de l’approche psychiatrique pour aboutir à une approche plus philosophique. La raison en est simple, le plus souvent, le mot « psychiatrie » est associé avec « contrôle » et « répression » dans l’esprit de la plupart des personnes que nous avons rencontrées. 

 Le testing était placé dans un cadre où la parole et la rencontre venaient au premier plan. Ces entretiens, le plus souvent, avaient une fonction de réassurance aussi bien pour eux que pour nous : cet espace de parole ouvrait un espace commun. Nous insistons sur le fait que c’était notre curiosité et notre soif d’en savoir plus qui nous amenait à parler longuement avec eux. Nous essayions d’être le moins académique possible.

Nous avons peu standardisé (§) les rencontres pour laisser une plus grande souplesse à ce qui advenait (le moment dépendait de leur disponibilité, le cours de l’entretien prenait la couleur du jour, les questions émergeaient au fur et à mesure que l’échange d’idée prenait forme,...) à part le fait que, pour la plupart, le testing avait lieu en fin d’entretien afin de donner la primauté à l’aspect rencontre plutôt que l’aspect étude sur les créateurs.

Donc, grosso modo, l’entretien était suivi du testing lui-même parfois suivi encore d’une discussion. Nous allions chez eux le plus souvent. Il nous est arrivé de ne pas tester (§) malgré notre déplacement. Ces cas illustre le fait qu’il n’est pas souhaitable de forcer un état d’esprit peu compatible avec le test pour la simple raison que cela signale au créateur notre respect pour sa sensibilité. Le plus souvent, ces personnes parlaient de leur création et nous expliquaient leur vécu.

Il est intéressant de noter que, du point de vue du créateur, le fait de rencontrer un étudiant qui fait son mémoire introduit la dimension d’une personne avec son espace-temps, son discours, son regard dans la sphère du créateur. Ceci n’est pas négligeable pour des créateurs qui essayent souvent d’échapper à l’emprise du réel et de l’Autre : notre corps est un espace-temps incontournable pour leur perception, la présence des vibrations de notre voix, nos gestes vont orienter sa sensorialité vers une saisie dont justement il essaye de dépasser.

Cela signifie que lorsqu’il nous rencontre le créateur a « préparé » son mental à nous recevoir et parfois sa poussée créative peut être si prégnante que, parfois, nous pourrions le déranger simplement par notre présence.

Ainsi, aller vers un créateur, c’est aussi introduire la dimension de l’Autre dans son univers créatif, c’est parfois l’ancrer dans un réel lourd pour sa sensibilité galopante.

Un dernier point concerne l’utilisation du test de Szondi pour cerner un processus. Jeanne formulait le fait que c’est gênant de suspecter chez ces gens (les photos du test) des problèmes c'est-à-dire de voir en eux des « anormaux ». Approcher la création avec les visages de l’anormalité était pour Jeanne tendancieux dans le sens où, elle peut déduire que l’anormalité est adéquate pour cerner le processus de création; ce contre quoi, elle s’insurge. Cela lui a demandé un travail personnel pour dépasser cette barrière. Elle concluait en disant qu’il faut oublier leur anormalité malgré que cela saute aux yeux. Finalement, pour elle, tout repose sur la confiance qu’elle met dans notre démarche.

Ce propos montre que l’utilisation d’un test, la démarche du mémoire en elle-même peut susciter une sélection inconsciente des informations reçues dans le sens d’une occultation de l’essence du phénomène créatif. La mise en confiance « de nos sujets » sur base d’une intégrité personnelle est pour nous un point méthodologique de première importance.

 

Bibliographie

1- DERI S.(1949). Introduction au test de Szondi. Traduction de Jean Mélon. Bruxelles, De Boeck Université, 1991.

2- FREUD S.(1914). Pour introduire le narcissisme. In La vie sexuelle, Paris, PUF, 1970.

3- FREUD S. (1923). Le moi et le ça. In Essais de Psychanalyse. Paris, Payot, 1973.

4- FREUD S.(1921). Psychologie collective et analyse du moi. In Essais de Psychanalyse. Paris, Payot, 1973.

5- FREUD S. (1912). Pour introduire la discussion sur l'onanisme. In Résultats, Idées, Problèmes I. Paris, PUF, 1980.

6- LAPLANCHE J. et PONTALIS J.B. Fantasme originaire, fantasmes des origines, origine du fantasme. Les Temps Modernes, 215, 1964.

7- LEGRAND M. Léopold Szondi, son test, sa doctrine. Mardaga, Bruxelles, 1979.

8- MELON J. Théorie et pratique du Szondi, Liège, Presses Universitaires de Liège, 1975.

9- MELON J. Le point de vue szondien sur la période de latence. Feuillets psychiatriques de Liège, 13, 1980.

10- MELON J. Positions pulsionnelles, fantasmes originaires et système des pulsions. Feuillets Psychiatriques de Liège, 1980, 13, 1. Une version abrégée de cet article a paru  sous le titre "Fantasmes originaires selon Freud et système szondien des pulsions" dans Psychanalyse à l'Université, Paris, 1980, 5, 20, pp.673-680.

11- MELON J. Révision de la doctrine szondienne des pulsions. Montpellier, Fortuna, Bulletin du groupe d'études szondiennes de Montpellier, septembre 1987, n° 3.

12- MELON J. et LEKEUCHE P. Dialectique des Pulsions. De Boeck Université, Bruxelles, 1990.

13- SCHOTTE J. Notice pour introduire le problème structural de la Shicksalsanalyse. Zurich, Hans Huber, Szondiana 5, 1964, pp.114-201. Repris dans Jacques Schotte. Szondi avec Freud. Sur la voie d'une psychiatrie pulsionnelle. Bruxelles, De Boeck-Université, 1990.

14- SCHOTTE J. Recherches nouvelles sur les fondements de l'Analyse du Destin. Notes de cours 1975-76. Archives Szondi, Louvain-la-Neuve.

15- STASSART M. Adolescence, post-adolescence et processus décisionnel - une étude szondienne. Thèse de Doctorat, U.L.G, Liège, 1995. Les monographie du CEP, Les Editions du CEP (Centre d’Etudes Pathoanalytiques), Bruxelles, 1995.

16- SZONDI L. Schicksalsanalytische Therapie. Bern, Hans Huber, 1963.

 

 


Table des matières

Contours théoriques...................................................................................................................................

1. Définition.............................................................................................................................................................

·  Différence entre créativité et création....................................................................................................

2. La personnalité du créateur.............................................................................................................................

3. Panorama théorique des courants..................................................................................................................

4. Identification héroïque du créateur...............................................................................................................

5. Travail de l’inconscient et du conscient dans la création.........................................................................

6. Phases du travail de création selon Anzieu..................................................................................................

7. Approche théorique Szondi - Empirie............................................................................................................

Focalisation sur les vecteurs C et Sch........................................................................................

Le vecteur du moi            

p -...............................................................................................................................................................................

k +..............................................................................................................................................................................

Illustration par l’adolescent................................................................................................................................

p +.............................................................................................................................................................................

k -...............................................................................................................................................................................

La position k - et la société.................................................................................................................................

Le vecteur C       

m -..............................................................................................................................................................................

m +.............................................................................................................................................................................

d+..............................................................................................................................................................................

d -...............................................................................................................................................................................

Le schéma du cycle........................................................................................................................................

1. Les axes         

2. Les quartiers 

1. Quartier k + p -...................................................................................................................................................

1. Passage de k- à k+..............................................................................................................................................

2. La « faille ».........................................................................................................................................................

2.1 La « blessure à l’Autre »..............................................................................................................................

2.2 La haine.......................................................................................................................................................

2.3 Sens psychanalytique possible de la faille....................................................................................................

Meurtre symbolique du père      

2.4 Lecture philosophique de la faille.................................................................................................................

2.4.1 « Que philosopher est apprendre à naître »               

2.4.2 Commentaires      

2.5 Illustration de la faille par un profil..............................................................................................................

3. Percevoir, c’est voir la différence........................................................................................................................

4. La sensorialité et la perception............................................................................................................................

5. La sidération.......................................................................................................................................................

6. Le détachement ou « décollage ».........................................................................................................................

7. La saisie..............................................................................................................................................................

8. Sensorialité et travail des sens.............................................................................................................................

Sens de la spécularité.........................................................................................................................................

9. La sédimentation.................................................................................................................................................

2. Quartier k + p + ................................................................................................................................................

1. Rapport à soi-même............................................................................................................................................

Le versant absolu du rapport narcissique.................................................................................................

Le versant relatif du rapport narcissique...................................................................................................

2. La fiction créative est fiction différenciatrice.......................................................................................................

3. La recherche de l’indifférenciation......................................................................................................................

4. L’essence : le choix total.....................................................................................................................................

5. En quoi une création est un autre ?......................................................................................................................

6. Autopoièse..........................................................................................................................................................

3. Quartier k- p +....................................................................................................................................................

1. Comment dépasser le désir de la toute-puissance ?.............................................................................................

L’analyse de G. Bonnet sur le narcissisme........................................................................................................

a. La disparition et le culte du Phallus     

b. Némésis et la punition de Narcisse    

c. Le mauvais oeil ou choc en retour       

d. Réalisme de l'inconscient et la disparition       

e. L'histoire de Léonard de Vinci              

f. Le choc en retour et l'appareil narcissique        

g. Le bouclier de Persée             

h. L’Autre, l'amour et le néant : une valse à trois temps     

2. Conséquences sur le processus de création.........................................................................................................

2.1 La disparition de soi.....................................................................................................................................

2.2 La limite au processus de création................................................................................................................

2.3 Attachement.................................................................................................................................................

2.3.1 Hypnose - Amour - Point de vue de Freud  

2.3.2 Base théorique     

2.4 Dialectique de l’attachement et du détachement............................................................................................

2.4.1 Lecture philosophique       

2.4.2 La pensée doit être freinée...           

2.5 L’amour de l’Autre......................................................................................................................................

4. Quartier k - p -.....................................................................................................................................................

Articulation de l’interprétation selon Maldiney - Mélon.......................................

1. Fusco et la catatonie.............................................................................................................................

2. Faire-oeuvre.........................................................................................................................................

3. Egosystole et égodiastole.....................................................................................................................

4. Ontogenèse et p-..................................................................................................................................

5. Créer et tension en p.............................................................................................................................

6. Faille et psychose.................................................................................................................................

7. Abstraction et Einfühlung....................................................................................................................

8. Passage de la faille...............................................................................................................................

9. La fonction k........................................................................................................................................

10. La position k-.....................................................................................................................................

11. La position k+....................................................................................................................................

12. L’identification au Père primitif..........................................................................................................

13. Limite à la création.............................................................................................................................

Discussion...............................................................................................................................................................

Passage de l’indifférenciation à la différenciation dans la Création.........

1. Les faits............................................................................................................................................................

2. Principe.............................................................................................................................................................

3. La mesure du processus de création..................................................................................................................

4. La « menace de Jocaste »..................................................................................................................................

Mythe d’Oedipe et de Jocaste................................................................................................................

5. Le parcours de l’individuation = parcours créatif..............................................................................................

6. La création comme travail psychique produisant la différence..........................................................................

7. La castration symbolique..................................................................................................................................

8. Création sculptée...............................................................................................................................................

Illustration.....................................................................................................................................................

Bibliographie...................................................................................................................................................


 

Approche théorique

Contours théoriques

1. Définition

Il existe beaucoup d’approches de la création et nous pensons que chaque approche possède son type de définition.

Au cours de ses séminaires, Jean Mélon (18) proposait ceci :

« Qui dit création dit rupture avec quelque chose de répétitif. Le créateur est seul dès lors qu’il s’inscrit en dehors de la répétition. »

Avec ce point de vue, nous sommes d’emblée projeté dans l’hypothèse de notre mémoire. En effet, la rupture avec la répétition suppose une logique d’éloignement. Une distanciation est posée vis-à-vis de ce qui se répète. Nous pouvons aussi cerner le connu, le social comme la répétition de conventions et de règles dont l’inertie représentationnelle est un des facteurs principaux.

Une fois en dehors de la répétition, le créateur se retrouve seul, seul à ne pas répéter. Un individu dit « non » et rejette les scénarios qui font fonctionner la plupart des gens, il doit trouver pour chaque jour qui passe sa ration de sens pour continuer. Il sait l’enjeu d’une telle rupture. Non seulement, il va le plus souvent prendre ses distances par rapport aux autres mais il va se distancier aussi de ses représentations personnelles qui le freine dans sa démarche. Double schisme à la racine c'est-à-dire la foi dans l’Autre. (con - fiance : avec la foi)

C’est souvent dans la nudité de son être que le créateur passe par la « petite porte du destin », seul parmi les autres et seul en lui-même.

Si nous sommes être et humain, la création n’est pas humaine, elle ne fait pas partie de l’espèce humaine qui obéit à la répétition du programme « humain »; par contre, l’être peut se charger de cette percée à la tangente de l’esprit.

Créer est un drame car c’est porter sa faille. L’être humain fonctionne dans une faille et le créateur ne l’oublie pas. Quelqu’un nous dit souvent que l’espèce humaine est une espèce qui n’a pas de chance. Et si cette « malchance » était une chance ? Cela doit ressembler à ça le point de vue d’un créateur.

·                      Différence entre créativité et création

D’après un extrait de Proust, Didier Anzieu (3, p.4) dit que :

« La créativité se définit comme un ensemble de prédispositions du caractère et de l’esprit qui peuvent se cultiver et que l’on trouve sinon chez tous, comme tendent à le faire accroire des idéologies à la mode, du moins chez beaucoup. La création, par contre, c’est l’invention et la composition d’une oeuvre, d’art ou de science, répondant à deux critères : apporter du nouveau (faire quelque chose qui n’a jamais été fait), voir sa valeur tôt ou tard reconnue par un public. Ainsi définie, la création est rare. La plupart des individus créatifs ne sont jamais créateurs : ce qui fait la différence, comme le dit Proust de Bergotte, c’est le décollage. »

Nous reviendrons amplement sur ce « décollage » car comme le dit l’extrait, c’est lui qui fait l’essence de la création et, c’est pour cette raison que nous concentrerons notre mémoire autour de ce décollage. Pour plus de clarté, nous le désignerons par le terme « détachement ».

2. La personnalité du créateur

Nous reprenons la description que donne Godefroid (14) de la personnalité des créateurs :

« L’individu créateur est, en effet, essentiellement anticonformiste. C’est son indépendance de jugement qui lui assure la possibilité d’explorer des voies dans lesquelles les autres n’osent se risquer par crainte du ridicule.

Tout le système d’éducation mis en place par la société est axé sur le conformisme. C’est le moyen le plus sûr d’assurer la cohésion entre les membres du groupe, mais c’est aussi la façon la plus radicale d’empêcher tout épanouissement de la pensée créatrice.

Sur le plan social, il ne s’intègre pas aisément à la vie d’un groupe bien qu’il soit ouvert aux autres et relativement populaire. De la même façon, il n’accepte de partager les valeurs des autres que si elles correspondent à celles qu’il défend. Il est pourtant peu dogmatique et possède une conception toute relative de la vie et du monde ainsi que du sens à donner à ses actes. C’est une personne éclectique, toujours curieuse et soucieuse d’intégrer des données glanées dans différents domaines. Le créateur aime s’amuser, ayant toujours la tête remplie d’idées farfelues. Il préfère ce qui est complexe et nouveau à ce qui est simple et habituel. Ses perceptions des choses sont sans cesse renouvelées.

Il a le plus souvent conservé le don d’émerveillement propre à l’enfance et est capable de s’émouvoir devant une fleur comme devant une découverte révolutionnaire. C’est, le plus souvent, un rêveur qui peut passer pour fou par le fait qu’il exprimera son vécu affectif tout en acceptant et en intégrant les aspects irrationnels de son comportement. »

Nous avons surligné en caractères gras quelques mots afin d’attirer l’attention sur ceux-ci. Nous pourrions les résumer comme la capacité d’entretenir suffisamment un rapport personnel avec ses sens, la capacité d’intégration, le dépassement de la pensée rationnelle en tant que lecture parmi d’autre et l’aspect relatif de ses conceptions par rapport à celles des autres.

La description stipule que les créateurs ont des perceptions sur les choses sans cesse renouvelées. Nous voyons l’emprise du créateur sur ses sens à son propre usage ainsi que son travail continuel sur ses perceptions.

3. Panorama théorique des courants

Michel Mathieu (3) fait un panorama rapide des auteurs de psychanalyse classique sur le processus de création. Il cite Rosolato G., d’après son livre, « Essais sur le symbolisme », Gallimard, Paris, 1969, p.121 :

 « Ainsi Freud a parié pour la névrose, et on peut, en effet se demander en s’interrogeant comme Rosolato sur les divergences qui existent entre Totem et Tabou et Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, quel est exactement le type de fonctionnement mental propice à la création : « Hystérie et névrose obsessionnelle auraient donc leur rôle à jouer conjointement chez l’artiste ? Y aurait-il là quelque contradiction ? »

Michel Mathieu reprend à sa suite (3, p.85) :

« On peut suivre aussi Chasseguet-Smirgel dans ses lucides mais périlleuses arabesques sur l’introjection anale du pénis du père. Revenant sur la terre glacée de la perversion, nous nous retrouvons en compagnie de Rosolato qui soutient, bien entendu, sa propre théorie : c’est la perversion...(...) Et il y a Mélanie Klein...(...) Au-delà de la névrose et de la perversion, dans l’univers abyssal de la haine et de l’amour, du morcellement et de la réparation... »

Mais Chasseguet-Smirgel oriente sa quête d’une psychanalyse de l’art vers d’autres directions que celle de la problématique anale vers la position kleinienne de la création artistique articulée autour du concept de réparation qu’elle emprunte à Mélanie Klein. Celle-ci est souvent citée et nous en parlerons avec Michel Mathieu qui synthétise sa pensée (3, p.85-86) :

« ...le développement psychique s’instaure aux tous premiers temps de la vie par une position dite paranoïde, où l’être est archaïquement livré au manichéisme de l’objet : le bon s’y oppose au mauvais. Progressivement, dans une position dite dépressive, le caractère global de l’objet est appréhendé, le sujet découvre ainsi en lui-même cette totalité permanente. De l’acceptation d’une telle ambivalence, même élue, naîtra la culpabilité où prendront sources les fantasmes de réparation, fantasmes visant à restaurer la bonne totalité toujours en proie imaginaire aux attaques sadiques. »

Chasseguet-Smirgel décrit sa position en filiation avec Klein comme suit (9, p.90):

« L’acte créateur constituera l’une des modalités privilégiées d’accomplissement réparateur. La notion de réparation de l’objet constitue ainsi le fondement de la conception kleinienne de la fonction créatrice. »

Mais Chasseguet-Smirgel oriente l’acte créateur plus vers une formation réactionnelle qu’une véritable sublimation d’après Michel Mathieu (3, p.86) :

« Classiquement, la pulsion sublimée se décharge; au contraire la réparation, qui s’oppose au sadisme, refoule et contre-investit, en quoi elle s’apparente à un mécanisme de défense. »

Mathieu poursuit en soulignant dans la thèse de Chasseguet-Smirgel le fait qu’elle postule deux catégories d’actes créateurs distincts; les uns poursuivent l’objet, les autres le sujet et c’est cette dernière catégorie qui accède à la sublimation. Enfin Chasseguet-Smirgel pose l’hypothèse du passage d’une forme de création réparatrice de l’objet à la réparation de soi.

Revenons à la conception de M. Klein qui dit que la création se structure à partir des fantasmes de réparation. Le sujet cherche à réparer les effets de ses fantasmes destructeurs sur son ou ses objets d’amour (3, p.91) :

« Ce mécanisme vise à sauver du désastre créé par le sadisme imaginaire de l’enfant  sur le mode du morcellement, de la dévoration, etc., le corps de la mère, ou mieux encore les parents combinés...(...) C’est à ce fantasme archaïque de destruction des parents combinés, image de la scène primitive, que l’enfant doit s’opposer, redonnant, rassemblant les objets épars de sa violence. La position dite dépressive se résout dans la mesure même de la réparation, une identification stable du moi à l’objet devenu bénéfique s’établissant du même coup. Et sa réussite, dira Mélanie Klein, suppose la victoire des forces de vie sur les pulsions de mort. »

Ainsi, au cours du développement ontogénétique, le sadisme est vaincu, l’enfant advient au stade génital par la réparation.

Ensuite, nous constatons le rôle de l’érotisme anal dans la création. En effet, l’expérience du passage des fèces de l’intérieur à l’extérieur est structurante (Anzieu, 3, p.28) :

« ...en tant qu’elle procure la succession de la souffrance et de la satisfaction et en tant que l’objet produit (les fèces et, sur leur modèle, l’oeuvre) peut être investi d’amour (cadeau) ou d’agressivité (arme). »

Anzieu pense que le ça des créateurs est caractérisé par sa grande force pulsionnelle. Quant au moi, il pense qu’il est l’agent essentiel et quasi-constant du travail de création, dans la mesure où il est doté des caractéristiques suivantes (Anzieu, 3, p.29) :

« capacité de déclencher la régression et d’en contrôler les résultats,  capacité d’idéaliser sa propre toute-puissance identifiée à celle de la mère, capacité de fantasmatiser à partir des conflits défensifs, capacité, enfin, de symboliser la symbolisation (autrement dit, de passer directement d’une vue à une transcription). »

Le point de vue topique selon Anzieu montre un conflit entre l’idéal du moi et le surmoi (Anzieu, 3, p.29) :

« Le conflit entre l’idéal du moi et le surmoi est intense, avec toutefois de fréquentes prédominances du premier sur le second. L’idéal du moi du génie créateur ...rend possible la transgression mentale des préjugés, des tabous, des héritages; il disculpe des transgressions; il prône les revanches à prendre : l’oeuvre est pour son créateur une revanche sur l’enfance, ou sur la famille, ou sur la société, voire sur la condition humaine. Mais le surmoi ne manque pas de s’affirmer à travers la honte, les inhibitions, le sentiment d’impuissance à créer, la dévalorisation des produits de la création. L’autopunition, si aiguë chez les créateurs, est la vengeance du surmoi pour avoir cédé aux tentations des identifications héroïques proposées par l’idéal du moi. La glorification de soi en tant que producteur d’une oeuvre - d’une oeuvre produite à partir des blessures psychiques et portant leur marque - donne l’exemple de la façon dont l’idéal du moi reprend le dessus. »

La transgression de l’interdit paternel, illustré par le mythe d’Icare, est très précisément marquée du sceau de la mort et plane sur l’ombre du créateur.

4. Identification héroïque du créateur

L’identification héroïque est un terme créé par Daniel Lagache(Anzieu, 3, p.3) :

« Créer requiert, comme première condition, une filiation symbolique à un créateur reconnu. Sans cette filiation, et sans son reniement ultérieur, pas de paternité possible d’une oeuvre. Icare doit toujours ses ailes à quelques Dédale. »

Mais cette identification héroïque est aussi masochiste (Anzieu, 3, p.24) :

« Besdine étudie longuement chez le génie créateur l’identification héroïque-masochiste. Le besoin de se faire souffrir en se tuant à la tâche est en même temps une façon de se racheter, par l’excès de travail, de l’excès d’une faute ancienne et profonde : la mythologie gréco-latine a décrit cette dialectique avec les travaux d’Hercule. La recherche de l’exploit a pour but de transformer le coupable en héros. Mais le besoin de punition fait tôt ou tard retour et l’échec vient interdire ou contrebalancer l’exploit. »

Les ressorts de cette identification héroïque sont centrés sur la mort et la figure du père. C’est ainsi que cette identification montre sa couleur défensive. Gelly R., 1969 in La personnalité professionnelle de l’aviateur, Revue des Corps de santé des Armées, 10 mai, p.587  dit :

     «  Désirs de dépasser le père et angoisse de mort, tels sont les deux principaux éléments psychologiques au premier plan dans la phase post-oedipienne. C’est alors que vont entrer en jeu de nouveaux mécanismes de défense qui aboutissent à ce qu’on peut appeler l’identification héroïque. »

Celle-ci consiste à prendre pour modèle un personnage réel ou imaginaire qui a pour caractéristiques d’accomplir des exploits dont seraient incapables la plupart des êtres humains.

M. Mathieu pense que (3, p.107) :

« le créateur oscille entre deux niveaux identificatoires : un niveau imaginaire, auquel son moi idéal cherche à réaliser la fusion avec la mère toute-puissante et omniprésente, et un niveau symbolique, où le père est introjeté et intériorisé sous la forme du couple surmoi-idéal du moi.

5. Travail de l’inconscient et du conscient dans la création

Nous laisserons la parole à Jean Guillaumin (3, pp.212-213) qui considère que le travail créatif proprement dit se centre sur une organisation établie dans l’économie du moi :

« ...on se donne à tâche l’étude des processus de médiation intrapsychique, et celle du lieu, ou du système de fonctionnement, dans lequel s’élabore le traitement au profit du Moi des apports de l’Inconscient et du Ca.(...) Car l’essentiel de l’opération instauratrice de l’art se situe, quel que soit le matériau psychique qu’elle utilise, au niveau d’intervention des instruments psychiques d’un Moi qui en ordonne le déroulement. »

Parlant de l’ensemble Conscience-Préconscient, Jean Guillaumin pense (3, pp.212-213) que :

« Agissant, comme on sait, à la manière d’un filtre, qui permet d’atténuer, tout en leur conservant une représentation proportionnelle aux charges inconscientes, les charges pulsionnelles admises dans la Conscience, il autorise, en libérant une grande quantité d’énergie réinvestissable, une importante activité d’exploration et d’expérimentation mentale sur les représentations. Celle-ci aboutit ensuite à l’élaboration de relations satisfaisantes, parce qu’économiquement mieux réglées entre les divers éléments et niveaux de la vie psychique. Il n’est pas douteux que l’ultime mise au point - et même toute la réalisation - de l’oeuvre d’art, dépende du maniement de cet appareil par le Moi de l’artiste...(...) L’art résulte évidemment d’un certain type d’utilisation du filtre psychique, qu’il faut préciser, et qui présente entre autres caractères celui de déboucher sur des effets particulièrement importants sur le plan narcissique. Mais faire sous cet angle l’étude « psychanalytique » de la créativité n’a plus rien d’angoissant ou de dégradant pour l’artiste? Cela conduit au contraire à prendre en haute estime l’habile agencement mental et la merveilleuse disponibilité fonctionnelle auxquels correspond son pouvoir de créer de la beauté. »

Ensuite, J. Guillaumin secondarise l’inconscient en le subordonnant à un système conscient-préconscient qui seul peut expliquer pourquoi tel inconscient sera employé aux fins de la création. Pour lui, c’est la qualité de l’appareil psychique de sélection et de transformation approprié qui transfigure un inconscient en acte créatif ou non (3, p.213)

« L’approche « par l’Inconscient » n’en est d’ailleurs pas rendue caduque pour autant. Mais elle se subordonne désormais, comme moins centrale, moins « topique », à une démarche qui seule peut expliquer pourquoi tel inconscient sera employé aux fins de la création, qui, tombé en d’autres mains si l’on peut dire, ayant affaire à un appareil psychique de sélection et de transformation moins approprié, et par exemple moins fin et moins stable, n’eût jamais engendré l’art, mais seulement, peut-être l’échec et la névrose. »

Nous retrouvons cette notion de gestion intense des représentations internes par exploration et expérimentation. De même, le fait souligné d’une sélection et d’une transformation autogérée nous conforte dans l’hypothèse de saisie et de mise en forme à « usage privé » de sa sensorialité et de ses représentations respectivement (situés en k + et en p +).

Finalement, J. Guillaumin rend à l’inconscient sa place originelle dans le processus de création (3, p.237) :

« Si le Moi organise et gouverne seul la création, c’est d’un « ailleurs », c’est du Ca qu’il tire substance et désir pour le faire. Le désir reste le mot dernier pour le psychanalyste comme sans doute pour l’artiste créateur. »

Pour conclure ce propos, nous laisserons la parole à Anzieu :

« S’il est vrai que le moment régressif dans le travail de la création mobilise une identification narcissique à la toute-puissance maternelle, ce même travail dans ses phases ultérieures, requiert une attitude intérieure éminemment active, sans laquelle l’oeuvre reste à l’état larvaire et la découverte ne dépasse pas le stade de l’intuition obscure.(...) Là, selon eux, le moi conscient, la volonté, les processus psychiques secondaires seraient et seraient seuls décisifs. »(Anzieu, 3, p.26)

6. Phases du travail de création selon Anzieu

Etre créateur, c’est être capable d’une régression rapide et profonde d’où l’on rapporte des rapprochements inattendus, des représentations archaïques - sous forme d’images, d’affects, de rythmes - de processus psychiques primaires, rapprochements, représentations qui vont servir de noyau organisateur pour une oeuvre artistique ou une découverte scientifique éventuelles.

Ce processus se décompose selon cinq étapes qu’Anzieu (3, pp.14-16) a décrite :

1 - La régression : accomplissement d’un mouvement régressif, lié à une crise intérieure et mobilisant des représentations archaïques;

Selon Anzieu, cette régression peut provoquer la peur de l’inconnu, de l’inquiétante étrangeté, de la métamorphose. Il faut aussi supporter la régression c'est-à-dire les productions fantasmatiques et affectives libérées par la régression. Les supporter, c’est-à-dire ne pas se sentir envahi par elles dans un débordement catastrophique et décompensatoire. Il s’agit d’une régression contrôlée par le moi où celui-ci a la double capacité de régresser et de fantasmatiser. A ce stade, la solitude est de mise. Dans la régression, chacun est seul avec lui-même : d’où la nécessité d’un fort surinvestissement narcissique pour pouvoir la supporter.

2 - Percevoir en déchiffrant : saisie perceptive nette de certaines de ces représentations, permettant de les fixer dans le préconscient comme noyau organisateur agissant;

Selon Anzieu, cette phase est inhibée par les sentiments de honte et de culpabilité et le poids du savoir acquis brouille la perception des choses nouvelles. Le créateur est assailli de doutes car ce qu’il est en train de saisir peut n’être d’aucune valeur, un pur délire personnel sans intérêt. C’est souvent ici qu’intervient une personne proche qui est témoin et donne la confiance nécessaire au créateur envers sa propre réalité psychique interne pour contrebalancer sa déviance. Cet interlocuteur privilégié permet la reconnaissance et le partage de la saisie du créateur. Dès lors, le matériau prend aux yeux du créateur une réalité plus objective. C’est toute l’importance de pouvoir partager son secret. Cet ami procure l ’illusion positive indispensable que le réel rejoint les désirs du créateur. Nous parlons à propos de cette illusion d’un espace relationnel maternel ou contenant.

Anzieu a recours à la notion winnicottienne d’« illusion ». La mère, en s’occupant pour l’enfant de la réalité externe, apporte à ce dernier l’illusion que cette réalité externe s’accorde à ses désirs; illusion positive car elle amène l’enfant à une prise en compte progressive de cette réalité, dont au contraire il se détournerait si dès le départ cette réalité externe ne faisait qu’infliger un démenti permanent à sa réalité interne.

Cette illusion selon Winnicott est un espace où il y a continuité entre le principe de plaisir et le principe de réalité (Anzieu, 3, p.16) :

« ...l’oeuvre, par sa réalité, par ses effets, prouve la rémanence en nous, depuis la petite enfance, de l’univers de l’illusion et satisfait à la nécessité où nous nous trouvons tous, pour supporter la difficulté de vivre, de réconcilier ainsi de temps à autre le principe de plaisir et le principe de réalité .»

3 - Transcrire : transposition élaborative de l’image, de l’affect, du rythme ainsi saisi dans un matériau (écriture, peinture, musique, etc.) dont on acquiert ou possède la maîtrise et/ou selon un code familier (mathématique, chimique, botanique, linguistique, socioculturel, etc.), - les plus grandes créations consistant à innover quant au matériau ou quant au code.

4 - Travail de composition : le choix - ou l’innovation - d’un genre, le travail d’un style, un agencement interne des parties dans une organisation d’ensemble entrant en résonance symbolique avec le noyau représentatif archaïque.

5 - Produire au dehors : l’oeuvre achevée, devenue un objet extérieur au créateur, est soumise à une épreuve de réalité d’un type particulier qui est le jugement des lecteurs.

Toujours selon Anzieu, c’est ici que le créateur détache définitivement de soi l’oeuvre; qu’il affronte les réactions, les jugements, les critiques ou l’indifférence.

Nous terminerons ce panorama rapide des éléments de base qui nous aident à mieux cerner un type d’approche psychanalytique de la création. Nous avons pu constater que le moi joue un rôle même si le matériau est d’origine inconsciente. Cette activité psychique dans la création peut être approchée par des éléments théoriques qui seront plus ou moins agencés de telle manière à mieux comprendre l’articulation entre l’empirie telle que nous l’avons vécue et observée, et, les éléments théoriques du test de Szondi.

7. Approche théorique Szondi - Empirie

Quelqu’un qui crée va apporter du nouveau c’est-à-dire quelque chose d’inconnu, d’inconcevable à partir de quelque chose de connu, de concevable. Si p- est le bagage commun à tout le monde, le premier mouvement consiste à démarrer en p- puis à s’en éloigner.

Comme il porte à lui tout seul ce mouvement « négateur » du connu, il tend vers une position où il s’institue porteur de cette connaissance. Comme Nietzsche l’a dit dans Zarathoustra : « Il est toujours un négateur, celui qui doit être un créateur ».(7, p. 216)

Celle-ci se source dans un idéal qu’il a fait sien. Il se constitue donc petit à petit en alternative face au connu. Le lieu de cette élaboration est son espace imaginaire et ses outils ceux de son psychisme. Plus précisément, nous verrons qu’il s’agit de sa propre traduction / mise en forme de son ressenti sensoriel qu’il soit interne et / ou externe.

Le cadre pour un tel édifice autogéré s’institue dans un rapport à soi-même en tant qu’il puise à travers lui les éléments pour nourrir et façonner son idéal représenté en p+ vers lequel tend le mouvement créatif.

Ainsi, la trajectoire du mouvement créatif partirait de p - pour s’acheminer vers p +.

Dans un mouvement autocentré, le créateur organise une représentation qui va permettre la mise en place d’autres choses qui ne sont pas encore concevables.

p-, c’est le bagage théorique commun à tous. C’est la base commune à tous les automobilistes qui leur permet d’utiliser la voiture. Ainsi, l’utilisation d’une voiture requiert un ensemble de représentations communes en usage dans une société et à une époque. Il y a une dimension franchement collective en p-. Au rorschach, les personnes k- p- donnent le plus de Ban. Nous en reparlons à travers la thèse de Jean Mélon à propos du quartier k+ p+ et du rapport à soi-même.

Pour passer de p- à p+, il existe un médiateur : le facteur k. Cela suppose que p- et p+ fonctionne comme deux entités séparées et que le passage de l’un à l’autre suppose un médiateur. Selon la théorie des circuits, k+ est le médiateur qui fait sortir l’individu du facteur p-. Ainsi, p serait un facteur « état »: p- = état collectif (primauté de l’Autre) et p+ = état propre à soi (primauté de soi).

k+ médiatise le mouvement qui s’éloigne des représentations communes situées en p-.

Nous verrons qu’il s’agit d’une réappropriation de son espace imaginaire. Ce mouvement vers l’imaginaire s’édifie sur l’assise d’un non oppositionnel inscrit en k+. Pour s’éloigner de ces représentations communes, il est nécessaire de les fixer dans une sorte de sidération qui permet au créateur de travailler dessus.

Sans distanciation, pas de « regard sur ».

C’est la fonction du non oppositionnel : fixer quelque chose, s’en détacher et le rendre perceptible au sens. C’est un peu comme si on prenait une photo de quelque chose de mental, ce faisant, observer ce que l’on a photographié permet de se dégager du perçu sidéré par l’acte de la photo. Sans repère fixe, pas d’éloignement car celui-ci est une approximation basée sur la distance entre. « Fixer » permet de percevoir la distance quand on s’éloigne.

Le mouvement de la pensée ne peut s’éloigner de son objet de perception que dans la mesure où il est objet de la perception et dans la mesure où le moi ne participe pas avec cet objet (donc, pas p-). Cela suppose que le sujet de la perception se différencie de cet objet. Cette différenciation repose sur un détachement du sujet par rapport à l’objet de la perception.

Cette opération est inscrite dans le non oppositionnel : « je dis non à quelque chose ». Et plus « je dis non », plus nous savons que notre être se détache de ce qui est l’objet de ce refus. La réappropriation de son imaginaire démarre par un refus qui institue le je dans l’opération du non oppositionnel. Le rôle de la haine est primordial et nous verrons en quoi avec Jean Baudrillard (6).

Ainsi, c’est un repère fixe qui nous permet d’apprécier la distance entre ce point-repère et  le moi. Pour rendre fixe quelque chose dans le mental et dans l’acte même de percevoir, le  je  dis « non » et sidère ce quelque chose par sa négation. Le non oppositionnel devient nécessaire quand la distanciation opère sur des choses fortement ancrées en nous c’est-à-dire fortement inscrites dans notre acte même de percevoir, et de penser : autrement dit, ce sont des choses auxquelles nous participons fortement.

L’idée essentielle est que le processus de création implique une révolution permanente. Faire le vide pour pouvoir créer, donc, il faut tout le temps engager un processus de destruction d’où émerge une nouvelle construction.

Nous postulons une « faille » dont le rôle d’un point de vue macroscopique est d’« aider » la perception à se libérer d’elle-même.

C’est à travers la « faille », rupture dans la participation à l’Autre, que se développe cette fissure permettant la visibilité de « l’évidence ». Une faille, cela peut-être un enfant abandonné par ses parents comme l’a vécu Georges à 4 ans qui a été placé. Cela peut être une dépersonnalisation tellement forte qu’il est vital de couper le lien à l’Autre pour ne pas disparaître en lui. C’est aussi et surtout les blessures d’amour, les drames comme les divorces, les deuils,...

Nous subissons une faille. Cela nous « tombe » dessus. C’est d’ailleurs ce qui en fait sa puissance, c’est que nous ne sommes pas « préparés » à assumer pareille rupture. Nous subissons tous sans exception des failles dans notre vie. Comment se fait-il que certaines personnes entament une démarche créative pour la surmonter et que d’autres personnes choisissent un autre chemin ? C’est une question que nous laisserons ouverte.

Cette distanciation du mental par rapport au connu doit quelque part opérer sur une fixation mentale. Une vue de la vue se met en place : des visions qui rendent visible le visible (« cela fait des années que je vis avec lui et je ne m’en étais jamais rendu compte, c’est quand il a dépassé les limites que j’ai vu réellement les choses et j’ai dit non »).

L’expression se rendre compte de quelque chose signifie compréhension de cette chose. Le déroulement à plat de l’expression dit en fait « donner des comptes à soi-même » (rendre dans le sens de donner sans restitution). Si nous resserrons l’analyse sur le mot compte, cela devient compter dans le sens de boucler les comptes pour aboutir au total (« au bout du compte »). Cette notion d’arriver au compte final (« faire ses comptes ») exige une limite finale qui permet de cerner une temporalité par exemple une année. Elle implique que quelque chose se termine. C’est précisément cette limite qui, pensons-nous, est intrinsèque à l’expression se rendre compte.

Une limite est posée dans l’acte perceptif et l’on se retourne (regard du regard) sur ce qui a été perçu, vécu. Ce regard du regard ne peut émerger qu’à la condition de se détacher du regard « basal » pris dedans le mouvement de regarder. Pour rendre visible le visible, la limite posée intervient de façon à scinder le regard du regard dans un dédoublement perceptif (se regarder regarder quelque chose) et pour ce faire, il faut s’en rendre compte c’est-à-dire sidérer dans une « photo » mentale (limite posée dans l’acte perceptif) quelque chose et « lui » demander des comptes.

C’est ainsi que le processus de création et le processus de limitation sont fondamentalement ancrés dans une racine commune : sans acte de limite à l’attachement, pas de détachement. De même, sans acte de limite au détachement, pas de concrétisation c’est-à-dire le faire-oeuvre.

L’illimité consisterait à mettre une limite à la limite. Si l’illimité se source et s’exprime dans l’imaginaire, il pourrait se déduire à partir de l’acte mental qui consiste à poser une limite à la prégnance du réel et du regard des autres sur soi dans les prémisses de sa pensée. Par réel, nous entendons les limites spatiales et temporelles du réel inscrites ou non dans l’Autre, le non-moi que nous intériorisons. Et le regard de l’Autre serait limite à soi dans le sens où l’Autre est ce qui n’est pas soi, donc ce qui peut nier de part son altérité le mouvement inflationel de sa propre pensée.

Focalisation sur les vecteurs C et Sch

Nous nous sommes plus spécifiquement intéressés à deux vecteurs - C et Sch - pour notre mémoire. Nous n’oublions pas les deux autres vecteurs dans notre interprétation. Cette focalisation sur le moi et le contact résulte d’un choix effectué dans l’esprit d’une analyse serrée et nous pensons que ces deux vecteurs sont plus propices à détecter les repères créateurs chez quelqu’un. Nous ne donnerons que quelques informations pour introduire cette lecture des facteurs pour deux raisons : 1- la partie méthodologique est riche et donne déjà beaucoup d’éléments théoriques, 2- un peu partout dans le mémoire existe des éclairages sur les facteurs selon notre lecture.

Le vecteur du moi

Le vecteur Sch concerne tout ce qui a à voir avec le rapport de soi à soi. Le moi est avant tout un rapport. Au début de son « Traité du désespoir », Sören Kierkegaard écrit que le moi est le rapport d’un rapport, qui indique la direction de ce rapport : rapport de soi à soi. Le moi est quelque chose qui se distingue d’autre chose. Et cela pose la question de l’Autre et du même.

La formule szondienne de p+ « être tout » est exactement au niveau de l’individu le pendant du p- c’est-à-dire faire partie du tout mais le tout, ce n’est pas soi, le tout est hors de soi, c’est se dire que l’on ne se sent bien que si nous participons du tout (la position religieuse).

Au niveau Sch, la problématique est celle de l’être ou de ne pas être. Pour être, il faut exister. p est le facteur de l’être et Szondi dit que k est le facteur de l’avoir. Mais nous pouvons retraduire le facteur k comme le facteur de l’existence dans le sens où si on n’existe même pas, la question de l’être ne se pose même pas.

C’est celui qui existe qui se pose la question de l’être : « Pourquoi est-ce que j’existe ? ». On peut se poser la question à tout moment : Pourquoi sommes-nous là ?. Ici, nous sommes dans une activité qui concerne avant tout le moi. Donc k est le médiateur de l’être, l’avoir est le médiateur de l’être, on ne peut pas être sans avoir. Il faut passer dans l’avoir pour pouvoir être.

La schizophrénie est la maladie proprement humaine, qu’on ne rencontre que chez l’homme. S’il existe un comportement catatonique chez l’animal, il n’est pas divisé par rapport à lui-même. Pour fonctionner, on doit se couper en deux...pour parler et penser en même temps.

Le schizophréne, c’est quelqu’un qui a perdu le rapport à lui-même (Cfr. Le rapport spéculaire). Il a perdu le contact, il n’est plus au monde, ne sait plus ce qu’est le monde. Nous sommes au monde, et c’est pour ça que nous sommes vivants. Le monde est différent d’un objet. Le monde est indéfinissable : le monde est en soi, on est le monde et on fait partie du monde.

p -

Szondi parle de projection participative ou de participation projective. Eros, c’est la réunion de ce qui a été séparé. Par conséquent, la tendance p- est à interpréter dans ce sens. C’est-à-dire dans le sens d’une tentative pour le moi de retrouver quelque chose dont il a été séparé au départ.

Il s’agit d’un désir du moi de ne pas être séparé du monde mais d’être en participation avec l’âme du monde. La mentalité primitive se caractérise par la « non-distinction entre ce qui est moi et ce qui n’est pas moi ».

Le sens de la projection est qu’il y a projection de ce besoin finalement de toute-puissance. Ce qui domine fondamentalement le désir du moi, c’est ce désir de toute-puissance. On ne désire jamais que ce que l’on a perdu.

La position la plus originaire du moi, celle qui l’anime fondamentalement, c’est celle de récupérer la toute-puissance et on est jamais aussi désireux de recouvrer la toute-puissance que quand on est impuissant, quand on se sent perdu dans l’existence. Alors, émerge le besoin de participer de quelque chose qui fait justement qu’on est pas soi en tant que séparé du reste du monde.

p-, c’est la tendance la plus profonde du moi. Quand on parle de la toute-puissance infantile, c’est cela que l’on désigne : le moi narcissique infantile tout-puissant. En fait, ce moi-là n’existe pas comme tel. L’enfant à ce stade est le centre du monde, il ne se sent pas séparé du reste du monde, il fait corps avec le reste du monde. Nous avons tous perdu ce sentiment cosmique d’appartenance au monde

p- est donné par environ 50% de la population. Le sujet qui donne p- a un besoin de participer d’un tout qui le dépasse. Cela veut dire que son moi ne lui suffit pas. Il n’est pas autosuffisant. Evidemment, c’est inconscient

On pourrait dire aussi que c’est la position micromaniaque par opposition à mégalomaniaque (position inflative). p- va se retrouver dans une foule de choses et, dans la population normale, cela ne veut rien dire d’autre que ce besoin de participer de quelque chose, ce besoin de se rattacher à quelque chose qui représente la toute-puissance et qui ne soit pas soi et d’en faire partir donc être dans. C’est cela qui est le plus important : faire partie de.

Donc, p-, on pourrait dire que c’est la première opération psychique, celle qui va consister à créer des représentations qui permettent d’élaborer des sensations intolérables.

Le bébé abandonné dans son berceau est une de ces situations. Qu’est-ce qui arrive dans ces moments-là ? Nous sommes persécutés. Donc, fabriquer des mauvais objets ou des représentations terrifiantes, halluciner de manière « négative » (mauvais, méchant,...), c’est un travail psychique qui contient quelque chose.

Cette fabrication de mauvaises représentations permet de supporter mieux la situation car l’angoisse peut alors être rapportée à une représentation. Le pire étant de vivre une angoisse, une espèce de désarroi primordial, la détresse. On a besoin dans ces moments-là de croire ou d’imaginer qu’on a un persécuteur par exemple. Nous n’avons pas besoin d’être primitif pour ça. Dès que ça ne va pas, ça marche tout seul, le processus s’enclenche. C’est banal, on n’arrête pas de faire des choses pareilles.

La projection n’est ni bonne ni mauvaise. Il ne faudrait pas l’entendre uniquement dans le sens de la persécution : « rien ne va, j’invente une représentation où je trouve la cause, où je met la cause de mon malaise et du coup, cela va mieux ».

k +

Seconde étape dans le circuit génétique du moi après être parti d’une position première, originaire. En p-, on a affaire à des opérations mentales de niveau 1 c’est-à-dire le fonctionnement de l’appareil psychique le plus élémentaire. La 2e étape passe en k+ et concerne donc des opérations psychiques plus élaborées.

Le terme introjection nous indique que c’est une opération qui consiste à faire passer à l’intérieur et projection, c’est faire passer à l’extérieur. Donc, introjection suppose que l’on intériorise quelque chose. Ce qui va constituer le moi, c’est une opération mentale nouvelle qui va produire le moi comme représentation de soi. Selon Lacan : c’est la fascination de soi par soi d’où le stade du miroir.

Définissons l’auto-érotisme comme une satisfaction autosuffisante grâce à une représentation qui apporte du plaisir. Il n’y a pas d’auto-érotisme sans monde de fantasmes, un auto-érotisme se nourrit du fantasme. La conception freudienne du narcissisme repose sur l’idée de la circulation de la libido, de l’énergie qui, au départ, va vers l’ « objet » (pour l’enfant, c’est la mère mais ici, la notion d’objet non séparé n’est pas évidente); puis, elle fait retour vers soi constituant le narcissisme.

Pour Freud, c’est donc avant tout une affaire de circulation d’énergie, de libido. Le moi doit s’autonomiser et ce n’est possible que s’il est suffisamment alimenté en libido narcissique. A un moment donné, l’enfant se prenant comme objet d’amour de soi peut se séparer pour une première fois.

La libido commence avec l’auto-érotisme puis on passe au narcissisme qui est une opération capitaliste (il prend tout pour lui). Seulement il faut aimer si on ne veut pas tomber malade. Ce qui explique que l’on sorte du narcissisme malgré tout, on finit par éclater comme la grenouille qui voulait être comme un boeuf. A un moment donné, boum ! , ça éclate et on ne retrouve plus rien. Ensuite, vient le choix d’objet.

A la racine, en k+, il faut y voir une opération de récupération capitalistique de la libido narcissique.

A partir du moment où il y a du moi et que le moi attire vers lui toute la libido qui était avant dirigée vers un objet qui n’était pas vraiment un objet, on peut dire que le moi est le premier objet (Lacan : le moi est avant tout imaginaire).

Qu’est-ce qui est introjecté ? L’introjection est l’opération qui permet ce que Freud a évoqué dans le narcissisme c’est-à-dire la concentration de la libido dans le moi. La libido ne peut se concentrer dans le moi que parce qu’il y a des introjections. Finalement, le moi se fait à l’image de l’Autre.

Le narcissisme primaire repose sur des noyaux pour que cette libido narcissique puisse se fixer. Pour Lacan, le noyau, c’est l’image du moi, c’est le stade du miroir. L’individu se précipite dans son image.

Ce qui alimente k+, c’est aussi le désir d’être aimé ou de s’aimer. Quel est cet objet qui est perdu en k et que l’on essaye de retrouver ? C’est l’image de soi telle qu’elle a été aimée, idolâtrée par les parents. Le sujet k+, au fond, c’est celui qui voudrait ressaisir cette image et la posséder vraiment. C’est impossible évidemment. Il n’ y a pas de possibilité d’aller chercher son image derrière le miroir.

Si nous nous concentrons sur la notion d’image, la question du voir devient fondamentale et la question de l’objet, c’est aussi une affaire de voir et d’avoir. L’histoire de Narcisse est très parlante. Il ne sait pas se détacher de son image, il veut la voir et l’avoir et il en meurt.

Narcisse, c’est aussi le patron des poètes. Dans le mythe quand il meurt, il y a une fleur qui pousse à l’endroit où il disparaît, c’est aussi une figure de la création d’une certaine manière.

Qu’est-ce que c’est un catatonique ? C’est un sujet spectaculaire qui reste des heures à tenir une même pose physiquement éprouvante après quelques minutes. Il possède une force prodigieuse à tenir la posture sans bouger trois jours de suite. Le phénomène catatonique est véritablement la folle tentative de retrouver une image de soi et de l’incarner de manière définitive. Le catatonique essaye de se retrouver lui-même à travers sa posture.

k+, à travers cette image du catatonique, c’est copier une attitude. Szondi évoque la notion de persona. Ce terme veut dire en latin d’abord le masque. Le sujet en perdant son moi n’est plus une personne.

En k+, il y a donc cette notion d’un noyau qui permet de cristalliser la libido narcissique qui va finalement alimenter le moi. Le catatonique par exemple, à travers la pose catatonique se pose, « il faut se poser ». Dans le symptôme même du catatonique, on peut ressaisir le sens de ce que cela veut dire : « je pose ». Cela implique l’idée d’imposer aussi un personnage et cela nous renvoie à cette notion de persona c’est-à-dire le masque qui est plus réel en quelque sorte que la personne.

Nous comprenons mieux quelle fonction incarne le catatonique : c’est une fonction de fixation.

Szondi offre toutes sortes d’illustrations de cette position k+. Il dit d’abord que c’est le moi qui s’oppose, qui dit « merde ! ». C’est le stade du non chez l’enfant. Cela suppose qu’il a introjecté quelque chose qui lui permet de dire non sinon on dirait que c’est le stade de la négation. Pour pouvoir dire non, il faut avoir introjecté sinon on ne peut pas. Le non que nous allons trouver ici, c’est évidemment pas k- qui est un autre non que celui-ci. En fait, le non est à prendre au sens où c’est une opération distinctive qui permet à un sujet de se poser, et justement, on retrouve cette notion de pose dans l’opposition. Cela nous introduit aussi à la notion de l’objet c'est-à-dire jeter quelque chose devant soi, se constituer soi-même comme objet.

La façon la plus simple de ressaisir ce que veut dire k+, c’est de se dire que l’on est k+ chaque fois que l’on se construit un personnage. Le côté très positif du personnage, c’est celui qui permet de comprendre cette formule de Szondi qui dit que la catatonie est la forme de guérison de la paranoïdie. On comprend bien parce que le paranoïde n’est personne, il n’arrive pas à se constituer en personnage. Si il y arrivait, il serait catatonique et il aurait franchi une première étape. Celui qui est en k+ affirme son autonomie d’une certaine manière grâce à son personnage.

k+ permettrait la saisie, la mise en forme et la construction de son image de soi suscitée par un rapport à soi-même qui se source dans notre idéal du Moi situé en p +. C’est un « je » qui se rapporte à une image (« je me regarde ») et qui est différent du « je » en p + qui s’inscrit dans un rapport réflexif à soi-même (« je me pense »). k + ouvre un rapport à soi-même à travers une image de soi, c’est dans ce sens qu’il ouvre un rapport spéculaire  à soi-même dans le sens où l’on se réfère à une image pour situer son mouvement propre.

Illustration par l’adolescent

L’adolescent exprime selon nous cette ouverture d’un rapport spéculaire à soi-même puisqu’il est en phase de se construire une image de lui pour situer son mouvement d’être - sa quête d’identité. Il est à la recherche d’une image de lui qui corresponde à ce qu’il croit être. Cette quête d’une identité passe pas l’aménagement de son univers propre. Celui-ci peut être scindé en deux facettes.

La première est concernée par les représentations qu’il met en jeu pour se situer lui dans la société. C’est le côté p + de son univers. La deuxième facette est concernée par tous les aspects sensoriels de son univers. En effet, il élabore tout autour de son monde à lui une ambiance sensorielle propre à sa quête d’identité. Il s’agit en fait de toutes les informations qui sont captées par ses sens dans son univers. Cela va des posters aux musiques en passant par les habits, sa manière de parler, de se tenir sans oublier la quirielle d’objets qui vont occuper son espace personnel. Il y a là un véritable bain sensoriel spécifique à l’adolescent qui lui renvoie sans cesse, à travers sa sensorialité, une image de lui de nature sensorielle.

L’interaction de ces deux facettes, (k + p +) est que tout ce bain sensoriel est véritablement un miroir très puissant qui lui renvoie une image qu’il a sélectionnée. A la limite, c’est un miroir bien plus puissant que le miroir à glace conventionnel. En effet, ce dernier ne renvoie d’image que quand on se regarde dedans, tandis que le « miroir sensoriel » lui renvoie son image symbolique à chaque regard et à chaque instant vécu dans son univers. S’il venait à s’enfermer trois jours dans sa chambre par exemple, son univers lui renverrait pendant tout ce temps une dose massive d’informations sensorielles qui inonderait son mental et finirait par sédimenter de plus en plus dans des représentations construites avec ces éléments sensoriels. C’est en ce sens que nous parlons d’un rapport spéculaire entre le sujet et son univers sensoriel dans le sens où son univers lui renvoie une image de lui à travers la configuration sensorielle qui a été mise en forme par l’aménagement de cet univers. Nous pouvons parler d’un « style sensoriel » spécifique à l’image de soi imaginaire que l’on veut saisir par la position k +.

La saisie et la mise en forme d’un matériel sensoriel propre à soi est injecté dans une représentation de soi dans laquelle sédimente ces éléments sensoriels. Puisque la configuration de ce sensoriel n’est dû qu’à sa propre volonté imaginaire (k+), l’effet du regard de l’Autre (p-) tend à être évacué et la représentation de soi est construite de plus en plus avec son propre regard (p+).

C’est assez visible chez l’adolescent comme nous l’avons signalé plus haut. La sélection de sa musique, de ses posters, de ses habits, de son discours, de sa nourriture, etc.; montre qu’il retire du bain sensoriel commun des éléments personnels qui concourent à forger son « cachet » personnel dans la vie.

La sélection, la saisie et la mise en forme de ces éléments sont en accord avec l’image de lui qu’il a envie de créer, de construire. Cette filtration de tous les jours du bain sensoriel commun est fondamental pour nourrir une identité spécifique à soi. Ce que k + a saisit et mis en forme va être maintenu en suspens dans le mental et va alimenter une représentation par une sorte de sédimentation du sensoriel en représentationnel. Il y a « injection » de ce matériel dans une représentation de soi.

Le créateur utilise ses sens, sa sensorialité d’une manière spécifique à lui. Nous « voyons » souvent la même chose que lui mais sans y faire attention et cela ne laisse pas de trace parce que cela n’a pas été saisi. Il est question de faire attention, d’être attentif à, d’être disponible à notre manière de ressentir les choses aussi subtile et infraliminaire qu’elles soient. Le processus attentionnel augmente la densité des éléments perçus, leur donne suffisamment de poids pour être captés et maintenus parmi tout le reste même si nous sommes seuls à percevoir de cette façon.

Pour se faire, il est nécessaire d’avoir confiance en soi, de croire à son « empreinte » et de pouvoir écarter sans l’abolir la vision des autres.

p +

« C’est une position qui autorise un début d’individuation en ce sens que le sujet s’y constitue en se doublant d’une image de l’Autre qui peut être aussi bien sa propre image spéculaire (Stade du miroir selon Jacques Lacan)...cette image aliénante permet au sujet de se découvrir UN, unifié, à l’image de l’Autre, l’être complet. C’est pourquoi p + renvoie au besoin de plénitude et de bisexualité. » (Mélon, 20, p98)

Cette image deviendra plus tard l’Idéal du Moi. C’est dans ce sens que Mélon dit que p+ correspond à l’idéal spirituel.

p + va dans le sens de l’indifférenciation car il tend vers une potentialité de plus en plus grande d’être tout. C’est l’inflation. Un p + !! montre une inhibition à réaliser un choix : la personne ne bouge pas car elle oscille à travers ses multiples possibilités de choix sans choisir. Elle est sans arrêt dans la potentialité de faire tout : tout est possible....alors que choisir ?

k -

Une image simple de k- consisterait à dire que c’est « la gomme qui efface ce qui est formulé sur le tableau imaginaire créé avec k + ».

C’est dans cette position que le Moi casse son image de soi créée par son imaginaire et anéantit le rapport spéculaire à soi-même. C’est, dès lors, dans l’image de l’Autre que l’individu k - va aller chercher son image de lui, dans le réel. Le k - institue un rapport spéculaire à l’Autre : « Est-ce que tu t-es vu ? Tu as l’air de quoi avec ces loques ? On ne parle pas comme ça chez les Dupont ! Eteins cette musique de dingue ! Est-ce que tu entends les aberrations que tu formules ? Mais tu délires ! ».

C’est la « gomme sensorielle » qui efface la dimension imaginaire inscrite dans l’image de soi, qui la nettoie de sa nature fantasmatique ou l’améliore en enlevant ce qui ne convient pas. Dans ce dernier cas, c’est plutôt d’un k± qu’il s’agit où les deux tendances agissent de concert.

La position k - et la société

k - serait aussi une utilisation de sa sensorialité indirectement au service du commun. Ainsi, pour capter la même chose que les autres, il faut avoir des sens conformés pour capter cette chose-là. Dans notre saisie perceptive, il est quand même nécessaire de posséder une grille de lecture de nos sens afin de se situer sur la même ligne de base que les autres personnes.

De plus, ce n’est pas tout d’avoir cette grille collective, l’investir et la maintenir en lui accordant une certaine primauté permet de s’adapter aisément. Ceci exprime l’idée que plus cette grille collective est investie, moins nous demandons d’effort pour s’accorder avec les autres, le fait qu’elle « s’automatise » permet à notre attention de s’épargner une concentration mentale épuisante. Son investissement se réalise au détriment de notre propre grille de lecture personnelle. k - en freinant notre imaginaire suffisamment pour le niveler avec les normes communes met sa négation en adéquation avec l’usage commun de ses sens, avec la culture, les représentations en usage dans notre société. L’adaptation k - pose une limite à notre mise en forme personnelle de nos sens : k - nie la fonction k +.

Il suffit d’aller vivre quelques jours auprès d’une culture radicalement différente de la nôtre pour sentir le poids de l’accordage sensoriel. Dans une moindre mesure, s’insérer dans une équipe qui a ses propres codes demande au départ beaucoup d’attention pour saisir la manière dont cette équipe fonctionne, sa vision du travail à accomplir, les petites choses subtiles qui forment un bagage sensoriel commun. C’est tout ce travail sensoriel de nivellement de sa sensorialité par rapport à celle des autres que nous supposons en k -.

En situation scolaire d’examen, les signaux de détresse liés à cette situation de grand stress sont souvent banalisés (rendu commun) dans le sens où la représentation commune en vigueur qui cadre cette expérience dit que :  « c’est normal de souffrir, que tout le monde y passe et que finalement, c’est banal et qu’il faut faire avec : c’est ça les examens ou sinon tu n’es pas fait pour les études ! ».

L’expérience sensorielle personnelle liée à cette situation est banalisée c’est-à-dire nivelée sur une norme commune qui tend à évacuer ce qui empêcherait la performance intellectuelle. Cette façon de traiter ses sens permet d’aboutir à d’incontestables résultats.

Nous sommes amenés finalement après de longues années rompues à ce rythme à moins tenir compte des signaux sensoriels spécifiques à notre vision du monde. La pression exercée sur nous étant le poids du regard de l’Autre sur notre image de soi.

L’accès à cette représentation commune est fortifiée et enrichie d’autant plus que notre mise en forme sensorielle s’accorde sur cette représentation c’est-à-dire accentue dans notre mise en forme sensorielle ce qui va dans le sens de l’Autre et affaiblit ce qui s’éloigne des autres.

 

Le vecteur C

En C, le but de m+, c’est le bien-être, se trouver bien, cool; chacun a sa façon d’être bien (dormir, parler, être soûl, manger : a chacun son choix). Le m- a choisi la position ascétique, « je n’ai besoin de rien » (Cfr. L’anorexique mentale), « moins j’en ai, mieux cela vaut », « je me sens bien parce que je ne dépends de rien ». Le bien-être lui-même, c’est un absolu, il y a deux absolus : celui de m+ qui est dans la plénitude et celui de m-, l’ascète complet qui n’a besoin de rien. Le moyen du bien-être réside en d.

m -

C’est  « le moine qui s’isole pour se concentrer sur son être et couper le contact avec le monde ». Position ascétique d’autonomie. Pas de demande de contact. C’est un être au monde déconnecté.

La tendance m - correspond à couper le contact. Son effet le plus positif est de se rendre libre et de prendre son autonomie.

Kinable (15, p.201) précise :

« Il s’agit plus essentiellement de la possibilité de prendre l’initiative personnelle de « faire son jeu » individuellement, possibilité d’être soi-même sa propre possibilité que Maldiney qualifiait justement de « possibilité taciturne et toujours menacée. »

m +

C’est la reprise de contact, l’inscription dans une demande de contact. C’est un être au monde connecté. (Médiation de soi par l’Autre)

La tendance m + signifie une prise de contact étroit qui lie la personne à son environnement.

Kinable cite J. Cornet (15, p.157) : La tendance m + est la tendance de base et « en quelque sorte la fonction reine, celle que les autres contribuent à structurer, celle où se passe en somme l’essentiel de l’opération même de prise de contact ».

Selon J. Mélon et Ph. Lekeuche, l’accent est mis sur le mouvement qu’impose le contactant à son environnement; et tandis que l’entourage apparaît, le contactant disparaît dans le contact fusionnel.

 « m + et m - expriment la dialectique du monde du sentir en situant les extrêmes limites de l’expérience » (15, p.167).

Les tendances d - et d + sont médiatrices entre les deux premières (m + et m -). Si m + est la fonction reine où se joue l’opération de prise de contact, J. Kinable ajoute que le facteur m - est directeur en tant que facteur de séparation.

Kinable (15, p.157) dit que la polarité d - / d + « intervient en médiateur du fait qu’elle permet l’élaboration, en cette aire, de la question même du choix. »

d+

Il est très intéressant de se pencher sur le facteur d parce qu’il réunit des caractéristiques pro-créatives.

 « C’est l’accélérateur de pensée qui décroche les amarres de l’attachement aux choses ».

Envie d’accélérer, de décoller, décrochage.

« La tendance d + est l’impératif de déplacement en vue d’un remplacement. Il marque le souhait d’un nouveau contact à venir qui mobilise le contactant en lui faisant esquisser lui-même le mouvement de son devenir; il y a ici la volonté de changer de vie parce que l’ancienne n’est plus satisfaisante. »(Dessoy, 11, p.168)

Selon Kinable (15, p.193, 198) :

« C’est la même question de l’attachement à l’objet originaire perdu qui se referme sur le passé en d - tandis qu’elle s’ouvre sur l’avenir en d +... Pour formuler l’exigence pulsionnelle ici en activité, songeons à cette injonction de l’agent des forces de l’ordre : « CIRCULER ! ». Quels que soient votre chemin, votre destination, peu importe où, mais allez de l’avant, ne restez pas là. »

La recherche de quelque chose signe l’éloignement de ce qui satisfaisait auparavant. Quitter le connu suppose le deuil de quelque chose de connu qui nous faisait fonctionner avant et qui ne nous fait plus fonctionner, nous n’avons plus envie de ce connu. Faire une recherche, c’est quelque part perdre le lien à quelque chose auquel nous étions attachés. Nous n’avons pas nécessairement en compensation autre chose, il y a un délai inhérent au processus de recherche. Or, dans le diagnostic informatisé des formes d’existence dépressives, nous retrouvons d +.

Selon Anzieu, la création est connoté par des aspects dépressifs (3, p.12) :

« Créer, Mélanie Klein l’a compris la première, c’est réparer l’objet aimé, détruit et perdu, le restaurer comme objet symbolique, symbolisant et symbolisé, c’est-à-dire assuré d’une certaine permanence dans la réalité intérieure. C’est, en le réparant, se réparer soi-même de la perte, du deuil, du chagrin. »

d -

 « C’est le frein qui nous amarre aux choses, qui nous fidélise ». Soit fidélisation soit freiner le mouvement excessif de la pensée dans le sens qu’on lui donne : freiner la pensée pour l’utiliser. Patrick, très souvent en d-, dit : « je n’arrive pas à gérer toutes les informations qui m’arrivent par tout, par les « 6 » sens ». C’est l’accrochage à l’objet intérieur que l’on ne veut pas perdre.

C’est avoir contacté et s’en tenir obstinément à ce contact premier en essayant de le retenir et en empêchant la possibilité de prendre contact avec un nouvel environnement. La personne n’est plus en prise directe sur les choses mais sur sa prise passée. Szondi parle de tendance à conserver, persister, coller à l’ancien objet.

Kinable dit à propos de d- (15, p.176):

« (...) comme tendance à éconduire et récuser le nouveau (refus de se laisser mobiliser par lui pour se mettre en quête de celui-ci) afin de demeurer, d’en rester là, de ne pas chercher et refuser tout déplacement ».

Le schéma du cycle

1. Les axes

Nous avons choisit le vecteur du moi comme base pour notre schéma dans le sens où comme le dit Jean Mélon (18):

 « Le rapprochement que l’on a fait depuis toujours, c’est le rapprochement avec la psychose. Cela veut dire que si il y une analogie au niveau pathologique, c’est nécessairement avec la psychose que la création doit être mise en rapport. Le moi chez Szondi est représenté par les psychotiques c’est-à-dire ceux qui ont un problème au niveau du moi ».

Mélon se réfère à Henri Maldiney (17) qui lui-même s’inspire de Wilhelm Worriger (« Abstraction et Einfühlung », Klincksieck, 1978). Deux axes sont mis en place. Le premier concerne l’aspect représentationnel - Abstraction - et le deuxième se centre plus sur les aspects sensoriels - Einfülhung -.

« L’idée de l’opposition entre les deux axes est une idée récurrente chez Maldiney parce qu’il oppose les deux grandes formes d’art : Abstraction et Einfühlung. Ces deux concepts sont tirées d’un article de Worriger qui date de 1911. Le k +, c’est la position formelle, c’est la position de mise en forme. Le k - allant dans le sens de la destruction de ces formes. » (Mélon,18).

L’axe représentationnel est l’axe du facteur p tandis que l’axe de mise en forme sensoriel est celui du facteur k. Nous disposons le vecteur du moi ainsi selon deux axes - l’axe p et k - qui possèdent chacuns deux pôles : le pôle de l’ipséité et celui de l’altérité.  k+ et p+ sont les deux positions de chaque axe pour l’ipséité. p- et k - sont les positions qui illustrent le pôle de l’altérité sur les deux axes.

 

Sur l’axe p, le « je » est en p + et le « on » en p -. Son propre regard sur sa représentation de soi est en p + et le regard des autres sur sa représentation de soi est en p-. C’est l’axe représentationnel qui concerne une image de soi selon deux pôles : à travers son propre regard et à travers celui de l’Autre. Avec l’axe k, il s’agit de l’axe de mise en forme sensorielle. Il concerne le bagage sensoriel selon deux pôles : celui orienté vers soi et celui orienté vers l’Autre.

L’accès à la représentation passe par le sensoriel et l’émotionnel. Le sensoriel fait levier pour la représentation. Pour changer de représentation, il est nécessaire d’accéder au levier sensoriel par un remodelage de ses sens. « Pour jouer un autre rôle, l’acteur doit d’abord ne plus incarner le rôle précédent ».

2. Les quartiers

Avec les deux axes nous pouvons dissocier le schéma général en quatre quartiers : k + p -, k + p +, k - p + et k - p -.

Nous pensons que chaque quartier constitue une étape dans le parcours du créateur.

1. Quartier k + p -

Nous pouvons concevoir deux versants selon que l’on regarde du point de vue de k + vers  p - ou que l’on se place du point de vue de p - qui regarde le k +. Nous pensons que la nature des points de vue entre ces deux positions est suffisamment différente pour les « faire se regarder ».

Pour situer le versant de k + tourné vers p -, la position de R. D. Laing est assez explicite dans le cadre du courant de l’antipsychiatrie pour illustrer le point de vue d’un k + par rapport à un p-. En effet, un de ses grands thèmes consiste en ce que l’expérience et le comportement qualifiés de schizophréniques représenteraient une stratégie particulière qu’une personne inventerait pour supporter une situation insupportable.

Mais Maldiney est plus catégorique à souligner le « combat de titans » qui se cache parfois dans la recherche de l’ipséité face à l’altérité :

« Le délire est un combat du Moi en vue de l’existence, en vue de maintenir une certaine précession de soi pour échapper à l’enlisement de sa propre possibilité, livrée à la surpuissance impuissante d’un destin de sens nul et à la conscience fatale « d’être fait », « d’être pris »...par un autre ou les autres ou par l’anonyme altérité. L’effort pour être soi à travers une présence en échec d’elle-même est inscrit dans le langage délirant. Sans doute porte-il atteinte à la langue commune. Mais comment la langue commune pourrait-elle devenir la langue d’un monde en marge du monde commun ? Comment surtout le pouvoir-être d’un homme menacé dans son ipséité pourrait-il tenter de se faire jour, dans un dire absolument sien, au moyen des concepts et des catégories de la langue ordinaire de communication, qui répugne, par construction, à l’expression du singulier ? » (Maldiney, 17, p.65)

Entrer dans la virtualité par le détachement fait éloigner l’emprise du réel et des blessures sur soi provenant d’un monde qui peut nuire à son monde à soi. Le détachement est une barrière invisible qui protège le moi par un retrait capitalistique de la libido de ses objets.

Le versant de p - tourné vers k +, c’est le point de vue du social (p-), et d’après lui, le regard de k+ est plus controversé. En effet, une activité libre et incontrôlée, gouvernée par le plaisir est incompatible avec une économie fondée sur l’épargne, le contrôle de soi et la prévoyance .

C’est ici entre ces deux points de vue - celui du k + et celui du p- - que nous trouvons un schisme dans la nature des regards qui s’affrontent. L’un de ces regards est un aménagement sensé évacué le conflit :

« Toute schizophrénie est une organisation psychique apte à durer, une défense contre la catastrophe. (...) Cette psychose est donc un aménagement. » (Racamier, 25, pp.50-51)

L’autre regard est celui d’une société sur un individu qui appartient à un système de lois et de règles valables pour tous.

1. Passage de k- à k+

C’est le passage de l’hémicycle k - à l’hémicycle k +. Que se passe-t-il lorsque l’on passe du k - au k +?

On régresse par rapport au circuit du moi. On quitte le principe de réalité pour entrer dans le principe de plaisir. Le réel laisse la place à l’imaginaire. Le sacrifice de soi s’efface au profit d’une position narcissique. Nous passons de la négation de soi à l’introjection. Nous passons d’un mouvement centrifuge en k - (dirigé vers l’Autre et en éloignement par rapport à soi) à un mouvement centripète (dirigé vers soi et en éloignement par rapport à l’Autre). Le centre de « gravité perceptif et sensoriel » se déplace de l’Autre vers soi. Un grand mouvement d’intériorisation se met en place. La libido quitte ses objets et investit le moi. « L’amibe rétracte ses pseudopodes ».

On passe d’un non-autocritique à un non oppositionnel. En k -, l’autodestruction potentielle nourrie dans une sorte de haine de soi se transforme en une toute-puissance potentielle introjetant tout et nourrie dans une sorte de haine de l’Autre. La haine semble réinvestir ce que la libido a abandonné et la libido semble réinvestir ce que la haine a abandonné.

Le non oppositionnel est nécessaire dans ce processus pour préserver son ressenti, sa vision des choses et pour aller plus loin afin de percevoir autre chose. Le non oppositionnel de k+ (« non ! , je ne veux plus fonctionner comme ça même si les 2/3 de la planète s’y plie ») qui est en opposition avec quelque chose est différent du non du k - qui critique, qui négativise (« ce que je raconte, c’est de la frime, ne faites pas attention ») c’est-à-dire qui nie son propre discours. Le non oppositionnel construit en réaction contre quelque chose. Le non autocritique déconstruit.

Pour s’opposer à quelque chose qui nous nuit, il est urgent de savoir le déceler, le saisir et le cerner pour y appliquer la négation qui distancie par la profération du « non ». Comment s’opposer à ce qui n’a pas de forme, de visage, de trace ? Sans cette reconnaissance, pas d’opposition.

Bien souvent, nous n’avons qu’une intuition mitigée plutôt qu’une reconnaissance pleine et solide qui dirige nos pas. L’étape qui consiste à transformer cette vague intuition en une reconnaissance efficace et assurée de ce qui peut nuire à notre identité est de loin l’étape la plus difficile à franchir. Toute la procédure de l’acte créateur va consister à saisir à travers la mise en forme, en couleurs, en mots,..ce dont on a eu l’intuition.

En passant ainsi de k- à k+, on passe d’une réaction anti-créative à un réaction pro-créative. En effet, l’attachement à l’Autre cède la place au détachement. Pour le k+, l’Autre tend à la virtualité. Cette contamination de cet aspect virtuel propre au détachement va envahir aussi les règles et les conventions de l’Autre. La loi de l’Autre tend à devenir virtuelle. Des questions apparaissent et vont s’insérer dans le ciment relationnel à l’Autre et, comme les racines des arbres, ces questions vont fissurer, écarteler le rapport à l’Autre jusqu’à ce que le « bloc de pierre éclate en morceaux sous la poussée des racines ». Les questions abondent, les réponses tendent à être plus précises, plus tranchées aussi; certaines questions obtiennent des réponses qui ne seront plus remise en question : des choix sont faits. Au fil des questions et des réponses, le regard sur les choses change, l’intérêt porté aux choses se modifie.  Puis, un nouveau regard apparaît, il est venu silencieusement.

k- tend à rendre virtuel le monde propre de l’individu dans sa dimension fantasmatique, narcissique et à donner un sentiment de réalité à ce qui concerne le monde des autres. k+ fait l’inverse, il rend virtuel l’Autre et ce qui le concerne et il donne un sentiment de réalité à son propre imaginaire. Avec k +, les sens et la perception sont quasi éduqués à ne prendre en compte que ce qui intéresse le créateur, le reste s’en tient à ce qu’il est : le reste.

2. La « faille »

Elle pourrait se définir comme la discontinuité de la participation, comme une crise dans la relation objectale.

2.1 La « blessure à l’Autre »

Nous observons dans l’histoire personnelle des créateurs durant leur jeune âge, le fait qu’ils ont ressenti dans leur rapport à l’Autre une négation de ce qu’ils étaient. Ils auraient subi le regard de la disparition, le regard de Gorgô. Si les personnes qui les ont niés étaient les plus importantes, alors la déchirure intérieure est innommable. Comme le dit Corneille, plus l’offenseur est cher, plus grande est l’offense.

Nous allons laisser la parole d’Alberoni (1, pp.118-119) nous décrire ce que chacun de nous peut peut-être le plus redouter dans sa vie.

« Peu à peu, pour ne plus désirer la personne qu’il a aimée, il devra trouver en lui-même des raisons de se libérer de cet amour, il devra chercher à reconstruire ce qu’il a vécu, investissant de haine tout ce qui a été. Par la haine il tentera de détruire le passé...(...) Il doit accomplir la faute absolue qui consiste à détruire ce qui est le fondement de toute valeur, de toute espérance. Alors, tout désir l’abandonne et le moi, qui a perdu sa dimension ontologique, est repoussé dans l’univers des apparences. Rien n’a plus de valeur, rien n’a plus de sens. Pour agir, il ne peut que copier les gestes des autres, les gestes quotidiens tels qu’il les voit, répéter ce qu’il sait, faire preuve de sentiments qu’il avait appris, prononcer des mots vidés de leur contenu; c’est la pétrification. Le seul sentiment vrai, profond qu’il éprouve, marqué du sceau douloureux de l’authenticité, est la nostalgie, la nostalgie d’une réalité perdue. Et pour se défendre de la nostalgie, il est contraint de se battre avec le passé, d’alimenter en lui le ressentiment et la haine. Il avait connu le bien, l’être qui dit oui; le mal, alors, était seulement ne pas être. Maintenant il doit construire le mal comme être, l’être qui dit non, le mal comme la puissance du négatif. »

L’« être qui dit non », car dire oui serait disparaître. L’énergie déployée pour créer ressemble à s’y méprendre à ces énergies colossales qui se sourcent dans le désespoir total, dans l’urgence vitale, quand l’imagination commence à imaginer ses propres scénarios de destruction.

 « Personne ne sait où se situe un point de non-retour. Les seuls signes en sont une révolte intérieure, un désespoir, l’anticipation - parfois de quelques heures - de la pétrification. »(Alberoni, 1, p.136)

Quand le compte à rebours a commencé, le point de non retour est devant soi, alors comme une dernière malice, un sursaut « ludique », on dévie l’énergie de l’urgence dans un projet qui cristallisera ce qu’il reste de ses propres forces. La haine est toujours bonne conseillère dans ces moments-là. La haine comme « ultime réaction vitale».

Cet extrait situe en quoi la haine peut être indispensable pour sortir de la pétrification.

Georges fut placé vers l’âge de quatre ans par ses parents qui ne « pouvait plus s’en occuper ». Jean-Marie était un adolescent décalé par rapport à son milieu, il était regardé et il « les » regardait à l’âge de 13 ans, il savait qu’il quitterait son milieu social car il ne sentait plus chez lui. La violence lui était coutumière sous plusieurs modalités allant jusqu’au plus subtiles : le chantage d’une mère avec la mort. Jeanne connaît aussi la violence, frappé par son père pour ne pas avoir obtenu les 80% (elle avait obtenu 79%) à l’école, elle se souvient en autre, avoir été pourchassée par son père une hache à la main, elle se réfugia dans une église. JP a connu la prison et le malaise profond de croire en des valeurs que la société occulte. Joseph fut frappé de poliomyélite en Afrique et perdit la force de ses jambes. Il a passé son enfance et son adolescence dans les hôpitaux. Pierre, Zéphyrin, Anne se sont toujours senti « décalé » cherchant leur marques à travers la marginalité, les « oubliés ».

Zénon d’Elée était plutôt dans la norme, un garçon qui suivait les autres et qui ne ressentait pas la nécessité d’une démarche créative. Peu avant de s’inscrire à l’Université, il alla trouver son père pour lui faire part de sa décision. Pour lui, c’était un grand pas depuis le choc du divorce de ses parents qui l’avait laissé confus. Arrivé chez son père, il parle de sa décision et c’est alors que son père, lui parlant gentiment avec la chaleur d’un père bienveillant, lui dit qu’il n’est absolument pas capable de faire des études supérieures et qui lui conseille même - conseil bienveillant - « d’abandonner toutes ces idées qui ne sont pas faites pour lui ». C’est peu après que Zénon ressentit le choc profond, il n’avait pas fait attention. Quelques années après, Zénon avait ingurgité des livres et des livres et s’était retrouvé en première licence à l’Université. C’est depuis cette conversation avec son père que sa recherche intérieure est devenue une nécessité pour lui. Tout son monde a basculé.

Ces éléments soulignent le choc, la violence qui expulse le créateur de son ancien monde.

Au départ, la question est dans le rapport à l’Autre : être ou ne pas être ? Par après, suite à plus de sagesse, la question deviendrait : comment ne pas être pour être ? C’est-à-dire comment concilier la négation de soi dans le rapport à l’Autre pour exister avec cet autre ? Qu’est-ce qui en soi ne peut pas être modifiable et qu’est-ce qui en soi peut l’être ? La réponse est de se connaître et la création est un chemin parmi d’autre.

2.2 La haine

La rage en étant cadrée dans un processus réflexif qui l’englobe devient un « outil ». Une rage pour la rage est stérile car non opérotrope. La haine est un puissant facteur d’individualisation. Découvrir l’objet dans la haine fait état d’un processus d’émergence d’un soi propre perceptif sans lequel il n’y aurait pas de Je.

Voyons en quoi la haine est « productrice d’une altérité » selon l’expression de Jean Baudrillard.

« J’ai la haine », il n’y a pas d’objet, c’est une passion sans objet. C’est comme « je manifeste » ou « j’assume ». C’est le sort des expressions où le verbe s’autonomise. Elles se formulent à la première personne, mais l’objet a disparu. C’est un sujet sans objet qui parle. (...) La haine est peut-être quelque chose qui subsiste, qui survit à tout objet définissable. (...) La haine reste une énergie, même si elle est négative ou réactionnelle.  La haine fait partie de ce paradigme de passion réactionnelle, abréactionnelle : je rejette, je n’en veux pas, je n’entrerai pas dans le consensus. Ca ne se négocie pas, ça ne se réconcilie pas. » (Baudrillard, 6, p.20)

En effet, « J’ai la haine », c’est comme une espèce de dernier capital. Mais il y a quand même une sorte d’altérité, quelqu’un en face, ça peut toujours se négocier d’une façon ou d’une autre.

Rentrant d’Australie, Baudrillard constate que :

« Les aborigènes - extrême anthropologique, mais révélateur - ont une espèce de dénégation, viscérale, profonde de ce que nous pouvons représenter et de ce que nous pouvons être. Comme si ces peuples-là avaient aussi la haine. Il y a là quelque chose d’irrémédiable, d’irréductible. On pourra leur prodiguer toute la charité universelle dont nous sommes capables, essayer de les comprendre, de les aimer, il y a chez eux une sorte d’altérité radicale qui ne veut pas être comprise, et qui ne le sera pas. » (Baudrillard, 6, p.21)

La haine décrite ici n’est pas assimilable à la haine des classes selon Baudrillard. La haine de classe est autre :

« Cette haine-là avait un objectif; elle pouvait se théoriser et elle l’a été. Elle se formulait, elle avait une action possible, elle portait une action historique et sociale. Il y avait un sujet, le prolétariat, des structures, les classes, des contradictions. » (Baudrillard, 6, p.21)

Selon Baudrillard, la communication, en devenant universelle, s’est accompagnée d’une déperdition fantastique de l’altérité. Il n’y a plus d’Autre. Peut-être que les gens recherchent une altérité radicale, et la meilleure façon de la faire apparaître, comme de l’exorciser, c’est peut-être la haine, forme désespérée de production de l’Autre. En ce sens, la haine serait une passion, sous forme de provocation, de défi. La haine est quelque chose de fort; elle doit susciter une adversité poignante...

La haine serait aussi la réaction violente au fait qu’il n’y a pas de solution, qu’il n’y a pas de résolution possible de tous les problèmes qu’avait posés l’histoire.

« Ce qui resterait d’énergie s’inverserait dans une passion négative, une réjection, répulsion. L’identité aujourd’hui se trouve dans le rejet; elle n’a plus guère de socle positif. Il ne reste plus qu’à s’antidéterminer par expulsion de l’autre plutôt que par relation ou dialectique affective avec lui. » (Baudrillard, 6, p.22)

Mais Baudrillard va plus loin : il inscrit la haine dans les fondements de l’espèce humaine en tant que réaction de vie profondément inscrite en nous.

« Peut-être la haine est-elle vitale, vitale au sens où si vous n’avez plus d’ennemi, plus d’adversité, plus d’antagonisme, au moins virtuels, c’est le pire qui puisse arriver. Otez à une espèce ses prédateurs naturels, elle se détruit elle-même. Il y a une métastabilité vitale, une sorte d’équilibre qui implique qu’il y ait de l’autre, et de l’autre méchant, de l’ennemi. Si on n’a plus à se défendre, on finit par se détruire soi-même. C’est ce que j’ai appelé la déprédation, déprédation au sens où on est privé des prédateurs. La haine est peut-être aussi une ultime réaction vitale. (...) ...il y a un résidu qui n’est pas traité parce qu’il n’est pas traitable; il devient forcément résiduel et négatif, et se transforme naturellement en haine. »(Baudrillard, 6, p.23)

C’est, pensons-nous, cette force qui est sous-jacente à la démarche créative. Nous pensons pouvoir la situer en k + en association avec e -. Cette haine apparaît dans les profils que lorsque le créateur est contrarié dans sa recherche souvent en relation avec des soucis provenant des autres personnes. Par contre, quand il peut se donner à la création, la haine semble « consommée » par le processus. Nous pensons même qu’elle peut prendre le visage d’un d + ! qui, dans le cas de Anne, signifierait : « je ne peux haïr les autres sans me culpabiliser alors je la transfigure par une recherche intense qui coupe sans cesse les liens qui se créent ». Nous essayerons d’éclaircir ce dernier point dans l’analyse des résultats.

Le saut qualitatif du non de la catatonie dans son versant négatif (k-) à son versant positif (k+) qui passe du non-critique au non-oppositionnel est aussi un passage d’une position anti-créative à une position créative.

L’idée serait que le non-oppositionnel recentre l’individu s’il est associé à un centre de gravité p + qui lui permet d’entrer en création. Le moteur affectif qui donne cette cohérence, ce ciment de la personne face au monde serait la haine. La haine comme ultime réaction vitale génératrice de l’altérité. L’ennemi est devant soi et non plus en soi, le « combat » peut commencer.

2.3 Sens psychanalytique possible de la faille

Si la participation s’origine dans la fusion à l’Autre, au stade de présujet-préobjet, la relation mère-enfant; alors la faille considérée comme rupture de la projection-participation est un processus qui s’origine dans la séparation de la mère avec l’enfant.

Si nous prenons comme établit le fait psychanalytique qui stipule un désir de retour aux origines, au ventre de la mère, dans un monde sans tension, de plénitude totale; nous pouvons considérer sans trop de détour que le désir incestueux est une des principales modalités de ce désir de retour aux origines.

La faille devient ainsi la réactualisation de la non-participation et en extrapolant, c’est aussi la non satisfaction du désir incestueux dans le réel et l’incomplétude qui s’en suivra. Nous voulons dire que la faille serait l’impossibilité totale de pouvoir satisfaire dans la réalité le plus grand et le plus puissant de nos désirs inconscients : le désir d’union avec son origine.

Meurtre symbolique du père

Les créateurs disent non, ils réagissent contre. Il y aurait meurtre symbolique du père car « non » aux autres. Or, la raison, la loi (des autres) s’inscrit dans la figure du père.

 « Créer, c’est toujours d’une certaine façon tuer quelqu’un, la chose étant facilitée si ce quelqu’un vient de mourir car on peut le tuer avec un moindre sentiment de culpabilité. Un des plus grands obstacles intérieurs à la création restant en effet la culpabilité. (...) La démarche créatrice, répétons-le, n’est pas univoque : selon les types de génies, ou selon les moments féconds, créer, pour les uns, consiste à tuer symboliquement un mort et, pour d’autres, à tuer symboliquement des vivants. »(Anzieu, 3, p.10)

La culpabilité des créateurs est forte et comme le souligne Michel Mathieu in (3, pp.104-105) :

« Cette culpabilité se rattache à l’acte fantasmatique que perpètre le créateur sur la personne du père : un meurtre symbolique. Comme à travers le meurtre symbolique du père, c’est la question de l’identification oedipienne qui est en jeu, me voilà, en effet, au coeur du problème. (...) Le surgissement de l’élan créateur viserait au dépassement du père, remplaçant l’investissement d’objet par une transformation, totale ou partielle, de soi. »

Michel Mathieu (3, p.112) va plus loin en proclamant que :

« Pour Freud, l’artiste tue symboliquement le père; il devient en cela un héros reconnu du public .»

Classiquement, le meurtre du père est une affaire d’affects d’abord. S’il faut le situer quelque part dans le schéma szondien, c’est du côté e -. C’est d’abord un affect. L’idée du meurtre du père est générée par le fait qu’il y a un obstacle qui, tout à coup, surgit sur la voie de  la réalisation du désir. Le père n’est objet de haine que parce que il vient s’interposer.

La conception de Chasseguet-Smirgel part d’une conception freudienne de l’artiste comme anarchiste qui refuse la loi et qui refuse de se soumettre à la loi commune. Il ne veut pas être k - parce que être k -, cela voudrait dire accepter la raison commune.

2.4 Lecture philosophique de la faille
2.4.1 « Que philosopher est apprendre à naître »

C’est le titre d’un article d’Eric Clémens sur la pensée de Max Loreau intitulée « La genèse des phénomènes » aux éditions de Minuit, Paris, 1989.

Max Loreau se situe dans la tradition phénoménologique tout en apportant une conception qui tend à se situer « à la pointe terminale » de la pensée phénoménologique.

« A coup sûr, sa pensée est tendue vers le phénomène, dont déjà il infléchit l’apparaître comme naître, mais son enjeu se renforce de ce que cette genèse ne peut avoir lieu, pour la philosophie elle-même, que dans la fiction logique... » (Clémens, 10, p.78)

Selon Clémens, Loreau pense le phénomène comme formation, histoire, apparaître, avènement - mais dans la mise hors jeu de toute forme, de toute fin, de tout vu ou de tout donné, de toute présence ou de toute appropriation.

« Déterminer revient d’ailleurs toujours à nier ou à priver, vénérable topo philosophique, et nier une détermination, nier une négation, ne fait pas changer de chemin. La rigoureuse critique que mène Loreau face à toute ontologie négative, toute « marche de recul », toute méthode régressive ou destructive (...) me paraît logiquement imparable. Il s’en suit qu’une autre pensée ne peut qu’être elle-même un commencement pour penser le commencement, la genèse, l’apparaître. Faut-il préciser qu’elle n’est en aucun cas la recherche d’un point d’origine qui serait en amont, mais bien que son exigence est d’être elle-même mouvement de naissance, origination ? » (Clémens, 10, p.79)

Ainsi, selon Clémens, la méthode de Loreau se base sur une critique logique qui exige que ce qui est rejeté ne serve pas de référence négative et ne dicte pas à l’envers ce qui sera la pensée progressive; elle appelle au contraire, en toute conséquence, à la disparition pure et simple de ce qu’elle critique.

« Bref, il passe logiquement, méthodiquement, de la critique de la logique à la fiction génétique. Mieux : puisque la conséquence logique de la critique est l’exigence du rien de présupposé, de donné-vu et de nié-inversé, elle oblige à la création, au façonnement originaire, qui ne peut se dire que comme fiction, depuis le rien de l’imagination originaire, mais sans jamais renoncer à la rigueur : ce qui en fait une fiction philosophique. » (Clémens, 10, p.80)

La question n’est pas : y a-t-il ou non un monde ? mais : comment surgit-il ?

« La genèse est à la fois déchirure et formation. La question devient dès lors : qu’est-ce qui en même temps fait irruption et se forme - et de la sorte peut être comme antérieur à soi ? Ni les choses, ni même les corps, rien d’autre que les paroles, qui ne sont rien avant d’être proférées. Il ne s’agit pas de dire qu’avant la genèse il n’y a rien : avant la genèse il n’y a rien à dire. Mais il s’agit de dire la genèse qui, elle, n’est rien et ne peut être que rien. Or, à la différence de la vue, la parole n’est jamais donnée, elle est un mouvement d’avènement : la genèse est bien genèse de la parole - première approche de la fiction. Non pas dans le sens de l’énoncé, mais la parole comme « dissidence » ou « discordance » dont la rupture entraîne un autre rapport au langage que le langage donné, constitué, déterminé. » (Clémens, 10, p.83)

Selon Clémens, quand la parole ne se rabat pas sur un déjà-vu ou un déjà-entendu, elle n’appartient pas à ce qui est visible, elle porte en elle un dehors qui survient dans le visible. La parole rompt la continuité du visible, l’unité de la vue et du vu, seule façon d’établir le contact avec le visible. Dans la profération, elle se fait entendre, elle est un « s’entendre » qui signifie s’écarter au-dedans de soi, se disposer et par là même produire un écart dans le visible sans lequel celui-ci ne serait pas vu : « au défilé de la vue, il faut une vue de la vue qui interrompe et discerne » (Clémens, 10, p.83).

« Ce double écart, dans la profération et dans la vision, introduit une double fiction par un double contact : la profération provoque un contact avec le visible qui entraîne un contact du visible avec lui-même. Et ce double contact est entièrement imaginaire, il est une fiction du sentir et du logos qui forme ce qu’on pourrait appeler le corps illimité de l’imagination fondamentale. Toutes les séparations - de la vue et des autres sens comme du devant et de l’arrière - formatrices du corps naissent de là et ne cessent de naître : la fiction est la mutation perpétuelle sans laquelle aucun phénomène n’apparaît. » (Clémens, 10, p.83)

La fiction est donc selon Loreau l’auto-avènement infini du logos du corps. Mais comment cette rupture se fait-elle formation ? Comment la dissidence de la parole devient-elle fiction ?  Comment n’en reste-elle pas à la béance, au chaos ouvert entre avant et arrière, entre voir et non-voir ?

« Le logos, la parole advenante, la profération n’a lieu que sur le mode du « comme si » : la pensée fait comme si le logos n’était pas encore, bien qu’elle en fasse usage. C’est la même condition pour qu’y surgisse quoi que ce soit de neuf, d’inventif. Ceci implique que la parole n’y répond à aucun fin comme à aucune détermination, donc qu’elle ne peut figurer que le « chaos béant » qu’elle ouvre. Mais du même coup, elle s’ouvre elle-même, elle se pose à l’extérieur d’elle-même, elle se fait logos de logos - donc rapport, première formation. » (Clémens, 10, p.84)

La rupture produit l’écart qui par la distance de soi à soi opère un retournement où la différence devient relation formatrice : telle est l’essence de la genèse, sa fiction.

La formation est bien une vue, mais une vue dédoublée, une vue de la vue (de l’écart), une vue imaginée originairement par la parole qui se fraie et s’éclaire.

« Seul le cri, la profération de l’inhumain, qui ne dit rien, mais qui écarte et s’écarte d’elle-même, peut faire retour sur soi et entendre ce qu’il est, s’entendre, s’adresser à soi - devenir soi, humain. (...) Si la fiction est bien l’autoconstruction de l’origine, le logos du logos est la fiction puisqu’en lui « le logos est fiction du logos. (...) La fiction est enroulement sur soi du logos, par là « fiction de soi », « autoconstruction du logos ». » (Clémens, 10, p.85)

La fiction se raconte en deux temps. D’abord, logos de l’instant, elle est déchirure fulgurante, cri qui creuse le vide. Puis, elle ne peut se poursuivre que dans le vide ainsi créé, que le parcourir et s’y découvrir en le découvrant, être logos de logos dont le mouvement de différenciation engendre la phénomènalité. « Seule, elle opère l’effet instantané d’implantation du logos parmi les phénomènes du monde. » (Clémens, 10, p.85)

« ...penser devient naître, faire se naître, penser est la fiction de naissance où l’être et la pensée, le phénomène et le dire apparaissant se co-naissent. Toujours menacée par l’indifférence, la mort, la fiction est la naissance infinie de la différence, du corps, de la langue, du monde de l’homme qui n’est fini que depuis l’infini. » (Clémens, 10, p.86)

2.4.2 Commentaires

Chaque personne possède un logos qui constitue l’ensemble des expériences vécues, l’ensemble des idées auxquelles cette personne adhère, la base théorique sur laquelle chacun opère ses choix dans la vie, qui donne sens aux actions que nous accomplissons dans notre vie.

La faille pourrait être conceptualisée comme la rupture du logos, la rupture de la continuité du logos. Un nouveau logos, si tout va bien, va s’installer c’est-à-dire un logos du logos. Plus précisément, un logos de son ancien logos, comme une vue de l’ancienne vue. Il est dorénavant question de se voir voir les choses, se voir entendre les choses. Le nouveau logos est en position « méta » par rapport à l’ancien logos.

Ce logos du logos va se construire petit à petit. L’essence de ce que l’on a vécu est remaniée dans un nouveau logos. Le passage de l’ancien au nouveau serait cette faille où les éléments sont suspendus dans le cours des choses par la pensée.

Le logos est le plus souvent un ensemble de représentations. Celles-ci calibrent les perceptions afin qu’elles s’accordent sur l’image de soi que l’on veut promouvoir. Trouver un nouveau logos demande alors un remaniement de ses représentations. C’est possible si sa sensorialité permet l’édification de telles représentations. Ce qui veut dire que pour nourrir de nouvelles représentations, il est sans doute nécessaire de reconfigurer sa propre saisie perceptive ainsi que sa mise en forme dans une visée différente de l’ancienne façon.

La faille serait cette expérience-limite qui nous amène inexorablement à nous détacher de ce à quoi nous étions attachés, à ce logos d’avant la faille. La faille opère une distance de soi à soi.

Dans la parole proférée, nous retrouvons, d’après Max Loreau, cette vue de la vue. Cette sidération du visible qui devient perceptible par un dehors grâce à la parole.

La faille nous éjecte de notre logos et la parole porteuse nous conduit vers une précession de soi salvatrice dans l’acte de proférer son nouveau logos. Quand celui-ci se sera fait corps, représentations et finalement nouvelle image de soi, nous aurons retrouvé une identité.

Se dire : « Je voudrais être telle ou telle chose » ou « j’arriverai à atteindre mon but » ou encore « il m’ont eu mais dorénavant je ne me laisserai plus faire »; c’est amener un rapport à soi-même à travers une parole qui énonce un soi en devenir. Ce soi en devenir est en filiation avec le sujet qui énonce le « je » du discours, mais ce soi anticipé et proféré dans la parole est un soi qui porte la marque d’une altérité. Cette altérité se déduit du fait que l’objet du discours est un soi qu’il faut construire, c’est un soi qui n’existe pas encore. Son altérité repose sur la notion que le je du discours est tendu vers une image de soi qui sera intégrée dans un rapport réflexif à soi-même. Mais il faut d’abord consolider cette image en formation. Ce je qui est l’objet du discours n’est pas accessible en tant que je-réflexif mais en tant que je-image anticipée de soi dans une fiction créatrice de soi.

Voyons en quoi Henri Maldiney décèle l’altérité inscrite dans l’objet de la création (17, p.62) :

« Ce que Schelling nomme « l’objectivité » de l’oeuvre et qui est - plus radicalement - sa réalité, s’impose à nous, comme tout réel, dans une rencontre. Toute rencontre est rencontre d’un autre, d’une altérité. (...) Mais l’altérité de l’oeuvre d’art, dans sa manifestation rayonnante et requérante, a ceci de spécifique et de paradoxal qu’elle est une altérité transparente, et non pas opaque comme celle de la chose. (...) Le propre de la perception esthétique est de n’être pas intentionnelle. Les structures constitutives de notre présence à elle et, à travers elle, à tout - à commencer par notre espace moteur- sont les structures mêmes de l’oeuvre. Notre ouverture à l’oeuvre est une coprésence à base de participation. Elle met directement en cause la question indivisiblement ontologique et éthique qui est la plus fondamentale de l’existence - celle du rapport de l’ipséité et de l’altérité. »

Ainsi, cette parole entre soi et un « soi en advenir » permet de créer un rapport à soi-même. Cette précession de soi permet un échange entre deux entités : celle qui exprime le mouvement à être et celle qui est l’objet de ce mouvement. Elle inscrit entre soi et soi un rapport spéculaire à soi-même. En effet, c’est un « je-réfléxif » qui crée et anticipe un autre je et pour l’anticiper il crée un « je-image » comme quand nous nous regardons dans un miroir : je regarde dans le miroir une image de moi que je peux utiliser pour me guider. C’est en ce sens que la parole peut faire émerger un rapport spéculaire à soi-même. Du même coup, cette parole installe entre soi et soi un échange réel qui permet au je-réflexif d’advenir de lui-même car cette parole empêche, dans le meilleur des cas, de se fermer à soi-même dans une autarcie mentale qui n’évolue plus - comme satisfaite d’elle-même.

Cette parole met entre soi et soi une distance et ce faisant, elle inscrit une faille dans notre unité. Accepter cet incomplétude qui nous pousse à aller vers, c’est ouvrir en nous la possibilité de changer. Mais, il est nécessaire pour cela d’accepter cette faille de notre unité le temps nécessaire pour franchir le passage entre ce que je suis maintenant et ce que je serai par après.

Cette incomplétude est fondamentalement intrinsèque au mouvement du désir. La pensée de Lacan tend dans ce sens, écoutons un de ses disciples (Nasio, 23, p.52).

 « là où le désir n’atteint pas son but, je veux dire là où le désir échoue , une création positive surgit, un acte créateur se pose. »

Le désir repose sur un manque, il tend l’esprit vers quelque chose. Il est concomitant de cette faille en nous. Nous pourrions même oser ajouter que sans faille, il n’y a pas de désir.

« C’est pour cette raison que Lacan a caractérisé le désir hystérique et partant, tout désir, comme foncièrement insatisfait, puisqu’il ne se réalise jamais pleinement; il ne se réalise qu’avec des fantasmes et à travers des symptômes. Il me semble important de souligner ce caractère toujours insatisfait du désir. »(Nasio, 23, p.49)

C’est en ce sens que le plus puissant désir inconscient, le désir incestueux, le désir de retour à l’origine est généré par une faille infranchissable et qui pourrait se formuler ainsi : « Si j’existe en tant qu’être différencié, c’est parce que je suis le mouvement qui m’éloigne de mes origines c’est-à-dire le point où tout retourne vers l’indifférenciation ». Autrement dit, la faille est le non aboutissement de la toute-puissance du désir incestueux. Selon Lacan, tout désir dévie cette tension fondamentale en de multiples petites tensions désirantes.

Donc, là où la parole - une parole de l’échange avec une altérité inscrite en soi ou dans l’Autre - s’arrête, la précession de soi s’estompe. Il n’y a plus de percée dans l’anticipation de son être propre.

Abolir l’espace insécable entre le désir de retour à l’origine et sa satisfaction, c’est redevenir foetal. Maintenir cet espace insécable, c’est inscrire dans notre être la faille du désir, c’est maintenir l’élan du désir c’est-à-dire le mouvement tendu vers.

Porter sa faille, c’est porter son destin-choix en tant qu’être différencié qui s’éloigne, le coeur dans l’âme, de l’indifférenciation des origines où le temps se repliait en un seul mouvement.

Henri Maldiney (17, p.61) nous permet de faire le raccord avec le système szondien. Laissons lui la parole :

« Le Moi « pontifex oppositorum », bâtisseur et franchiseur de ponts entre des opposés, bâtit d’abord son propre pont intérieur. La première faille qu’il ait à franchir et de laquelle dépendent toutes les autres est celle qu’il est. Elle constitue une ligne de fracture et de partage correspondant à la diffraction du Moi selon deux plans de présence que l’analyse du destin nomme destin-contrainte et destin-choix. Selon le premier le Moi n’est que pulsion, c'est-à-dire nature. Selon le second seulement il ex-iste au sens strict et plein du mot : il existe à s’anticiper soi-même à travers sa constitution pulsionnelle qu’il outrepasse de tout le possible qu’ouvre en elle cette précession de soi. C’est à partir de cette issue qu’il s’origine. (...) Qu’il la franchisse ou non, il donne sens à la faille : un sens-direction de la nature à la liberté. »

Cette parole du destin-choix sera porteuse si elle reste, si elle s’inscrit, se matérialise dans une mise en forme. Ce saisissement de cette parole injecte en elle une matérialité, une densité qui la fait passer insensiblement dans le concret.

Pour que cette parole prenne corps, il lui faut un « corps » articulé selon des mots écrits, des mots proférés encore et encore, des gestes, des mouvements, des couleurs, des formes,...Cette aspect « plastique »(définition Robert : Qui a le pouvoir de donner la forme) de la parole créatrice est l’empreinte de son sillon dans le mental.

L’ancrage du nouveau logos (qui se source dans la parole proférée dans la précession de soi au lieu dit de la faille) dans le réel comporte donc une étape plastique.

« Elle (l’oeuvre d’art) n’existe qu’à franchir la faille qu’elle ouvre en elle-même, en réalisant, dans l’évidence de son apparition, l’impossible passage de la liberté à la nature. (...)Elle exige et elle excède l’opération qui la produit. Celle-ci est un acte de liberté. Or l’oeuvre se présente comme une « objectivité » qui dépasse le côté subjectif de l’activité consciente et libre. Nous pouvons bien suivre en elle les sentiers de sa création.» (Maldiney, 17, p.61)

Si notre vie est d’une continuité « affolante », elle est peu propice à la création car la motivation à trouver un logos ne se fait pas sentir car l’actuel logos remplit bien son rôle. Les personnes qui entrent dans la création n’ont bien souvent pas le choix. Ils se sentent mal à l’aise et ne trouvent pas leur centre de gravité existentiel au sein du modèle préconisé et valorisé par leur société. S’ils veulent continuer à fonctionner comme eux le désire, ils doivent réinventer un nouveau logos qui deviendra leur mythe personnel.

La faille s’inscrirait comme la solution de continuité entre le regard basal et le regard du regard, le passage du dedans d’un système vers le dehors de ce système. Le regard basal peut être décrit comme le regard participatif, c’est un regard dedans les choses qui tend nettement à ne pas défusionner avec cette chose. Le regard du regard basal est une perception sur cette perception première : cela tend à « casser » la participation.

Si le « je » du discours créatif, de la fiction créative est un « je » qui puisse son essence dans le regard du regard participatif, il ne peut être qu’en p+. La fiction créative étant soit à visée participative (p-) soit à visée autoconstitutionnelle (p+). Par contre, la racine, la source de l’intuition créative ne peut être que dans le « flux du monde », dans l’univers comme contenant toutes nos individualités, c'est-à-dire en p -. La trajectoire de la création est dès lors celle qui va de la racine au « je » pensant sa racine. De la matière à l’abstrait, un vaste mouvement de distanciation s’organise pour faire émerger la pensée humaine porteuse de l’ « esprit de la création ».

Du foetus à l’homme psychanaliste, la pensée procrée sa trajectoire pour mieux jouer « au Jeu de la Création », un jeu qui consiste à se dépasser encore et encore et dont la finalité consiste à connaître le programme qui nous fait fonctionner de manière à le pousser plus loin encore. Le destin-choix, c’est peut-être arriver à la pointe de son programme pour créer la suite. Tout l’art de créer consisterait alors à ne pas entrer dans une impasse c'est-à-dire répéter indéfiniment la même chose.

2.5 Illustration de la faille par un profil

C’est un profil « hors course » de Anne daté du 28/7/95. Elle se dit attirée par la fusion et elle lutte contre. Concrètement, cela signifie pour elle qu’elle est en « manque de l’Autre », qu’elle a envie de s’y plonger et d’oublier sa quête personnelle. Elle se sent mal. Elle présente des symptômes comme la « boule » dans la gorge, de l’acidité oesophago-gastrique, elle est dans une période anorexique depuis quelques jours. Elle a tendance à boire beaucoup de bières et à sortir dans les débits de boissons fortement fréquentés par une multitude de gens voulant faire la fête.

Elle présente un moi k + p -. Son commentaire résume la situation : « J’ai des idées géniales pour mon mémoire » et elle rajoute « mais j’ai peur, cela ne sera pas accepté dans le cadre du regard académique. » (p -).

                                                                                    

profil :         Av =  h -! s o   e ± hy ±   k o p o   d + m -

                     Ar =   h ø s ±   e ø hy o   k +! p -!  d + m ±

Nous pouvons schématiser son profil comme ceci :

 

D’emblée, nous voyons à l’avant-plan, un moi « vide » en Sch, des affects en P dans une position « catastrophe » : toutes les positions sont présentes comme pour faire face à une menace.

En reportant les positions sur la croix, nous voyons un tiraillement entre une référence spéculaire dans le regard de l’Autre (p - !) qui est à ce moment-là le seul juge; et, un détachement en k + ! qui pousse fort pour une utilisation à usage strictement privé de ses sens et de ses perceptions pour la saisie d’une représentation qui est hélas personnelle c'est-à-dire située en k +. Il est donc inconciliable pour Anne d’accepter cette hypothèse personnelle sans remettre en question ce regard de l’Autre.

Or, du côté des affects, c’est l’indécision, un surmoi côtoie côte à côte la haine. En effet, le surmoi e+ hy- et la haine non censurée e- hy + sont tous les deux présents en e± hy±. Les affects ne lui sont pas d’une grande utilité pour trancher cette situation car ils disent oui et non. Que faire : agir ou subir ? Même chose, c’est le blocage dans le questionnement situé dans l’ambivalence en s.

La question est : est-ce que ces idées géniales ne sont pas trop « dérangeantes » d’une manière ou d’une autre pour l’éthique, pour le regard de l’Autre en l’occurrence l’Université et ses fameuses exigences ? Finalement, on peut se poser la question : qu’est-ce que je vaux ? Est-ce que mes idées que je crois géniales sont-elles effectivement géniales ? C’est dans ces zones d’ombre où l’on se sent poussé d’un côté et repoussé de l’autre que le choix s’impose surtout quand l’enjeu est puissant. Comment choisir ?

C’est à ce carrefour que les affects peuvent trancher et départager ceux qui s’acceptent et ceux qui se nient pour laisser la place au regard de l’Autre quelque soit leur raison.

En quoi un affect peut-il trancher la situation ? C’est la réponse de la haine qui dit non à l’Autre et fortifie son être propre sur la défensive pour préserver ce que l’individu considère comme essentiel. La haine productrice de l’altérité comme le dit Bachelard.

Ou alors c’est le surmoi qui dit « laisse tomber, l’enjeu n’en vaut pas la chandelle ». Or, précisément chez Anne, elle a un surmoi assez puissant qui la culpabilise et qui l’empêche d’accéder à sa haine, cet affect qui pourrait l’aider à ne pas perdre de temps en se bloquant. En effet, elle ne veut pas lâcher ses idées mais elle ne sait pas comment faire. Elle se sait soumise à l’influence de son surmoi : « Chaque fois que j’ai été agressive avec quelqu’un, je dois réparer même pour des bêtes trucs; alors je dis les choses avec le sourire. Ca coince ! ».

C’est le choix entre se taire dans le regard commun et avoir « peur » du sien et le fait d’assumer son être, son style sensoriel, son regard et son destin.  La deuxième solution nécessite de négocier avec son surmoi, d’activer des affects moins sociaux, bref, d’opérer quelque part un meurtre symbolique d’une personne importante à ses yeux et de ses substituts.

C’est une illustration de ce que nous appelons la faille c'est-à-dire le moment où la participation à l’Autre est remise en question dans des registres existentielles importants. Les autres sont là quelque part en nous et impriment une direction « Nord ». Mais en son âme et conscience, l’individu sait en même temps que ce qu’il ressent comme son être propre l’appelle dans une direction « Sud ». Il doit choisir car les deux tendances sont fortes et luttent pour emporter « la part du gâteau ». C’est toute l’économie psychique qui nous semble en jeu dans ces moments-là.

Passer la faille, c’est « perdre beaucoup » et « gagner énormément » car dorénavant, il y a deux points de vue : celui des autres et le sien. Choisir un point de vue donne le sens d’une trajectoire. Dans le cas de son propre point de vue, c’est la trajectoire de la différenciation d’avec l’Autre en soi, de l’éloignement par rapport à l’Autre pour se rapprocher de soi. C’est une trajectoire qui tend vers la création.

3. Percevoir, c’est voir la différence

Bateson dit qu’à la base de l’acte perceptif même, il y a une différence. Percevoir, c’est voir une différence. Pour percevoir le mental, il faut opérer une différence au sein même de celui-ci. Nous reviendrons amplement sur cet aspect lorsque nous parlerons de la saisie sensorielle et perceptive.

Ce faisant nous nous dédoublons dans l’acte même de se percevoir c’est-à-dire percevoir ce dont on veut éloigner de soi comme étant différent dorénavant de soi tout en faisant encore partie de soi. Tout ceci souligne la grande importance d’une réappropriation de ce que l’on veut être au sein même de soi.

Une des fonctions du k + serait la réappropriation de son champs mental par une distanciation (désinvestissement de ce qui fait obstacle) qui s’exprime par un non oppositionnel à ce qui tend à limiter et à fermer notre possibilité d’expansion imaginaire. Cela signifierait la négation de la négation de k -, le non-oppositionnel se distancie du non-autocritique, k + nie k -.

C’est aussi entrer dans un « champs narcissique ».

Il nous semble préférable de parler d’un rapport narcissique à soi-même au sens d’un rapport spéculaire à soi-même plutôt que de parler de narcissisme, de structure narcissique. Jean Mélon (18) pense que « l’oeuvre a toujours, qu’elle soit plastique ou littéraire, quelque chose à voir avec l’image du corps. Donc, celui qui construit sa maison, la construit en fonction de son image du corps mais il y a évidemment des gens qui n’investissent pas cela. Mais si on l’investit, on la construit à l’image du corps ».

Parler d’un rapport induit l’idée d’une distance à soi-même. Jean Mélon (18) pense :

« qu’il y a plusieurs narcissisme et que ce narcissisme k + est un narcissisme de la forme et donc cela nous renvoie à la première forme qui est l’image du corps. Mettre en forme, c’est toujours retrouver la jubilation que Lacan évoque à propos du stade du miroir, c’est la même jubilation devant l’oeuvre d’art. L’artiste est un peu comme un père qui abandonnerait ses enfants ».

4. La sensorialité et la perception

Nous allons essayer d’interroger la relation entre la perception et le monde du sentir. Nous nous baserons sur la thèse d’Etienne Dessoy (11, pp.293-301) qui nous permet d’entrer avec clarté dans le monde des sens selon Erwing Straus, « Le sens des sens. Contribution à l’étude des fondements de la psychologie » (29).

Si la fusion s’éprouve dans le monde du sentir et que la perception détache le regard de son objet de perception, ce détachement est rupture dans le lien qui nous plonge en dedans du sentir. Comment cela est-il possible dès lors que nous baignions continuellement dans ce bain sensoriel ?

Dessoy (11, p.293) répond que :

« Les perceptions sont produites par un dépassement du lien perspectiviste défini par chaque point de vue particulier, par un dépassement de l’horizon du paysage. Cela revient à dire que les perceptions ne peuvent apparaître qu’en se libérant momentanément du sentir. Straus insiste sur cette nécessité d’un saut ou d’une rupture d’avec le sentir pour accéder au percevoir. Il souligne que si la perception est une connaissance objective, ce n’est qu’à la condition que la perception soit perception sensorielle et détermination de l’impression sensorielle. Mais il nous met en garde : cette détermination n’est pas une « fusion d’impression » actuelles et passées car dans le processus de détermination, le caractère immédiat de l’impression sensorielle est sacrifié; c’est dans ce sens qu’il faut comprendre qu’en montrant quelque chose, nous brisons l’horizon de l’expérience sensorielle et que nous entrons dans un nouveau monde. »

Il cite E. Straus (29, p.531) :

« La perception n’est pas un simple résumé, une simple répétition des impressions du monde de la sensation. Elle n’est pas le résumé d’un processus de comparaison et de différenciation; seule la rupture de l’horizon de l’expérience sensorielle rend possible la comparaison et la détermination. »

E. Straus insiste sur le fait de différencier le sentir du percevoir et sur le fait de ne pas faire du percevoir une entité qui synthétiserait ou résumerait le sentir. Pour lui, le sentir ne peut apparaître en aucune manière comme une préfiguration ou une forme primitive du percevoir. Il fait du sentir un monde « à part entière »

« La perception est un processus réflexif ». Straus souligne que le mot « perception » a aussi une signification réfléchie, dans l’acte de percevoir, « j’interromps le courant permanent du sentir pour m’orienter bien sûr vers l’objet, mais aussi vers moi-même ».

Du même coup, si l’objet est pris comme un « en soi », le regard que nous posons dans notre perception sur l’objet peut lui aussi être pris comme un « en soi ». De là naît l’idée d’un regard sur un regard.

Ce faisant, l’objet de la perception ne concerne plus le sujet et de fait, cet objet n’empêche plus le sujet de se détacher de son objet.

C’est le propre du regard participatif de cimenter sur un même socle celui qui regarde et la chose regardée, c’est-à-dire qui fait participer le sujet dans le dedans de la chose regardée, qui permet de faire corps avec la chose regardée. L’exemple prototypique de ce regard participatif est le regard du bébé vis-à-vis de sa mère. Le regard amoureux est lui aussi évident pour comprendre que ce type de regard nous fait « coller » à la chose regardée sans possibilité de se dégager du dedans de ce sentir. C’est un regard qui tend à l’indifférenciation. Sans différence, pas de séparation.

La manière d’être dans le sentir s’inscrit dans une incessante communication entre le sujet et l’objet où il devient quasi impossible de scinder deux entités tant le monde du sentir oblige le « sujet » a faire corps avec son « objet ». Dessoy parle de présujet dans le monde du sentir.

Par contre, c’est exactement l’inverse de ce regard participatif qui se produit dans le regard qui poursuit la trajectoire du processus créateur. Le mouvement logique de base de cette trajectoire est, d’après nous, l’éloignement. La distanciation est finalisé dans le processus même. Cela veut dire que le processus enclenche de lui-même - c’est dans sa nature - la distanciation. Elle s’exprime dans le principe de différenciation. La différence comme distance insécable.

Sur cette trajectoire se trouve un passage qui correspond à la sortie du monde du sentir par l’entremise de l’acte perceptif. En « décollant » le regard du sujet posé en présujet dans le monde du sentir, la perception « sidère » le monde du sentir et fait advenir la source de ce regard en tant que sujet.

Il n’est pas ésotérique de postuler à ce moment l’établissement de ce que nous pourrions appeler « un centre de gravité perceptif intériorisé » qui imprime à la perception un centre duquel elle opère sa filiation originelle. C’est la participation à l’Autre qui s’en trouve anéantie dans le sens où elle gravite autour d’un centre de gravité situé dans l’entre-deux relationnel ou dans le dedans du lien du sentir qui lie le regard à la chose regardée. Le passage du sentir au perceptif serait réductible au déplacement du centre de gravité de notre être au monde en nous c'est-à-dire en dehors de cet entre-deux.

 « En ce sens, la rupture du contact est une poussée vers la différenciation objective à la condition que la personne ne cesse de recontacter. A l’inverse, le contact fusionnel impose l’indifférenciation... » (Dessoy, 11, p.301)

Dans le passage entre le sentir et le percevoir, la position m + - surtout si elle est associée avec p-  - est celle qui s’inscrit dans le sentir, dans le dedans du regard qui participe, le regard qui tend à l’indifférenciation. C’est le regard qui annule les différences. Son centre de gravité existentiel est situé dans l’entre-deux.

La position m - quant à elle assume la rupture du contact dans le monde du sentir surtout si elle s’associe avec un p+. Elle s’inscrit dès lors en dehors de la participation, dans le regard qui tend à la différenciation, donc, qui tend à faire émerger les différences. Son centre de gravité existentiel est intériorisé. En tant que rupture de l’horizon de l’expérience sensorielle, c’est une position propice à l’établissement de la perception.

5. La sidération

Si vous êtes suivi par un chien errant qui ne vous lâche pas d’une semelle malgré vos efforts pour le dissuader de vous suivre, vous ne pouvez pas vous en détacher. Vous êtes alors obligé de « sidérer » ce chien en lui fixant une fois pour toutes votre nette intention à son égard par un coup de pied, un cri, un jet d’objet, etc. Ce faisant le chien est « fixé » à votre sujet et arrête de vous suivre. Dès lors, entre vous deux, une distanciation se met en place, distanciation qui n’aurait pas été possible si le chien vous avait collé tout le long du chemin.

C’est un peu la même chose au niveau de la perception. Pour rendre visible un objet de perception, il faut d’abord le sidérer, lui donner un contour, une limite, une forme saisissable par les sens,... Une fois établi cette sidération, la perception peut dès lors se dégager et poser un regard extérieur à cet objet qui est vu tel qu’il est.

Le refus de la vraisemblance des choses s’inscrit dans cette optique. Kandinsky est assez éloquent sur ce sujet :

 «  La désintégration de l’atome signifiait pour moi la désintégration du monde entier. En un instant, les murs les plus épais s’effondraient. Tout devenait incertain, chancelant, mou. Je ne me serais nullement étonné de voir une pierre se dissoudre dans l’air et disparaître ainsi complètement. » (Dûchting, 12, pp.10-11)

6. Le détachement ou « décollage »

Marcel Proust dans « A la recherche du temps perdu » nous donne une possibilité d’introduire cet aspect.

« Pour se promener dans les airs, il n’est pas nécessaire d’avoir l’automobile la plus puissante, mais une automobile qui ne continuant pas de courir à terre et coupant d’une verticale la ligne qu’elle suivait soit capable de convertir en force ascensionnelle sa vitesse horizontale. De même ceux qui produisent des oeuvres géniales ne sont pas ceux qui vivent dans le milieu le plus délicat, qui ont la conversation la plus brillante, la culture la plus étendue, mais ceux qui ont eu le pouvoir, cessant brusquement de vivre pour eux-mêmes, de rendre leur personnalité pareille à un miroir, de telle sorte que leur vie, si médiocre d’ailleurs qu’elle pouvait être mondainement et même, dans un certain sens, intellectuellement parlant, s’y reflète, le génie consistant dans le pouvoir réfléchissant et non dans la qualité intrinsèque du spectacle reflété. » (24, p.555)

Nous avons ici dans cet extrait la possibilité d’illustrer le mouvement distanciateur de la création en utilisant la métaphore de Marcel Proust sur la course de l’automobile. Il s’agit en fait de passer d’une ligne horizontale à une ligne verticale « sans lever le bic » c'est-à-dire dans une solution de continuité à toute épreuve. Ce que propose métaphoriquement Proust, c’est un passage entre deux plans. L’important n’est pas de situer chaque plan en eux-mêmes mais le rapport entre eux. C’est le passage qui est mouvement de création pas le contenu.

Comment atteindre ce mouvement ascensionnel en partant d’un mouvement horizontal ? C’est la logique du mouvement de la création qui nous donne la clé. En fait, selon nous, la création obéit à cette formule logique de base : s’éloigner le plus possible.

 

 

La ligne horizontale donne le mouvement duquel il faut s’éloigner. Comment s’en éloigner le plus possible ? La distanciation maximale se situe à 90 degré d’angle. Si nous sommes en-dessous de cet angle, nous nous éloignons pas le plus possible. Au-delà de 90 degré, notre éloignement nous rapproche de la ligne de base. Dans ce cas, c’est un peu comme si on prenait le contre-courant mais en situant toujours dans le même registre, le même plan. C’est ce qu’illustre les deux flèches en pointillé qui tendent vers la direction de la ligne de base.

La seule direction qui s’éloigne le plus possible, c’est la ligne verticale, ascensionnelle. Effectivement, cette direction est celle d’un autre plan. Aucune possibilité de se rapprocher de la ligne de base avec cette direction.

Voilà illustré métaphoriquement et schématiquement le décollage, le détachement, le mouvement duquel s’origine le mouvement créateur qui est selon nous s’éloigner le plus possible de.

« Les auteurs qui se sont intéressés à l’étude expérimentale de la créativité ont défini ce moment comme celui de la « pensée divergente », c’est-à-dire qui diverge des stéréotypes et des normes, par dissociation des éléments habituellement associés. Description correcte, mais appauvrissante, du processus(...)» (Anzieu, 3, p.4)

Si le regard humain suit ce mouvement ascensionnel vis-à-vis de lui-même, il ouvre à lui-même la possibilité d’un rapport spéculaire. Il peut se regarder vivre, penser, parler, et même raisonner. Il est un miroir à lui-même.

Son regard est devenu l’objet de son regard et ce faisant, le regard du regard est le résultat d’un saut qualitatif, d’une autre nature selon deux plans différents inscrit sous la même bannière, celle de l’unité du créateur au-delà de ce rapport spéculaire à lui-même.

Nous avons essayé de tracer la trajectoire du regard créateur, son principe de direction dans sa nudité logique. Simple et redoutablement efficace, la logique de l’éloignement « le plus possible » va nous amener infailliblement à retourner notre regard sur notre propre regard. Et, il n’y a qu’un regard d’une autre nature qui puisse s’éloigner de ce regard de base.

La possibilité de ressentir ce regard sur un regard est inscrite dans l’expérience du détachement dont le paroxysme se situe au moment où c’est notre propre regard qui est l’objet de ce « décollage ».

7. La saisie

Ainsi, de l’autre côté, il y a une saisie dans le sens où ce que l’on veut promouvoir doit être saisi pour être injecté en soi, pour le capter et capturer dans le flux incessant de ce qui advient afin d’éviter qu’il ne s’échappe. Ainsi, la mise en forme de ce qui correspond dorénavant à soi va consister à sélectionner dans le flux sensoriel et conceptuel ce qui correspond à la nouvelle image de ce que l’on veut promouvoir. C’est la fonction de k +.

En k +, il y a saisissement d’une image de soi dans sa sensorialité, d’autant plus forte que son identité est menacée de désintégration. C’est ce qu’exprime intensément le schizophrène catatonique. Il a un mouvement de saisie dans notre perception, de mise en forme de ce qui est sensée être soi. Nous allons puiser dans le flot immense des informations que nos sens captent à chaque instant :

« Par les organes des sens, nous captons dans l’environnement de très nombreuses informations (un milliard de bit/s) dont une faible partie seulement (dix à cent bit/s) nous devient consciente.(28, p.274)

La musique, la céramique, la peinture, la sculpture,... nécessite tous une saisie perceptive qui s’élabore dans un rapport personnel. Les créateurs utilisent leurs sens à leur usage pour construire une image de soi par soi.

 « En nous définissant comme des agents passifs de la perception, le langage dissimule comment nous participons à notre expérience sensorielle. Par exemple, chacun de nous sait que les ampoules électriques produisent de la lumière, et il semble naturel de parler d’ « éteindre la lumière » ou d’ « allumer la lumière ». Mais l’ampoule produit-elle la lumière ? Un physicien dirait que les électrons se propagent dans le filament de l’ampoule qui, quand il est devenu assez chaud, émet des ondes électromagnétiques qui agissent sur les bâtonnets et les cônes de la rétine de l’oeil. Dans ces conditions, un observateur placé de façon appropriée, et dont le système nerveux fonctionne normalement, fait l’expérience de la lumière.(...). En définissant la lumière comme une propriété de l’ampoule électrique, le langage dissimule comment nous participons nous-mêmes à notre expérience sensorielle, puisque la lumière est alors définie comme une propriété objective du monde, c’est-à-dire indépendante de l’observateur.»(Segal, 27, pp.55-56)

Nous nous tournons maintenant vers Bateson pour interroger le seuil subjectif de nos représentations.

« La thèse de ce livre...repose sur l’idée que la science est une façon de percevoir et de donner ce qu’on peut appeler « un sens » aux choses perçues. Mais la perception ne s’effectue que par différences. Recevoir une information, c’est nécessairement recevoir des nouvelles d’une différence, et toute perception (d’une différence) est limitée par un seuil. Les différences trop infimes ou qui interviennent trop lentement ne sont pas perceptibles : elles ne peuvent servir d’aliment à la perception. Il s’en suit que ce que nous, hommes de science, pouvons percevoir sera toujours limité par un seuil. C’est-à-dire que tout ce qui est subliminal n’apportera pas d’eau à notre moulin. La connaissance à chaque instant donné sera fonction des seuils de nos moyens de perception disponibles. » (Bateson, 5, p.35)

C’est ce qui fait dire à Bateson que « la science sonde; elle ne prouve pas » (Bateson, 5, p.36). En effet, pour lui, la science ne peut revendiquer comme seul titre celui d’être une méthode de perception limitée dans sa capacité à recueillir les signes extérieurs et visibles de ce qui pourrait constituer la vérité.

C’est toute la subjectivité de notre expérience qui est mise en avant ici. Tout comme notre savoir personnel, le savoir collectif repose sur une perception orientée selon des finalités. Mais celles du commun « obligent » notre sensorialité à « bien voir » ce qu’il faut voir ou ne pas voir pour vivre en société d’après les règles que cette société édictent.

« Toute expérience est subjective...notre cerveau crée les images que nous pensons percevoir.(...) L’expérience du monde extérieur n’est jamais possible que par l’intermédiaire d’organes sensoriels particuliers et de voies nerveuses. Dans cette mesure, les objets sont ma création, et l’expérience que j’en ai est subjective, non objective (souligné par nous). »(Bateson, 5, p.37)

L’analyse des protocoles rorschach met le doigt pour le diagnostic des troubles psychotiques sur la notion bien relative de la réalité. L’enseignement de cette « réalité » aux futurs psychologues repose sur quelques notions dont nous allons faire état ici selon un de nos professeurs de psychologie à l’ULg, Chr. Mormont,  dans un article intitulé : « Rigueur et mise en doute de la perception dans le diagnostic de psychose au rorschach ». (Mormont, 22). A la première page, nous pouvons lire :

« C’est que nous ne connaissons que ce que nos systèmes sensoriel et conceptuel nous permettent d’intégrer; nous sommes donc dans l’impossibilité de saisir et même de deviner la part de réalité qui échappe à ces systèmes. Et par conséquent, de vérifier dans quelle mesure notre perception rend justice à la Réalité qui pour nous, ne peut être que virtuelle et inconnaissable dans sa totalité et dans sa « vérité ». En fait, ce que nous appelons réalité, c’est notre part du monde que nous appréhendons sensoriellement. »

C’est ainsi qu’habituellement, l’analyse des processus psychotiques repose sur des données qui sont : 1 - la précision de la qualité de la perception (F+%), 2 - l’aspect conformiste de cette perception (A%) et 3 - être en accord avec la pensée collective (Ban%). Mais même avec ces critères, il reste des zones d’ombre car toujours selon Mormont (22, p.9) :

« Empiriquement, on constate que souvent les psychologues écartent l’hypothèse de psychose si ces variables (« triade adaptative ») atteignent des valeurs satisfaisantes. Or, certains psychotiques (notamment des délirants non dissociés), conservent une perception rigoureuse du réel associée à une mise en doute de cette perception. Dans ce cas, la triade adaptative peut être excellente alors que l’individu est ouvertement psychotique. »

Conserver une perception du réel rigoureuse associée à une mise en doute de cette perception est un processus fréquent chez les créateurs selon leurs dires. Si, avec Chr. Mormont, nous faisons attention à ne pas étiqueter trop vite certaines personnes dans un sens ou dans un autre, il est indéniable qu’un créateur face à ce genre de testing est un « cas particulier » qui appelle à la prudence dans l’analyse.

C’est ici que nous invitons le psychologue à se rappeler qu’il est possible de fonctionner comme un « psychotique », comme un « pervers », comme un « dépressif », comme « un narcissique » sans pour autant se structurer en tant que tel. Ce seraient des « moments », des « passes » auxquelles le créateur se soumet pour sa propre recherche. Evidemment, le créateur peut « déraper » mais tous ne dérapent pas.

Nous terminerons ici par la pensée de Gaston Bachelard (4, p 10).

« Avant tout, il faut prendre conscience du fait que l’expérience nouvelle dit non à l’expérience ancienne, sans cela, de toute évidence, il ne s’agit pas d’une expérience nouvelle. Mais ce non n’est jamais définitif pour un esprit qui sait dialectiser ses principes, constituer en soi-même des nouvelles espèces d’évidence, enrichir son corps d’explication sans donner aucun privilège à ce qui serait un corps d’explication naturel propre à tout expliquer. »

Revenons à Bateson car il met en évidence ce qui, dans la perception, est perception. C’est la perception de la différence, concept insaisissable mais pourtant bien présent à chaque instant de notre vie.

« De tous les exemples, le plus simple mais le plus profond est le fait qu’il faille au moins deux choses pour créer une différence. Pour créer les « nouvelles » de la différence, c’est-à-dire l’information, il faut deux entités (réelles ou imaginaires) telles que la différence qui existe entre elles puisse appartenir en propre à leur relation mutuelle.» (Bateson, 5, p.74)

Un esprit, selon Bateson, est un ensemble de parties, ou de composantes en interaction. L’interaction entre les parties d’un esprit est déclenchée par la différence, et la différence est un phénomène non matériel, auquel on ne peut assigner de place dans l’espace ou le temps : « la différence est à rapprocher de la néguentropie et de l’entropie plus que de l’énergie. »(Bateson, 5, p. 98)

Ainsi, ce qui ne change pas est imperceptible sauf si nous décidons de nous déplacer par rapport à lui.

« La différence, étant de la même nature que la relation, se situe en dehors du temps ou de l’espace. On dit que la marque blanche est « là », « au milieu du tableau noir », mais la différence entre la marque et le tableau n’est pas « là ». Elle n’est pas dans la marque; elle n’est pas dans le tableau; elle n’est pas non plus dans l’espace compris entre le tableau et la craie. » (Bateson, 5, p.105)

De toute évidence, un contexte où il n’y a pas de différence perceptible entre deux stimuli n’est pas un contexte permettant une discrimination.

Dans tout objet, il existe un nombre infini de différences. De cette infinité de différences, nous sélectionnons un nombre très limité de différences qui deviennent de l’information. En fait, ce que nous désignons par information - l’unité élémentaire d’information - c’est une différence qui crée une différence. Une différence perçue constitue une information parce que du point noir sur une feuille blanche ressort une différence qui va créer une différence sur ma rétine, puis dans mon cerveau. Ainsi, cette différence va constituer une information. La différence est une abstraction, elle n’est contenue ni dans la feuille, ni dans le point noir. C’est la relation entre les deux.

Sans différence, sans distinction, il n’y a pas de relation possible. Même dans les cas de la relation d’un être humain avec lui-même, on distingue alors des entités qui communiquent entre-elles. Une partie de l’individu se fait spectatrice de la totalité de l’individu dont elle est partie.

C’est la différence qui permet la distanciation entre deux choses, deux objets, deux idées.

8. Sensorialité et travail des sens

Si nous prenons la définition fonctionnelle des sens, nous concevons les sens comme des canaux d’informations afférentes qui nous renseignent sur notre état interne et sur l’environnement. Chaque sens est réglé sur un niveau basal et les variations par rapport à ce niveau nous indique la valeur des informations reçues. Il y a donc une référence sensorielle qui est en quelque sorte un « zéro », un thermostat. En effet, puisque la sensorialité est perceptive, nous rappelons que, selon G. Bateson, la perception n’est possible qu’à la condition qu’elle soit discriminante c'est-à-dire qu’elle se base sur une différence perceptive. C’est ici que la référence sensorielle joue son rôle.

Il y a dès lors classiquement les cinq sens qui concernent le corps. Mais par analogie, l’humeur (joie, angoisse, colère,..), le sens de l’Autre et de soi, le sens du temps, le sens de l’espace, le sens de la spécularité et en autre le sens de la continuité sont tous des processus assimilables à la définition fonctionnelle du sens. Nous pourrions continuer avec le « sens de l’honneur » qui nous indique si notre conduite se situe dans la lignée, dans l’image de soi où si elle en dévie; ce qui est en soi une information afférente qui nous renseigne sur nos représentations par rapport à une référence

Sens de la spécularité

Mais revenons plus particulièrement au sens de la spécularité. Le terme « spéculaire » nous renvoie au miroir mais nous dirions plus simplement que cela nous renvoie à quelque chose censé nous donner une représentation de soi. Quand nous nous regardons dans un miroir, celui-ci nous renvoie notre image. Nous saisissons cette image et nous nous en servons pour nous guider, pour évaluer ce que nous sommes extérieurement étant entendu que l’image est un exact reflet de notre aspect extérieur.

Si le sens de la spécularité est bien un sens, il doit nécessairement se régler perceptivement par rapport à une référence. Le sens de la spécularité est une analogie du miroir appliquée au registre de notre perception intérieure, mentale, représentationnelle.

Si nous parlons d’une relation spéculaire à l’Autre, cela signifierait que la référence, c’est l’Autre. Nous sommes dans ce cas dans une relation participative (p -).

Par contre, un rapport spéculaire à soi-même signifierait que la référence, c’est soi-même, c’est-à-dire notre projet d’être. Nous sommes dans ce cas dans une relation inverse de la participation, c’est la position individualisante de p +.

Ce que nous mettons en évidence dans ce propos sur la relation spéculaire, c’est la primauté de son regard ou du regard de l’Autre en tant que référence perceptive à une représentation de soi. Etant entendu que ce que nous appelons le regard de l’Autre ou de soi constitue cette image dans ce miroir où nous nous regardons intérieurement pour nous situer.

En fait, c’est le lien à l’origine qui maintient le rapport spéculaire : « je me regarde dans la glace et je sais que c’est moi car quand je bouge, ça bouge. C’est donc ma volonté qui ordonne cette image. Cette image est moi dans le sens où moi qui me regarde est exactement l’origine de cette image. Donc, en tant qu’origine, cette image m’appartient puisque un changement dans l’origine (cligner des yeux) se répercute automatiquement sur l’image ».

Pierre Legendre est plus explicite à cet égard :

« L’essentiel ici est de discerner que la fonction du miroir... rejoint la problématique du rapport à la causalité. Ainsi, l’ouverture de la problématique narcissique vers la problématique de la pensée se dévoile. Je dirai : si cela, « cette ombre de l’image, renvoyée à ton regard » selon la formule ovidienne, est l’image de soi parce que cela est reconnu comme autre de soi, une telle proposition comporte que le sujet est entré dans sa propre division, c’est-à-dire qu’il existe en tant que sujet causé (souligné par nous). »(Legendre, 16, p.80)

D’emblée, la fonction du miroir est annoncée comme fonction « schizophrénogène » mais dans le sens noble du terme c'est-à-dire qui institue un rapport à soi-même, un rapport du rapport : la fonction moïque. Ecoutons la suite :

« On peut concevoir que, sous ce rapport, le miroir puisse être pour l’homme cause de soi. (...) La réflexivité est le seul retour possible du regard sur soi, le chemin obligé du regard qui se voit : elle orchestre le schéma dialectique de la causation du sujet. (...) De la sorte, la relation d’identité, par le relais de la métaphore du miroir, introduit l’homme à la causalité comme extérieure au sujet. » (Legendre, 16, p.81)

Et Legendre de dire que le sujet est « causé » à partir de l’image qui lui fait retour.

C’est, pensons-nous, le coeur de la création qui se fait jour à travers cette relation spéculaire à un autre de soi qui nous donne notre « causalité existentielle ». En effet, puisque le lien d’origine lie l’image à sa source, le créateur lit dans sa création ce qu’il advient de lui. Sa création agirait comme un miroir qui lui donne une image de ce qu’il advient en créant. Cela permettrait à un être humain de se créer à travers les images qu’il crée.

9. La sédimentation

« Il n’y a art que si la parole est disposée, sédimentée dans une représentation, une forme que la matière étreint. » (Mathieu, 3, p.162)

Ce matériel sensoriel sélectionné par notre k + « sédimente » dans des pensées qui nous sont strictement personnelles (en accord avec notre projet d’être : p+) parce qu’elles sont constituées par notre histoire sensorielle propre. Chacun a son mode d’appréhension sensoriel et chaque personne vit des événements dont la suite au fur et mesure marque une trajectoire éminemment personnelle. C’est cela que nous appelons une histoire sensorielle.

Le saisie des sens et des pensées a pour conséquence de répéter une « empreinte » qui se grave un peu plus chaque jour dans notre espace mental, elle acquiert un poids, une importance à nos yeux. on se tourne vers elle quand on regarde dans la direction de son être propre. « Ce que la bouche s’accoutume à dire, le coeur s’accoutume à le croire » comme le dit Baudelaire. Donc, la sédimentation implique une récurrence temporelle, il s’agit de maintenir quelque chose.

Cette sédimentation maintient  les éléments perceptifs et conceptuels auxquels nous adhérons. C’est une injection d’un matériau dans notre image de soi. Ce processus met l’accent sur la grande disponibilité pour soi qu’il faut avoir.

2. Quartier k + p + 

1. Rapport à soi-même

Nous parlons d’un rapport autocentré en k+ p+. Il est intéressant de constater avec Jean Mélon dans sa thèse de Doctorat que :

« L’interprétation de Rorschach, qui voyait dans les réponses banales le signe de la « participation à la manière de concevoir de la collectivité », n’a jamais été contestée. Plus un sujet est conformiste, plus le Ban% à tendance à s’élever; plus il est original, ou autistique, plus le Ban% est bas. (...) Le Ban% est le plus élevé (>30%) quand les fonctions de négation (k-) et de participation (p-) sont couplées. Il est au plus bas dans le groupe (Sch) ++.(...) Le pourcentage des Ban confirme le caractère adaptatif de (Sch) - - et, à l’opposé, l’hyperoriginalité liée à (Sch) + +. » (Mélon, 19, p.77)

Le rapport à soi-même est un moteur de développement puissant grâce au détachement du rapport aux autres et à la prégnance de son regard sur celui des autres. Mais le rapport narcissique peut devenir un rapport absolu dans le sens où l’Autre est exclu en tant que référence spéculaire dans son rapport à soi. Il n’y a plus que soi et soi : c’est dans ce sens où cela devient absolu. Car si en soi, il n’y a plus la négation de soi, le système peut s’emballer.

Le versant absolu du rapport narcissique

Il empêche l’accès à ce qui n’est pas inscrit dans ce rapport c'est-à-dire l’Autre. En ce sens, le narcissisme est un obstacle à la connaissance de soi qui est fondamentalement relative. La perception est basée sur la perception d’une différence. De cette perception naît la connaissance. Si sa propre perception est enclavée dans un rapport absolu à soi-même, il est peu probable que la perception puisse capter ce qui serait différent de soi, c’est-à-dire, en quelque sorte, ce qui pourrait remettre en question ce soi. La perception ne capterait que ce que l’individu veut voir pour maintenir son rapport absolu à lui-même.

Le versant relatif du rapport narcissique

Il postule un rapport à soi-même dans le sens où, par exemple, nous nous anticipons à nous-mêmes dans un projet personnel que nous sommes seul à porter. L’aspect relatif se déduirait du fait que cet individu est conscient qu’il aura des difficultés, que les autres personnes qui ont jugé négativement ce projet n’ont peut-être pas tort...

C’est cet amalgame de doute et de convictions personnelles qui maintient le rapport à l’Autre. Leur regard est mis entre parenthèse mais il reste en filigrane à l’arrière-plan. Parfois, le sujet filera vers sa croyance personnelle dans son choix et diminuera l’influence du jugement des autres; et d’autres fois, il doutera tellement qu’il sera à deux doigts d’arrêter son projet.

Mais, pour avancer dans son projet créatif, il devra s’inscrire continuellement dans un rapport à lui-même. A l’intérieur de ce rapport, il vacillera entre deux pôles : celui de l’Autre en dehors du projet et celui, tout-puissant, d’un rapport absolu à lui-même. C’est de la bonne mesure entre ces deux pôles que le sujet pourra accoucher d’un projet sans perdre la relation à l’Autre. Par contre, les excès le pousseront soit vers l’impuissance face à son projet quand il se situera trop dans le regard de l’Autre; soit vers l’entrée des mécanismes plus psychotiques s’il évacue le regard de l’Autre.

Ainsi, c’est véritablement le positionnement de l’individu par rapport à sa propre négation ou plus précisément par rapport à l’introjection de ce qui peut le nier qui est essentiel pour se situer quand on entre dans un rapport spéculaire à soi-même puissant.

Le créateur tant qu’il n’investit pas totalement son moi dans sa production, tant qu’il secondarise la création à des aspects plus humains, et tant qu’il cadre la création en tant que moyen est assuré de rester dans un rapport spéculaire à soi-même qui maintient la distance entre l’imaginaire et le réel à travers le symbolique qui tient lieu de garde-fou. Si ce rapport se comble, il endosse sa création en lieu et place de son être et bloque tout processus de renouveau et de distanciation par rapport à ses propres productions.

2. La fiction créative est fiction différenciatrice

La plupart des gens investissent une relation avec quelqu’un et vivent un désir de fusion avec cet Autre dans le réel. Pour le créateur, il semble que, justement, son moi se sente en péril face à une intense poussée fusionnelle. Cela est déduit en inversant la direction générale du processus de création. Si nous savons vers quoi celui-ci tend, nous savons du même coup de quoi il s’éloigne.

Ainsi, plus la création est indispensable au créateur, plus il y a danger de ne pas s’éloigner de ce vers quoi le processus de création s’éloigne. Cette conception de la création repose sur une vision d’elle en tant que mécanisme de défense possible. C’est dans la démesure du processus que naît l’intuition de l’observateur qui dès lors suspecte la nature non innocente du processus.

Cela est d’autant plus flagrant qu’il existe des créateurs qui ne peuvent s’arracher à leur processus de création auquel il s’accroche coûte que coûte comme à une bouée de sauvetage.  La question qui saute aux yeux est alors : Ont-ils peur de quelque chose en lâchant la création ? Et ensuite, dans l’affirmative : de quoi ont-ils peur ?

Dès lors, pour en savoir plus, nous interrogeons le processus de création lui-même et en retournant sa direction dans le sens exactement inverse, nous avons la possibilité de saisir d’où ou de quoi s’éloigne-t-il.

·   La première chose que nous verrons, c’est l’Autre (la « masse populaire »), le commun (et le nivellement, l’indifférenciation de soi dans la masse) , le collectif (>< créateur solitaire).

·   La deuxième, c’est une fusion avec l’Autre, la participation avec lui sans distanciation, .

·   La troisième chose, c’est le réel.

Pourquoi s’éloigner vigoureusement de ces trois éléments au nom d’un je tout-puissant et imaginaire ? C’est que ce je est en péril. Plus précisément, le moi du créateur est en péril.

Péril de quoi ? Péril de se noyer dans la fusion avec l’Autre dans le réel. Plus précisément, les limites du moi sont tellement perméables qu’elles risquent de disparaître dans la participation avec l’Autre.

Nous dirions que, chez les créateurs, leur moi tend naturellement vers l’ouverture. Ainsi, une des activités principales de leur moi consisterait à lutter contre cette tendance de base à ouvrir leur moi. Cela pourrait expliquer leur grande capacité à entrer en résonance avec les gens. Leur grande capacité intropathique résulterait de cette perméabilité basale de leur moi. Ainsi, les créateurs recèlent une très grande sensibilité qui est souvent à ce point excessive qu’ils se perdent eux-mêmes dans le flot sensoriel qui les inonde.

Ce faisant, les limites de leur moi en arriveraient à être si « poreuses » et  si perméables à l’Autre que la distinction entre soi et l’Autre deviendrait très difficile.

Un véritable effort attentionnel est alors requis pour faire barrage à ce flux sensoriel afin de le canaliser. La mise en forme de leur sensorialité est souvent une nécessité pour se préserver de cette sensibilité excessive. Cette mise en forme correspondrait à une systole du moi à usage spécifique : c’est la fonction du facteur k +.

De là à utiliser ce potentiel pour d’autres choses, il n’y a qu’un pas qu’ils franchissent allègrement en créant.

Il est important de nuancer la perméabilité du moi. Le moi peut être plastique c'est-à-dire qu’il peut laisser la place à l’Autre tout en restant lui-même. Et, à l’extrême, le moi peut devenir poreux et, dans ce cas, la création devient une défense contre un mécanisme psychotique.

Ainsi, s’éloigner du réel permettrait au moi de garder ses frontières. Le processus de création donnant le change au désir de fusion en lui permettant de se vivre à travers l’imaginaire. Encore faut-il créer un soi qui puisse se prendre pour cet Autre. Une fois établit les acteurs sur la scène créative imaginaire, la grande fusion peut commencer. C’est dans ce sens que le p + peut « se prendre » pour un p - et que l’on voit apparaître dans le test des p - qui s’inscrivent sous la bienveillance d’un p + trônant au-dessus de la scène.

Ainsi, le processus de création permettrait une satisfaction d’un désir de fusion sans mettre le moi en péril puisque le lieu de cette indifférenciation est l’imaginaire. Un imaginaire serré de près par un p + qui orchestre la mise en scène de la fusion. Le je pensant de  p + aurait suffisamment de recul que pour ne pas être « berné » par sa propre fiction qui se joue sur la scène imaginaire de la création. L’emprise implicite de p + dans la création se place hiérarchiquement au-dessus de cette fusion imaginaire car c’est de son intention que naît cette fiction créative car la création est avant tout une fiction.

Nous pensons que l’intention créatrice est en p + et non en p -. Située en p -, la création n’aurait pas de metteur en scène au sens d’un je extérieur qui pense le déroulement de la fiction créative. Or, p+ est la position la plus élaborée au niveau du moi.

Puisque la création est une fiction, nous pensons pouvoir dire qu’un des éléments de cette fiction consiste justement au fait que le p + se permet d’être p - de temps en temps.

3. La recherche de l’indifférenciation

La haine permet une différenciation car elle est productrice d’une altérité. Elle permet un espace propre qui peut devenir créatif. Mais, le processus de création semble paradoxalement se nourrir du désir de retour aux origines, un désir d’indifférenciation.

Il y a un  paradoxe car il se distancie des autres dans le réel pour créer et, en même temps, il tend vers l’indifférenciation, vers l’Autre dans son imaginaire. Ce paradoxe peut être levé en ajustant les plans réel et imaginaire.

Si le créateur est quelqu’un qui possède un fort désir de fusion, d’indifférenciation, il semble deviner la menace à ce désir. Il y a d’un côté l’envie de satisfaire ce désir et, de l’autre, tout un mécanisme psychique qui tend à préserver l’intégrité du moi face à cette tension vers l’indifférenciation.

L’idée serait que, dans la création, il peut vivre ce qu’il ne peut pas vivre dans la réalité autrement il se perd réellement. Dans l’imaginaire, cela reste imaginaire et la fusion avec l’Autre préserve son moi qui ne risque rien puisque tout cela est imaginaire.

4. L’essence : le choix total

En k+ p +, le créateur irait puiser dans son essence sa potentialité d’être afin de se resituer dans le mouvement pur du choix absolu. Cette potentialité d’être, inscrite en chacun de nous, consisterait à tout être et tout avoir en potentialité parce que aucun choix effectif ne serait fait. L’imaginaire a cette propriété de permettre virtuellement des choix qui n’en sont pas puisque chaque fois renouvelés à chaque instant. « L’homme, ce voyageur disponible... »(Beaujon, 7, p. 192)

Le choix absolu est la possibilité de tout choisir sans rien choisir.

Ne pas choisir, c’est avoir la possibilité de tout choisir, c’est la liberté totale. Liberté car non attachée, totale dans la mesure où il ne choisirait rien de précis c’est-à-dire tout. C’est un mouvement de pensée qui tend vers l’indifférenciation.

Nous pouvons  parler de l’opposition entre l’être et l’étant. L’étant, c’est ce qui, de l’être, apparaît au niveau des phénomènes. C’est ce que nous pouvons percevoir de l’être. L’être lui-même nous échappe, l’être est au principe de l’étant mais on est jamais en prise que sur le phénomène et donc, on ne peut connaître que ce qui est de l’ordre de l’étant.

Dans l’optique de ce qui précède, l’être se présente comme la négation de l’étant qui est sensible c'est-à-dire accessible au sens. L’être est un « mouvement d’advenir tendu vers ». L’étant a cette propriété d’être accessible au sens c'est-à-dire de s’inscrire dans une réalité qui l’enferme, qui lui enlève cette « dimension de potentialité à ». De même, inversément, l’étant serait la négation de l’être.

·   Choisir une existence, c’est plonger dans l’étant - quelque chose qui se maintient et est accessible aux sens. C’est nier la possibilité de toutes les autres possibilités d’existence c'est-à-dire le choix permis tout azimuts. L’étant pourrait apparaître ici comme un processus de différenciation.

·   Choisir le choix en tout, c’est ne pas exister dans telle ou telle autre direction. C’est être au carrefour des chemins sans se décider pour l’un ou pour l’Autre. L’être pourrait apparaître ici comme un processus d’indifférenciation.

Créer serait se plonger dans son essence. Ce serait en quelque sorte une réminiscence de notre être, se souvenir que l’on est mouvement d’être transcendant, continuellement en advenir au-delà de tout choix. Ce serait se souvenir que nous pouvons échapper à toutes contraintes quelques qu’elles soient en nous dégageant de nos choix d’existence. Se souvenir de cette liberté inscrite en chacun de nous qui est l’omniscience du choix absolu.

Le créateur tendrait vers l’être en se laissant aller vers la déconstruction de ses choix d’existence. Il laisserai venir, il laisserait aller et n’inscrirait pas le mouvement libre de sa pensée dans le réel, il ne choisirait pas tant qu’il ne l’a pas décidé. La seule limite qu’il se fixerait, c’est de limiter la limitation. Il retourne le processus de limitation contre lui-même. Il court-circuite les freins de la pensée qui, dès lors, s’emballe à n’en plus finir.

Après être allé dans son essence pour se détacher de son existence, il ferait retour à son existence en posant certains choix qui seraient maintenus coûte que coûte. Ce retour ne pourrait se faire que par la négation de son être potentiel, de cette potentialité à être tout. Les choix qu’ils auraient fait seraient dès lors actualisés comme de nouvelles données issues de son retour aux sources vers son existence. k- et p- vont vers un processus de limite, de différenciation.

En fin de compte, le choix reposerait sur le désir de donner corps à ses choix. Cela stipulerait l’inscription spatio-temporelle de ses choix qui renverrait au créateur la décision qu’il a prise de choisir quelque chose.

Donc, choisir et s’y tenir (une sorte de saisie) nous ferait logiquement quitter le champs infini de la potentialité de l’être. « Main-tenir » son choix, c’est répéter le même choix. C’est lui donner un corps d’abord temporel dans le sens où le résultat de ce choix, l’objet du choix est récurrent.

Ensuite, l’inscrire dans l’espace en lui donnant des formes, des couleurs, des mots,..; c’est donner au choix effectué un corps sensible c'est-à-dire pouvant être captés par les sens.

La conjonction de l’effet du temps et de l’effet de l’espace rend réel ce choix. Il prend part à la réalité spatio-temporelle et, de ce fait, il tend à exister. En quelque sorte, il tend aussi vers l’irréversible. Donc, l’inscription spatio-temporelle dans la procédure du choix écarte la potentialité (qui pourrait ramener ce choix vers l’imaginaire et provoquer sa désintégration dans le mouvement de l’être par indifférenciation) en donnant un corps à l’oeuvre.

A l’inverse, à trop rester dans la création, il risque de rester dans l’indifférenciation totale.

Le voyage créatif permettrait de contrôler l’impact de l’indifférenciation et de la vivre dans l’imaginaire. Cela lui évite de vouloir la vivre dans le réel. Le but du jeu créatif consistant alors à préserver son moi d’une intense sensibilité au désir de l’Autre afin de ne pas s’y noyer.

Le processus de création permettrait dans l’imaginaire de se noyer dans un Autre qui serait, en fait, un soi créé et pris pour un Autre. La caractéristique principale de la création étant de créer quelque chose de non connu donc forcément différent de l’Autre réel. Cela équivaudrait, peut-être, à bien se convaincre qu’il ne s’agit pas de l’Autre qui existe dans le réel. Il y a possibilité de confusion entre soi et soi dans la création car un de ses deux soi est pris pour l’Autre afin de satisfaire au désir de fusion, d’indifférenciation.

Le soi pris pour l’Autre devrait dès lors avoir suffisamment de distance par rapport à l’Autre véritable vivant dans le réel et c’est en ce sens que l’acte créatif devrait créer du neuf, du différent, de l’altérité imaginaire pour laquelle il ne peut y avoir de confusion entre le soi-autre et l’Autre réel. Le caractère nouveau de la création empêcherait cette confusion possible.

Une fois mis en place ce soi-autre, le soi entre en fusion avec ce soi-autre et satisfait pleinement dans l’imaginaire au désir de fusion. Par après, il a vécu cette fusion dans son imaginaire, il ne devrait plus autant la rechercher dans le réel. La poussée d’indifférenciation se calme, il peut retrouver l’Autre dans le réel (le réel autre) sans mettre en péril son moi.

Il garde toujours, au cas où, son soi-autre en lui si jamais une poussée fusionnelle venait à mettre l’intégrité de son moi en péril. Ce soi-autre imaginaire agirait comme protecteur des limites du moi face à l’Autre réel devenu trop invasif. S’il y a danger de désintégration du moi dans le réel à travers la relation à l’Autre, il peut retrouver dans son imaginaire tout son mécanisme qui satisfait au désir de fusion tout en restant lui.

Ce propos ouvrirait une porte quant à l’explication de l’émergence de processus psychotique chez les créateurs.

Créer le nouveau en soi, l’Autre de soi correspondrait ainsi à une défense psychique qui consiste à empêcher toute confusion possible entre l’Autre imaginaire crée par soi et l’Autre réel avec qui la fusion est dangereuse.

Le non-oppositionnel peut dire non à l’Autre malgré la force du désir de fusion avec cet autre implicite dans la création parce que ce désir trouvera sa pleine expression dans l’imaginaire.

A la sortie du processus de création, un pas vers la différenciation dans le rapport avec l’Autre (réel) aura été fait. Vouloir se faire naître par soi-même indiquerait le désir de se différencier soi-même, d’exister pour soi-même. Inversément, cela indique la primauté implicite de l’Autre dans l’imaginaire du créateur, la toute-puissance des imagos parentaux contre lesquels il faut lutter pour exister : les rejeter pour être à soi-même son propre créateur.

Ainsi, la première étape serait de produire l’altérité par la haine comme défense contre un désir de fusion afin de se différencier dans le réel (rôle du détachement).

La deuxième étape consisterait à produire un soi-autre imaginaire dans le processus de création pour s’indifférencier sans mettre le moi en péril grâce au maintien du rapport spéculaire.

La troisième étape serait, après le dépassement du désir de fusion opéré dans l’imaginaire, le retour vers l’Autre dans le réel dans le cadre d’un différenciation saine.

5. En quoi une création est un autre ?

Jean Mélon (18) souligne le fait que les gens considèrent très souvent qu’une oeuvre exprime quelque chose. En fait, elle n’exprime jamais rien, elle est en elle-même. Une oeuvre une fois qu’elle est réalisée, c’est comme une personne, elle se suffit à elle-même. Elle ne représente rien.

L’artiste est une espèce de médium de ce point de vue-là. Le créateur est un médium dans le sens où la création le traverse et lui-même ne sait d’ailleurs pas comment cela se fait. Il se laisse imprégner, il faut s’abandonner pour créer, il faut laisser venir quelque chose dont on ne sait pas d’où ça vient exactement.

Une oeuvre est. Autonome, libérée de son créateur, elle n’exprime rien sinon son existence.

La filiation entre le créateur et l’oeuvre dans le cadre du rapport spéculaire à soi-même (dans la précession de soi) peut permettre l’illusion du même (rapport d’ipséité) entre le créateur et sa création. Cette illusion peut permettre de maintenir une indifférenciation imaginaire entre soi et l’Autre, à travers l’oeuvre. D’une autre côté, l’étrangeté de l’oeuvre, de son origine possède cette altérité suffisante pour « incarner » dans l’imaginaire cet Autre qui vit dans le réel.

6. Autopoièse

Le quartier k + p + suggère une configuration de l’être selon un principe d’autoémergence. Le terme qui donne forme à cette configuration est « autopoièse ». Nous pensons que le quartier k + p + est une organisation de soi autoplastique et autocentrée. C’est la direction des mouvements de la pensée et des sens vers un centre de gravité virtuel situé en soi qui pose l’idée d’une lecture de ce centre virtuel comme référence pour soi. Ce mouvement centripète et cette référence en soi sont on ne peut plus significativement présentes dans le terme « autopoièse ». C’est dans ce sens que nous espérons que l’éclairage de ce concept permettra d’illustrer notre propos.

« Les neurophilosophes chiliens Varela, Maturana et Uribe ont formé le terme « autopoièse » avec deux mots grecs : auto  (soi-même) et poesis (poésie, ou création). Il suggère quelque chose qui se fait soi-même.» (Segal, 27, p.163)

Andrew (2, p.359) définit l’autopoièse comme « la capacité qu’ont les systèmes vivants de développer et maintenir leur propre organisation, l’organisation qui est développée et maintenue étant identique à ce qui accomplit le développement et le maintien. » Varela (30, p.13) décrit une machine autopoiétique comme « un système homéostatique (ou plutôt composé de relations stables) qui a sa propre organisation (définie comme un réseau de relations) pour invariante fondamentale ».

« Les systèmes autopoiétiques sont autonomes. Ils déterminent leurs propres opérations. S’ils ne le font pas, ils se désintègrent et meurent. Un système est autonome quand il se gouverne lui-même et définit lui-même ses propres lois.» (Segal, p.164)

Nous pensons que c’est dans le quartier k + p + que cette notion d’autopoièse est portée à son acmé.

3. Quartier k- p +

La réaction k - p + est une réaction de sophiste, c’est aussi la réaction de l’individu rationnel. Mais c’est avant tout la réaction d’un sujet qui défend son opinion.

L’individu qui fonctionne dans le mythe est opposé à celui qui se pose dans le logos, ce sont des ennemis irréductibles. En effet, le sophiste détruit le mythe et ce qui compte, c’est le sujet qui parle. Cela nous amène à Descartes : je pense donc je suis (la seule chose que je sais, c’est que je suis une chose pensante). La position k - p + est une position cartésienne c'est-à-dire une position de doute ou plutôt c’est ce qui succède au doute. Descartes dit : « je doute de tout », c’est vraiment celui qui ne croît plus à rien.

Celui qui est dans la position mythique, il croît lui. Le k + p - a absolument besoin de croire pour exister, il croît. Si nous adoptons la position inverse, nous adoptons la position cartésienne : « je doute, c’est peut-être vrai, c’est peut-être faux, je décide que la seule chose que je sais, c’est que je pense donc je suis ».

p+, c’est « Je pense ». k - p +, c’est la revendication de sa parole à soi contre une parole imposée (je crois en moi en tant que donneur de réponse). p+ est une position transcendantale : « je domine le monde ».

Dans une culture comme la nôtre, disons du logos (oratio, ratio, proportio), cette position est l’idéal qui est imposé à chacun (Cfr. l’obligation du mémoire pour l’étudiant). On n’a pas le choix, on est quasiment obligé de fonctionner comme ça. Si on ne le fait pas, on est hors système, donc c’est une contrainte.

La position k - p + est la position que l’on rencontre le plus chez les névrosés parce qu’elle participe de ce que l’on a essayé de cerner : cette ambition et en même temps, cette obligation d’être soi-même et de s’affranchir de quelque chose qui serait cet univers mythique dont nous ne participons plus.

Dans la réaction k - p +, il y a une inhibition mais qu’est-ce que cela veut dire inhiber ? Hemmung (inhibition) s’entend au sens freudien, au sens métapsychologique c'est-à-dire que pour percevoir l’objet dans sa réalité extérieure, il faut inhiber l’activité hallucinatoire. Or, l’activité hallucinatoire implique la croyance : « je crois donc j’hallucine ». « Si je crois, je vais finir par halluciner (Cfr. le spiritisme, la transe). »

Celui qui se met dans cette position k - p + est inhibé dans le sens où il refuse d’être dans cet état d’influence où la capacité hallucinatoire est libérée. Hemmung est le refus d’entrer dans le processus hallucinatoire, ce qui explique que k - p + soit la position de l’individu du logos c'est-à-dire l’individu rationnel qui fonde sa conduite sur la raison. k- est une position réaliste.

Selon Mélon, quand on fait un travail de recherche, on est tout le temps en train d’halluciner. Puis, on est obligé de faire un travail antihallucinatoire sinon on se laisse emporter.

La création est le fait que l’on se laisse emporter par quelque chose qui n’est pas de l’ordre de p+. La racine de la création se trouve nécessairement en p- et donc dans l’adhésion à ce qui nous vient par le canal de l’intuition. Cela implique que l’on croît, que l’on se laisse infiltrer par une idée qui peut être absurde mais à laquelle on adhère si peu que ce soit. « Je crois que », il faut le faire. Celui qui est k - p + ne va pas bouger, il est trop réaliste, trop scientifique pourrait-on dire, trop vérificateur, trop précautionneux pour créer. Pour créer, il faut se laisser emporter par n’importe quoi.

Hemmung veut dire aussi que c’est calé, bloqué, arrêté parce que c’est très bien d’arrêter l’hallucination sinon on est autiste mais si on adopte la position exactement inverse qui est de n’adhérer qu’à ce qui est absolument sûr et certain, on ne se permet pas d’innover. Il n’y a rien à faire la pensée créative implique un paradoxe parce que pour créer, il faut absolument passer par là puis il faut abandonner cette position et en même temps la rétablir. Il y a tout le temps un balancement qui doit s’opérer.

Dans la population qui consulte, k - p + est le plus fréquent. C’est la névrose ordinaire, ce sont des gens qui souffrent d’inhibition, ils manquent de fantaisie, on leur dirait volontiers : « laissez-vous aller ». Ce sont des gens qui sont parfaitement intégrés au système, ce n’est pas faux de dire que ce sont des malades de la civilisation. En fait, ils adhèrent tellement à ce qui nous est imposé c'est-à-dire l’idéal cartésien, un idéal qui est très castrateur de ce point de vue là, qui ne permet plus aucune fantaisie et qui est l’idéal scientifique puriste. Les ravages de cet idéal sont immenses parce que c’est une véritable castration au niveau de la pensée.

Le k - p + est la position la plus répandue chez les gens civilisés dans notre culture parce qu’ils adhèrent à cette idéologie de l’individu au sens où il faut devenir quelqu’un : « tu dois, faut aller à l’école, rater une année et le monde s’écroule,... ». Même si c’est vrai que c’est une position de progrès, elle est paradoxalement très inhibante parce qu’elle impose un idéal qui est tout compte fait inaccessible.

L’ambition est p+ et le moyen, c’est la vérification, k-. De temps en temps, on est k+ aussi, on se laisse aller. p+, « être tout », c’est ce qui caractérise l’idéal de notre culture c'est-à-dire se suffire à soi-même, indépendant, autonome. C’est un paradoxe car, comment encore former une communauté lorsque l’idéologie pousse à l’individuation maximale ?

D’un autre côté, l’attachement est une force avec laquelle il faut compter en tant qu’humain car elle fait partie intégrante de notre origine, de notre source.

C’est ainsi que l’entrée dans le quartier p + k - suppose chez le créateur la capacité de nier sa démarche créatrice en tant que défense afin d’ouvrir en lui un espace disponible pour un Autre bien réel. La présence de l’Autre dans sa vie réelle, la place qu’il lui donne est largement tributaire de sa capacité à retirer de son économie psychique personnelle la libido qu’il concédera à l’Autre. Pour donner à l’Autre, il lui faudra prélever sur son capital libidinal narcissique.

Tout cela est possible à la condition que ses défenses lui permettent de le faire, c’est-à-dire que son moi ne se sente plus en péril dans une relation à l’Autre. La condition d’accrochage à l’Autre reste ainsi le décrochage à soi, à sa création.

Le quartier k - p +, stade de la négation (névrotique) de la toute-puissance, est l’antichambre du quartier k - p - qui est le moment du cycle le plus en concordance avec l’Autre.

1. Comment dépasser le désir de la toute-puissance ?

D’après Jean Mélon (18) :

« un profil de créateur en phase de création ressemble assez à un profil de psychotique, il y a pas mal de proximité entre les créateurs et les psychotiques; on sait qu’il y a pas mal de grands créateurs qui sont devenus psychotiques. la frontière entre les deux peut être très mince. Tous les vrais artistes disent premièrement qu’ils ne peuvent pas s’empêcher de créer et deuxièmement que c’est une douleur permanente. C’est n’est quand même pas drôle. Si on ne crée plus, c’est effrayant, donc tout ça est proche de la psychose. Le psychotique soit il est dans son délire soit il n’est plus rien du tout ».

Ne pas entrer dans une impasse, c’est maintenir en soi la possibilité de pouvoir se dépasser c'est-à-dire de pouvoir nier les choix que l’on a fait dans la plus grande confiance. Entrer dans une impasse, c’est bloquer le dépassement, c’est se figer dans un choix qui exclut les autres choix. C’est avoir une relation totale avec son choix au point de ne plus pouvoir le rejeter. Il est vital de pouvoir se retourner sur soi.

Si nous posons la possibilité d’une négation de soi (k-) comme référence à un rapport relatif à soi-même et son absence pour un rapport absolu à soi-même, nous devons interroger la nature de cette négation de soi dans le cadre de la création.

L’analyse de G. Bonnet sur le narcissisme

Nous avons eu l’occasion au cours du colloque Szondi 1994 à Leuven d’écouter le propos de Gérard Bonnet sur le narcissisme. Nous allons retracer sa pensée. Nous sommes en possession de notes retranscrites à partir d’un enregistreur de cette conférence. Notre promoteur de mémoire, Jean Mélon, présent à ce colloque, possède lui aussi un exemplaire de ces notes. Nous ne pouvons donc nous en référer à aucune bibliographie concernant cette conférence puisque pour l’instant, elle est inédite. Nous espérons que les Archives Szondi de Louvain-La-Neuve publieront bientôt les actes de ce colloques.

Le narcissisme serait le comble de la sexualité puisque c'est une recherche en soi de l'objet sexuel qu'on va d'abord rechercher en l’Autre. Ce noyau dur est toujours présent au coeur du narcissisme. Il y a du narcissisme que par retour de la libido sur le sexe propre, même si cette libido irradie ensuite au corps entier.

« Parce que c'est vraiment de la légende que dire que Narcisse serait tombé amoureux de sa propre image au point de s'abîmer dans sa propre contemplation. (...) C'est être amoureux de son propre sexe qu'il faut dire, sexe qu'il préfère à celui de la nymphe Echo qui lui fait signe et qui n'obtient pas les faveurs qu'elle espère. Non pas que Narcisse y soit tout à fait indifférent à cette jolie nymphe, elle lui plaît, elle l'éveille au désir mais il estime que ce qu'elle a à lui offrir ne vaut pas ce qu'il possède déjà. D'autant qu'il le retrouve en lui d'une façon beaucoup plus rassurante et totalisante.» (Bonnet, p.31)

Narcisse est mort dans sa contemplation. C'est quand même ça le vrai problème qui est posé dans cette histoire. Or, si l’inconscient ignore la mort, il n'ignore pas la disparition. L'angoisse de castration, c'est la peur que disparaisse notre organe sexuel et, si on a peur à ce point, c'est parce que cette possibilité de disparition est ancrée très profondément dans l'inconscient.

« Or, c'est bien de cela qu'il s'agit dans l'histoire de Narcisse. C'est le jeune homme qui s'évanouit, il se fonde littéralement dans l'onde où il contemple son image. Et c'est bien le destin qu'il nous faut aujourd'hui réintroduire au coeur de la psychanalyse pour opérer un second démontage. » (Bonnet, p.31)

a. La disparition et le culte du Phallus

Pourquoi cette disparition ? Pour répondre, il faut justement dépasser la légende pour rejoindre le véritable mythe. Bonnet s'appuie sur le livre de Pascal Tignard qui s'intitule Le sexe et l'effroi où il a analysé d'une façon assez classique l'histoire de Narcisse.

Un chasseur est médusé par un regard dont il ignore qu'il est le sien. Il le perçoit à la surface d'un ruisseau dans la forêt. Il tombe dans le reflet qui le fascine et est tué par le regard frontal. Et d’après Tignard, les Anciens sont formels, ce n'est pas l'amour qu'il a de sa copie qui le tue mais c'est le regard. Selon cette théorie, Narcisse serait mort atteint par un regard, par son regard. Autrement dit, l'erreur qu'il a faite, ce n'est pas de s'être abîmé dans la contemplation de son image, ce serait plutôt le fait qu'il se soit exposé au regard porté par cette image et par ce sexe. C'est ce regard qui vient le frapper en plein fouet.

On peut se demander ce qui fait que ce regard ait été aussi dangereux ?

Pascal Tignard, en s'appuyant sur les textes de l'antiquité, fournit la première explication. Cela tient à la nature même de ce regard qui est un regard sexuel, ce qu'il appelle le regard de la fascination, le regard destiné au sexe. C'est donc un regard qui fige, qui fixe et qui érige et qui peut seul, en fait, combler et dérouter.

« Dans l'antiquité, l'exhibition du phallus était  sensée exorciser ce regard pour l'apaiser. Les cultes anciens se sont remis pendant des siècles à fixer ce regard par l'exhibition des phallus sous toutes leurs formes pour en détourner les méfaits que ce soit dans les villages, dans les cultes fascistes, dans les cultes à mystère. Il s'agissait de mettre en scène le phallus d'une façon ou d'une autre, de manière à garder les membres à l'abri des valeurs portées par le regard faisant retour sur eux. » (Bonnet, p32)

Selon cette conception, le regard serait mortifère du fait qu'il est détourné de son objet naturel qui est le sexe lui-même.

Inconsciemment, nous rendons hommage au Dieu Phallus dans le sens de l'homosexualité, nous rendons aussi en même temps hommage à notre propre phallus de manière à résister à tous les regards menaçants que nous sentons se profiler sur nous. C'est finalement l'équivalent d'une sexualité ritualisée, codifiée à usage interne.

D’après Tignard, finalement, si Narcisse est mort, c'est surtout parce qu'il a eu le culot de regarder en face ce regard. C'est à dire qu'il a voulu scruter ce regard, le percer à jour. Et, il s'appuie d'ailleurs sur les passages d'Ovide qui dit : "pourquoi ai-je vu quelque chose? Pourquoi ai-je rendu mes yeux coupables ?".

Donc, Narcisse est puni pour avoir osé regarder en face le regard sur le sexe et ce qu'il signifie.

« L’analyse nous conduit à penser que nous ne pouvons nous maintenir dans l'existence que dans la mesure où nous rendons au phallus le culte qui lui convient, sous la forme qui nous est propre, à travers nos symptômes. De même, cela nous porte à croire aussi qu'à chaque fois qu'un malheur ou une difficulté nous arrive et bien, c'est parce que nous avons refusé de nous y soumettre aveuglément. D'où les résistances, d'où cette espèce de crispation sur le symptôme. J'ai trouvé un phallus, n'allez pas m'embêter à trouver ce que cela veut dire. C'est regarder le regard. Donc, c'est une espèce de façon de dire : "ne cherchez pas à savoir le regard qui est en face" et on revient à quelque chose d'assez classique qui est la faute d'Adam et Eve qui ont voulu percer le secret de l'Arbre de Vie. On touche là, je dirais aux sources de la soumission au leader, à la star, au savant, au psychanalyste; à tous ces gens qui commettent des mystères et auxquels nous devons simplement rendre un culte pour assurer notre simple survie. » (Bonnet, p. 32)

b. Némésis et la punition de Narcisse

C'est le narcissisme en tant que tel qui est un piège. Dans le mythe tel que nous le rapporte Ovide, le sort funeste qui est joué à Narcisse, à son imprudence, ce n'est pas le fruit du hasard, de son imprudence ou bien d'un caprice.

Narcisse était bon chasseur, il est plus habitué à dresser des pièges qu'à s'y laisser prendre. S'il s'y laisse prendre, c'est parce que c'était fait pour ça, c'est-à-dire que :

« ...ce piège est une pulsion, c'est une mesure de rétorsion et pas de n'importe qui, puisque nous dit l'histoire, c'est le sort de Némésis en personne. Némésis, c'est la déesse de la vengeance, de la vengeance froide, terrible pour laquelle il n'y a pas de parade possible. Narcisse est insouciant, très beau garçon, voilà que les nymphes tombent amoureuses de lui et, en particulier, la nymphe Echo. Il la repousse et elle va se laisser mourir, elle va devenir anorexique. Donc ce qui est arrivé à Narcisse, je dirais son narcissisme, et bien, c'est présenté comme une action de la vengeance. C'est-à-dire qu'Echo et les nymphes en ont appelé à Némésis et Némésis dit que cela ne va pas se passer comme ça, et le pauvre Narcisse, il n'y peut rien, il est floué d'un coup.» (Bonnet, p. 33)

Cela veut dire que, bien au-delà du problème du regard, du regard sur le sexe qui n'est jamais qu'un appât, des éléments du piège, et bien, le véritable problème de l'amour narcissique, c'est que cet amour pour notre propre sexe a un prix, une contrepartie.

« A partir du moment où je cherche en moi ce que je trouvais en l'autre, et bien, je fais disparaître cet autre, je le réduis à néant. Plus exactement, il rejette dans les ténèbres la relation vivante et dynamique qu'il a éveillée au début. » (Bonnet, p. 33)

c. Le mauvais oeil ou choc en retour

Tout le drame de Narcisse et même du narcisse au sens analytique, c'est qu'il risque à tout instant le retour sur lui de la disparition, du désir de disparition qu'il a infligé à l'Autre. Et toutes les manoeuvres qui sont évoquées jusqu'ici dans le culte du phallus, regard sur le regard, ne sont finalement que des essais pour retarder cette échéance.

« Vous connaissez la fameuse phrase de Freud :"L'ombre de l'objet plane sur moi". C'est à propos du destin du mélancolique qui en est la plus terrible des manifestations, et bien, je dirais plutôt que l'ombre de la relation à cet objet plane sur nous tous. Et cette ombre d'une relation est indélébile en ceci qu'elle est celle qui nous a éveillé à l'amour et qu'à tout instant, elle peut fondre sur nous et nous détruire. » (Bonnet, p.33)

Il n'y a pas de jouissance pour qui que ce soit dans la mesure où nous allons retrouver en soi un équivalent non pas du sexe de l'Autre, mais de la jouissance que nous avons d'abord éprouvée avec l'Autre. C'est retrouver en nous ce que l'Autre a fait naître en nous et que nous nous approprions.

« A partir du moment où je le fais mien, et bien, il se produit quelque chose qui est bien comme une espèce de mise à mort, de rejet de la relation initiale. C'est indispensable mais, dès l'instant où le sujet est en phase de retrouver, de vouloir profiter, je dirais de ce qui s'est mis en place dans la relation première, voilà qu'arrive les retombées de l'acte par lequel il s'est séparé de sa relation première, autrement dit, Némésis se met de la partie en le menaçant du sort qu'il a fait subir à l'autre. Voilà, à mon sens, ce qui fait, pour ma part, que tout narcissisme est aussi un narcissisme de drame. » (Bonnet, p.34)

d. Réalisme de l'inconscient et la disparition

La nymphe Echo, elle reste là où elle est, on la repousse. Bonnet assimile ce processus au refoulement.

« Le mot refoulement, qu'est-ce que cela veut dire ? A cette époque, le refoulement est formulé en terme d'Aufhebung, abolir, enlever. Autrement dit, c'est quelque chose qui veut dire non pas simplement l'acte de copier mais "allez ! ouste ! disparaissez !". Dans le cas présent, le terme refoulement est à prendre à la lettre. Un peu comme les petits enfants qui pleurent quand leur maman les quitte mais on entend aussi souvent ces petits enfants qui disent : "Allez maman, va-t'en !" avec une assurance extraordinaire, allez circule, j'ai envie de m'amuser avec mes copains ou tout seul". (Bonnet, p.34)

C'est vécu par le tout petit, dans l'inconscient, au sens le plus fort du terme, c'est d'un réalisme terrible. Cela équivaut au meurtre de la chose et dans l'inconscient, c'est vécu comme un acte posé et irréversible.

Poussin a consacré un tableau qui représente Narcisse et la nymphe Echo et, au centre du tableau, il y a un jeune garçon représentant une entité qui tient une torche. C'est la torche qui va allumer le bûcher, celle qui va réduire Narcisse en cendres.

« C'est extraordinaire car, dans les textes d'Ovide, il est fait allusion en deux mots au bûcher et qu'en fait, le bûcher ne sert pas puisque Narcisse va plutôt aller dans l'eau qui est à l'envers du feu. Au fond, Poussin a très bien compris que le drame de Narcisse, c'est cette confrontation avec la néantisation, avec le "tu vas disparaître, tu vas être réduit en cendres ." » (Bonnet, p. 34)

Dans le mythe, cet effet boomerang est présenté en des termes tels qu'il est inéluctable. Pourquoi inéluctable ? C'est parce qu'il y a un effet de structure. Autrement dit, si le désir d'autonomie libidinal fait retour avec cette violence, c'est aussi parce qu'il se trouve du côté de ces relations primaires des choses qui ont posé gravement problème. Il s'agit de ces choses que les adultes ont injectées dans la relation sans s'en apercevoir et que le sujet retrouve dans la relation d'aujourd'hui à certains moments.

e. L'histoire de Léonard de Vinci

Léonard est né de l'union d'un certain Pierre et de sa maîtresse de l'époque qui s'appelait Catherina. Peu après cette liaison, à peu près un an, Pierre décide de se ranger et de se marier. Il épouse donc une autre femme qui s'appelle Aguéra, elle a huit ans de moins que Catherina.

Donc, il épouse une nouvelle femme plus jeune que sa maîtresse et, en même temps, il emmène Léonard dans son nouveau foyer alors que Léonard a entre 1 an et 18 mois. Comme Pierre est un notaire et que c'est un homme de l'ordre, il n'a pas laissé tomber sa maîtresse Catherina, il la marie avec quelqu'un d'autre. Par contre, il ne se donne pas la peine, très curieusement, de reconnaître Léonard qui est resté toute sa vie un bâtard. Ainsi, Léonard se trouve avoir deux mères successives et un père qu'on pourrait dire naturel, nourricier.

Dans les grands tableaux de sa maturité, avec la Vierge et Sainte Anne, il y a toujours des femmes, et des femmes qui devraient normalement, comme la mère et la fille, avoir une différence d'âge et qui en ont très peu.

Donc, première chose qui paraît étonnante, une femme jeune qui représente l'amour des origines, et puis, une femme un tout petit peu plus âgée, souvent articulée à Jean Baptiste, ou à un objet qui symbolise un destin difficile, angoissant. On peut donc penser que ce n'est pas sans rapport avec ses relations premières.

Bonnet avance que le tableau représente le miroir sur lequel se mire le Narcisse qu'est Léonard. Mais il devrait y avoir ce qui le menace, ce qui le regarde depuis toujours et qui pourrait le tuer s'il n'y prend pas garde.

Ce qui le menace; ce n'est pas le regard en tant que tel mais ce qui s'est passé dans les relations primaires. Donc, voilà comment il essaye de s'en dégager en mettant cela en images et en écartant tous les regards qui le menacent pour les exorciser d'une certain façon et les utiliser à son propre profit.

Sa grande production, Léonard l'a élaborée à un moment crucial de sa vie. Il était au service de Ludovic More à Milan lequel a été vaincu à l'époque par les légions françaises. De fait, son mécène, à qui il devait tout, a disparu quelques années après. Il a dû changer de mécène. Il est entré aux services du roi de France par la suite.

« C'est au moment où il passe d'un mécène à un autre que lui retombe dessus ce qui s'est passé quand il est passé d'une mère à une autre. Au moment où il regarde le passé, lui arrive dessus une reviviscence de celui-ci. Il faut qu'il remette alors en image ce qui s'est passé dans la relation première pour que cela lui serve de paratonnerre. » (Bonnet, p.35)

Donc, d’après Bonnet, le malentendu des situations narcissiques mortifères provient justement de la double origine de cette menace. Le sujet lit et c'est inévitable, la violence de la menace qui pèse sur lui comme la contrepartie inévitable de son désir d'autonomie; autrement dit, comme le retour de l'acte par lequel il a mis fin unilatéralement aux relations premières. D'où, sa culpabilité (narcissique et non oedipienne).

Mais ça ne serait probablement pas extériorisé si rien dans la vie d'aujourd'hui n'était venu y faire « écho ».

f. Le choc en retour et l'appareil narcissique

Le destin de Narcisse n'est pas seulement un essai de structure mais aussi la résultante d'une histoire unique dans des conditions originaires qui sont propres à chacun et qui ne sont devenues vraiment dangereuses qu'à partir du moment où l'histoire a fait retour sur lui.

La question est : "qu'est-ce qu'on peut faire justement pour essayer de nous donner un répit?".

« Alors, je crois qu'il y a deux moyens pour regarder et pour limiter la plainte. Il y a celui des moyens que nous indique le mythe et puis les moyens que nous indiquent la psychanalyse. Donc, la première pensée préconisée est une espèce de culte pour le phallus et pour le sexe, et Dieu sait si notre civilisation d'aujourd'hui est tout à fait sur ces inventions-là et que notre culture est en train de résusciter ces cultes-là non seulement dans nos névroses, mais même sur la scène publique. Et puis, la théorie analytique n'est pas tellement étrangère au culte du phallus mais pas au sens où nous l'analysons. Nous allons essayer de trouver un dispositif pour nous garder de ce mauvais oeil, de cette espèce de retombée des choses du passé. Il s'agit quelque part de constituer un appareil artifice, pour faire face à ces choses qui vont leur tomber dessus et qui pour certains seraient insupportables. (Bonnet, p.35)

g. Le bouclier de Persée

Le "setting analytique", ce serait, pour Bonnet, rejouer l'histoire de Narcisse. Quand on s'allonge sur le divan, nous faisons comme Narcisse, nous faisons disparaître Echo qui est l'analyste. Ce ne sera plus qu'un écho. Et puis qu'est-ce qui se passe ?

« Et bien, évidemment, je m'attends à recevoir les représailles parce que Némésis va s'y mettre. Donc, je me mets dans la situation de Narcisse, j'ai des miroirs et je raconte ma vie. » (Bonnet, p. 37)

Seulement, la différence, nous savons que ce n'est pas du vrai, autrement dit, on n'en parle pas. On parle et on parle de tout ce qui se passe d'angoissant aujourd'hui pour l'articuler à tout ce qu'il y a eu pendant la vie d'hier.

Autrement dit, sans s'en apercevoir, on rejoue, on fait du psychodrame, on rejoue l'histoire de Narcisse avec cette différence qu'en même temps on est Persée, c'est-à-dire que l'on se met un bouclier pour réfléchir (le regard de la disparition, Cfr. Le mythe de la Gorgone). Finalement, au fond, la fin de l'analyse quand on a intériorisé le système, c'est-à-dire que nous ne sommes plus à la merci du regard angoissant de l’Autre et que nous comprenons, nous savons nous en servir pour dire : "tiens, signal lumineux, il y a quelque chose qui fait tilt en moi, tout va bien". Nous pourrions aussi nous dire : "du calme, ne nous énervons pas".

h. L’Autre, l'amour et le néant : une valse à trois temps

« La sexualité narcissique ne peut s'intégrer et prendre place parmi les autres que dans la mesure où le sujet peut formuler à travers elle un certain nombre de messages qu'il porte en lui sous forme de traductions. Quand Narcisse se tourne vers le miroir de l'autre, il donne à voir, comme tous les suicidés du monde, qu'il n'a pu vraiment aimer et que ces questions n'ont pas pu être posées. C'est pour cela qu'il se jette finalement à la mer en se confondant avec l'objet de son désir. » (Bonnet, p.40)

Le plus grand paradoxe de cette histoire, c'est que toute expression narcissique qui tourne en rond est le reliquat d'une lettre d'amour qui n'est pas parvenue à destination.

On dit souvent que les enfants qui n'ont pas été suffisamment aimés souffrent par la suite de carences de toutes sortes. N'oublions pas les enfants qui n'ont pas pu suffisamment aimer, c'est-à-dire ceux qui n'ont pas pu répondre à l'écho qu'ils ont cru percevoir en provenance des origines de leur vie et qui leur a pourtant permis de survivre.

« Bien sûr, ils essayent de comprendre ce qui s'est passé mais, quand ils ne trouvent rien, ils se heurtent au désir de disparition qu'un jour ou l'autre ils ont infligé à l'autre et ce désir leur revient dessus comme un effet boomerang. Je dirais que, dans tous les cas, c'est Echo qui leur ment, c'est Echo qui les appelle et c'est Echo qui les tue. » (Bonnet, p.40)

2. Conséquences sur le processus de création

2.1 La disparition de soi

Le regard de la disparition que le créateur porte sur les autres personnes l’amène dans une position qui le rapproche de Narcisse. Or, d’après Bonnet, Narcisse est puni pour avoir fait disparaître cet Autre en rejetant les avances de la nymphe Echo. Némésis intervient alors en plongeant Narcisse dans le néant de sa propre disparition c'est-à-dire sa mort.

L’analyse de Bonnet met en évidence le fait que ce regard de la disparition peut faire retour. C’est le « choc en retour ». Pour se préserver de ce choc en retour, Bonnet cite le culte du Phallus comme bouclier. Il va plus loin en postulant que le savoir est un culte que l’on voue à une toute-puissance sensée nous protéger de ce regard de la disparition qui nous reviendrait.

Dans ce sens, le créateur est en péril de voir se retourner sur lui ce regard de la disparition et d’en pressentir les effets par un néantisation de son parcours. C’est ici que peut s’inscrire la négation de soi. Mais, tout comme Persée repousse le regard de la Méduse avec son bouclier, le créateur peut repousser le regard de la disparition qui ferait retour sur lui en se protégeant d’un bouclier. Ce bouclier serait ses oeuvres, le culte de ses oeuvres sans lesquelles il s’anéantirait.

2.2 La limite au processus de création

Dans la ruine inhérente à l’excès, les Grecs voyaient l’action de la Némésis.

« L’outrance infligée à la nature des choses suscite l’énergie capable de les ramener à de justes limites. Cette énergie, les Grecs l’ont appelée Némésis ». (Beaujon, 7, p.81)

Désignant à la fois une divinité et un sentiment, tantôt nom propre et tantôt substantif, le mot Némésis (ou némésis) dérive d’un verbe grec signifiant partager, répartir. Le sentiment de la némésis est celui qui détermine et apprécie sans indulgence la part des choses et, la trouvant mal faite, réprouve cette répartition, en appelle une autre. L’esprit animé par le sentiment de némésis comprend que l’ordre du monde est en question, et que le dépassement des limites va mettre en branle la force qui réduira l’excès commis.

« Dans tous les domaines où s’exerce notre activité, certaines limites apparaissent comme des nécessités vitales, ou des principes régulateurs. Si donc on donnait le nom de Némésis à l’ensemble des forces qui règlent et limitent l’entreprise humaine et qui sont susceptibles, dans le cas où l’homme voudrait les ignorer, de se faire sentir comme une espèce de choc en retour ou de reflux dévastateur, on transposerait dans le mode actuel l’exacte signification que la Némésis prenait aux yeux des Grecs ».(Beaujon, 7, pp.81-82)

Contenir ce qui doit être contenu : c’est tout le problème de la limite. « Contenir n’est pas nécessairement réprimer ni restreindre : c’est inclure dans une réalité plus vaste ».(Beaujon, 7, p.17)

Cela appelle un processus dialectique qui pourrait se décrire comme une vision qui parcourt le champs ouvert à l’expérience de manière à y découvrir les éléments par lesquels se lient, dans leur opposition même, les extrémités de ce champs.

« Le mot dialectique (dia, à travers) retrouve ici la signification que les Grecs lui ont donné : recherche de la vérité par l’opposition des points de vue et des personnes dialoguantes, parcours de la distance entre ces points de vue... ».(Beaujon, 7, p.160)

Ainsi, la limitation au processus de création repose sur un seuil qui consiste à ne pas dépasser l’excès. Celui-ci étant entendu comme la prépondérance d’une force par rapport à une autre, toutes deux étant liées de par leur nature dialectique. En quoi l’excès véritable se menacerait-il chez le créateur ?

 « Mais il arrive que l’image arrête la vision et capture l’intelligence, au lieu de les promouvoir. L’image se travestit en absolu et devient idole. Les mythes de la nation, de la race, du progrès indéfini, de la révolution prouvent leur puissance par l’histoire. Le mythe (métaphore développée) est un discours trompeur dans la mesure où, parvenu à concentrer l’attention sur une certaine image, il affranchit cette image de sa limitation et lui retire ainsi le pouvoir de s’agréger à une synthèse supérieure ».(Beaujon, 7, p.50)

L’homme tout entier apparaît comme un passage, un carrefour entre deux mondes, un noeud de relations. L’acte le plus nécessaire est pour lui le plus difficile : réaliser son unité. Elle ne peut se concevoir sans la multiplicité qui en est l’extrême opposé. Un et multiple : tel se révèle à ses propres yeux chacun de nous. Mais il est des « images de soi » tellement absolues qu’elles ne souffrent aucune comparaison avec d’autres allant jusqu’à nier leur propre négation. Et en cela, k + est la négation de sa propre possibilité de négation k-. Un créateur doit circuler dans ces deux positions sinon son k + l’entraînera vers une forme de relation absolue avec lui-même qui retombera dans les bras de Némésis, en l’occurrence, une autodestruction située en k- et à la mesure de l’empreinte du k+.

C’est véritablement une sécurité que de pouvoir « dialectiser son être » entre la conviction de pouvoir tout et celle de n’être qu’une « nullité finie », « une faille sur deux pattes ».

« De cette pluralité, la dialectique dégage le principe organisateur, la limite, propre à unifier ce qui, de son seul mouvement, glisserait à l’illimité ».(Beaujon, 7, p.180)

On appauvrit le réel dans la mesure exacte où on le soustrait à sa nature dialectique.

« Si l’homme est un être dialectique, son état normal est le drame, c’est-à-dire le jeu de sa pluralité intérieure. Pas de dialectique sans drame ».(p.206, 7, Beaujon)

Si nous partons du désir de maîtrise du créateur sur son monde interne, arrivé à un extrême, sa vision englobante doit pouvoir transcender son désir de maîtrise. Cette vision doit comporter l’antithèse de soi : une altérité radicale. Autrement dit, se nier sans abolir, s’intégrer dans quelque chose de plus vaste que soi. Concrètement, le créateur lâche la pression et entre dans un laisser-faire ou laisser-agir propice à introjeter ce qui permettra une synthèse. Donc, le désir de maîtrise à l’excès enclave l’esprit dans une facette en occultant l’autre facette.

Ainsi, il semble que face au désir d’absolue puissance d’un être humain, la nature réponde par un désir de néantisation qui se sourcerait dans la même racine inconsciente. Ce serait un principe d’équilibration grâce à deux forces antithétiques qui amènerait le créateur a succomber au passage à vide qui peut devenir le passage au gouffre. Celui-ci serait compris comme un « signal », un voyant lumineux s’allume, il est temps de rejoindre les autres. Outrepasser ce cap et il n’y a plus d’équilibre, il y excès et contre-nature.

Si la nature a inscrit au plus profond de nous le rapport à l’Autre au sein même de notre corps, de notre origine; nous pensons que « notre nature »  ne peut souffrir un processus qui tend à nier de manière absolue ce rapport à l’Autre. C’est, nous semble-t-il, ce que nous lisons au premier chef dans le mythe de Narcisse. La formule de cette logique une fois amplifiée et portée à son paroxysme deviendrait : « Tout accès de toute-puissance appelle un accès de néantisation dans une mesure proportionnée à la toute-puissance ». « Un système doué d’un pouvoir autonome de ridiculisation du système » (Michaux, 21, p.117)

2.3 Attachement
2.3.1 Hypnose - Amour - Point de vue de Freud

Tous les procédés hypnotiques ont en commun une capture de l’attention. Il s’agit de fatiguer l’attention au moyen de stimulations sensorielles faibles et régulières. L’attention au sens large correspond à la mise en éveil de nos sens. Or, dans l’hypnose, nous observons une captation par l’hypnotiseur de ces sens. Alors que l’hypnotisé se comporte vis-à-vis du monde extérieur comme un dormeur, c’est-à-dire en a détourné tous ses sens, il est éveillé vis-à-vis de la personne qui l’a plongé en hypnose, n’entend et ne voit qu’elle, la comprend et lui répond.

D’après Freud, ce phénomène appelé le rapport hypnotique a des conséquences caractéristiques :

« Mais il n’y a pas que cette réduction, pour ainsi dire, du monde de l’hypnotisé à l’hypnotiseur. Il s’y ajoute le fait que le premier devient tout à fait docile à l’égard du second, obéissant et crédule, et cela de façon quasi illimitée en cas d’hypnose profonde ».(Freud, 13, p.15)

Envisager sous l’aspect de la mise en forme sensorielle, l’hypnose éclaire de manière évidente le détournement de soi de ses propres sens dans un rapport à l’Autre aboutissant à un véritable transfert de représentations :

« L’hypnotiseur dit : « Vous voyez un serpent, vous sentez le parfum d’une rose, vous entendez la plus belle des musiques », et l’hypnotisé voit, sent, entend ce qui est exigé de lui par la représentation suggérée (...) il se comporte tout à fait comme si cela était réel, manifeste tous les affects correspondants, et peut le cas échéant rendre compte, après l’hypnose, de ses perceptions et de ses expériences imaginaires. »(Freud, 13, p.16)

Ainsi, la captation de la sensorialité d’une personne par une autre personne aboutit au processus hypnotique qui se caractérise par une obéissance et une crédulité puissantes. Il y a littéralement transfert de représentations d’une personne à l’autre sur la base d’un puissant lien sensoriel commun.

C’est à ce point de notre propos que nous situons le bagage sensoriel commun comme base primordiale de l’attachement c’est-à-dire le partage de ses sens et de ses représentations avec d’autres personnes.

Il y a investissement libidinal sur l’objet d’attachement. Nous supposons que plus la sensorialité est commune aux deux personnes qui s’attache l’une à l’autre, plus s’installent entre elles une obéissance à l’Autre, la crédulité à l’Autre et l’abandon de soi. Pour illustrer ce concept attachement - partage sensoriel commun, revenons à Freud :

« On peut remarquer en passant qu’en dehors de l’hypnose, dans la vie réelle, une crédulité du genre de celle dont l’hypnotisé fait preuve à l’égard de son hypnotiseur ne se retrouve que dans l’attitude de l’enfant à l’égard des parents aimés; et que cette façon d’accorder avec une telle soumission sa vie psychique propre sur celle d’une autre personne a un équivalent unique mais parfait dans certaines relations amoureuses caractérisées par un total abandon de soi. La conjonction de l’attachement exclusif et de l’obéissance crédule compte généralement parmi les traits caractéristiques de l’amour ».(Freud, 13, pp.16-17)

2.3.2 Base théorique

Dans le monde anglo-saxon, la notion d’attachement a fait son apparition suite aux travaux de Bowlby sur la privation d’affection maternelle, travaux inspirés de ceux bien connus de Spitz sur l’hospitalisme. En 1958, Bowlby et Harlow publient deux articles chacun d’orientation différente mais convergeant sur les liens qui unissent l’enfant à sa mère. Ces deux travaux, selon Bucher, peuvent être considérés comme point de départ de cette psychologie qui suscita de nombreuses recherches aussi bien en éthologie qu’en psychologie génétique.

Lorenz K. et Zazzo R. apportèrent leur contribution par la suite. Moins connu fut l’apport de l’ « Ecole hongroise » avec en son sein des hommes comme Ferenczi, Balint, Hermann et Szondi. Hermann I. consacra son oeuvre à l’attachement en se basant sur des observations éthologiques. Szondi saisit l’importance des travaux d’Hermann et les inséra dans sa propre recherche :

« A Szondi revient le mérite d’avoir saisi l’importance des travaux de Hermann, et d’en avoir tiré les conclusions qui s’imposaient : que les phénomènes d’accrochage, de l’attachement sont hautement significatifs, en tant que premières ébauches de socialisation certes, mais plus encore en tant que base de la complexe structuration psychique de l’être humain. » (Bucher, 8, p.331)

Voilà scellé le destin des individus à travers celui d’autres êtres humains. Mais ce n’est pas suffisant pour que s’opère la socialisation. Celle-ci, au sens plein du terme, dépend néanmoins d’une loi symbolique qui seule fonde la dimension sociale d’autrui.

Même la symbiose mère-enfant n’est pas un phénomène qui ressort strictement du Contact, « elle trouverait ses assises dans le vecteur du moi, à savoir dans la fonction p - de participation » (Bucher, 8, p.332).

La dépendance de l’union mère-enfant se transforme graduellement en relation objectale, c’est-à-dire intermittente à l’égard d’un objet qui lui confère des soins et des satisfactions alimentaires indispensables, et dont l’enfant reconnaît peu à peu l’existence en tant qu’élément non-moi.

« Cette reconnaissance, cette « prise de conscience » est possible dans la mesure où l’enfant renonce à la participation duelle (réaction p -), et s’oriente vers le pôle d’une auto-affirmation individualisée (p + ), où les désirs ne sont plus projetés et vécus dans l’autre, mais assumés dans leurs ambitendances. » (Bucher, 8, p.332)

Revenons maintenant à notre propos sur cette force qui nous « attache » aux autres et qui siège à la racine de notre être. Nous pouvons utilement nous référer à la notion winnicottienne de holding, de maintien. Ce serait d’après Winnicott l’expérience de l’union duelle, de la « relation primaire », qui confère à l’enfant, de par la continuité de soins maternels fiables, le sentiment de sécurité lui permettant une intégration structurante du moi. Celui-ci devient apte alors à supporter des états d’angoisse résultant à la fois d’expériences pulsionnelles internes et de la discontinuité, voire de la désintégration temporaire de l’état d’unité déjà acquis.

Szondi propose une notion équivalente à celle de « holding », celle de Halt, de tenue, retenue, soutien ou maintien. Szondi affirme l’importance du Haltobjekt, un objet de tenue qui nous porte, qui confère la sécurité de pouvoir disposer d’un soutien fiable et d’une tenue propre; ou encore, qu’il s’agit d’objets auxquels il peut (se) tenir et par lesquels il est maintenu.

Bucher signale que Szondi, à la différence de Winnicott, insiste plus sur l’effet que le « holding » maternel produit sur l’enfant, que l’activité de la mère elle-même.

« Cet effet se traduit par la mise sur pied d’un « self » propre, « colonne vertébrale » qui « tient » l’individu et lui permet  de « se tenir » devant les autres. Au fur et à mesure que se constituent alors des relations objectales, des objets substitutifs peuvent être investis qui, à leur tour viennent corroborer la tenue et l’auto-confiance du sujet. » (Bucher, 8, p.335)

Au départ, l’attachement à la mère repose, en autre, sur l’illusion d’être l’Autre et vice-versa. L’illusion figure dans le vecteur du moi sous la réaction de participation (Sch o -) : l’enfant se crée le sein maternel, il est le sein, de par l’effet de l’omnipotence magique qui caractérise la participation.

En quoi cette illusion est-elle retrouvée dans la dynamique qui nous fait tendre vers l’Autre ?

« Pour parler avec Winnicott : l’expérience bénéfique de l’illusion primaire pourvoit l’enfant de la capacité de (re-)créer des désirs substitutifs du désir premier, et ceci par le truchement de représentations et de fantasmes donnant relief à l’illusion primaire. Il suffit de rappeler les aspects positifs que tant Szondi que Winnicott confèrent à cette transformation de l’illusion : la créativité imaginative, artistique, scientifique, le rapport avec les arts, la religion, l’esprit, les valeurs humaines en général... » (Bucher, 8, p. 337)

Ce qui est désigné ici est, pensons-nous, le sentiment d’oeuvrer dans une communion humaine qui donne à chaque être sa dimension participative. Ce sentiment répond en écho au sentiment plus puissant d’union à la mère, sorte de « prémisse logique » à toute activité mentale quelqu’elles soient. L’attachement est le moment fécond du lien irréductible à l’Autre.

Du point de vue szondien, l’attachement inscrit basalement dans le contact est indispensable pour établir des relations objectales.

« Le vecteur C (contact) représente cette pulsion qui a comme tâche spécifique la recherche de l’objet; que sa tension provient de son articulation bipolaire interne; qu’elle est nourrie par des sources d’énergies spécifiques (mais hypothétiques); et finalement, que sa satisfaction consiste dans l’établissement de relations objectales, mais en interaction étroite avec les autres six besoins pulsionnels, et particulièrement en alliage pulsionnel avec les deux besoins du vecteur S de la sexualité. Le vecteur du Contact occupe donc une place particulière dans le système pulsionnel. Il constituerait d’abord la base de ce système, dans le sens où est indispensable son « entrée en action », établissant des « ponts » pour que les autres tendances pulsionnelles puissent atteindre la satisfaction. » (Bucher, 8, p.339)

Que ce lien soit instinctif ou pulsionnel, cela dépasse notre cadre. L’important à nos yeux reste l’évidence d’une puissance qui nous pousse les uns vers les autres. Nous la désignons du terme « attachement » tout en sachant que ce terme renvoie à un processus qui s’édifie essentiellement au tout début de la vie d’un enfant alors que nous parlons de force qui agissent à tout âge de la vie.

Les forces issues de cette source ne sont pas sensu strico du même registre que celui de l’attachement tel qu’il est décrit aux tout premiers stades de l’enfant, mais nous pensons que ces forces s’originent dans cette source, et dans cette mesure, nous leur donnerons le même nom pour plus de « simplicité ».

2.4 Dialectique de l’attachement et du détachement
2.4.1 Lecture philosophique

Le détachement est ce qui détache, donc, diminue les contraintes d’attachement et augmente les degrés de liberté de ce qui est détaché. A l’inverse, l’attachement tend à attacher, à « emprisonner » quelque chose par quelque chose.

Du point de vue du mouvement, le détachement augmente le degré de liberté, à l’inverse de l’attachement qui tend à immobiliser, à contenir le mouvement par une attache.

La vie est mouvement. Tout ce qui est vivant bouge. Les échanges ioniques du Na+ à travers la membrane cellulaire sont la condition de son potentiel de membrane, de ses mouvements internes. A l’intérieur du corps, tout bouge sans cesse.

L’attachement par contre freine le mouvement et le contient. Au bout de l’attachement extrême réside la mort, immobilité totale. Mais le détachement extrême aboutit lui aussi à un processus morbide en tant que désintégration des structures.

C’est dans la dialectique entre ces deux extrêmes que nous voulons situer le cycle de la création. Un hémicycle où règne l’attachement (k-) à l’Autre, et un hémicycle (k+) où règne le détachement à l’Autre. Ni l’un ni l’autre ne sont en soi des solutions, il s’agit plutôt de circuler entre ces positions pour garantir la bonne mesure entre les forces qui nous éloignent de l’Autre et celles qui nous en rapprochent.

La normalisation ou adaptation normative se conjugue avec la création, souffle de vie, pour orchestrer le ballet du destin d’une personne qui se voudrait être et humain, c’est-à-dire capable de s’auto-émerger dans un rapport à soi-même et capable d’appartenir à une espèce, à une communauté : celle des humains.

2.4.2 La pensée doit être freinée...

 « L’homme est un être à freins. S’il en lâche un, il crie sa liberté (le pauvre !), cependant qu’il en tient cent autres bien en place. La vitesse des images, des idées, tient à la perte de la maîtrise. Seuls les freins rendent la pensée lente et utilisable. Elle est naturellement extrêmement vite, follement vite. » (Michaux, 21, p.241)

Henri Michaux a expérimenté l’action des drogues psychédéliques sous surveillance médicale. Son exploration l’a amené à rédiger ce livre qui raconte son expérience sous la lumière d’une analyse serrée et d’une description minutieuse.

Nous considérons que les expériences sous drogues psychédéliques peuvent éclairer la trajectoire d’une pensée détachée du réel. Pour nous en convaincre, nous citerons les premières lignes de son livre.

« Toute drogue modifie vos appuis. L’appui que vous preniez sur vos sens, l’appui que vos sens prenaient sur le monde, l’appui que vous preniez sur votre impression générale d’être. Ils cèdent. Une vaste redistribution de la sensibilité se fait, qui rend tout bizarre, une complexe, continuelle redistribution de la sensibilité. Vous sentez moins ici, et davantage là. Où « ici » ? Où « là » ? Dans des dizaines d’ « ici », dans des dizaines de « là », que vous ne connaissiez pas, que vous ne reconnaissez pas. Zones obscures qui étaient claires. Zones légères qui étaient lourdes. Ce n’est plus à vous que vous aboutissez, et la réalité, les objets même, perdant leur masse et leur raideur, cessent d’opposer une résistance sérieuse à l’omniprésente mobilité transformatrice. (...). Vous subissez de multiples, de différentes invitations à lâcher...» (Michaux, 21, pp.9-10)

Si nous reprenons la dialectique de l’attachement et du détachement, ici aussi trop d’attache dans la pensée la freine et l’éteint. Tandis que trop de détachement la propulse à une telle vitesse qu’elle en devient démoniaque, paralysante, sauvage et ressemble à un torrent qui emporte sur son chemin toutes les représentations, tous les liens stables. Rien ne résiste à une pensée qui s’est détachée, elle accède à une trajectoire exponentielle.

Nous illustrerons un des premiers effets néfastes du détachement de la pensée par le concept de « pensée néoténique » :

« Avant qu’une pensée ne soit accomplie, venue à maturité, elle accouche d’une nouvelle, et celle-ci à peine née, incomplètement formée, en met au monde une autre, une nichée d’autres qui semblablement se répondent en renvois inattendus et irrattrapables et que jusqu’à présent je n’ai pas réussi à rendre. »(Michaux, 21, p.92)

L’expérience psychédélique montre aussi des phénomènes qui rappelle curieusement ce que l’on peut observer dans un détachement de la pensée intense telles que des abstractions vides :

« J’assiste à un effondrement du concret, il y a quelques instants exalté, qui ne laisse ainsi de son passage qu’un je ne sais quoi, abstraction spéciale par soudaine paupérisation, par abrupt épuisement (du sensible), par cataclysmique déconcrétisation. Abstraction suis generis. Phénomène ici fréquent. Prodige qui chaque fois vous laisse confondu. Modèle sans doute de bien d’autres secrets « dépouillements »... Mais qui s’enfonce comme un clou. (...). Abstraction autonome, qui ne travaille pas, ne se lie pas à d’autres, se suffisant à elle-même et qui laisse médusé. » (Michaux, 21, p.128)

Ces abstractions qui n’aident pas à penser mais qui envahissent le champs mental en laissant le regard de celui qui les subit complètement médusé est un phénomène que l’on rencontre dans une pensée fortement détachée du réel sans pour autant que celle-ci soit sous l’effet de drogues.

Il existe bien d’autres pièges qui attendent la pensée du créateur lorsqu’il la détache du réel. Nous ne sommes pas en mesure de donner de plus amples informations sur ces aspects, néanmoins, nous allons finir ce propos sur un des plus redoutables pièges de la pensée qui s’auto-alimente, ce que nous désignerions comme la perte du pôle nord pour une boussole, la déviation du sentiment de certitude.

Ce sentiment est le fondement affectif de toute pensée intellectuelle, il en garantit la densité affective ainsi que sa teneur. Il est vital pour l’esprit que ce sentiment soit réglé à la perfection sur des références solides. Un esprit qui ne se rendrait plus compte que son sentiment de certitude est biaisé à la base est un esprit voué à l’impasse la plus totale. Tout l’appareillage critique de notre esprit repose sur la force de se sentiment, sur la conviction que ce sentiment établit en nous. Toucher les bases de ce sentiment chez quelqu’un, c’est le faire trembler dans l’âme car il ne sait plus se positionner par rapport à quoi que ce soit.

Ce phénomène est le point de non-retour. En effet, il peut arriver qu’un créateur nié dans sa démarche par les autres se referme dans son monde et consacre toute son énergie à sa quête. Il peut s’identifier à ce point à sa quête qu’il ne puisse plus vivre sans y penser continuellement. Le détachement de sa pensée opérant pendant de nombreux mois peut l’amener à un extrême que nous situons comme un point de non-retour. L’expérience psychédélique de H. Michaux illustre parfaitement en quoi consiste un point de non-retour au niveau psychique suite à un excès de détachement. Cet extrait est long mais il a le grand mérite d’approcher le danger qui menace le créateur s’il va trop loin dans le détachement.

 « Et continuent à se présenter à lui des pièges, comme il n’en a jamais rencontré et dont il n’aurait même pas eu l’idée de se méfier. Dans la tragédie des renforcements démesurés où il avance, voici venir (et il ne le voit pas) le plus grave peut-être, celui qui va se faire se refermer sur lui les portes de l’asile, le sentiment de la certitude totale. A cause de ce sentiment il continue à marcher dans « ses histoires » qui ne devraient pas résister à un examen critique. Mais elles résistent et parfaitement. Il a reçu l’aveuglant message de la Vérité. Ce sentiment d’évidence-là, sans rapports avec le sentiment courant d’évidence, est quelque chose qu’il faut avoir connu pendant l’ivresse mescalinienne, dans sa soudaineté, son coup de poing, sa presque caricature mécanique, pour comprendre qu’il n’y a pas de parade possible (souligné par nous). L’idée se referme sur soi, comme le couvercle d’un coffre qui a basculé. Plus de sortie. L’idée boucle la boucle, idée en un instant achevée, définitive, emmurante. Devenue vérité V. Quelquefois, il est arrivé à un expérimentateur de la mescaline de voir l’idée, surtout si elle lui est étrangère (que quelqu’un vient de lui communiquer sur place ou par téléphone), il lui est arrivé, en un dernier moment de liberté (deux secondes suffisent), de la voir s’emparer de lui, et le happer. L’aliéné ne se voit pas happé. Il l’est avant de l’avoir vu. Il reste, il restera dans le gouffre de l’évidence, innocent, esclave, ignorant qu’il est esclave. Sans l’accroissement incomparable du sentiment de certitude, pas d’aliéné. La foi fait la folie, l’y fait demeurer, ne lui permettant pas de corriger de lui-même, ni avec l’aide d’autrui, l’idée absorbante à laquelle il a donné son adhésion.  A cette idée il a succombé, il s’est soumis à sa suggestion comme quelqu’un qui s’est soumis à la suggestion d’un hypnotiseur. Totalement. L’opération en coup de foudre n’est même pas nécessaire. Il peut n’avoir aucune conscience de rencontre. A un moment il se trouve dedans. Immergé dans l’évidence de la Vérité qui de toutes parts avance et rayonne, et pleut sur lui. Quoique l’ « idée » paraisse aux autres saugrenue, délirante, limitée (parce qu’ils en voient seulement les affleurements), elle est pour lui une idée incomparable, une idée réponse à tout, une idée-cathédrale qui le place au-dehors des mesquines critiques et, d’une certaine façon, s’inscrit dans les lois secrètes de l’Univers. Son savoir, qui est savoir par illumination, n’a rien de commun avec les autres savoirs et réside en lui comme un fantôme sans bornes et que ne peut examiner la critique. Plus du tout. De ce qui fascine on ne peut faire le tour. Il se trouve qu’une idée présentement sur lui a pouvoir. Avant, son esprit sur elle aurait eu pouvoir. Maintenant elle seule a pouvoir. Et lui est sous son pouvoir, sans réserve, sans « mais », sans aucun. (...). Ne pouvant avoir vue sur cette idée dominatrice, ne pouvant, n’ayant pu voir son absorption par l’idée absorbante, ne sent-il donc rien ? Si. Et (nouvelle apparition de la persécution) il sait presque toujours, comme ont dit plus ou moins des centaines de milliers de malades mentaux, qu’ « il se passe quelque chose dans son dos », même s’il se croit Empereur des empereurs. Tout aliéné sait qu’il lui échappe quelque chose d’important. » (Michaux, 21, pp. 215-217)

Quand un être préfère obéir aux lois de l’Univers, la loi des hommes semble bien dérisoire... Qui a tort ? Qui a raison ? Dans la création, le créateur ouvre des domaines où la loi des hommes n’a pas encore mis les pieds tandis qu’il sent pertinemment bien la présence des lois de l’univers qui le guide.  Finalement, il se sait créature dans l’univers comme tout les autres hommes, alors quelle référence choisir ? C’est cela le carrefour du diable : chaque sentier mène à un destin radicalement différent et il faut choisir quelle route prendre sans trop savoir où elles vont toutes... Personne ne sait où se situe un point de non-retour et parfois il est trop tard quand on l’a vu.

2.5 L’amour de l’Autre

L’amour de l’Autre, c’est l’investissement libidinal d’un objet d’amour. Cet investissement n’est possible qu’à la condition - prenons le cas d’une hétérosexualité - que le capital libidinal narcissique diminue afin de permettre la « charge » libidinal de l’objet d’amour. Le « centre de gravité » de la libido est déporté dans l’Autre.

Cette économie du coeur un peu simpliste nous plonge dans l’enjeu de l’amour de l’Autre face à la création. Le processus de création détache l’individu des autres personnes d’une manière ou d’une autre. Bien souvent, il naît d’une « fissure » dans la participation à l’Autre que nous supposons mettre à un moment donné le moi en péril. La création semble nettement avoir une couleur disons défensive ou plutôt protectrice. C’est un processus autocentré puissant dont la puissance semble être corrélative de « la blessure à l’Autre ». Alors comment sortir de ce processus pour aller vers cet Autre ? Et pourquoi aller vers cet Autre ?

Nous pensons que des éléments de réponse sont à puiser dans le rapport amoureux.

 « L’amour adulte exige une double aptitude à établir un état symbiotique et à revenir aux limites de son propre moi. Cette capacité d’adopter et de quitter l’une ou l’autre disposition sans difficultés et au moment opportun est là essentielle .»(Besdine, 3, p.204)

Selon Alberoni (1, p.131), l’amour naissant s’alimente de cette tension différentielle qui doit devenir unique. Pour lui (1, p.9) : « Qu’est-ce que tomber amoureux ? C’est l’état naissant d’un mouvement collectif à deux. »

 « L’amour naissant sépare ce qui était uni et unit ce qui était séparé; mais l’union se fait d’une façon particulière, car elle se présente comme une alternative structurale à une relation structurée. La nouvelle structure défie la structure ancienne jusque dans ses racines, la réduit à une chose dépourvue de toute valeur. Parallèlement, elle édifie la nouvelle communauté sur une valeur absolue, un droit absolu, et réorganise tout le reste autour de ce droit. Cette nouvelle organisation ne se produit pas immédiatement mais au cours d’un processus. Ce qui se manifeste à l’instant même, c’est l’objet pur de l’éros. Cet objet nous apparaît comme une révélation. » (Alberoni, 1, p.31)

La nature même de l’amour naissant implique que l’on se fie à l’Autre, que l’on s’en remette à lui, que l’on s’abandonne. L’amour à l’état naissant tend à la fusion, mais à la fusion de deux personnes différentes. Pour que naisse l’amour, il faut qu’il y ait diversité et l’amour naissant est une volonté, une force pour surmonter cette diversité qui cependant existe et doit exister. La personne aimée intéresse parce qu’elle est différente, parce qu’elle est porteuse d’une spécificité propre et que l’on ne peut confondre avec aucune autre.

« L’état naissant entraîne une façon de penser, de voir, de sentir, de vivre tout à fait différente. Ceux qui se trouvent dans cette situation, dans cet état, se comprennent l’un l’autre profondément. Bien que leur histoire personnelle soit radicalement différente, leur relation au monde est identique. C’est la raison pour laquelle, dans les grands mouvements collectifs, des milliers et des milliers de personnes d’âge et de milieux sociaux différents, se « reconnaissent » et forment une unité collective, un « nous ». Le même phénomène se produit quand on tombe amoureux. »(Alberoni, 1, pp.70-71)

L’amour de l’Autre peut engendrer une négation de son trajet en le transfigurant par l’union à l’Autre. Il semble que la thèse d’Alberoni aille dans le sens d’une négation profonde de soi pour tomber amoureux.

« En réalité, ils ne sont pas prédisposés à tomber amoureux, même s’ils le désirent. L’amour qu’ils désirent, même ardemment, ne correspond pas à une nécessité de rompre complètement avec le passé, à une nécessité de remettre en cause leur vie, de prendre le risque de se projeter dans une nouveauté absolue. Personne ne tombe amoureux s’il est, même partiellement, satisfait de ce qu’il a et de ce qu’il est. L’amour naît d’une surcharge dépressive qui se caractérise par l’impossibilité de trouver dans l’existence quotidienne quelque chose qui vaille la peine. Le « symptôme » de la prédisposition à l’amour n’est pas le désir conscient de tomber amoureux, ni le désir intense d’enrichir l’existence; mais le sentiment profond de ne pas exister, de n’avoir aucune valeur et la honte de ne pas en avoir. Le sentiment du néant et la honte de sa propre nullité : tels sont les signes avant-coureurs de l’état amoureux. (...) Ce n’est pas la nostalgie de l’amour qui nous pousse à tomber amoureux, mais la certitude de n’avoir rien à perdre en devenant ce que nous devenons; c’est la perspective du néant devant nous. C’est alors que se développent en nous cette disposition à affronter une situation différente et à prendre des risques, cette propension à se jeter dans n’importe quelle aventure et que ceux qui sont satisfaits d’eux-mêmes ne peuvent connaître. » (Alberoni, 1, p.78)

Voilà développée l’action magistrale de Némésis à travers la néantisation de son ego permettant l’ouverture à l’Autre, passerelle amitieuse ou lien d’amour, quoiqu’il en soit, l’amitié est encore une manière d’aimer. Pour Alberoni, l’état naissant se source dans la surcharge dépressive.

L’Autre en tant comme référence de soi est une cassure du rapport absolu à soi-même et introduit un rapport relatif à soi-même c'est-à-dire médiatisé par l’Autre.

« Savoir notre amour partagé, nous fait percevoir que l’être que nous sommes, si modeste que soit le jugement que nous portons sur nous-mêmes, comparé à ce que sont et ce que valent les autres, détient une certaine valeur. Cette valeur, c’est l’être aimé qui nous la confère, lui qui incarne toute valeur potentielle. » (Alberoni, 1, p.113)

Pour freiner le détachement, il faut l’attachement. Pour un être humain, cela s’appellerait l’amour, c’est aimer une personne qui devient l’ambassadrice de toutes les autres.

4. Quartier k - p -

k - et p - sont la marque de l’Autre dans le sens où la limite vient de ce qui n’est pas moi. L’oedipe est là pour nous rappeler que, sans la loi de l’Autre, du père; pas de limite au désir de toute-puissance. L’idée est que la limite à notre désir de toute-puissance ne peut venir que de ce qui n’est pas nous et de ce qui limite l’imaginaire c’est-à-dire l’Autre et le réel. Et k- p-, c’est le réel et l’Autre.

k- indique la négation de son monde fantasmatique et p- indique la position participative. C’est la réaction de l’homme de la rue sans ambitions personnelles, inhibé dans sa fonction imaginative. C’est quelqu’un somme toute de très disponible, qui s’inscrit dans la société comme un poisson dans l’eau.

C’est donc une position que nous ne développerons pas mais que nous signalons comme étant une étape de mise en veilleuse dans le processus de création. C’est la relation à l’Autre pleine, sans écart, sans distance : on y croit point c’est tout. On participe, on obéit, le monde tourne et nous le suivons.

Quand le créateur rejoint cette position, il a réussit à sortir de sa démarche pour rejoindre les autres. Il est dans le bain sensoriel commun et il partage les représentations communes. C’est en ce sens qu’il ne délire pas car il possède ce bagage. Il a donc une volonté de partage, de communication, de disponibilité à l’Autre.

L’acte créateur a son assise dans le fait qu’une personne reprend à son compte ses sens. A ce moment, elle ne cherche plus à partager un même bagage sensoriel (« autarcie sensorielle » : k+). L’individu oriente ses sens pour ses propres représentations et finalement sa propre image de soi (« autarcie représentationnelle » : p+) .

Mais, d’un point de vue social, dès qu’une personne modifie et calibre sa sensorialité et sa perception à ses propres fins, cette personne risque de s’éloigner des codes, des normes, des conventions qui établissent les règles sociales et qui fondent la communication. Plus cette personne investit spécifiquement ce qui correspond à sa manière d’être au niveau perceptif, plus nous avons de probabilité que cette personne partage moins son bagage perceptif avec celui des autres.

Si cette perception personnelle sédimente dans une représentation et que cette représentation spécifique à soi envahit le champs mental, il y a de fortes chances que les représentations communes inscrites chez cette personne soient désinvesties.

Ce processus peut ouvrir une porte vers un mécanisme de type psychotique si l’individu se structure selon ses perceptions sans tenir compte de « la manière d’être sociale » telle que l’interprétation du rorschach (Ban%, F+%) et du T.A.T le souligne pour les diagnostics de psychose. En tous cas, le moins que l’on puisse prévoir, c’est un comportement antisocial.

La rupture totale avec l’Autre peut être évitée par un mouvement alternatif qui fait voyager le moi dans les différentes positions. Cet aspect cyclique est connu comme facteur d’équilibre notamment dans le cycle du contact (accrochage - contact - décrochage - rupture du contact). Cela permettrait d’éviter une structuration excessive dans l’un ou l’autre pôles. C’est en ce sens que le quartier k- p- est une étape indispensable dans le processus de création pour éviter que cela ne dérape.

Jean Mélon (18) rappelle l’importance de l’objet avec lequel fusionner dans la création. L’Autre (un proche) est une présence-absence continuelle. Si cet autre est trop intrusif, la création n’est plus possible. S’il s’éloigne de trop, cela ne va plus trop. Tout l’espace créatif est soutenu par une charpente invisible mais efficiente qui est la présence maternelle symbolique.

Entrer en k- p-, c’est rejoindre cet Autre. La participation est de mise (p-), l’attachement est puissant, « je suis l’autre ». k - maintient en nous la place que pourra prendre l’Autre : k - enlève à notre économie narcissique la libido qui est redistribuée à l’Autre (p -). L’union est réalisée, l’accord règne.

Articulation de l’interprétation selon Maldiney - Mélon

Nous sommes redevables à Jean Mélon (18) de nous avoir permis d’avoir accès à une vulgarisation de la pensée complexe de Maldiney. Le propos qui va suivre est largement inspiré des séminaires szondi 1995 que Mélon a donné à l’Université de Liège.

Il y a une espèce d’homologie entre l’oeuvre d’art et le moi au niveau de la structure. Le moi se construit comme se construit une oeuvre d’art. Et inversement, une oeuvre d’art se construit à la manière du moi. (Maldiney, 17)

Szondi appelle le moi le « moi pontifex oppositorum ». Le moi est faille. Selon le destin-contrainte, le moi n’est que pulsion c’est-à-dire nature et (de l’autre côté de la faille) selon le second destin, il ex-iste à travers le destin-choix. Le choix est ce qui permet l’existence autrement dit.

Chez Maldiney, l’opposition qu’il reprend à Szondi, c’est l’opposition entre la contrainte et le choix. Ce n’est pas entre contrainte et liberté parce que la liberté, ce qui conditionne la possibilité même d’être libre, c’est qu’on ait le choix évidement. Si on n’a pas le choix, on ne peut pas parler de liberté. La liberté implique que le choix soit possible.

p + est la possibilité humaine par excellence mais c’est celle évidemment qui débouche sur la folie parce que le p + est celui qui ambitionne d’être tout ou de tout être. Le point de vue du p + absolu est un point de vue solipsiste : ce que je pense, c’est vrai et à moi tout seul, je remplis le monde. Ce que réalise le paranoïaque mégalomane.

Selon Mélon, la philosophie, c’est la forme normale de la paranoïa. La paranoïa, c’est la forme morbide d’une manière de penser philosophique c’est-à-dire systématique.

La paranoïa est caractérisée par ce côté systématique, elle interprète tout en fonction d’un postulat qui s’avère indéfendable. Depuis qu’il y a de la philosophie c’est-à-dire depuis les Grecs, les présocratiques s’occupent du tout, ils ressaisissent le monde comme une totalité. L’ambition de la philosophie depuis les origines, c’est toujours de ressaisir le tout.

1. Fusco et la catatonie

Maldiney fait l’analyse de la peinture de Fusco à partir des positions szondiennes du moi : p +/ p -, k +/ k-

Fusco est un catatonique absolu qui ne parle pas, qui ne bouge pas et qui tout à coup se met à peindre. Il peint sur les murs avec des matériaux ramassés à même le sol. Il refusait d’utiliser le matériel qu’on lui donnait sauf vers la fin où il a accepté de peindre sur du papier. Ses oeuvres se trouvent à Lausanne au musée d’Art brut c'est-à-dire l’art des schizophrènes et des débiles.

L’essence de la catatonie, c’est paradoxalement l’affirmation du rien. Le catatonique ne dit rien, ne fait rien, ne bouge pas. Le symptôme typique de la catatonie, c’est le négativisme, il est négativiste à tous les niveaux, il détruit tout. C’est chez eux que l’on retrouve les « troubles » du langage de la schizophrénie qui ne veulent plus rien dire, la jargonophasie « cacacam, emegna, gnacacac ».

Quand ils veulent bien parler, c’est comme ça qu’ils parlent. Il y a comme ça une espèce de destruction, une dévalorisation de tout.

Donc, le catatonique, son attitude fondamentale est négativiste. Quand il veut bien nous dire quelque chose, il dit qu’il n’existe pas, qu’il n’a pas de corps, qu’il est mort; et il le manifeste dans son être même puisqu’il est là comme une pierre. On compare toujours le catatonique à un roc, à un caillou. Ce qui lui reste d’existence ne produit plus rien d’autre que cette non-vie qu’il incarne. c’est une momie, il est complètement fossilisé. Quand il s’adonne à une activité, c’est une activité de destruction.

Il part de l’hypothèse que, au départ, s’il était catatonique, il devait avoir la réaction du moi catatonique k -! p o

Maldiney pose comme postulat que c’est la réaction anti-créatrice par excellence. k- ! p o est à interpréter dans le sens d’opposer l’arrière-plan à ce que Szondi appelle l’arrière-plan théorique c’est-à-dire la réaction exactement inverse : k +! p ±. Maldiney suggère qu’au moment le plus créatif de cet artiste brut, il devait se trouver dans cette position-là : k +! p ±.

Le k - va à l’encontre de la création. Tout ce qu’il peut faire, c’est déformer ou bien nier les formes qui ont été vraiment crées. Le k - détruit ce qui est de l’ordre de la création. Maintenant toute la pensée rationnelle est de ce point de vue-là destructrice, elle est en tout cas anti-créatrice. Si nous nous laissons pas aller à cette poussée créatrice qui pour ainsi dire vient spontanément nous allons commencer à raturer et à finalement en fin de compte on arrive à ne plus rien faire du tout parce que c’est le danger.

Ce que Maldiney souligne le plus vigoureusement, c’est que la position anti-créatrice par excellence, c’est la position k -, surtout si elle est associée à po : k - p o.

k - est la position troisième du circuit. Maldiney en fait la position catatonique mais il faut bien voir que c’est le versant négatif de la catatonie.

k -!, c’est aussi la réaction du névrosé, c’est la réaction névrotique par excellence. Le névrotique qui n’est pas négativiste évidemment mais qui, lui, vit dans la négation et qui, du fait qu’il est dans la négation, exclut certaines possibilités d’être et en particulier celle qui correspond à la position inverse, opposée c’est-à-dire k +.

Etre créateur tout le temps, c’est impossible. La plupart du temps, nous sommes en k - parce que notre culture nous oblige à être en k-, à être critique vis-à-vis de tout ce que nous faisons et produisons. Les individus créateurs aujourd’hui sont nécessairement révolutionnaires. Ils doivent prendre le contre-pied de la position générale.

Alors qu’il y a des peuples qui sont naturellement créateurs, ceux qui favorisent la position k +. Les primitifs créent spontanément. L’enfant crée spontanément. Les dessins d’enfant, c’est de la création. Les enfants sont dans la position k+ p -. Le jour où il passe en k- (vers 8 ans), il ne sait plus dessiner, c’est fini. Les magnifiques dessins d’enfant s’arrêtent à l’entrée de l’école primaire.

Une fois qu’on apprend à lire et à écrire, tout cela s’écroule. L’emprise de la rationalité fait que la créativité meurt sauf chez les rebelles. C’est pour cela que les créateurs sont nécessairement des rebelles plus ou moins bruyants, plus ou moins casseurs. Les vrais casseurs sont des k- qui empêchent les autres de créer.

2. Faire-oeuvre

Et Maldiney va affirmer que ce qui est fondamental dans le faire-oeuvre, c’est le passage d’une position p, qu’elle soit p + ou p -,  à la reprise de cette position en k. Faire oeuvre, c’est produire toujours quelque chose qui est une mise en forme.

Ce qui est fondamental dans le moment du faire oeuvre, c’est le k + parce que c’est l’élément systolique qui rassemble et qui donne forme à ce désir d’être qui est manifesté au niveau p.

Ce qui est important, c’est de bien voir ce que représente la fonction k +. Quelque soit la forme de créativité, que ce soit en art, en science; k + va dans le sens de la mise en forme donc donner forme à ce qui, au départ, n’en n’a pas.

S’il n’est pas dans l’ouverture c’est-à-dire en p, s’il n’y a pas une tension du côté p + ou du côté p -, on ne peut pas non plus créer. Donc, p o est une position qui est aussi anti-créatrice dans le sens où il n’y a pas de tension ni dans le sens de produire une formule, une forme abstraite, pas de tension non plus à ressaisir à travers une forme des intuitions sensibles.

k + freine p + dans le sens d’une déflation par introjection : c’est l’action opérotrope de k + qui oblige à certains choix. Ainsi, p + serait l’intention créatrice et k + son outil opérotrope.

3. Egosystole et égodiastole

Il reprend alors les termes de Szondi, il parle d’égodiastole et d’égosystole. L’opposition métaphorique que Szondi a utilisé au départ pour opposer k et p.

Il compare le fonctionnement du moi à celui du coeur, le coeur qui est en systole quand il se contracte et qui est en diastole lorsqu’il se remplit. Quand on est en diastole, on peut dire qu’on s’ouvre et puis pour vivre, il doit se remettre en systole parce que s’il ne faisait que s’ouvrir, on mourrait. La vie est rythme et donc implique une alternance entre systole et diastole. On vit aussi longtemps, pourrait-on dire, que l’on arrive à faire les deux mouvements alternativement.

Evoquer ces deux termes est intéressant si on ressaisit la métaphore c’est-à-dire diastole pour expansion du moi selon Szondi mais on pourrait tout aussi bien dire ouverture. Si on reprend les termes de Szondi, il y a deux façons de s’étendre, d’étendre le moi : c’est sur le mode p- ou de s’étendre sur le mode p +.

Si nous évoquons l’opposition moi-monde, moi-autre et puisque nous sommes dans l’être (facteur p), cela donne : « Je suis le monde ou je suis l’Autre ».

Suivant que vous mettez l’accent sur le sujet ou sur le prédicat, ça change. Si vous mettez l’accent sur l’Autre : je suis l’Autre; vous êtes en p -, c’est-à-dire l’Autre est tout pour moi. Je suis l’Autre au sens où je participe de cet Autre.

Si l’accent est mis sur le je : Je suis l’Autre; là vous êtes en p + dans le sens où l’Autre, c’est moi. Toute la puissance qui a été projetée dans l’Autre est reprise pour soi.

4. Ontogenèse et p-

Et là nous pouvons invoquer toute l’ontogenèse car nous commençons tous dans la projection,. On se perd dans l’Autre et la toute-puissance primitive de l’enfant est une toute-puissance participative, projective : l’enfant est tout-puissant parce qu’il a la notion de faire partie de, la notion de partie n’existe pas parce qu’il fait partie, il participe de.

Maldiney dit que le moi peut n’être que nature, c’est le moi naturel au sens où il n’a pas la notion de la séparation, il n’a pas la notion de l’Autre. Mais s’il pouvait en avoir la notion, il dirait : je suis l’autre dont il participe.

Exemple, être un fanatique du Standard jusqu’au point où l’on est tellement emballé par le match qu’il n’y a rien d’autre qui existe. Donc, « je suis le Standard », on est aliéné dans ces moments-là.

La relation à l’Autre devient participative et c’est dans cette relation que nous trouvons l’essentiel de notre identité. Ce n’est pas seulement une affaire de représentation, tout le sujet est pris dans ce mouvement de participation.

p - est la toute première opération psychique au sens de donner une représentation à ce qui n’en n’a pas. p -, c’est la projection au sens de la toute première activité psychique. Par exemple, « j’ai mal au ventre et je rends ma mère responsable de ce mal ».

Il y a des souffrances intolérables qui font justement que, probablement, les premières représentations ne peuvent être que des mauvaises représentations. Car ce qu’il y a de plus intolérable, c’est de ne pas avoir de représentations. Le mauvais objet de Mélanie Klein est probablement la toute première représentation. Car ce qui a de pire, c’est de ne pas pouvoir lier des sensations mortifères probablement. Mélanie Klein a sans doute raison de dire que la première activité mentale consiste à élaborer des mauvais objets. Projeter, c’est donner une représentation sur la scène extérieure à ce qui est au départ des sensations indéfinissables et à rendre responsable de mon malheur les autres.

L’identification projective est la première opération mentale qui nous accompagne toute notre vie : quand quelque chose ne va pas, elle intervient « c’est la faute à Voltaire ! ». C’est toujours la faute à quelqu’un. Après on corrige mais on commence par projeter et puis on introjecte. On ne peut introjecter que ce qui a d’abord été projeté.

5. Créer et tension en p

Maldiney dit que c’est impossible de créer si on ne ressaisit pas ou si on n’est pas possédé, car c’est d’une quasi-possession qu’il s’agit, à ce niveau-là. S’il n’y pas une tension suffisante soit en p - (désir de participer de) soit en p +, ce n’est pas possible de créer.

6. Faille et psychose

Il n’y a que le psychotique absolu qui va tomber dans le panneau de la toute-puissance et qui ne pourra supporter que cette toute-puissance subisse la moindre faille. Quand Maldiney dit que le moi est faille, au fond, c’est ce que le psychotique ne peut pas supporter : c’est qu’il est faille.

Et donc, il comble la faille avec son désir. Eventuellement, un délire de grandeur qui lui permet d’annuler la faille. Mais il est mort de cette façon-là car ce qui fait le côté positif de la faille, c’est que cela permet de fonctionner justement. S’il n’y avait pas de faille, cela ne fonctionnerait pas. La faille du moi, c’est là qu’il parle du destin-choix.

7. Abstraction et Einfühlung

L’opposition entre les deux grandes formes d’art que Maldiney va situer comme ceci : opposition entre Abstraction et Einfühlung. Einfühlung est tout à fait intraduisible en français : cela veut dire sentir dans. « Fühlen », c’est sentir et « ein » veut dire qu’on est entré dedans.

Einfühlen veut dire sentir les choses à l’intérieur de l’Autre. Un peu comme les chiens sentent de quoi la personne retourne.

Mélon reprend la déduction de Ricoeur qui traduit einfülhung par intropathie.

Intropathie veut dire que quelque chose circule entre l’Autre et moi qui est de l’ordre du pathos c’est-à-dire d’un sentir particulier. Pathos en grec veut dire sentir fort avant de dire souffrir. Cela devient finalement souffrir mais pathos veut dire passion puissante au départ donc quelque chose qui produit des affects forts. L’intropathie est un mécanisme psychique comme l’introjection en est aussi un.

L’opposition entre Einfühlung et Abstraction, Maldiney la reprend d’un auteur allemand : Wilhelm Worriger. Son livre est une thèse de philosophie. Cette théorie a été reprise par des théoriciens de l’art notamment Paul Klee qui ont beaucoup utilisé cette opposition. Celle-ci venait détruire l’opposition entre l’art abstrait et l’art figuratif. Il y a des arts figuratifs qui sont abstraits et des arts abstraits qui sont très einfühlung.

Un peintre abstrait typique, c’est Mondrian par exemple dans sa dernière période mais au début il est einfühlung. Malévitch commence aussi par être très einfühlung puis abstrait. Chez Kandinsky, c’est la même chose, il évolue vers l’abstraction de plus en plus. C’est généralement comme ça que ça se passe, les peintres vont rarement le chemin en sens inverse : ils commencent par l’einfühlung et ils terminent dans l’abstraction.

Essayons de comprendre ce que cela veut dire en fonction des positions szondiennes. L’abstraction, c’est Sch + + et l’einfühlung, c’est Sch + -. ce qui a disparu au moment où le sujet créateur est en tension de telle sorte que l’oeuvre va pouvoir être produite, ce qui doit disparaître, c’est la fonction de négation : k - qui est anti-créative.

k - est la fonction rationnelle qui dit « non », or l’art est positif, il ne peut pas être autre chose que positif. Faire oeuvre d’art, c’est donner forme à ce qui n’a pas de forme mais qui est une ambition d’être soit dans le sens p + : je suis tout ou bien dans le sens p - : je participe de tout. La position p -, ce qu’elle va essayer de mettre en forme (via k +), c’est l’univers sensible, ce qui va être produit dans une création de type einfühlung, c’est une oeuvre qui donne forme à ce qui est essentiellement de l’ordre du sensible.

 Tout l’impressionnisme est évidemment einfühlung. L’art dit conceptuel est un art einfühlung, ce n’est pas un art abstrait puisqu’il s’agit de retrouver l’essence des choses. Mettre un W.C. au milieu d’une salle d’exposition, tout ce qui émane de sensibilité à partir de cette cuvette qui passe toujours inaperçue, et bien, tout à coup cela prend une autre dimension.

Tout ceci est un type d’art einfühlung alors que c’est classé plus dans ce qui est abstrait.

Dans l’abstraction, il y a une saisie, une mise en forme mais le terme de mise en forme c’est dans le sens d’une création de forme de ce qui a d’abord été une intuition non pas sensible comme en p - mais une intuition de l’esprit.

C’est pourquoi le type de création qui tend à mettre en forme ce qui n’existait pas avant, ce qui est crée à partir de rien, nous renvoie à la forme de créativité abstraite. Donc abstraction, ce qui anime le créateur qui ambitionne de produire une oeuvre abstraite, c’est la position p + k +.

Ce que ces gens-là ont voulu faire, c’est nous rendre notre sensibilité finalement en exposant des choses qu’on exposait jamais. Evidemment, on ne peut faire cela qu’une fois. D’une certaine façon, c’est vrai pour toutes les oeuvres d’art, elles sont uniques.

C’est en cela que l’analogie ou l’homologie entre le moi et l’oeuvre d’art est soutenable. De la même façon qu’un individu est unique à travers son moi ou la façon dont ce moi fonctionne, s’articule, se développe; l’oeuvre d’art l’est toujours aussi.

8. Passage de la faille

L’homme est la seule espèce qui se pose cette question : qui suis-je ? Ce qui peut être à la source d’une angoisse puisque Maldiney postule que le moi est faille et bien la faille se trouve de côté-là évidemment c'est-à-dire que si je dis « qui suis-je ? », je ne sais pas répondre.

Il faut bien faire un saut. Il n’y a qu’en posant un acte que nous allons pouvoir, non pas répondre à cette question parce qu’elle ne peut pas en avoir, mais faire oeuvre de telle manière que l’être s’incarne en quelque sorte. Donc, k+, on pourrait parler d’incarnation éventuellement. C’est en tout cas la réaction, la position, la fonction de la mise en forme et encore mise en forme, c’est trop peu dire. Il a une saisie aussi. Il y a une création dans le sens où cette forme est unique.

9. La fonction k

Ressaisir ce qu’il y a de fondamental dans la catatonie pour comprendre la fonction k dans l’ensemble du système, c’est la fonction de la mise en forme au sens, en allemand, de gestaltung. La gestalt, la gestaltpsychologie, c’est la prise en considération de la forme comme totalité, comme structure qui s’impose à la perception comme forme.

Dans la démarche créatrice, le moment opératoire, celui qui, précisément, donne forme est en k. Au fond, l’intention créatrice se situe nécessairement du côté p. Le facteur p dans la métaphore de Szondi est la diastole à entendre dans le sens de s’ouvrir, diastole comme ouverture et appel à une espèce de remplissage qui est nécessaire. Si on était tout le temps fermé, on ne serait sensible à aucune influence extérieure et c’est bien dans cette position que se retrouve le catatonique négatif.

C’est Le destructeur par excellence, celui qui affirme qu’il n’y a rien et qui éventuellement enrage du fait qu’il y a quelque chose et s’acharne à détruire toutes les formes.

Mais la position catatonique positive, c’est celle qui consiste à tous rassembler et à tout mettre en forme.

Cet exemple met l’accent sur l’hypervigilance des catatoniques qui sont à l’écoute de tout, qui observe tout mais on a l’impression qu’ils sont hors du monde (cfr. détachement). Et, en effet, ils sont hors du monde et, sans doute, il faut être hors du monde pour pouvoir tout « objectiver » comme ça.

Szondi désigne la fonction k + dans le sens de tout avoir et il l’oppose à p + qui consiste à être tout

10. La position k-

k - est une position qui est anti-créatrice au sens où elle est destructrice des formes. D’ailleurs, pour comprendre k -, Szondi le situe en autre dans deux termes qu’il utilise : négation, dénégation et désimagination.

Désimaginer, c’est supprimer les images, faire le vide du côté des images. Le moi k - est un moi iconoclaste. Ce qui est de l’ordre de la représentation...L’iconoclaste, c’est celui qui détruit les icônes, donc, les iconoclastes, ce sont ceux qui ne pouvaient pas supporter qu’on puisse donner une figure humaine à Dieu et le représenter sur des icônes. Donc, c’est un sacrilège de donner une forme à l’être. C ’est aussi ce qui oppose les catholiques et les protestants entre autre.

11. La position k+

Ce premier moi, k +, si nous le référons à l’expérience catatonique telle que l’on pouvait autrefois l’observer chez les catatoniques, ils expriment à l’état le plus brut cette aspiration du moi à se constituer à travers une image du corps représentée à un niveau spectaculaire.

Le catatonique dans son moment non négativiste est quelqu’un qui tend à exister sous une forme purement spectaculaire qu’il maintient de manière ferme. On pourrait dire que le catatonique produit son corps comme oeuvre d’art mais pas du tout dans le sens de l’exhibitionisme, de l’hystérique ou autre; mais, on a le sentiment que toute l’énergie du catatonique est tendue dans ce sens de produire un corps qu’il n’a pas sous une forme quasiment statufiée.

On ne peut l’expliquer que comme tendance à retrouver une image du corps qui soit un peu comme celle de Narcisse au fond dans le mythe. Narcisse ne devait absolument pas bouger pour ne pas perdre son image car le moindre mouvement faisait qu’il perdait son image à la surface de l’eau. Il ne doit absolument pas bouger parce que si il bouge, son image a tendance à disparaître.

Il y a dans la catatonie cette immobilisation de l’image dans une espèce d’instantané qui ne devrait absolument plus bouger. C’est vrai que le catatonique arrête le mouvement. Il y a une espèce d’arrêt sur image chez le catatonique.

Analogie pervers - catatonique

Dans le sens où k + est la fonction perverse par excellence : qu’est-ce qu’il y a comme commun dénominateur à la position du catatonique et à celle du pervers?

C’est que, dans les deux cas, il y a un arrêt sur image.

Catatonique

Le catatonique, lui, au fond, on pourrait dire qu’il essaye désespérément de ressaisir son moi à travers une image du corps qui est figée un peu comme si, d’une manière mythique, il voulait indéfiniment préserver une image spéculaire mais qui fait défaut.

C’est que le catatonique s’arrête sur sa propre image et, donc, essaye d’incarner le moi spéculaire. Le k + absolu, originaire, c’est donner forme au moi à travers une posture. C’est ce qui permet la précession de soi quelque part, la précession de soi-même dans une saisie de soi.

 

 

 

Pervers

Ce qui caractérise la perversion, c’est, de la même manière que dans la catatonie, qu’il y a cette tentative de figer l’image du corps et de la matérialiser. On retrouve la même chose chez le pervers mais dans un autre registre qui est aussi une forme d’arrêt sur image. L’exemple type étant le fétichisme.

Dans l’homme aux loups, la scène avec Groucha qui est typique et exemplaire de ce point de vue-là, va devenir la scène fétiche de l’homme aux loups. Il découvre Groucha dans la position de la mère pendant la scène primitive. Ce qui est typique dans la scène avec Groucha, c’est que c’est une espèce de cliché qui va devenir une scène fétiche indispensable pour soutenir son activité sexuelle future. Son désir ne pourra plus être éveillé qu’à la vue d’une femme qui frotte un plancher ou qui lave le linge. Mais il fallait en plus qu’il y ait un seau, un ballet; donc, si toutes les conditions ne sont pas rassemblées, si tous les éléments ne sont pas présents, la menace de castration n’est pas conjurée et par conséquent, il ne peut pas mobiliser sa virilité.

Que fait en somme le pervers ? Ce qui est important à considérer, c’est que ce que le pervers résuscite, c’est une scène qui précède historiquement ou chronologiquement le moment où la menace de castration prend corps. Donc, c’est une scène où il n’y a pas encore de menace. C’est une espèce de moment où on croyait encore que cela ne pouvait pas arriver.

Garder l’omnipotence

Le pervers revit toujours la même scène. On croit souvent que c’est une scène excitante, or, elle n’est pas excitante en elle-même. Elle ne devient excitante que parce que c’est une scène rassurante puisque dans l’imaginaire, elle précède le moment de la catastrophe. Tout était encore possible dans ces moments-là et puis, à partir de là, le monde s’est écroulé.

En fait, ce que le pervers répète dans ses scénarios qui sont toujours extrêmement stéréotypés (cela doit être exactement la même scène qui doit être répétée indéfiniment), c’est le moment où il n’avait pas l’idée de la castration. Il ne pouvait pas imaginer qu’une chose pareille puisse arriver. Donc, on résuscite le moment juste avant la découverte. C’est typique du fétiche puisque l’interprétation classique du fétiche dit que le fétiche est le dernier objet qu’on a aperçut avant de faire la découverte de la différence des sexes. Si bien que le fétichisme est typiquement masculin.

k + va dans le sens de fixer une scène qui maintient l’omnipotence. C’est une scène commémorative, c’est le dernier moment où on y croyait encore. k + a aussi cette fonction là.

Tous les exemples cités ont tous quelque chose en commun qui est de sauver la toute-puissance à travers une statue comme le catatonique, à travers le scénario pervers et de manière sublimée dans l’oeuvre d’art. Car l’oeuvre d’art participe quand même d’un désir de toute-puissance, la toute-puissance originaire du désir incestueux.

12. L’identification au Père primitif

p +, on peut dire que c’est l’aspiration à l’être tout mais qu’est-ce que cela veut dire être tout ? Si nous essayons de donner une figure à cet être tout; alors, nous revenons à Freud pour dire que p +, c’est s’identifier au père des origines.

Dans « Le moi et le ça » en 1923, Freud dit cette phrase très importante pour comprendre son oeuvre : « Derrière l’idéal du moi, se cache la première et la plus importante de toutes les identifications qui est directe et immédiate avant tout choix d’objet, l’identification au Père primitif »

C’est cette instance qui soutient l’idéal du moi. Cet idéal du moi, il existe, il préexiste à l’individu, il n’est pas situable dans le temps. C’est l’idéal des parents, c’est l’idéal des grands-parents, c’est l’idéal de la culture; il y a un modèle de l’homme dans chaque culture qui soutient finalement cette notion d’idéal du moi qui est l’identification optimale à laquelle on puisse aboutir.

p +, on peut dire que c’est l’aspiration à l’être tout mais qu’est-ce que cela veut dire être tout ? Si nous essayons de donner une figure à cet être tout; alors, nous revenons à Freud pour dire que p +, c’est s’identifier au père des origines. Mais le père des origines, en tout cas dans une culture comme la nôtre qui est monothéiste, c’est le créateur, c’est Dieu.

Le créateur, Dieu, qui a créé le ciel et la terre, qui est à l’origine de toutes les choses. En quelque sorte, le créateur qui se situe en p + s’égale à Dieu d’une certaine manière. Au moins, on est pas fou pour autant, c’est comme la formule d’Aristote, l’art, l’ambition de l’art, c’est de faire comme la nature, de faire aussi bien que la nature. Quand on fait de l’art, on s’égale à Dieu parce que si c’est Dieu qui a fait la nature et si la nature est à l’image de Dieu, l’ambition du créateur, c’est de faire aussi bien que Dieu en quelque sorte.

Il y a une toute-puissance que l’on peut d’abord identifié hors de soi quand Freud parle de la première identification. C’est l’identification au tout-puissant, le Père; c’est un modèle extérieur non approprié à ce moment-là par le sujet. L’idéal du moi avant qu’il ne devienne une instance (donc intériorisé), il est d’abord hors de soi. Et si il est un idéal, c’est parce qu’il nous est proposé comme tel.

Pour passer à l’introjection de l’identification au Père originaire, il faut autre chose. L’introjection succède nécessairement à la projection. Il faut d’abord un mouvement projectif avant qu’il ne puisse y avoir un mouvement introjectif. Cette introjection signifie un désir d’accès à la toute-puissance.

Maldiney a une formulation très intéressante, il parle de déflation introjective pour k + p +. Cela veut dire que celui qui veut créer doit d’une certaine manière être possédé par cet idéal (fou, il faut bien le dire, l’être de l’homme, c’est la folie, de ce point de vue-là, c’est juste), il y a quelque chose de fou à vouloir s’égaler au créateur et à produire une oeuvre qui soit quelque chose d’analogue à la création divine.

Car ce qui manque, c’est la concrétisation et donc la mise en forme qui est indispensable pour concrétiser. Maldiney dit déflation dans le sens où l’inflation subit une déflation du fait de l’introjection. Tandis que si l’inflation n’est pas modulée par l’introjection, elle reste ce qu’elle est, finalement elle peut s’étendre à l’infini mais sans jamais trouver la possibilité de se concrétiser, de s’incarner, de s’actualiser.

13. Limite à la création

Il y a deux types d’arrêt de l’inflation.

Déflation introjective

Il a ce que Maldiney appelle la déflation introjective qui est créatrice c'est-à-dire que dans la production, l’inflation passe dans la production et elle cesse d’être quelque chose qui pourrait nous faire éclater d’une certaine manière.

Il y a un soulagement à créer. L’inflation est quelque chose de pénible. L’exemple du mémoire est effrayant, on a la tête qui va éclater parce que les idées se bousculent, il y en a de trop ou bien c’est le vide intégral.

La déflation négative

Le vide intégral, c’est le contraire, c’est la déflation négative. C’est l’inhibition, on ne sait plus rien faire, c’est k - p +. On s’arrête par déflation négative c'est-à-dire « on fera ça demain, après-demain » puis il faut le faire à la dernière minute.

On fait confiance finalement à la pression de la nécessité, à la réalité. C’est la réalité qui devient l’instance suprême. C’est un système réaliste, qui fait appelle à la réalité. La réalité finira par avoir raison de la difficulté. C’est un type de fonctionnement où on ne mobilise pas les ressources du moi créateur. On attend que la réalité nous oblige à le faire, tant que la réalité ne pèse pas d’un poids suffisant, on ne le fera pas. On utilise la réalité comme relais du Surmoi mais ce n’est pas le surmoi : « je compte sur la réalité pour que cela bouge ».

L’emballement créateur, c’est ne plus pouvoir s’empêcher de continuer même s’il y a des choses dont on se rend compte qu’elles sont nuisibles à plus ou moins long terme en tant que démesure. La faculté de se nier et de stopper l’emballement, c’est k -. Fondamentalement, k - veut s’arracher à cette représentation de moi qui peut être tellement fascinante qu’elle bloque tout. Le moi k- casse sa propre image, casse le miroir dans lequel il se mire, il détruit ses oeuvres.

Toute position est potentiellement dangereuse, il n’y a aucune position qui ne recèle un danger.

Une des fonctions du k-, c’est de nier le k +. Le k- permet de pouvoir échapper à son fantasme.

Disons que le k + ralentit par le faire-oeuvre mais k -, c’est le « frein à main » qui est radical (s’il était maintenu) pour étrangler les racines de l’inflation.

Donc, le premier mécanisme d’arrêt est la déflation par introjection, le deuxième, c’est la déflation par négation k - p + : l’inhibition.

Discussion     

Cette partie reprend en bloc (l’effort de systématisation est ici au-dessus de nos moyens) une série d’idées à propos de la lecture du test dans la création. Cette discussion est centrée sur le protocole de Jeanne. Nous sommes redevables à Messieurs Les psychologues André Lebas et Daniel Vernant de nous avoir fait largement profité de leur expérience de la clinique psychiatrique et de l’interprétation du test de Szondi dans le cadre des institutions psychiatriques. Cette discussion est le condensé de nos fructueux échanges.

Il y a l’indifférenciation de p - dans le sens où je ne suis rien, c’est l’Autre qui est tout, et on participe de la toute-puissance de l’Autre.

L’indifférenciation en p + serait que « je suis le tout », donc, « je n’ai plus de forme précise en tant que je ». Le je correspond au tout alors qu’est-ce que ce je ? L’inflation pure. Une indifférenciation contenante dans le sens où quelle est la forme de ce qui comprend tout les autres formes ? A-t-elle encore une forme particulière à elle ? Voilà la question que nous posons en p +.

p +, l’identification au Dieu ou au Créateur, Mélon disait le père primitif, bisexué, sans forme. Le p +, lui, il s’égale à Dieu dans la mesure ou il fait son histoire, il ne se prend pas pour Dieu sinon il délire, il s’égale à Dieu, il s’égale au créateur. (Mimétai : faire aussi bien que). Il faut pouvoir canaliser cela d’une certaine manière pour en faire quelque chose de constructif et c’est sans doute tout le mécanisme que nous différencions par rapport au mécanisme psychotique.

Là, on entrerait dans la psychose dans le sens où la question est : quelle est la limite que le moi ne doit pas dépasser dans l’indifférenciation potentielle à être tout au-delà de laquelle il perd sa forme? C’est là où nous postulons l’idée du choix opérotrope de k + qui vient fixer une limite, c’est le choix opérotrope qui empêche l’expansion inflationnelle illimitée dans la potentialité d’être. Et, en derniers recours, il reste le choix ultime de se nier.

k + vient mettre en forme, on peut associer ça au verbe faire. C’est à ce moment que le créateur fait, passe à l’acte créateur. Celui qui pense, le p +, il ne fait rien, il ne réalisera rien, il ne fera que de penser. Celui qui pense à son mémoire, il donne du k o p +!. celui qui l’écrit passe au k +. Celui qui a un sens critique sur ses propres hypothèses tout en l’écrivant passe en k ±.

Les créateurs ne laissent à l’Autre aucune position longtemps puisqu’ils occupent la plupart des positions.

Dans le protocole de Jeanne, le k - est quand même présent à l’arrière mais ça bouge. C’est très dynamique. Le 6e profil a du k - à l’avant et à l’arrière, on dit à ce moment-là qu’elle laisse le k + à l’Autre. Le 7e profil est k- sur la scène et k + à l’arrière, donc, on peut s’attendre à ce qu’il réémerge sur la scène. Le 8e profil, c’est k o. Le  9e profil, c’est k + est à l’avant et à l’arrière, là, c’est le k - qui est laissé à l’Autre.

C’est trop dialectique, c’est trop en mouvement. Si nous prenons le 6eprofil, nous avons k - des deux côtés, donc la part laissée à l’Autre, c’est k +. Nous prenons le 9e, c’est le contraire, c’est le k- qui est laissé à l’Autre à ce moment.

Donc, ici, c’est la souplesse, c’est la capacité de voyager, d’occuper des positions très différentes. La théorie vient en quelque sorte compenser la difficulté à traduire le test puisque du test on a très difficile d’aller vers la théorie. C’est à la théorie à aller vers le test.

C’est ça qui est intéressant, c’est l’aller-retour, c’est ça l’intérêt d’une théorie, c’est d’éclairer l’empirie; en retour, l’empirie peut réajuster la théorie.

Ici, pour essayer d’y voir plus clair, on peut raisonner sur des positions stables. Un sujet qui serait 10 fois k - sur la scène, et qui serait 10 fois k + en coulisse, on pourrait faire l’hypothèse de quelqu’un qui inhibe, qui ne permet pas à son potentiel qui est en coulisse d’émerger sur la scène. Un k + 10 fois à l’avant-plan avec un k - à l’arrière, ce serait peut-être quelqu’un qui serait dans un moment créatif, et si la coulisse émerge et passe sur la scène, cela dérape dans le sens de l’inhibition.

Donc, la coulisse est quand même ce qui est en retrait, et la scène ce qui s’actualise.

Si on n’associe pas le mouvement à la pathologie comme on le fait en psychiatrie, on est obligé de penser les choses différemment. Et la santé, c’est la capacité d’occuper les positions pulsionnelles différentes. Donc, passer de k + à k -, éventuellement du k o.

Ce qui est assez intéressant de ce point de vue-là, c’est qu’il n’y a quasiment pas d’accentuation. Ce serait un critère. En pathologie, avec un moi qui bougerait, on aurait sans doute des accentuations. Et la réaction éventuellement en miroir dans le moi renverrait à un clivage d’état-limites ou à une dissociation à la structure psychotique.

Le e o, qui n’est pas précédé par du e +! ou du e -!, ne va pas tellement dans le sens de la décharge mais plutôt d’une absence de choix par rapport aux épileptiques, donc, une absence de tension dans ce registre-là. Ou un évitement ? Le milieu où Jeanne vit comporte une souplesse très large pour aménager son espace propre afin de gérer sa création et son vécu quotidien. Donc, elle n’a pas besoin nécessairement d’activer sa haine. Or, le 8e profil, cette haine apparaît lorsqu’elle fait état d’une pression familiale (enfants trop présents) qui commence « à bien faire » car coûteuse en temps et en énergie. Cela l’empêche d’être disponible à elle-même. Ainsi, elle coupe le contact.

Habituellement, elle et son mari sont tous les deux dans la création et se respectent mutuellement dans leur travail créatif. Ils n’ont pas besoin d’activer leur haine parce qu’il n’y a pas lieu de le faire.

C’est là que le Szondi ne renvoie pas au comportement, c’est un test de pulsion, c’est toujours délicat. D’où, la nécessité du retour à la clinique ou au comportement manifeste pour voir ce qu’il en est. In abstracto, on voit le contact coupé (m -), la rage (e -) apparaît et une emprise forte sur l’Autre (s +!); on se dit que c’est un « casseur » et on se trompe.

Ici, si nous prenons une dominante, c’est un sujet e o cinq fois, plus 4 e + et 1 e -. C’est e o la dominante. Dans le deuxième protocole, on est plus dans le e -, la dominante est e -, 4 / 9 profils. C’est une période où ses enfants étaient trop présents au domicile et ils étaient « pompants ».

Elle a difficile de se différencier, elle aime bien les gens, c’est un problème parfois parce qu’elle se donne beaucoup trop. Elle est obligée d’activer des affects plus brutaux en elle pour se différencier. Même dans le deuxième protocole, il y a très peu d’accentuations.

Nous pouvons observer une quirielle de tritendances qui sont des clivages élaborés, des positions où « ça cogite ». Une analyse sauvage de ce profil serait délicat. Les ambivalences signent une crise, cela pose problème au sujet et, nous en avons pas mal.

Un autre point mérite d’être discuté, c’est la prégnance du p+ sur le p- ainsi que le « cadrage » du k+ par le p+. Pour cela, nous devrons repartir de certains éléments théoriques que nous allons retracer.

L’accès à une gestalt de soi, c’est ressaisir l’image de soi comme totalité. « Je me vois comme globalité et je m’aime ». C’est ça la gestalt. Donc, l’individu s’institue en tant que perception ou plutôt objet totalisé de perception et investit cet objet de perception de sa libido. Pour démarrer, il lui est nécessaire d’accéder à la perception de sa gestalt, c’est-à-dire à l’image de son corps comme totalité.

C’est à ce moment-là que l’objet est perdu, la mère est perdue en tant qu’elle est devenue non pas un sein mais une totalité différenciée en face du sujet. Parvenir à cette gestalt de l’objet perceptif, c’est perdre l’objet dans la naissance de l’altérité. La relation fusionnelle est fissurée irrémédiablement par la perception « du dehors » c’est-à-dire avec la perception de la gestalt. La perception se base sur une différence en même temps qu’elle crée la différence entre le soi et ce qui n’est pas soi. L’objet est perdu pour une relation participative totale. Un créateur en percevant se différencie du réel des autres.

Donc, quand il a la perception d’une gestalt qui s’impose à la perception en tant qu’élément perceptif, en tant qu’objet de la perception, le détachement peut opérer et l’objet est perdu du point de vue d’une position participative du moi. D’où, l’angoisse de la perte.

C’est en quelque sorte une fonction qui sidère l’objet, « je sidère la chose en la percevant », c’est-à-dire« je me retire du dedans de cette perception et je lui enlève son mouvement interne auquel je participais ». Si nous allons plus loin dans cette logique, s’instituer en tant que gestalt, en tant que je face au monde, c’est se détacher du monde. C’est une manière radicale de se détacher de tous les objets du monde.

La Faille pourrait naître de l’acte perceptif qui crée sa propre gestalt comme une « bulle » séparée du monde. L’opération de la faille consisterait à créer un centre de gravité perceptif intériorisé dans son espace imaginaire qui, simultanément, acquiert sa dimension propre. Par après, l’enjeu consistera à forger des limites par rapport à l’espace, au temps, au dedans et au dehors. La connaissance de ses limites permettant de se saisir soi-même.

Ainsi, poétiquement, le moi serait analogue à une planète qui se formerait dès que le centre de gravité perceptif serait fixé quelque part dans un je. C’est justement ce centre de gravité virtuel, lié au fait de percevoir en tant que je, qui donne la direction à l’intériorisation. Sans ce centre de gravité perceptif, pas de mouvement centripète, pas d’appel à la constitution d’une constellation mentale différenciée de l’Autre qui finira par donner une « planète » mentale c’est-à-dire son identité différenciée.

Ainsi, le passage de la participation à l’intériorisation pourrait être liée à la constitution d’un noyau perceptif suffisamment homogène et compact pour qu’il puisse susciter un mouvement perceptif centripète.

Dans les positions deuxièmes, l’objet de la pulsion, c’est le sujet lui-même. Ce sont les positions du vecteur sexuel, le sujet se prend pour objet en tant que gestalt et en tant qu’objet d’amour pour la pulsion. « Je m’aime moi ». C’est le je-k + différent du je-p +.

C’est le je qui est une image, ce n’est pas le je qui pense en première personne. k +, c’est le sujet pas le même que l’Autre, il y a une distance. « L’Autre, je l’ai perdu puisqu’il est en face de moi », il est différencié. La participation est terminée. C’est le je du stade du miroir de Lacan, en tant qu’image, que gestalt de soi. Et image qui est investie par la pulsion comme Narcisse dans son reflet. c’est narcissisme primaire dans ce sens-là. De ce point de vue-là, k + est plus une position narcissique primaire dans la mesure où « je vais aimer narcissiquement mon image ».

Autrement dit, dans la pathologie, nous pouvons retrouver cela chez les gens qui vont investir l’image. Sur un costume, on peut plaquer des décorations, ce sont ces gens qui ont ces images-là. C’est le « mec qui roule dans la grosse bagnole », image qu’il peut exhiber aux autres pour avoir les signes de la puissance phallique. « Je suis ce que j’ai, ce que je peux montrer ». C’est dans l’avoir que cela se passe, c’est pas dans l’être. p + est plus dans l’être, p + est plus au niveau de la pensée puisque « p » comme paranoïaque et comme penseur.

Donc, il y a un je dans le k + en tant que gestalt, en tant que totalité perceptive. Mélon met le narcissisme primaire en k + et là, c’est un personnage. Et il met le narcissisme secondaire en p + et là c’est la personne. Donc, le personnage est un rôle au sens persona d’un masque et tout le rapport que le sujet peut avoir avec lui n’est justement pas un rapport nécessairement réflexif, introspectif de vérité par rapport soi-même, ça c’est plutôt l’histoire de p +. k +, c’est plutôt le sujet, dans la pathologie narcissique, qui nourrit une image d’un paraître, qui, lui, s’identifie à un look. Il y a toujours quelque chose de fragile et de factice.

A l’origine, psychogénétiquement, le k +, c’est « je vois mon image et cette image m’appartient, c’est moi et je m’aime ».

Donc, le k + du créateur se sourcerait dans un je-p + qui sait très bien qu’il n’est pas ce je du k +, ce je de l’image. Le je créateur est réflexif à lui-même et est au-dessus du je du k +. Le je du p + est le moteur de la création, le penseur. Le k +, c’est ce qui va permettre de mettre une forme à ça, de réaliser en fait. Le rapport spéculaire serait entre le je-p + réflexif et le je du k + dans l’image. Le moteur, c’est en p.

Pour s’éloigner du p -, le créateur commencerait par un je qui s’institue en opposition à un autre je, celui de l’Autre. Et k +, c’est le moi qui dit non dans l’opposition. Il y a ça chez les enfants à la période où ils s’opposent systématiquement mais par besoin narcissique. Quelque soit ce que les parents disent, ils diront non, pour le plaisir. Trouver un plaisir dans l’opposition est d’une manière de construction narcissique.

Tout cela expliquerait le passage du saut qualitatif dans la création. Le créateur commence par écrire une pensée en opposition puis il écrit dans l’affirmation de. Le saut qualitatif viendrait d’un je existant en opposition à mais qui n’est pas intrinsèquement défini par à un rapport à lui-même ( plutôt k + donc); et qui aboutit à un je-p + intrinsèquement défini par un rapport réflexif à lui-même et non définit par rapport à autre chose. Le je en opposition à (k +) est qualitativement différent du je en affirmation de soi (p +). Ce qui expliquerait le saut qualitatif d’une recherche qui se distancie du connu puis d’une affirmation d’un soi dans la création.

Le je du personnage en k + est un je qui n’est pas dans une filiation par opposition au je du p + qui est dans la filiation, dans une histoire puisqu’il y a une identification au père primitif. Donc, le je du k + est un je virtuel, non historique. L’historisation commence avec le vecteur paroxysmal des affects. Ce sont les positions troisièmes. Le k + s’origine dans son image où il n’y a nulle trace de l’Autre dans le reflet. Le p + s’origine dans une identification au père primitif, l’Autre est inscrit dans le reflet. Il y a passage d’un rapport absolu à soi-même (pas d’Autre en soi) à un rapport relatif à soi-même car médiatisé par une identification à l’Autre. Entre ces deux stades, il y a k -, la négation de soi. C’est logique dans le sens où seule la négation de soi peut casser un rapport absolu à soi-même, le néant vient dialectiser l’absolu.

L’absolu est devenu relatif à lui-même par l’expérience du néant pour finalement s’inscrire dans l’histoire de l’humanité grâce à l’identification au père primitif.

C’est un peu l’histoire de chacun de nous. L’adolescent rêve tout haut sa toute-puissance en se proclamant capable de tout. Il refait le monde, dénonce tout ce qui est mauvais à ses yeux. Lui, il sait comment aller plus loin,...Il se prend la tête et il croit qu’il va mieux faire que ceux qui l’ont précédé (« moi, je réussirai ! »). Puis, la vie lui met d’innombrables obstacles à sa quête aussi bien devant lui qu’en lui. Il se casse la figure et est bien obligé de reconsidérer sa toute-puissance à la lumière de son parcours. Finalement, il se dit qu’il n’est qu’un être humain après tout et qu’il fera du mieux qu’il peut, qu’il essayera de faire aussi bien que ceux qu’il a choisit pour se guider dans sa vie. C’est la trajectoire qui va de k + à p + en passant par k - dans la circuit du moi.

C’est justement l’inscription de l’Autre en soi qui peut réintroduire l’histoire, pas d’histoire si tout s’origine dans un rapport à soi. k - comme position légaliste-réaliste. Et l’identification au père primitif en p + qui réintroduit la filiation permettant à l’Histoire de s’écrire.

Avant, c’est anhistorique en C et en S. Donc, en k +, il n’y a pas de filiation. La mise en forme sensorielle ne s’inscrit pas dans un histoire, ne sédimente pas en une identité qui puisse donner une histoire au sujet : c’est ce qui se passe chez les sujets k + p o. Nous sommes dans la répétition. Ce k + associé à S, c’est la répétition. Si nous avons un k + corrélé avec un p +, nous repensons le k + autrement, il est modifié par le p +.

Le k + est une position d’arrêt, position deuxième avec une temporalité répétitive dans le développement car il n’y a pas d’identification à un autre. Il y a une boucle sur soi au niveau d’un je qui se regarde et cette image est investie sexuellement au détriment de l’Autre. La libido étant limitée d’un point de vue énergétique, la libido narcissique grandit au détriment de la libido d’objet. « Plus j’investit narcissiquement, moins j’ai de libido pour les objets et inversement ».

En k +, nous pouvons avoir un retrait narcissique chez certains sujets mais, à partir du moment, où il font quelque chose avec ça, ce n’est plus du tout pathologique. Il faut néanmoins une intention créatrice qui se situe vraisemblablement en p +. Mélon parle de la racine de la création en p -. En fait, le projet fusionnel du p + dans le processus de création obéirait à une racine p - de participation à l’Autre mais dans l’imaginaire pas dans le réel : « Je veux me fusionner avec un Autre ».

Donc, le k + est en rapport avec le personnage et le narcissisme primaire; et le p + est en rapport avec la personne et le narcissisme secondaire.

Tout le mouvement perceptif autocentré commence par la gestalt de soi. Une fois saisie cette gestalt, l’enfant peut l’investir. C’est ce qu’il fait dans une relation à deux, la relation narcissique avec la mère.

Donc, quelque part, le créateur répète cela en créant un soi-autre avec lequel il entre en fusion dans l’imaginaire mais qui est suffisamment Autre pour que cela puisse marcher. Et, c’est un bel objet pour qu’il soit satisfait de ce qu’il a créé. Le créateur répéterait alors cette démarche que l’enfant opère pour conquérir son image de lui dans son imaginaire.

p - est la position participative du moi. Dans le cadre de la création, ce serait un p + qui, sporadiquement, se prend pour un p -. C’est peut-être à ce moment que le sujet en p + fusionne avec ce soi-autre dans l’imaginaire et passe en p -. p - indique que le moi est dans la participation. Cela ne dit pas si cette participation est réelle ou imaginaire, c’est-à-dire avec un autre réel ou un soi-autre imaginaire. L’idée serait que c’est la position k qui détermine le versant imaginaire ou réel ainsi que les positions pulsionnelles. k - p - pencherait la balance du côté du réel (autre réel a la primauté) . k + p - pencherait la balance du côté de l’imaginaire (autre sécrété par soi a la primauté).

Cela peut coller avec l’idée de l’émergence d’un soi personnage. Cela collerai aussi avec le fait que les grands narcissiques k + sont rarement des sujets p +. Un patient, au rorschach à la planche 9, donne la réponse : « c’est un monstre qui se donne un baiser dans la glace ».

C’est probablement une structure narcissique d’après la clinique et ce monsieur ne fait rien. Il n’a pas le moteur p +. Ce sera un k + pur; la pathologie, ce serait ça. Au T.A.T, il est incapable d’imaginer, de penser une histoire, il ne répond pas à la consigne. Apparemment, il en est incapable. Il semble s’investir tellement narcissiquement qu’il n’y a que lui. Il ne peut parler que de lui à la première personne. Il ne peut pas avoir une attitude créative d’imaginer, de créer une histoire. La première planche, l’enfant au violon, il ne raconte pas d’histoire. Il file directement vers lui : « ça me fait penser quand moi j’ai joué de la guitare...»; et, il raconte un truc sur lui, il parle de son vécu. 

En fait, s’il avait accès à son p +, à l’identification (au père primitif); celle-ci pousserait le k + dans le sens d’une histoire avec l’Autre; avec un contenu riche, une histoire élaborée. Mais un Autre qui est sécrété par son soi à lui. Le non accès à l’identification qui siège en p + donne à son k + une anhistoricité qui, cliniquement, ne peut lui donner accès au fait de créer une histoire qui ne se rapporte pas à lui. Il n’a pas accès à l’identification.

Si p+ a un idéal du moi, un narcisse-personne, un narcissisme secondaire; le k + (toujours dans cette perspective génétique) pur non transformé par un p +, c’est le personnage, c’est le narcissisme primaire et c’est le moi idéal. Le moi idéal d’avant la censure qui joue en k -; donc, c’est aussi une toute-puissance. Chez l’enfant, dans ses jeux, il s’identifie à un lion. Il peut s’identifier à n’importe quoi, un personnage. Ce qui veut dire que c’est assez illimité.

Ainsi, k + tend aussi vers une indifférenciation à cause de cette possibilité illimitée d’identification, dans le sens de perdre ses limites. Tout introjecter, tout avoir, à l’excès, c’est verser dans la folie.

Justement si on va trop loin dans le k + et dans p +, on tend vers l’indifférenciation dans le sens de la totalité. Il y a ainsi un pôle d’indifférenciation possible en k + et p + qui libère des formes.

Le p + est la position qui remanie les autres parce que c’est la plus élaborée. On peut dire que le moteur p + est bien dominant dans le protocole et que le k + est à interpréter en fonction du p + et pas en tant que tel comme position psychogénétique du personnage.

Pourquoi p + est-elle la position la plus élaborée ? Parce que p + s’inscrit dans une identification donc, elle a l’historicité et elle possède un rapport réflexif à elle-même (le rapport du rapport) et c’est celle qui peut se percevoir en tant que gestalt à travers le rapport du rapport, ce qui est une élaboration très poussée (le regard du regard).

Le p + peut cadrer le k + dans un historicité et dans un rapport réflexif à soi-même. C’est-à-dire que le p + remet son être aux mains d’un Autre.

La question est : qu’est-ce qui, dans le p +, a le pouvoir sur l’image ? Qu’est-ce qui, dans la personne, a pouvoir sur le personnage ? Quel est le mécanisme qui permet cette opération ? Ce pouvoir vient du passage du personnage à la personne. Le circuit du moi indique la position k - entre le personnage et la personne. k -, c’est la négation de soi. La négation est une étape sinon rien ne pourrait émerger dans la négation totale.

Au-delà de soi, en tant que personnage, pré-existe quelque chose à laquelle nous nous remettons pour traverser le gouffre de la négation de soi. Cette chose est un Autre qui nous origine. L’accepter, c’est s’identifier au père primitif. Quoique nous fassions, nous nous originons dans un Autre. L’absolu en soi-même est devenu relatif à cette figure de l’Autre.

Le reflet dans le miroir est soi dans le sens où ce reflet s’origine dans ce soi qui regarde son image dans le miroir. Il sait qu’il n’est pas de la même nature que ce qu’il voit dans le miroir. Sa pensée cadre son image. Le rapport à son image est cadré par un rapport réflexif à soi-même. Et ce rapport réflexif à soi-même est cadré par un Autre qui n’est pas de la même nature que soi. En effet, dans le rapport réflexif à soi-même inscrit en p +, il y a un soi qui s’origine dans un Autre grâce à l’identification au Père primitif. Le fait que son propre rapport réflexif à soi-même soit relatif à cette identification à un Autre nous permettrait de situer l’image de soi dans un rapport relatif à un soi pensant, réflexif qui n’est pas de la même nature que l’image car celle-ci ne pense pas.

Le fait qu’il existe un rapport à l’Autre dans mon rapport à moi-même me permet d’établir un rapport du rapport que j’ai avec mon image. Ne pas avoir ce rapport du rapport m’enfermerai dans mon image comme un espace-temps se referme sur lui dans les trous noirs de l’espace où plus aucune lumière ne peut s’échapper vu que l’espace s’est refermé sur lui-même.

Quand Boudha se retrouve face à sa propre image qui lui demande qui il est, il répond : « je suis moi tant que la terre sera la terre » et tout en répondant à son reflet, il touche le sol sur lequel il est assis.

Dès lors, son image s’évanouit car elle ne peut dépasser ce qu’elle n’est pas. Boudha en touchant le sol, inscrit au plus profond de son être, sa propre négation en remettant celui-ci à ce qui n’est pas lui. Et tant que cette terre sera, elle lui donnera ce rapport à lui-même au-delà de son reflet. La métaphore du contact avec le sol, c’est le rapport avec ce qui n’est pas soi. Ce rapport est seul susceptible de permettre d’échapper à l’emprise d’un rapport absolu à soi-même.

Dans une vision plus dialectique, nous dirions que l’absolu se retrouve face à son propre néant. De cette confrontation naît une dialectique. L’être qui s’est baigné dans l’absolu et qui passe par le néant ne peut sortir de cette impasse qu’en devenant relatif à lui-même. Le contact avec ce qui n’est pas soi et l’intériorisation de ce non-soi est impossible dans la dimension de l’image qui s’origine en elle-même. C’est dans ce sens que notre absolu est devenu relatif à lui-même en intériorisant, par identification, une filiation à l’Autre, à ce qui n’est pas soi. Dorénavant nous nous originons dans un autre, cette relativité de soi par rapport à un autre, inscrit en soi, nous empêche d’entrer dans un rapport absolu à nous-même et donc dans la psychose.

Mais, si cette altérité venait à disparaître, l’image reprendrait tous ses droits sur la pensée réflexive. Le processus du regard critique sur soi s’évanouirait. La porte à tous les délires serait grande ouverte. C’est ce qui arrive quand nous nous prenons pour Dieu au lieu de faire aussi bien que lui sans jamais y parvenir.

k + ne peut pas être un rapport d’un rapport, celui-ci est en p. k + ne peut pas sortir du dedans du regard. p + est l’obtention de soi-même (siechselbts behaltung : soi-même obtention de). Le k + est le rapport d’une image avec une autre image. p + est le rapport de ce rapport : « je me regarde dans un miroir mais, en k +, je ne peux pas sortir du dedans de ce miroir; je ne peux pas me voir me regarder ». p + installe un regard sur le regard, un rapport du rapport. C’est en ce sens que p + a droit de cité sur le k +. Le regard de mise en forme conceptuelle a droit de cité sur le regard de mise en forme sensorielle.

Quelqu’un qui investit le contact est dans une problématique contactuelle. De même, quelqu’un qui investit le sexuel a remanié déjà les positions du contact par le sexuel. C’est un schéma hiérarchisé. Ainsi de suite. Celui qui a un tropisme pour les positions troisièmes, il a toujours le remaniement du contact par le sexuel mais tout cela est remanié par les positions troisièmes. Le vecteur Sch est au-dessus de tout.

Au terme du circuit, l’individualisation est à son maximum. Les positions premières sont des positions dépendantes, elles sont hétéronomes, il y a une hétéronomie maximale. Dans les positions quatrièmes, il y a une autonomie maximale. p + peut réaliser un travail sur les pulsions par la pensée. La sublimation notamment permet cela.

Le fil conducteur serait la distanciation, c’est la capacité d’établir un rapport à soi-même.

Dans la création, la logique repose sur une distanciation. Donc, nous devons avoir des p + dominants : 9 / 19 pour p +, 6 / 19 pour p o, 4 / 19 pour p -. Donc, nous avons une dominante p +. Le p -, dans ce cas-là, est à relire en fonction d’un sujet qui est p +. C’est très différent d’un sujet qui est p - tout le temps et qui est incapable de donner un p +; que d’un p + qui sporadiquement donne du p-.

Par rapport aux formes d’existence 8 (psychopathique), cela veut simplement dire que c’est quelqu’un qui, dans son travail, sporadiquement, a ce pouvoir de faire sauter deux censures (k o et hy o) pour plus de liberté créative : la censure morale (hy -) et la censure réaliste (k -). Le principe de réalité k - est mis en veilleuse pour ne pas autocensurer en permanence toute pensée. La fonction de la censure morale n’est pas prévalante non plus; peut-être en fonction de ce qui fait l’objet de la créativité du sujet.

La variabilité des créateurs, c’est la subtilité de l’analyse qui décodera cette variabilité. C’est la même chose chez le sujet en analyse. Il doit y avoir une variation maximale à ce niveau-là. Là, c’est un rapport réflexif à soi-même. Le moteur de l’analyse, c’est p +. Le rapport réflexif à soi-même doit poser un je. Cela n’exclut pas qu’il ait sporadiquement k o p -; et ça, c’est dans le cadre d’un p +. Donc, c’est très différent.

Et le je s’institue dans la haine au sens où psychanalytiquement on découvre l’objet dans la haine. Une démarche réflexive doit quelque part se nourrir de la haine. Ainsi, une démarche créatrice doit quelque part se nourrir de la haine sinon pas de gestalt et pas de réflexivité. Et là, le e- est aussi remanié par les positions qui sont au-dessus de lui dans le circuit.

Ici, c’est un sujet e + qui donne sporadiquement du e -. Ce n’est pas la même chose qu’un sujet e - qui est incapable de donner du e +. Le e + est clairement représenté à l’avant et à l’arrière. L’ambivalence traduit un questionnement qui insère en e un rapport réflexif suscité en p +.

Nous pouvons aussi utiliser les positions pulsionnelles. Prenons une dominante pervers-psychopathe au formes d’existence, et puis on se rend compte que les positions 3e et 4e sont présentes 5 fois sur le plan global du premier protocole. Ces positions sont des positions personnelles articulées avec des positions réalistes-légalistes. C’est normatif au sens non pathologique.

Peut-être que le tableau de Poellart donnerait quelque chose d’intéressant. Le moi o+ est en 4, le -+ est en 3 et 4 (donc, le moi peut être lu en 4). Le ++ aussi en 4. Donc, il y en a 5 / 10 qui font partie vraisemblablement de la  4e période dans le premier protocole. Cette 4e période est en affinité avec la psychose, la créativité ou la sublimation. Le moi +- est en 1 ou 2. Le moi -- est 3. Donc, on a une souplesse mais une dominante qui s’intéresse à la quatrième période au niveau du moi. Ce qui contredit les formes d’existence.

Son mari, Jean-Marie, donne plus de k + p - mais cela veut dire qu’il doit introjeter la vision de l’Autre, ou plus précisément construire un soi-autre qui est inscrit dans le jeu théâtral car il doit imaginer un spectateur virtuel avec qui il fusionne dans l’écriture théâtrale.

Quelqu’un qui serait tout le temps dans les mêmes positions, ce n’est pas bon. Comme quelqu’un qui serait tout le temps dans la sublimation, c’est invivable, on se désincarne, on file dans l’esprit.

Donc, il y a une dominante qui serait les périodes quatrièmes et une variation à expliquer mais qui est déjà un signe d’une certaine souplesse avec des positions réalistes qui ne sont pas dominantes. Tant mieux puisque c’est un sujet qui a une préoccupation créative.

Le fait de désigner un processus psychopathique à partir de l’absence des censures réaliste et morale a sans doute un sens dans une population psychiatrique puisque Szondi est un empiriste. S’il a retenu ces formes d’existence-là, c’est qu’il les a corrélé avec la clinique. L’évacuation de ces deux censures dans une population psychiatrique a un sens sans doute empirique. Mais, dans une population non psychiatrique, il est nécessaire de repenser cette forme d’existence selon les données de la clinique non psychiatrique.

Nous parlons de la mise en forme de sa sensorialité spécifique à soi en k + et à usage collectif en k -. La déconstruction de k - nivelle par le bas la mise en forme sensorielle pour un usage commun. k - raboterait tout ce qui serait personnel, ce rabotage de la déconstruction en k - amène finalement une sensorialité au service du commun. Le commun étant le rabotage par le bas de toutes les spécificités personnelles. k - est la position antifantasmatique, k - est un anti-k + à visée adaptative. C’est l’adaptation, k -, c’est une position névrotique.

k -, c’est la position de l’hystérique qui, face au rorschach, répond : « je ne sais pas ». Ou alors, qui donne des réponses négatives : « Là, le rouge, ce n’est absolument pas du sang ! ». Là, c’est vraiment la dénégation au sens de Freud. Pour pouvoir passer la censure de l’inconscient et que l’idée puisse être exprimée; l’idée sort sous une forme niée. Ca, c’est le sens précis de la dénégation qui est un cas particulier, névrotique du mécanisme k -.

Elle met sa sensorialité qu’elle respecte, parce qu’elle dit que c’est quand même du sang quelque part, mais au service du commun en la niant. Ce n’est surtout pas du sang, ce n’est pas du sang ! Alors que ça en est parce que la femme a un problème de contrôle d’une pulsion agressive, quelque chose d’énorme mais c’est nié.

Plus étonnant est le protocole d’Henri qui est nettement en position 3. Prendre un rôle, avoir cette capacité, ça , ce n’est pas un k +. Le k + ne sait pas avoir cette distance qu’un p + aurait. Le k+ qui se prend pour un personnage, on va blesser son narcissisme si on lui dit, il va partir, il va décompenser éventuellement. il est dedans, il n’a pas cette distance, il y croit, il s’illusionne, k +, position d’illusion. Il s’illusionne, il se prend pour le personnage.

Henri, il incarne, il se prête. A la limite, il s’oublie pour se prêter comme un jeu. Il a cette distance par rapport au personnage. (Cfr. le paradoxe de l’acteur). Cela voudrait dire qu’il se met en veilleuse. Il met sa sensorialité au service de l’Autre. C’est cela la déconstruction de k -. C’est la déconstruction de sa propre sensorialité, permettant une mise en forme par l’Autre de sa propre sensorialité. D’où, l’adaptation en k - qui atteint son paroxysme dans le jeu de l’acteur qui arrive à canaliser ses sens de manière à correspondre « tip top » à ce que l’Autre lui demande. Il renonce à son désir propre. Il s’adapte à la réalité de l’Autre. C’est une sensorialité qui obéit à la loi, à l’interdit. « Ce qui naît de mon corps, je l’étouffe pour mieux suivre ce que la loi m’astreint à suivre ». C’est l’interdit qui empêche l’activation de sa propre fantasmatique.

Ici, c’est une loi qui vient d’un autre imaginaire au service d’une fiction. Le plus curieux, c’est que le moi traite cette loi de l’imaginaire d’un autre comme la loi en tant que telle c’est-à-dire en tant que position réaliste-légaliste. Il y a confusion entre la loi du réel et la loi de l’imaginaire au niveau de son moi. Si cela est possible, c’est que quelque part, la loi du réel repose sur une instance imaginaire. Cela veut dire qu’il n’y a pas de réel sans relais imaginaire. Il est curieux de constater que ce que nous appelons le réel, est en fait le décodage imaginaire d’un ensemble de stimuli. Et Henri  a un pic 1-3 (fusion-adaptation) très très net.

En dehors de son rôle, il est k + à l’arrière (profil 3).

k - est une sensorialité conforme aux interdits mais pour penser cela il est nécessaire d’avoir une sensorialité à soi qui observe la sensorialité au service de l’Autre. Nous sommes passés par le k - et nous essayons de nous en dégager pour filer vers le p +.

L’exemple du match de foot à la télé peut illustrer la sensorialité k -. On est ensemble, on est suspendu au ballon, on mange la même chose, on voit la même chose. Un but et c’est la même façon de réagir. C’est dans ce cas k - p -. Se conformer, façonner ses sens de manière à être dans le bain sensoriel et représentationnel commun. Une sorte de petit groupe avec un moi collectif.

La croyance en p - est quelque chose que l’on accepte comme ça sans l’avoir penser ou critiquer parce que tout le monde y adhère. La croyance personnelle est un choix personnel qui adopte quelque chose en l’ayant cogité. Le passage par k -, la rationalité, est l’étape cogitative sous-tendant la croyance personnelle qui siège en p +. « Là où je ne peux plus expliquer par ma cogitation mon choix, ma croyance me permet de maintenir ma position au-delà du rationnel ». Exemple, « je crois à la non-existence de Dieu ». Quand la logique des arguments ne peut pas aller plus loin, le mécanisme de la croyance se met en place pour maintenir le choix, cela permet une précession de soi au-delà du rationnel, du connu, du concevable.

Quand on fait un choix dans une précession de soi, quand on s’anticipe dans une oeuvre, il est nécessaire d’avoir une croyance personnelle.

Cette croyance vient colmater les brèches du savoir rationnel, du regard de l’Autre dans la démarche créative. C’est strictement personnel et cela doit avoir la portée d’une croyance pour mettre en parenthèse le système de la preuve, de la critique. La croyance en p -, c’est rejeter p + c’est-à-dire les penseurs. Tandis qu’une croyance personnelle, c’est du p + qui a souvent un système personnel voir philosophique.

Dans notre société logocentrique qui nous amène à créer notre mythe personnel, nous adoptons une croyance en notre mythe personnel dans le sens où nous générons une croyance dans un mythe personnel. Un mythe est malgré tout une fiction à laquelle nous croyons. Cela peut aussi donner les croyances du paranoïaque inflatif mégalomaniaque. Le mécanisme de la croyance peut toujours déraper vers le délire. Mais, il n’est nécessaire pas d’aller voir la pathologie psychiatrique pour s’en convaincre; il peut suffire de se rappeler que le potentiel nucléaire de destruction qui existe est tellement démesuré que c’est à se demander où est la limite.

Les positions 4 se désincarnent, il y a « perte de sa viande », moins d’émotions. Il n’est plus qu’un esprit. D’où, l’insensibilité à l’Autre, la perte de l’altérité. On peut les définir comme des positions solipsistes. Le créateur qui vivrait tout le temps dans des positions 4, vivrait dans un monde abstrait où il n’y aurait plus de place pour un monde sensible. Un pur esprit.

C’est la distinction entre l’abstraction et l’einfühlung. Finalement, on a une intrication des deux. Aller au-delà du sensible, c’est tuer le vivant dans la pensée. C’est l’impasse extrême du k - qui rationalise à l’excès. La déconstruction ne doit pas franchir la frontière où le sensible est réduit à une pure abstraction.

Selon Mélon, la destruction quand il y excès dans k + se déduirait d’un k + qui veut tout introjeter et qui se rend compte que c’est impossible : « Je ne peux pas m’identifier à tout donc, je détruis le contenu et la machine à penser ». Ils ont un « trou » dans le cerveau : ils cassent le contenu de la pensée et la machine qui produit ces pensées (k -). C’est un moment fécond dans la connaissance que ce passage k -. Le k - casse l’objectivation du savoir et permet de dépasser cette étape pour l’inscrire dans l’être (p +). p + est un autre niveau de connaissance où les connaissances-objet sont devenue caduques : il y a progrès. En p -, il n’y a pas de reprise de la connaissance au niveau d’une intelligence théorique qui pose la question du pourquoi.

L’homme de la rue de Szondi est une abstraction qu’il a faite. Il le situe en k - p - car il pense qu’il n’est pas k + car il est réaliste et il n’est pas p + puisqu’il n’a pas d’ambition personnelle.

Le p +, ce qui l’intéresse, c’est de ressaisir la globalité des choses. C’est plutôt philosophique d’avoir une vision du monde. C’est différent d’accumuler des connaissances. La question de l’être reste la préoccupation de p + même s’il sait qu’il ne l’atteindra jamais.

Mélon est d’accord de parler d’indifférenciation dans l’être et de différenciation dans l’étant.

k + p +, c’est trouver sympathique les psychotiques sur le versant catatonique et sur le versant paranoïaque. C’est franchir les limites. C’est l’ambition de tout être et de tout avoir. L’homme de la rue refuse cette folie. Dès lors, il refuse le dépassement, il se cantonne dans les limites fixées part la culture.

Au niveau du moi, le psychotique refuse les normes et, à ce point de vue-là, il est antisocial.

Tous les créateurs sont confrontés au problème des limites : être tout le temps à la limite, transformer la vision des choses. Il n’y a pas de différence entre l’artiste et le scientifique : trouver la formule pour faire voir les choses autrement.

Un k - associé à un p + : la destruction de la connaissance objective est associée à un dépassement de cette connaissance.

La position k - possède deux versants de par le fait que, dans la théorie des circuits, elle se situe entre k + et p + :

·   un versant qui est tourné vers k + et qui consiste à déconstruire l’image,     à l’anéantir. Le mouvement de ce versant reste au niveau du monde k + qu’il limite. Il n’y a pas encore de mouvement transcendant le niveau k +, c’est un k - en face de k + qui lui dit « stop ». Ce versant de k - consiste à empêcher le je-image de se maintenir en cassant l’image.

·   un versant tourné vers p + qui consiste à dépasser le processus de négation, à dépasser la dimension de l’image que ce soit en elle ou contre elle. C’est la porte ouverte à l’accès au je réflexif en filiation avec l’Autre. Un niveau qualitatif est franchi : nous avons quitté le monde de l’image dans le sens où la négation de soi est dorénavant inscrite en soi dans la filiation à l’Autre (en fait, c’est cette filiation qui donne la possibilité de se nier) : p +. La négation de l’image n’est pas inscrite dans l’image dans le sens où cette image ne peut se nier sans disparaître elle-même.

Dès lors, il ne s’agit plus de limiter le k +, de casser l’image. Non, maintenant, il s’agit de franchir en aveugle le passage de l’image à l’être. Le rapport à l’image étant détruit, le sujet ne se voit plus à travers une image de lui, il ne s’inscrit plus dans le regard qui regarde l’image. Tout ce qu’il peut avoir comme rapport spéculaire, c’est un regard sur son regard.

L’Autre s’inscrit naturellement dans cette relation à soi-même dans le sens où cet Autre est un regard qui regarde mon regard, ma vision du monde. Le paroxysme de ce propos est notamment incarné par le savoir psychologique. Le versant de k - tourné vers p + ouvre un champs commun avec l’Autre dans le sens où le regard que j’ai adopté (un regard sur mon regard) est finalement le même que celui que porte l’Autre sur moi.

Donc, rien ne m’empêche plus de me voir à travers les yeux de l’Autre tout en restant moi-même puisque nos regards sont de la même nature. Se détacher du regard sensoriel pour adopter un regard conceptuel, c’est franchir de plein pied le seuil entre le sensible et l’abstraction, entre le sensoriel et le conceptuel.

Puisque les regards sont de la même nature entre soi et l’Autre, et puisque ce regard du regard est du domaine de l’abstraction, l’abstrait devient un champs commun possible entre les hommes dans le sens où il se situe au-delà des individualités sensorielles propres à chacun. Nous ne pouvons partager ce que nos sens nous disent mais nous pouvons partager le regard que nous portons sur nos sens : « Tu as senti la vibration ? Oui, j’ai ressenti. » ou encore « Tu m’aimes ? Oui, je t’aime. ». Si nous pouvions communiquer par un champs commun nos sensations sans les abstraire, pourquoi dès lors poser de telles questions ?

Si p + est l’accès à un je fondé sur le regard conceptuel, la position p + s’enracine dans un champs commun à tous les hommes qui soit en même temps formulable par le sensible : l’Abstraction incarnée dans le Verbe. Cette dimension de l’esprit est à la fois spécifique à soi et en même temps commune à tous ceux qui accèdent à l’abstraction. La figure de l’être humain commun à tous ces penseurs de soi ne peut être que virtuelle, être elle-même une abstraction.

C’est peut-être ce que Freud désigne comme étant l’identification au père originaire que les szondiens situent en p +. Tendre vers Dieu, c’est peut-être s’abstraire et faire mouvement vers la pensée conceptuelle qui nous détache de ce « bas monde » c'est-à-dire le monde de la sensorialité. Si Dieu est le créateur, c’est logique dans le sens où il « incarne virtuellement » le mouvement de la pensée qui transcende les limites du sensoriel pour porter un regard sur son propre regard. Or, sans ce mouvement, pas de détachement par rapport aux choses et donc, aucune possibilité de transcendance de son image.

Le langage entre les hommes est possible à la condition que ces hommes partagent un champs commun qui soit communicable. La caractéristique du langage est notamment d’être une abstraction qui se rattache à des signifiés par des conventions que la majorité des gens adoptent. Le fait que ces conventions soient nécessaires signe la nature foncièrement abstraite du langage. Sans cette base commune qui est abstraite, comment dépasser nos individualités foncièrement inscrites dans notre manière de ressentir les choses chacun à sa façon ?

Ainsi communiquer, c’est mettre en commun, c’est trouver une formulation commune au-delà des spécificités sensorielles à chacun. Il est nécessaire de pouvoir formuler le regard sensoriel, de le mettre en forme et de le communiquer à l’Autre. C’est, à notre avis, une des fonctions du regard du regard. C’est pourquoi en p + est inscrit fondamentalement une relation à l’Autre. Nous pouvons nous parler à nous-mêmes et porter sur nous ce regard du regard mais s’il venait à régresser au stade du regard sensoriel, au stade du je-image, l’Autre par son regard peut nous aider à y voir plus clair en nous et rétablir le rapport réflexif à soi-même au-delà de l’image.

Un des principaux mécanismes qui tend à nous faire perdre ce regard conceptuel sur nous-mêmes réside dans le narcissisme primaire qui, à un moment donné, bloque le processus de dépassement de l’image de soi. Ne dit-on pas que le narcissisme est le principal obstacle à la connaissance ? Il ne faut pas oublier les obstacles qui se sont dressés sur le chemin d’un Galilé, d’un Darwin, d’un Freud. Ces hommes n’ont-ils pas détruit une image narcissique de l’être humain ? Etre à la merci d’un inconscient et descendre du singe en vivant sur une planète-banlieue du système solaire dans l’immensité de l’univers a de quoi donner le vertige.

Mais le prix qu’il faut payer pour préserver cette image narcissique est le prix le plus fort : ne plus pouvoir accéder à son propre dépassement. Car cela peut empêcher de trouver des solutions différentes à un problème.

La négation de soi au niveau du p + viendrait de la possibilité de s’en remettre au regard de l’Autre sur soi.

Si p + ouvre un champs commun qui est celui de l’abstraction, le regard de l’Autre sur moi peut être introjeté sous forme abstraite. Cela n’est possible que si il y a communication. D’où l’importance des conventions communes, des représentations communes pour maintenir le rapport à l’Autre à travers un langage commun. Dans le test de Rorschach, les indices « Ban » et « F+% » reflètent cette importance.

Ne plus formuler son abstrait (ses représentations) de telle manière à le rendre communicable, c’est se couper des autres, c’est perdre la possibilité d’utiliser le regard de l’Autre pour nier quelque chose en nous que nous ne voyons plus car nous sommes en dedans cette chose.

Un psychotique porte bien un regard sur son regard mais son interprétation évacue le regard critique de l’Autre. Il se retrouve seul avec son regard conceptuel et répéterait à une autre échelle l’emprisonnement du je-image dans son propre rapport à lui-même. Il penserait son être comme le narcissique regarde son image. Tout deux seraient prisonniers dans le dedans d’un regard :

·    le dedans du regard sensoriel, regard pris dans l’image.

·    le dedans du regard conceptuel, regard pris dans la pensée.

C’est le rapport à l’Autre qui permettrait le dehors de ce regard.

Passage de l’indifférenciation à la différenciation dans la Création.

1. Les faits

L’observation a montré :

1- Un passage d’une indifférenciation à une différenciation à travers le faire-oeuvre. C’est aussi un passage d’un imaginaire vers le réel.

2- Une saisie sensorielle et perceptive à usage privé : usage non commun de ses sens et perceptions.

3- Une coupure du contact.

4- Des processus « intériorisés ».

5- Une déconstruction d’une vraisemblance acceptée par le commun, une opposition à une notion commune suivi d’une construction spécifique à soi. Le tout d’allure cyclique.

6- Des objets sont créés : espace transitionnel entre soi et les autres, entre l’imagination et la réalité.

7- Une recherche de quelque chose : quel est son moteur ? (insatisfaction, péril du moi, malaise dans le commun). La direction est donnée en inversant celle du processus de création.

8- Un éloignement par rapport au connu (le sien, celui des autres) puis un rapprochement vers le commun avec usage de ses sens et perceptions de type commun ainsi qu’une reprise de contact.

 

En observant le travail de création, une évidence commune à tout travail de création apparaît : le passage d’une indifférenciation à une différenciation.

Regardons une céramiste partir d’une motte d’argile et petit à petit élaborer une forme, une masse, un mouvement. Puis, l’émaillage avec de la poudre de verre donnera une peau colorée ou non à cette forme, la surface sera travaillée avec une multitude de possibilités techniques. Et, finalement, le feu du four empêchera cette forme de revenir à son état de départ, c’est-à-dire une motte d’argile.

Le sculpteur part d’un bloc de pierre et le travaille pour lui donner forme. Il sépare ce qui noie la forme voulue et affine les contours avec son oeil acéré.

Le peintre manie la petite masse des couleurs sur son plateau et travaille les formes avec son imagination. Ce qui était une surface plane et blanche - indifférenciée - deviendra « une image » extrêmement travaillée dans ses contours, ses limites, ses agencements,...

Le musicien quant à lui agence des milliers de sons qui prennent tour à tour la forme du désespoir, la magie de l’amour éternel, la stridence de la violence; tout ce travail créatif consiste à donner forme à ce qui n’en n’a pas au départ.

Le dramaturge qui édifie le texte vivant que des acteurs de théâtre vont jouer précisément selon une différenciation spatiale élaborée, affective, temporelle,...

L’accès à la sensorialité permet de rejouer les processus différenciateurs de l’identité corporelle. Lorsque l’on crée, nous donnons forme à quelque chose, c’est aussi donner une limite, c’est encapsuler cette chose.

La création est travail des formes, elle suscite des formes. Fondamentalement, un travail sur la forme est un travail sur les limites, sur ce qui fonde les différences. En ce sens, créer, c’est différencier.

Dans cette optique, le travail créateur - le faire-oeuvre- est un travail de différenciation qui impose des choix, des limites, des discriminations sensorielles. Ce n’est plus la toute-puissance de la potentialité de l’être. Ici, le registre est au faire.

Choisir, c’est renoncer. Et choisir, décider de telle ou telle forme, c’est finalement une procédure d’autolimitation. Cela nous renvoie à l’autogestion de l’angoisse de castration.

Tous ces créateurs partent du possible, de l’indifférencié et construisent des créations c'est-à-dire des « êtres » suffisamment différenciés que pour qu’ils puissent exister en dehors de leur volonté.

2. Principe

La distanciation suppose un éloignement, un mouvement qui s’éloigne. Pour percevoir ce mouvement, il est nécessaire de situer un point référent duquel on s’éloigne. A quoi cela nous renvoie au niveau du mental ? Principalement à une direction.

La direction inverse de celle qui nous rapprocherait du point référent. Posons le point référent au niveau du connu, du concevable, c’est-à-dire au niveau des représentations communes en place dans un société et à une époque déterminée. S’éloigner de cela nous emporte dans ce que l’on nomme communément la création. Ce processus obéit à une direction qui est inverse de celle qui nous rapproche du point référent.

Créer, serait se distancier. Peut-être, mais dans quelle mesure ?

3. La mesure du processus de création

Le terme « créer » est un mot dont la signification est commune et renvoie à un signifié que nous assimilons à un processus particulier. Nous parlons de processus dans le sens où l’acte de créer est le résultat d’une pensée qui s’est éloignée des chemins battus. Il y a donc un mouvement qui s’accomplit dans un terme ou qui perdure mais toujours selon le même principe : l’éloignement des schémas de pensée qui nous ramènent au connu, à la répétition comme le dit Jean Mélon.

Ce qui permet de mesurer (au sens de ce qui mesure la différence, l’écart) l’acte de création, c’est l’ensemble des représentations communes acquises. Pour l’individu, en lui-même, c’est l’ensemble de ses propres représentations acquises avant le mouvement créateur.

C’est ce par rapport à quoi on se distancie qui donne la mesure de la distance parcourue c'est-à-dire de la création obtenue. C’est le zéro qui donne l’ampleur du million, c’est le big bang qui donne l’âge de l’univers. Ces deux référents abstraits sont en quelque sorte des sidérations qui donnent la mesure de la distance parcourue. Sidération dans le sens où le référent est fixé quelque part dans un point virtuel duquel on s’éloigne justement parce qu’il est sidéré par la pensée : une représentation virtuelle donnant le point « zéro ».

Quel est donc ce point « zéro » duquel le créateur s’éloigne coûte que coûte ? Nous pensons que ce que Besdine (3) appelle « le maternage Jocastien » chez les génies créateurs peut nous aider à comprendre les ressorts du mouvement créatif.

4. La « menace de Jocaste »

Si nous revenons à la « source », un élément semble déterminant pour permettre à l’enfant de dépasser la fusion : la capacité de la mère à se détacher de l’enfant. En effet, Bucher (8, p.334) dit :

« D’autre part, si l’empathie de la mère est la condition sine qua non de ce processus de « maintien » tant physique que psychique, l’évolution de l’enfant ne sera assurée qu’à partir du moment où la mère admettra le status distinct et l’individualité de l’enfant. En d’autres termes, la mère doit permettre à son enfant de se détacher d’elle, afin de pouvoir réaliser ses propres expériences négatives. Celles-ci seulement conduiront à la structuration d’un « self » authentique, pouvant organiser les premières possessions, les premières relations objectales de cet infans qui accédera à la parole. »

Ce que nous voyons poindre ici, c’est la menace que constitue pour l’enfant une mère qui se trouve pour une raison ou pour une autre dans l’incapacité de se détacher de son emprise sur son enfant. L’expérience de l’attachement peut dès lors se connoter négativement aux yeux d’un enfant en passe de se constituer en « self ». Il sentira le poids de l’influence de sa mère - et par extrapolation de l’Autre - sur sa vie, un poids mettant en péril son moi distinct.

Concrètement, l’attachement trop fort et trop long a empêché le processus de défusion de mener à bien son terme. Dans le meilleur des cas, l’enfant a dû mettre en place des défenses puissantes pour « sortir » de l’attachement. Quoiqu’il en soit, si le moment fécond de l’attachement s’est connoté négativement, la « source » est vécue comme mettant en péril le moi. Dès lors, l’activation des forces d’attachement à l’âge adulte tendra à réveiller les défenses qui protège le moi d’une fusion excessive. L’ambivalence sera forte dans le sens où le désir de fusion sera puissant en même temps qu’un processus d’individualisation défensif poussé sera mis en place pour freiner ce désir qui n’a pas pu trouver de frein dans le détachement de la mère par rapport à son enfant. 

Cette situation est supposée expliquer en quoi l’attachement à l’Autre est devenu problématique chez les créateurs suite à l’hypothèse de Besdine sur le maternage jocastien. En effet, nous allons nous référer à l’étude de M. Besdine sur le maternage et le « complexe de Jocaste » chez les mères de génies créateurs. Nous allons resituer l’histoire de Jocaste - la mère d’Oedipe pour introduire cette hypothèse.

Mythe d’Oedipe et de Jocaste

« Le triste sort de Jocaste, tourmentée par les craintes que nourrissait son époux d’être tué par sa progéniture, comme l’avait prédit l’Oracle, rendait impossible toute vie sexuelle normale. A la suite d’une beuverie orgiaque, survenue après une longue période d’abstinence sexuelle, pendant laquelle elle avait ardemment souhaité avoir des enfants, elle mit au monde son unique fils. Elle fut aussitôt séparée de l’enfant, qui fut exposé pour mourir. Ainsi, les origines du maternage jocastien se trouvent dans le mythe lui-même, l’ardent désir d’un enfant, le chagrin de l’avoir perdu, l’absence d’une vie sexuelle normale et enfin la mort de l’époux. Il est à noter que ce sont ces mêmes maux qui engendrent aujourd’hui le maternage jocastien. Le rôle de Jocaste, aussi définitif, fatal et symbolique que celui d’Oedipe, doit être apprécié et délimité de façon critique avec les mêmes normes. On peut certes objecter que Jocaste n’a pas élevé son fils, mais il ne faut pas oublier que la reine de Corinthe, Périboea, désireuse d’avoir des enfants, adopta Oedipe. C’était son seul fils, et il devait hériter du trône. Les sources même du maternage jocastien étaient donc présentes au sein de la famille royale de Corinthe .» (3, pp.180-181)

Selon Besdine, le maternage Jocastien survient quand une mère n’arrive pas à se détacher de son enfant. La mère semble souffrir de soif d’affection ou de frustration sentimentale, si bien qu’elle établit avec le tout jeune enfant une symbiose étroite, intense, intime et exclusive qui se maintient pathologiquement au-delà de la première année ou, plutôt, de la période où la fonction de locomotion apparaît.

Elle empêche ou retarde la séparation / individualisation, le mouvement vers l’autonomie et la formation d’une identité propre. L’enfant se développe précocement, arrive à la période oedipienne avec de fortes distorsions, et n’est pas en mesure de résoudre les problèmes qui surgissent. La chaude intimité et la tendresse qu’il a connues pendant sa première année de vie dans l’échange et le dialogue pleins de douceur avec la mère sont à jamais contaminées par un sentiment d’asservissement, à mesure que la mère, assoiffée d’amour, empêche l’enfant de se développer normalement dans le sens de la maturité et de l’auto-différenciation.

« Cette atmosphère intense et diffuse d’amour incestueux devient de plus en plus terrifiante, l’enfant puis l’adolescent et l’adulte ressentant la situation comme dangereuse et interdite, voire comme un état de sujétion empoisonnée .»(Besdine, 3, p. 179)

Une telle relation à la mère est ambivalente et l’enfant, plus tard, aura gardé la trace de cette ambivalence dans ses rapports amoureux : parfois trop fusionnel, parfois trop distant. La bonne mesure n’est pas de mise.

« Cette conception persécutive de l’amour comme expérience à double face, une attirante et en même temps une repoussante, et dont il faut se défier, est caractéristique des hommes et des femmes élevés par une mère ayant une vie affective pauvre et avide de trouver un objet d’amour. J’en suis venu à appeler ce type de maternage né d’une soif d’affection le « maternage jocastien .» (Besdine, 3, p.180)

Le père dans le cadre du maternage est décrit par Besdine comme un père absent n’ayant pu, pour une raison ou une autre, ouvrir la relation mère-enfant à l’extérieur  :

« Le rôle essentiel du père, qui est d’aider à rompre la symbiose primitive, à élargir l’horizon de l’enfant, à l’initier au monde extérieur et à lui offrir un modèle masculin digne d’émulation, ce rôle ne se produit pas .» (Besdine, 3, p.183 )

Le surinvestissement libidinal du garçon par sa mère (stimulations précoces, ambiance affectueuse et heureuse) est en rapport avec une insatisfaction profonde de celle-ci dans sa propre vie sentimentale (divorce, veuvage, longue séparation du mari pour des raisons professionnelles, mésentente, impuissance sexuelle ou incapacité d’aimer du conjoint...). D’où, à la fois, un maternage poussé (l’enfant devenant l’objet privilégié de ses soins) et un désir incestueux à peine voilé de la mère pour son fils, comme on peut supposer que Jocaste l’éprouva pour Oedipe quand elle s’unit à lui tout en l’ayant plus ou moins reconnu.

De cette psychodynamique maternelle, Besdine montre les conséquences (3, p.24) :

« La symbiose naturelle de la mère et de l’enfant se trouve renforcée et prolongée. Nous ajouterons qu’elle est surtout vécue par l’enfant sous le double signe du bonheur et de la conquête du corps et du monde et que plus tard le génie cherche à reproduire avec son ami-confident unique ce même type de symbiose. »

La difficulté pour l’enfant de se défendre contre son propre désir incestueux pour sa mère, puis pour les femmes en tenant lieu, est accentuée par le danger qu’il ressent de rencontrer chez elles non seulement une réponse positive mais surtout une sollicitation amoureuse telle que son propre désir alors ne connaisse plus de frein. D’où la peur de l’amour.

« Il est interdit de s’approcher de cet objet (ou de le laisser s’approcher) et de risquer un contact physique, un toucher mutuel : on ne peut que le voir par une vue lointaine.(...) La crainte du châtiment est, dans ces conditions, vive, au double niveau, préoedipien, de la honte et, oedipien, des sentiments de culpabilité. » (Anzieu, 3, p.24) 

C’est ce qui fait dire à J. Mélon (18) que : « la sagesse des créateurs, c’est de s’éprendre d’un objet d’amour impossible. »

 « Le créateur crée à cause de, et malgré ses sentiments de honte et de culpabilité. Créer, c’est transgresser les tabous, c’est s’affranchir des menaces, mais c’est aussi jouer avec le feu. C’est en payer le prix par des moments d’angoisse et de dépression. Cette descente en soi est aussi une descente aux enfers .»(Anzieu, 3, pp. 24-25)

Besdine illustre son propos avec de nombreux génies créateurs. Nous avons pris celui de Goethe (3, p.192) :

« A 25 ans, Goethe tombe éperdument amoureux de Lili. Elle fut son premier et son seul grand amour et lorsqu’après bien des efforts, il finit par se fiancer, il commença à être poursuivi par des cauchemars où sa fiancée le mettait dans un sac. Finalement, il prit la fuite, et les fiançailles furent rompues. Ce sentiment d’être pris au piège fait partie des manifestations usuelles par lesquelles les fils élevés par une mère jocastienne transfèrent à toutes les femmes le sentiment d’assujettissement maternel. Cela est tout à fait typique de leur histoire psychosexuelle. Ce sentiment d’être piégé vient d’une frustration au niveau de la séparation / individualisation, puisque la symbiose persistante empêche une évolution naturelle vers la séparation et l’autonomie.(...) Toute la personnalité de Goethe porte la marque d’un maternage de type jocastien. »

Balzac, Proust, Shakespaere, Freud, Michel-Ange, Heinrich Heine, Dostoïevski,... sont tous passés par ce maternage jocastien selon Besdine. Sartre dans son livre « Les Mots » fait une autoanalyse de ce maternage et en fait un document psychologique révélateur. Il semble d’après Besdine que la liste des créateurs ayant vécu cette dynamique est assez édifiante :

 « Ces exemples de difficultés oedipiennes non résolues chez des génies sont révélateurs d’un phénomène significatif sur le plan clinique. Bien des études biographiques viennent d’ailleurs en apporter d’autres preuves. Que l’on prenne la vie de Shaw, Kafka, Wolfe, Stendhal, Conrad, Tennessee Williams, Edward Albee, Withman, Somerset Maugham, Rousseau, Kleist, Strindberg, Poe, Wilde, Gorki, Galilée, Camus, Beethoven ou d’autres, il se confirme l’impression d’un complexe d’Oedipe non résolu provenant de l’expérience vécue d’un maternage jocastien. On retrouve chez Violette Leduc, Simone de Beauvoir, Florence Nightingale, Mme de Staël, Georges Sand, Sarah Bernhardt et chez d’autres femmes de génie une constellation familiale semblable : maternage jocastien, masochisme, narcissisme et propension au « transfert .»  » (Besdine, 3, p. 200)

Besdine souligne donc chez les créateurs une fixation à la symbiose primitive avec la mère. Mais pourquoi si peu de gens, parmi le grand nombre de ceux restés fixés à cette symbiose, deviennent créateurs ? Ainsi selon Anzieu (3, p. 27 ) : « le maternage et le complexe de Jocaste chez une mère hyperattentive et hyperaimante ne suffisent pas à prédisposer l’enfant à être créateur. Il faut que le relais soit pris par un père ou un substitut paternel et qu’à la fois ce père soit généralement tolérant et qu’il favorise et renforce le désir de savoir. » Anzieu postule comme hypothèse explicative l’attitude active devant la scène primitive, un surmoi sans sévérité et un idéal du Moi encourageant.

Anzieu postule un père bienveillant, un éducation à caractère libéral...pour appuyer le fait, à l’aide de son étude sur Freud, que le créateur possède un surmoi sans sévérité excessive et un idéal du moi encourageant et stimulant.

Ensuite, Anzieu postule le fantasme de la scène primitive et l’attitude de l’enfant face à cette scène comme un facteur déterminant. L’enfant, s’il est submergé par l’angoisse devant cette scène, restera plus tard passif et figé devant ce qu’il découvre au fond de lui et inapte à élaborer ses découvertes éventuelles en oeuvre.

5. Le parcours de l’individuation = parcours créatif

Pour introduire ce parallèle, nous nous proposons de reprendre un extrait de Bucher à propos de la notion de holding qui permet à l’enfant de se tenir devant les autres et qui ouvre l’établissement de relations objectales.

« Au fur et à mesure que se constituent alors des relations objectales, des objets constitutifs peuvent être investis qui, à leur tour viennent corroborer la tenue et l’auto-confiance du sujet. »(Bucher, 8, p.335)

Bucher fait intervenir ici des fonctions du moi, (8, p.335) : « à savoir l’introjection (k +) de l’objet primaire de tenue, processus indispensable à la prise de conscience (p +) de l’individualité. Une telle assimilation ne serait cependant possible qu’après une « crise dans la relation objectale », sans quoi le processus de l’introjection ne pourrait pas opérer. »

Et le plus fascinant est la curieuse similitude entre le processus d’individualisation de l’enfant et le processus de création tel qu’il est décrit dans ce mémoire. Nous laisserons la parole à Bucher (8, p.335) à laquelle nous associerons la nôtre entre parenthèse :

« Nous avons vu qu’il n’est pas possible d’assimiler l’union duelle à une relation d’objet, puisqu’il n’y a à ce niveau ni sujet ni objet. Seul le passage à une dépendance amoindrie, suite à la distinction (rôle de la perception dans le détachement) de la mère, du sein maternel comme objet extérieur (distanciation), permettra des crises dans cette relation (faille, discontinuité dans la participation), le détachement (éloignement, différenciation) subséquent et la constitution, par introjection, de « formations idéales de possessions » (action de k +), sur la base desquelles pourront alors s’établir des « formations idéales d’être » (p + qui s’appuie sur le k +), aboutissement du processus d’individualisation (de création, constitution d’un soi différencié apte à la défusion dans la fusion). »

Et peu après Bucher (8, p.335) signale que : « L’introjection ne serait donc qu’un chaînon intermédiaire entre la séparation et l’auto-constitution du sujet ». k + serait l’intermédiaire entre la faille et p +.

6. La création comme travail psychique produisant la différence

Il existe des bénéfices secondaires de la création mais la question du bénéfice primaire reste entière :

 « On connaît les réponses courantes. Créer serait une façon de lutter contre la mort, d’affirmer un espoir d’immortalité...(...) ...une compensation de son incapacité d’enfanter que de mettre au monde des productions culturelles, plus ou moins aptes à survivre par elles-mêmes. Au prix toutefois de combien d’avortements, de combien de morts-nés ! Tout ceci constitue des bénéfices secondaires de la création. La question du bénéfice primaire - à quelles pulsions répond-elle ? ; quelles instances psychiques satisfait-elle ? ; de quelles angoisses prémunit-elle ? - reste entière... »(Anzieu, 3, p.4)

Pour notre part, nous avons poser l’idée que le processus différenciateur inscrit dans la création doit être lu au premier degré : c’est le point de vue de la différenciation, celui des limites donc.

Il semble ainsi que l’angoisse de se perdre dans l’Autre appelle une frontière au désir fusionnel. C’est dans ce sens que chaque processus de création pourrait lu comme un acte de différenciation posé en soi et dans le réel. Chaque cycle créateur effectué serait un deuil d’un désir de fusion, une séparation d’avec l’origine.

Le processus de création serait donc un travail psychique qui amène le créateur a passé du désir d’indifférenciation à un désir de différenciation. Il s’agit à première vue d’un passage et c’est en ce sens qu’il s’agit d’un travail psychique.

Anzieu parle de trois grands « travails » psychiques de passage, le travail du rêve, celui du deuil et enfin celui de la création :

« Le travail de la création représente la troisième forme, plus mal connue, du travail psychique : un travail de quelques secondes dans le surgissement de l’inspiration, de quelques semaines dans la conception de la trame, de plusieurs années dans la réalisation de l’oeuvre.(...) Rêve, deuil, création constituent des phases de crise de l’appareil psychique. Comme dans toute crise, il y a un profond bouleversement intérieur et une exacerbation de la pathologie de l’individu. ». (Anzieu, 3, p.5)

Nous sommes d’accord avec cette formulation dans le sens où la création ne se ramènerait pas uniquement au travail de deuil du désir fusionnel. Elle procède aussi d’une élaboration poussée pour édifier une entreprise de consolidation de soi sur des données d’un nouvel ordre. Anzieu signale l’exacerbation de la pathologie du sujet au cours de ce travail. Ce point nous met en garde contre des interprétations « psychiatrisantes » d’un travail psychique.

Ce qui importe le plus pour nous dans cet extrait, ce sont les idées de travail psychique, de crise c’est-à-dire plus simplement d’un passage où, dorénavant, il y aura un avant et un après. Une frontière aura été tracée dans le sillon de cette crise. Ainsi, la création est vue comme un travail psychique amenant une différenciation de soi par construction de limite entre le réel et l’abstrait. Nous pensons dès lors que la castration symbolique doit intervenir quand il est question de limite.

7. La castration symbolique

 « Décider, c’est choisir, et choisir, c’est renoncer » (Stassart, 26, p.1)

« ...au prix d’une auto-limitation qui correspond toujours en définitive à l’autogestion inconsciente de la castration symbolique ».(Stassart, 26, p.31)

C’est ce que nous pouvons lire dans la thèse de Stassart M. qui analyse précisément le processus de décision vocationnel chez l’adolescent.

D’emblée, nos choix nous propulse vers notre propre castration symbolique, vers une limitation de notre être par l’opération du choix. Nous avons situé cette castration symbolique dans la création au moment où le créateur fait des choix opérotropes de mise en forme, de mise en oeuvre, de réalisation concrète : c’est le stade du faire-oeuvre.

Ainsi, si l’acte créateur, c’est le faire-oeuvre, cela nécessite une auto-limitation en s’imposant des choix, des limites précises.

D’un autre côté, le mouvement qui stoppe la démarche créatrice et qui ramène le créateur dans le flux social est aussi de l’ordre d’une auto-limitation à sa propre démarche (k-).

Dans le temps opératoire de la création, il y a une auto-limitation inscrite en filigrane. Le choix de l’oeuvre, de sa matière et de sa forme en est un exemple.

La démarche créatrice opère une différenciation (faire émerger une oeuvre concrète) dans le faire-oeuvre d’une oeuvre au départ d’une indifférenciation imaginaire. Celle-ci d’ailleurs succède à une démarche différenciatrice dans le réel relationnel : c’est le non - oppositionnel.

Selon Mélon (18), il s’agit de créer des objets symboliques qui font partie du réel à partir du moment où ils sont créés. Cela sous-entend le passage du symbolique dans le réel. C’est à ce passage qu’intervient la castration symbolique.

La castration selon Lacan est à différencier de la fustration et de la privation. La privation est réelle mais son objet est symbolique. La frustration est imaginaire mais son objet est réel. Tandis que la castration est symbolique et son objet est imaginaire.

La castration a pour objet le Phallus, ce signifiant qui n’existe nulle part. Avoir et/ou être le Phallus, c’est entrer dans le registre de la toute-puissance. Le Phallus symbolise la toute-puissance, c’est-à-dire celui qui se suffit à lui-même. Dans le registre de la création, l’objet phallique, c’est l’oeuvre, ce qui confère la toute-puissance à celui qui a et/ou est cette oeuvre.

Bonnet cite les théories psychanalytiques et le culte de la forme phallique comme autant d’objet phallique. Il remplissent la fonction de parer à ce qui pourrait amener l’être humain à ne plus savoir maintenir son être face aux puissances qu’il ne comprend pas et qui menacent de déstructuration son architecture intérieure telle qu’il se la représente.

La castration qui nie cette toute-puissance entre en jeu dans le faire-oeuvre de la création. Quand le créateur fait quelque chose, le rend réel et donc, le sort de lui, il se différencie de son oeuvre et met la barrière du réel entre lui et l’oeuvre. Le créateur s’impose des limites et fait des choix. Il travaille, il « bosse », c’est fatiguant et même épuisant. Finalement, il se sépare de ce qui faisait partie de lui et s’en distancie.

Mais il n’aura jamais un objet phallique puissant au point que « pas même le néant ne puisse l’égratigner ». Alors, le créateur « anéantit » sa toute-puissance dans une castration agie et s’en remet au réel et plus ou moins aux autres. C’est le moment négateur retourné sur soi : « Stop ! Je m’arrête, je suis un être humain, pas un esprit désincarné, je vais vers les autres, investir en eux, vivre parmi eux ».

« Avec la castration, nous sommes dans le symbolique, or, il n’y a de création que symbolique. La castration est affaire de limite. Tant que la castration n’est pas symbolisée, on n’en sort pas. Ce qui en sort, c’est grâce à la castration qui est inscrite dans le faire-oeuvre. » (Mélon,18)

Si l’acte créateur consiste à faire des choix, à s’imposer des limites pour passer à l’action, et si la démarche du faire-oeuvre consiste à différencier une forme de l’indifférencié, nous supposons qu’il existe un mécanisme d’auto-limitation inconscient qui est finalement une autogestion inconsciente de la castration symbolique. De même, nous pensons que c’est ce même mécanisme qui gère la possibilité du créateur à sortir de son monde et à aller vers les autres. En fin de compte, l’autogestion inconsciente de la castration symbolique joue dans le faire-oeuvre et dans la négation de sa propre démarche créatrice.

A sa sortie de l’hémicycle k +, autant le créateur a pu prendre ses distances par rapport à la fusion dans la démarche créatrice, autant il pourra mieux évaluer les risques potentiels d’une relation à l’Autre qui tendrait à devenir fusionnelle. La menace qui pesait sur le moi a été réévaluée au cours de la démarche créatrice et c’est dans une conception plus relative, plus mûrie, moins fantasmatique que le créateur jauge les dangers d’une relation à l’Autre pour son propre moi. C’est la fonction antifantasmatique de k -, fonction légaliste-réaliste qui intervient pour guider le créateur vers l’Autre.

Implicitement, le créateur aura progressé dans le deuil de son désir de fusion par sa démarche différenciatrice et avancera dans le monde de l’Autre avec moins d’attentes. De plus, il aura consolidé son soi suffisamment pour faire face aux situations qui nécessite une négation de soi et il saura désormais se nier sans se perdre. C’est en quelque sorte la réponse à la question : « comment ne pas être pour être dans le rapport à l’Autre ? ». Le créateur se dirige ainsi petit à petit vers la création sculptée.

8. Création sculptée

Selon Jacques Elliott (3), à vingt ans, et au début de la trentaine, la créativité a pour caractéristique d’être brûlante. Elle est intense, spontanée, l’oeuvre est d’emblée définitive. « Les effusions spontanées de Mozart, Keats, Shelley et Rimbaud en sont le prototype » (Elliott, 3, p.240). La plus grande partie du travail semble se faire inconsciemment. La production consciente est rapide, la vitesse de création n’étant souvent limitée que par la capacité de l’artiste d’enregistrer matériellement les mots ou la musique qui lui servent d’expression. »

« Par contraste, la créativité aux alentours de la quarantaine est « sculptée ». L’inspiration peut être brûlante et intense. Le travail inconscient n’est pas moindre qu’auparavant. Mais une grande distance sépare le premier élan d’inspiration du produit crée et fini. L’inspiration elle-même peut venir plus lentement. Même s’il y a de brusques jaillissements d’inspiration, ce n’est là que le commencement du processus de création de l’oeuvre. L’inspiration initiale doit d’abord être extériorisée à l’état brut. Alors commence un processus de formation et de façonnage de produit externe, par modelages et remodelages successifs de la matière.(...) Là apparaît tout une interaction entre d’une part le travail inconscient intuitif, l’inspiration, et d’autre part la perception attentive du produit externe en train d’être créé et la réaction à celui-ci. » (Elliott, 3, p.241)

Jaques E. s’explique cette transition selon différents facteurs dont la prise en compte de la haine et de la mort comme facteurs inhérent à l’humanité c'est-à-dire inscrits en soi et non déniés par un idéalisme de la jeunesse.

«  L’idéalisme et l’optimisme de l’adolescent finissant et du jeune adulte, corrélatifs du clivage et de la projection de la haine, sont dépassés et supplantés par un pessimisme plus contemplatif. Un conservatisme plus réfléchi et plus tolérant se substitue à une impatience et à une exigence radicales. La croyance en la bonté naturelle des hommes est remplacée par la reconnaissance et l’acceptation du fait que la bonté naturelle s’accompagne de haine, de pulsions destructrices internes et que cela contribue à la misère et au tragique de la condition humaine. Dans la mesure où la haine, la destruction et la mort peuvent se trouver explicitement présentes dans les productions créatrices de la jeunesse de l’âge adulte, elles se manifestent, chez Poe et Baudelaire par exemple, sous forme du satanique ou du macabre, non sous celles d’angoisses ayant fait l’objet d’un travail d’élaboration et de résolution. » (Elliott, 3, pp. 243-244)

Ainsi, selon Elliott, l’idéalisme de la jeunesse de l’âge adulte est construit sur l’utilisation inconsciente du déni et des défenses maniaques comme processus de défense contre deux caractéristiques fondamentales de la condition humaine : l’inéluctabilité de la mort et l’existence de la haine et des pulsions destructrices à l’intérieur de chaque personne.

C’est lorsque la mort et la destructivité humaine - c’est-à-dire à la fois la mort et la pulsion de mort - sont pris en compte que la qualité et le contenu de la créativité prennent une tonalité tragique, réflexive et philosophique. La position dépressive doit être de nouveau abordée, mais à un niveau qualitativement différent.

« La misère et le désespoir devant la souffrance et le chaos venus de notre inconscient sont à affronter et à surmonter pour que la vie puisse être supportée et la créativité continuer. Némésis est la clef*, et la tragédie le thème de sa reconnaissance. » (Elliott, 3, p.244)

 (* Souligné par nous) 

La réussite finale du travail créateur de l’âge mûr dépend de la résignation constructive face à la fois aux imperfections humaines, et aux insuffisances de son propre travail. C’est cette résignation constructive qui imprime alors la sérénité à la vie et à l’oeuvre.»

Illustration

Nous donnons ici pêle-mêle quelques schémas pour synthétiser notre propos. Nous ne feront aucun commentaires puisqu’il s’agit simplement d’une présentation visuelle de ce qui a déjà été commenté auparavant.

 

 

 

 


Bibliographie

1-ALBERONI F. Le choc amoureux. Ramsay, Paris, 1981.

2-ANDREW A. M. Autopoiesis and self-organization. Journal of Cybernetics, 1979, 9.

3-ANZIEU D., MATHIEU M., BESDINE M., ELLIOTT.J, GUILLAUMIN J. Psychanalyse du génie créateur. Dunod, coll. Inconscient et culture, Paris - Bruxelles - Montréal, 1974.

4-BACHELARD G. La philosophie du non. P.U.F., Paris, 1975.

5-BATESON G. La nature et la pensée. Seuil, Paris, 1984.

6-BAUDRILLARD J. La haine, ultime réaction vitale. Magazine littéraire, Juillet-Août 1994, n° 323, Paris, 20-24.

7-BEAUJON E. Némésis ou la limite. N.R.F., Gallimard, coll. Les essais,1965.

8-BUCHER R. Attachement et pulsion. Les feuillets psychiatriques de Liège, 13/3, 328-350, 1980.

9-CHASSEGUET-SMIRGEL J. Pour une psychanalyse de l’art et de la créativité.Payot, Paris, 1971.

10-CLEMENS ERIC. Que philosopher est apprendre à naître. Les temps Modernes, 528, juillet 1990, pp. 86-89.

11-DESSOY E. Ambiance, Ethique et Croyances : Les trois foyers organisateurs d’un milieu humain. Thèse de doctorat, U.C.L., éd. La Ferme du Soleil (a.s.b.l.), 1991.

12-DÜCHTING  H. Vassili Kandinsky. Benedikt Taschen, Berlin, 1990.

13-FREUD S. Traitement psychique (1890). Résultats, Idées, Problèmes I, P.U.F., Paris, 1984.

14-GODEFROID. Les fondements de la psychologie. Vigot, Paris, 1993, Chapitre 11.

15-KINABLE  J. Les abords de psychopathie. Louvain-La-Neuve, Cabay, 1984.

16-LEGENDRE P. Dieu au miroir. Leçons III. Fayard, Paris, 1994.

17-MALDINEY H. Art et Existence. Dialectique du « Moi » et morphologie du style dans l’art. Revue Empan n° spécial 1992.

18-MELON J. Séminaires Szondi de l’ULG, notes de cours, Université de Liège,1995.

19-MELON J. Figures du Moi, Szondi, Rorschach et Freud. Thèse de Doctorat. Université de Liège, Liège, 1975.

20-MELON J. Théorie et pratique du Szondi. Presses Universitaires de Liège, Liège, 1975.

21-MICHAUX H. Connaissance par les gouffres. N.R.F., Gallimard, coll. Poésie, 1967.

22-MORMONT Chr. Rigueur et mise en doute de la perception dans le diagnostic de psychose au rorschach. Université de Liège, addenda aux notes de cours, 1994.

23-NASIO J.D. Cinq leçons sur la théorie de Jacques Lacan. Petite Bibliothèque Payot, Paris, 1994.

24-PROUST M. A la recherche du temps perdu. La Pléiade, I, p. 555.

25-RACAMIER P. C. Les Schizophrènes. Petite Bibliothèque Payot, 380, Paris, 1980.

26- STASSART M. Adolescence, post-adolescence et processus décisionnel - une étude szondienne. Thèse de Doctorat, U.L.G, Liège, 1995. Les monographie du CEP, Les Editions du CEP (Centre d’Etudes Pathoanalytiques), Bruxelles, 1995.

27-SEGAL L. Le rêve de la réalité. Seuil, coll. la couleur des idées, Paris, 1986.

28-SILBERNAGL S., DESPOPOULOS A. Atlas de poche de physiologie Flammarion Medecine-Sciences, Paris, 1986.

29-STRAUS E. Du sens des sens. Contribution à l’étude des fondements de la psychologie. Grenoble, Jérôme Millon, 1989.

30-VARELA F. J. Principles of Biological Autonomy. New York, Elsevier North Holland, 1979.

 

 


Table des matières

Anne..........................................................................................................................................................................

Henri........................................................................................................................................................................

Georges.................................................................................................................................................................

Jeanne.....................................................................................................................................................................

Jean-Marie...........................................................................................................................................................

Joseph.....................................................................................................................................................................

JP.................................................................................................................................................................................

Mité...........................................................................................................................................................................

Patrick...................................................................................................................................................................

Pierre......................................................................................................................................................................

Zénon d’Elée......................................................................................................................................................

Zéphyrin................................................................................................................................................................

Quelques commentaires.........................................................................................................................

 


Anne

A 24 ans, Anne est testée pendant une période où elle est en pleine crise existentielle et où elle doit trouver pour son mémoire un moyen de développer une méthode qui n’est pas encore systématisée. Elle est dès lors continuellement en recherche d’une manière de percevoir, de concevoir et de tisser des liens.

Elle connaît beaucoup de gens mais elle vit seule la plupart du temps. Elle a besoin d’autonomie et de retrait. Elle possède un bagage théorique important en psychologie, cela nous a permis d’approfondir certains commentaires pour les profils.

Anne a été la plus lente parmi nos sujets pour choisir les photos. Anne a difficile à choisir. Cela signifierait qu’elle doit être sûre d’elle pour pouvoir rejeter entre autre. Pour elle, rejeter, c’est avoir recours à des affects qui justement appelle une culpabilité à les vivre. Pour ne pas se morfondre (parfois, elle se serait presque excuser de choisir des antipathiques), elle pense ses choix afin de se reposer sur une base rationalisante, intellectuelle qui « évacue » l’aspect rejet. La consigne demande un regard qui sépare, elle doit penser ce regard, il ne vient pas tout seul. Nous pouvons aussi nous dire qu’elle a difficile de se séparer ce qui souligne une tendance fusionnelle. Et son travail psychique consisterait à gérer la séparation sans susciter sa culpabilité. Et, c’est sa cogitation qui lui permet de trouver un compromis entre fusion et défusion mais cela prend beaucoup de temps. C’est exactement la même chose avec les gens avec lesquels elle a difficile de se situer d’où la nette tendance à se cloîtrer chez elle dès qu’elle ne sait plus gérer la situation. Par contre, Joseph, Patrick et Zénon sont des « rapides » pour le test. La comparaison entre eux et Anne montrent un nette tendance chez eux à avoir des positions quatrièmes en p (p+) tandis que Anne est nettement en position première en p (p-).

Les indices

Sur l’ensemble des profils à l’avant-plan, nous voyons une personne qui n’est pas rigide (Sy% = 42%), la variabilité est de mise (var = 76 - limite supérieure de 52) mais on ne pas parler de désorganisation (Désor = 0.13) pathologique; de plus, la résolution de la conflictualité intrapsychique est équilibrée (So/± = 3.1). L’index social montre une valeur inférieure de 33%.

Malgré tout, le premier protocole se démarque par une plus grande variabilité accompagnée par une désorganisation plus poussée ainsi qu’une tendance à moins mentaliser et à plus passer à l’acte ou à la conversion.

La formule pulsionnelle du premier protocole montre la dominance du facteur d+ comme facteur racine suivit par le facteur s- et e+. Il n’y a pas de facteur symptomatique. Avec le deuxième protocole, un changement s’opère, d+ reste un facteur racine mais à un moindre niveau tandis que s et h deviennent franchement symptomatiques. Le deuxième protocole semble donc moins stable que le premier.

Les proportions de latence montrent dans le premier protocole que le contact est mouvant et impuissant à freiner une recherche tandis que le vecteur S semble stabilisé cela par une tendance à être passive. Dans le deuxième protocole, le contact est toujours mouvant mais plus puissant à stabiliser le d+ tandis que globalement, les autres vecteurs tendent vers la stabilisation.

Les tropismes montrent à l’avant-plan une charge en S globalement surtout en h . A l’arrière-plan, c’est le moi qui est chargé. Nous avons à l’avant un investissement pulsionnel des facteurs s’occupant de la question du sexuel et à l’arrière, la même chose dans les positions du moi.

Les positions pulsionnelles montrent un pic 4 dominant suivi par un pic 3. La réalisation de soi et le rapport à la loi, au réel sont ici prévalants.

 

Les profils moyens

Protocole 1 :

Total          h-     e+!  hy±   k+  p±!   d+  m-

Avant         h-     e+   hy±!     p±!   d+!! m-

Arrière    h± s±   e+!!! hy±         d±!  m-

Protocole 2 :

Total                e+  hy±!  k±!     d+  m±!

Avant           s±!     hy±!   k-!!! p-    d+  m-

Arrière         s-!!!  e+! hy±          d+!  m±!

Protocole 3 :

Total          h-              hy±           p-!!   d+!  m±!

Avant         h-!! s+   e+  hy±              p-!!    d+   m+!

Arrière         s±!    hy+!!!           p-!!!   d+!! m±!

Pas de h +. La question s, hy (parfois hy +) et k est mouvante (parfois k-), e est franchement + et ne peut être e- quand position e±. La question p est fort mouvante avec une régression p- accentuée finalement, d+ est un « pilier » car imperturbable, par contre, la question du contact est très mouvante (±!)

Voyons globalement les constantes. Nous commenterons les facteurs entre guillemets pour souligner ce qui est en jeu à chaque fois :

h- s± : sublimation, problématique emprise-subir avec des pointes dans le subir.

e+ hy±  : surmoi, problématique montrer-censurer avec des pointes dans le montrer.

k±! (+) p±! (-) : moi « catastrophe » avec des pointes de négation et de participation, tout est possible, la menace règne. « Tout bouge, je ne sais plus où j’en suis alors quand j’ai trop peur, je régresse et je me nie ».

d+! m±!(-) : désir de recherche intense, forte problématique nouer-couper pour contact avec des pointes de rupture. « Ma recherche, on n’y touche pas, c’est sacré; tandis que l’Autre, c’est mon plus gros problème en ce moment et quand je ne sais pas gérer cela, je coupe, c’est plus simple comme ça.».

Les facteurs états p et m sont en question : être et contacter. « Qui-suis-je ? Moi ou l’Autre ? Comment être-au-monde dans ces conditions ? Quand je n’assume plus ma recherche, je régresse comme une petite fille (pointe p-) ».

Les facteurs états h et e sont stables : sublimer et obéir. « Mon désir d’amour pour moi est évacué». « Ma loi, je ne peux pas l’assumer, j’ai peur de moi alors j’obéis à celle de l’Autre ».

Les vecteurs médiateurs montrent d+! : « je cherche intensément et finalement je vais là où le vent me mène, je peux me détacher quand je veux, je n’ai pas besoin de vous ». k±! : « j’oscille entre mon imaginaire et la réalité des autres, mon imaginaire, j’en ai besoin pour fonctionner mais la réalité m’est nécessaire pour ne pas déraper ». hy± : « je ne sais pas si je peux me montrer ouvertement ou si je dois me cacher »; s± : « agir ou subir telle est la question et je ne sais pas car tout est trop confus ».

 

Protocole n°1

 

Av

Ar

%

 

 

Av

Ar

%

h

4

4-1

70% 4

 

s

2

2

60% 2

e

4

4

80% 4

 

hy

2

3

50%

p

1

1

60% 1

 

k

2-3

2

57% 2

m

4

4

70% 4

 

d

3

3

75% 3

h, e et m sont en 4 et p en 1 dans le premier protocole. Trois forces individualisantes contre une participative. Pourquoi tendre vers l’individuation en étant dans la participation au niveau du moi ? C’est paradoxal d’avoir de la participation (p-) avec une recherche intense du nouveau (d+!) et une rupture du contact (m-) à moins qu’il ne s’agisse d’un travail psychique de différenciation en cours. Exigence de défusion en m-, exigence de sublimation en h- et exigence de responsabilité en e+ contre une exigence participative. rappelons que p+ est une exigence de vérité et de « personnalité » (p.38, Thèse de Stassart).

Anne tendrait vers un dégagement d’une position fusionnelle du moi par fermeture de la périphérie, mais elle n’a pas accès à sa haine et elle se soumet (s- : position 2), donc elle se freine. Or, elle nous dit : « Chaque fois que j’ai été agressive, je dois réparer même pour des bêtes trucs alors je dis des choses avec le sourire et ça coince ».

C’est, à notre avis, dans son d+ qu’elle explose de rage en maintenant une recherche intense, une accélération vers l’inconnu, une poussée différenciatrice par refus de ce qui est. Ce besoin de recherche est son pilier comme nous le verrons, c’est lui qui maintient par sa présence sa volonté différenciatrice et, en ce sens, à aller continuellement de l’avant, c’est aussi dire que ce qui existe, elle le refuse et donc, elle dit « non » quelque part. C’est en ce sens que nous pensons que son d+ recueille sa haine qui ne peut se montrer à cause de son surmoi puissant. De fait, elle prend un autre visage.

Protocole n°2 :

 

Av

Ar

%

 

 

Av

Ar

%

h

4

1-4

57% 4

 

s

3

2

64% 2

e

4

4

70% 4

 

hy

2

2

62% 2

p

1

4-1

57% 1

 

k

3

2

63% 3

m

4

4

65% 4

 

d

3

3

75% 3

Nous retrouvons son d+ imperturbable, le m- (4) et le surmoi (e+ en 4), mais il y a du changement, une pointe de 4 apparaît à l’arrière-plan en p (p+) et nous voyons chuter les pourcentages en h (70% à 57% de 4), en e (80% à 70% en e+) et en m (70% à 65%). En s et en k apparaît une position plus légaliste-réaliste. Au 1e protocole, on a pour s : 2 2 et ici, ça va dans le sens de s+ avec 3 2 mais avec 63% de 2 (une emprise se fait jour mais petitement). En k, on passe de 57% de 2 à 63% de 3 surtout à l’avant-plan. Et hy renforce plutôt la position 2 c'est-à-dire hy+, se montrer pour exister peut-être à ses yeux et aux yeux de l’Autre. Quelque chose se met en place dans le sens d’une tendance à l’équilibre dans la différenciation. Les répartitions d’énergie sont plus mesurées, une gestion agit quelque part pour stabiliser le psychisme.

Protocole n°3 :

 

Av

Ar

%

 

 

Av

Ar

%

h

4

1-4

72% 4

 

s

3

2

55% 3

e

4

1-4

55% 4

 

hy

3-2

2

55% 2

p

1

1

83% 1

 

k

2-3

3-2

55% 3

m

1

1

66% 1

 

d

3

3

77% 3

Le troisième protocole montre une position fusionnelle dans le moi et le contact, le pilier d+ est renforcé (77% au lieu de 75%), les trois facteurs médiateurs sont partagés entre les deux tendances (55% pour s, hy et k). Que s’est-il passé pour expliquer un tel changement ?

La haine se montre telle qu’elle est à l’arrière-plan avec une pointe 1 en e (e-). Cela doit bousculer pas mal son équilibre d’accepter de diminuer la censure. De fait, nous croyons qu’elle régresse par sécurité : « j’accepte ma haine mais soyez tranquille, je suis avec vous puisque mon moi et mon contact sont dans une exigence de fusion ». De l’autre côté, s, hy et k ne « savent plus où donner de la tête » et sont mitigés (55%) un peu comme les hésitants qui finalement ne sont pas sûrs d’eux et donc peu tranchés. Nous pourrions nous dire que si la haine apparaît en e-, pourquoi pousser encore en d+? Nous lisons la hausse en d+ comme sécurité. Il y a une nette régression pour faire « passer la haine » devant le surmoi, alors Anne maintiendrait son d+ pour le cas où elle se noierait dans ce « mixage » abracadabrant. Nous allons faire appel aux profils moyens pour expliquer ce point.

Dans le profil moyen de l’arrière-plan du 3e protocole, elle est p-!!! avec un hy+!!! : elle participe « à fond », elle donne la toute-puissance à l’Autre mais attention « j’existe, je suis là, ne m’oubliez pas, je me montre, je crie mon existence ». hy+!!! est une position 2 donc autocentrée, narcissique qui vient dire « je veux bien participer si j’existe, si on me voit ». De plus, elle a accentué son d+ à l’arrière-plan (d+!!), or, c’est une position inverse de la fidélisation à l’objet, c’est le décrochage. Comme c’est très accentué, nous dirions que c’est un fort désir de décrochage qui viendrait compenser la régression « stratégique » pour faire « passer la pilule » de la haine au surmoi. Une sorte de gestion interne située à différents niveaux avec la possibilité d’ « évacuer » la place au cas où...

Un point mérite encore quelques éclaircissements : dans le deuxième protocole, le facteur s et h apparaissent comme symptomatique. Il semble que nous pouvons décoder cela comme le désir de travailler la question du corps désirant, sexuel. Ce serait la possibilité d’aménager sa sexualité dans le rapport à l’Autre sur la base d’une structure psychique moins fusionnelle donc moins périlleuse pour ce genre de désir. De plus, en même temps, nous avons moins de facteurs racines, ce qui nous indique une tendance à remobiliser la circulation de l’énergie pulsionnelle. La formule nous montre enfin que si le vecteur S est en première ligne, le vecteur Sch est juste derrière suivi sur le même niveau par le facteur m. La sexualité aux premières lignes avec le moi un peu en retrait accompagné par la question du contact, telle seraient ses positions pour « la bataille » pour vivre sa sexualité sans se perdre dans l’Autre (m- étant disponible pour fermer la porte s’il y a danger).

Donc, Anne pose une assise en d+ c'est-à-dire une position troisième légaliste-réaliste dans le rapport à l’objet. C’est une position d’évacuation, de non fidélité, il y a une recherche de quelque chose, une volonté de sortir de quelque chose, faire le deuil de quelque chose. Tout cela peut évoquer fortement une poussée de différenciation dans le relationnel, dans le rapport à l’objet.

La nature même du d+ montre à travers la recherche du neuf qui y est inscrite, la nature différenciatrice (inscription du réel) d’une recherche du neuf même s’il peut y avoir deuil et dépression. En effet, le délai inhérent à la recherche de l’objet passe par un vide non comblé et un refus de se satisfaire avec l’ancien, c’est très dur d’assumer pareille béance dans le rapport à l’objet.

Nous pourrions dire que dans la motivation à la recherche, il y a une motivation à se différencier par une non fidélisation (non oppositionnel d’une autre nature). A savoir aussi que pour créer il est nécessaire d’avoir une base imaginative et l’envie d’un réel mais pas trop de l’un ni trop de l’autre. Ainsi en d+ est inscrit le principe de réalité, position troisième.

Anne a difficilement accès à sa haine avec une tendance moïque fusionnelle associée à un surmoi puissant. La haine se retrouverait puissamment en d+ c'est-à-dire dans la volonté d’en finir avec les objets anciens (d+! systématiquement).

e- et d+ possèdent le même fondement : un refus producteur d’altérité. Le d+ se caractériserait par une haine qui coupe l’attachement aux objets. Ce serait une haine « diffuse », non personnifiée et ça, c’est important car s’approprier une force personnifiée, c’est aussi tuer la personne qui la personnifie. Alors pour ne pas tuer l’incarnation de l’autorité, Anne consommerait son meurtre sur les prolongements symboliques de cette personne c'est-à-dire les théories en vigueurs, les choix sociaux, les scénarios de vie, tout ça est déconstruit pour mettre à nu l’illusion de la vie.

Une haine en d+ serait une haine qui s’attaque aux schémas de base dans l’abstrait et nous pensons qu’elle fait plus de dégâts qu’une haine plus concrète comme en e-, une haine visible. Parler avec « une d+! » souriante, c’est subir une « coulée d’acide » sur ses choix existentiels sans se rendre compte après la discussion que l’on est « par terre » sans savoir pourquoi puisque la discussion était « intéressante, profonde, originale ». Mais quand on réfléchit à ce qui s’est passé, on se rend compte que l’essentiel de la discussion, c’est que les choix que l’on fait ne sont que des choix et cela, c’est redoutable. C’est la question innocente qui, comme les racines des arbres, fragmente notre bloc de pierre, notre cohérence, notre être-au-monde. Nous parlons de haine en d+ mais ce serait une haine de consistance abstraite, comme un virus dans un logiciel d’ordinateur.

Niveau microscopique

Profil 1 : Sch o o à l’avant et Sch +! ± à l’arrière. Nous pensons comme Maldiney que la vidange du moi est à considérer comme « faire le vide pour faire le plein ». Dans ce sens, l’arrière-plan nous montre une nette tendance à penser l’être à travers une poussée forte de son imaginaire propre. Ce jour-là, elle « évacue » sa soeur de son monde, or c’est une personne importante. Quelques mois après, elle s’est complètement libérée de sa soeur. Ce profil a posé une borne dans sa progression à la défusion. Le contact est en instance de rupture à l’arrière.

Profil 2 : La rupture du contact est consommé. Le d+!! est là pour l’aider à se détacher de sa soeur. Une fois effectué cela, il se calmera. Nous pouvons noter sa rage dans les commentaires alors qu’elle est e+! à l’arrière. Nous lisons sa rage en d+!! et sa prétention à être elle-même en e+!. Elle est dans le quartier Sch + + à l’avant et son discours est franchement « autopoiétique ». A l’arrière, elle est Sch + - c'est-à-dire dans la faille. En fait, il semble que son moi s’essaye à l’autoémergence mais le p- est présent à côté du k +. Dans son cas, le p-, c’est ce qu’elle voudrait évacuer, et donc, ce n’est pas une source d’inspiration, c’est le regard en elle qu’elle veut cadrer avec son p+.

Profil 3 et 4 : La question p est travaillée (p±). Le contact est fermé. La fonction k travaille à l’arrière. Le d+ n’est plus accentué, elle se stabilise.

Profil 5 : La tendance est à p- avec un petit k+ à l’avant qui lui donne l’impression qu’elle peut assumer son existence. Mais k + n’est pas p+, donc elle se base sur un ressenti et non sur une représentation. Nous verrons qu’elle va subir un choc en retour car elle croît que dorénavant, elle a gagné. Elle se permet même un m+ de reprise de contact.

Profil 6 : Elle est dans la participation (Sch o -), petite euphorie « d’avoir compris » mais à l’arrière, elle est nettement en distanciation puisque son moi est en p+ (Sch ± +) et surtout elle donne m-!.

Profil 7 : De nouveau la faille (Sch + -) avec un moi inhibé dans son être à l’arrière (Sch - +). Deux mondes s’affrontent. Clivée entre l’arrière et l’avant, elle manque d’unité et d’ailleurs, elle dit se sentir tiraillée.

Profils 8, 9, 10 : Elle se sent mourir en elle et le moi est Sch - o. Elle entre dans une phase de négation. Son p+ n’a pas fait le poids, le regard de l’Autre va prévaloir maintenant. Elle se plie au réel et laisse sa démarche en retrait. Elle ne sait plus alors elle se donne du temps. Son k + reste mais à l’arrière.

Profils 11, 12, 13 : La négation devient de plus en plus forte, son discours devient réaliste, son pilier d+ est vacillant (d±), elle perd ses marques. Elle ne ferme plus la porte sauf au 13 (m-). Mais elle se bat puisqu’à l’arrière, le moi est encore capable d’être Sch + + au 12. Constamment p+ à l’arrière (même p+! au 13), elle ne lâche pas prise. Nous voyons aussi qu’elle est capable d’entrer en Sch - - c'est-à-dire dans la refiliation avec l’Autre même si elle doit se préserver en maintenant son p + à l’arrière.

Les profils qui suivent montrent un avant-plan avec soit la négation pure soit la participation pure. L’essentiel de son travail psychique se fait à l’arrière.

Profil 14 : La haine apparaît pour la première fois à l’avant et la question de montrer ou de cacher est fortement problématique. Elle est e-, p - et m -. Elle a décroché ses posters et elle modifie les images de son habitation. Nous voyons un moi en participation à l’avant et à l’arrière, il est plus en phase de cogitation sur la question de l’être avec une base de mise en forme de ses sens autoplastique. Le contact est coupé, cela évite de mettre en application la participation : c’est une participation vécue à distance.

Le d+ redevient accentué jusqu’au profil 19.

Profil 15 : Elle concrétise.  Mais elle « paye » sa négation et sa haine (e± à l’arrière). En effet, à l’arrière, elle passe en Sch - ±, le moi abandonné. Avec le profil 19 qui est à l’arrière Sch -! ±, ces deux profils nous montrent le danger quand le k+ disparaît à l’arrière laissant Anne avec son projet d’être sans possibilité d’assumer cela. Elle ne sait plus où elle en est puisque sa mise en forme sensorielle va dans le sens de l’Autre et son p+ se retrouve « seul », abandonné dans un questionnement qui le mine (p±). Ici, elle s’en sort par un désir de se restaurer narcissiquement, une sorte de réparation avant de continuer mais au profil 19, elle est sans ressources et elle succombe sans pouvoir se rattraper.

Profils 16 et 17 : Elle « chute » dans la participation, le regard de l’Autre est prédominant et anéanti sa démarche. Elle accuse le coup fortement; au 16, elle se sent envahie et s’isole tout en se réfugiant dans son k+ à l’arrière qui est plutôt mitigé (k±). Le doute s’installe, elle ne sait plus comment gérer l’Autre dont 1- elle pressent la nécessité 2- son projet d’être qui tend à évacuer cet Autre. Mais au profil 17, l’arrière montre un moi Sch ± - (le 16 = Sch ± +), donc entre le 16 et le 17, son p+ l’a « abandonné » dans la participation (Sch o - à l’avant). Le choc fut puissant car elle fut à deux doigts de se suicider. Il y a aussi dans le 16, la présence de la haine (e-) qui disparaît au 17. Nous pensons que cela a dû réveiller une culpabilité féroce qui expliquerait l’absence du p+ au 17.

Profil 18 : Elle est en « surveillance » continuelle, cela veut dire qu’elle pense chaque moment, gérant un maximum d’aspect. Elle a quitté la participation pour se retrouver dans la négation : elle freine. Mais à l’arrière, elle se pense (Sch + ±) selon le regard de l’Autre et le sien sur une base personnelle de mise en forme sensorielle. Elle a retrouvé son k+ de manière pure, non ambivalente et elle se sent mieux. C’est reparti. L’émergence de la haine était trop forte, elle a essayé, cela n’a pas marché. Maintenant, elle sait qu’elle n’est pas encore prête, il faudra du temps et elle sera plus prudente.

Profil 19 : Il semble qu’elle enrage d’être piégée en elle-même, elle exprime un fort désir d’évacuer les anciens objets qui la minent avec un d+!!. Le contact est coupé. L’avant montre une vidange exceptionnelle, faire le vide, expulser ce qui ne va pas. L’arrière est tendu et semble dire « je suis abandonnée par moi-même » (Sch -! ±), « je revendique le droit d’exister, d’être responsable » (e+!), « je veux qu’on me voit, je veux me montrer au monde » (hy+!) mais « je suis sage, je ne bouge pas, ne vous inquiétez pas ! » (s-!). Les commentaires sur le tue-mouches renforcent ce désarroi où elle est plongée, traduisons : « je suis une mouche et comme elles, je suis piégée par ce qui m’attire et me tue », elle dit d’ailleurs que c’est cruel. Nous lui signalons d’agir en concordance en le jetant. Elle répond « non » ce qui traduit son désarroi à accepter son impuissance à dépasser ses chaînes. Elle est au plus bas.

Profil 20 : Elle fait attention de progresser lentement mais sûrement. Elle tend encore à évacuer par un vidange du moi et son d+ s’est calmé. A l’arrière, le moi est Sch ± -! c'est-à-dire maintenir un k+ dans une ambivalence tout en concédant la puissance à l’Autre puisque son expérience lui montre qu’elle ne fait pas encore le poids avec son p+, elle dit d’ailleurs « ce n’est pas assez costaud à mes yeux ».

Profils 21, 22, 23 : D’emblée, nous constatons la volonté nette de se stabiliser et de « refroidir » le psychisme. D’accord, c’est la participation, ça, elle a compris qu’il fallait pour l’instant ne pas trop jouer avec cela. Le d+ maintient son cap. Les ambivalences qui apparaissent en hy, en e et en k montrent une gestion plus « gentille » de la haine (qui maintenant existe et reste), de ce qu’il faut montrer ou ne pas montrer et de la saisie sensorielle en négociation avec le k-. Elle cherche la sécurité dans sa démarche, le p+ est évacué, elle reprend un peu tout à zéro mais cette fois-ci sa haine accompagne son d+ et son k+.

Quand le p+ reviendra avec une telle base, elle pourra être plus sûre d’elle-même. Nous avons suivi par après Anne dans sa vie et nous avons pu constater que sa démarche progresse à grands pas, elle a trouvé des éléments originaux pour son mémoire, elle gère beaucoup plus sa relation à l’Autre (moins d’isolation et plus d’aménagement pendant la relation), les angoisses sont beaucoup moins fréquentes. Ce qui est par contre flagrant, c’est sa faculté de puiser des affects haineux quand ils sont nécessaires et sa capacité retrouvée de vivre un corps désirant jusque dans la relation sexuelle. Du mois de février au mois de juillet, nous avons constater un changement existentiel net dans le sens d’une autonomisation, d’une dépendance tout en permettant une relation à l’Autre plus gérée dans le sens d’une défusion dans la fusion. Ce qui, au départ, demandait une longue réflexion tend à devenir automatique et spontané. Les affects sont dorénavant congruent avec son être et nous pouvons dire qu’elle agit de plus en plus dans l’unité de son être vers un projet personnel. Il y a encore pas mal de choses en elle qui lui semble « pas nette », mais elle semble capable d’assumer ce genre de « plongée en soi ».

Henri

C’est un homme au environ de la quarantaine, marié et travaillant dans le social. Nous l’avons rencontré pour essayer d’obtenir quelques profils d’un créateur (il est dramaturge) quand il passe « au service de la fiction d’un autre », c'est-à-dire en tant qu’acteur pour une troupe de théâtre. C’est ainsi que nous l’avons testé peu avant le début d’une première et peu après le commencement de la pièce de théâtre. Ensuite, un troisième profil a été réalisé en dehors de ce contexte.

Les indices

Le sy% montre quelqu’un de non rigide. La variabilité et l’indice de désorganisation sont normaux. Par contre, nous avons un index de sociabilité bas de 29% ainsi qu’un index d’acting énorme de 6 accompagné par des accentuations fortes en h+ et plus douces en s+. Ces deux derniers points sont très cohérents par rapport à sa démarche d’acteur : concentré sur lui-même et prêt à décharger pour le jeu de scène. La mentalisation n’est pas de mise, c’est plutôt la décharge qui est demandée pour un acteur.

Le deuxième profil montre h+!!!, et, nous pensons qu’il s’agit d’une demande d’amour de type « reconnaissez-moi  car je me donne à fond ». Le stress étant fort, il y a un désir de compenser par une régression.

Les positions pulsionnelles sont très nettement 3-1 c'est-à-dire fusion et rapport à la loi. Mais ici, c’est la loi d’une fiction, celle du théâtre. Cela nous permet d’illustrer notre hypothèse sur la fonction k- comme une mise en forme sensorielle au service de l’Autre. Le hy- est à entendre ici comme la censure de son propre ressenti au profit de ce qui est demandé à l’acteur. La fusion est à entendre comme le « collage » à son rôle. Nous signalons que cette capacité à coller chez lui peut lui jouer des tours hors scène. En effet, une telle sensibilité demande à être gérée et le troisième profil hors scène montre un p-!! à l’arrière. Concrètement, il ne savait pas dire non et faisait trop plaisir aux gens. Il semble que ce soit son k+ qui lui permette de retrouver ses marques. d’où l’idée du travail créatif comme gestion d’une trop grande sensibilité à l’Autre.

Le e- à l’avant-plan serait cette position de l’individu qui se pose face aux autres, ces inconnus qui peuvent le juger sur sa performance. Sa haine lui permettrait d’avoir la force de se poser sur la scène comme si personne ne pouvait l’atteindre. N’oublions pas que le e+ est surmoïque et donc critique, juge, cela est peu compatible avec un état d’esprit comme celui d’un acteur avant d’entrer en scène : les dés sont jetés, il faut se protéger de ses doutes et foncer.

Deux premiers profils  :

Total          h+!!  s+     hy-!!   k-!!!     d+  m+

Avant         h+!!! s+!!!   e-   hy-!!    k-!!!  p±!    d-   m+!!!

Arrière    h+          e ± hy-!!    k-!!        d+! 

h+!! : demande d’amour; s+ : emprise sur le réel; e± : un peu de haine pour assumer mais pas de trop; hy!! : se cacher soi pour faire place « aux affects du personnage »; k-!!! : se nier pour obéir à la fiction le plus possible; p± : mon projet est en affinité avec un Autre virtuel, le spectateur et la troupe de théâtre; d+ : on se rend perméable à ce qui va arriver, oublier qui l’on est; m+ : accrochage à l’Autre

Deux premiers profils :

 

Av

Ar

%

 

 

Av

Ar

%

h

1

1-4

83% 1

 

s

3

3-2

75% 3

e

1

4-1

58% 1

 

hy

3

2

83% 3

p

1

1-4

58% 1

 

k

3

3

92% 3

m

1

1-4

67% 1

 

d

2-3

3

67% 3

La fusion est à l’avant-plan, et à l’arrière, mais à l’arrière, il y a un mixte de soi et de l’Autre. Globalement, l’heure est à la fusion avec un personnage et une fiction. Pour les facteurs médiateurs, c’est globalement une position légaliste-réaliste à entendre comme une adaptation à un réel fictionnel : celui de la pièce de théâtre.

Georges

Georges a la quarantaine et il est musicien-compositeur. C’est aussi un mari et un père de six enfants qui vivent encore sous le toit familial. Georges, lors de notre rencontre, n’occupait pas d’activités professionnelles ce qui ne l’empêche pas de gérer efficacement les exigences d’une vie de famille. Georges fut atteint de « coma » psychique pendant longtemps. Ce terme désigne un arrêt du flux de vie en lui, sa création bien que ralentie continua et cela fait plus d’un an maintenant qu’il est sorti de cette période. Nous avons rencontré un homme qui continue à se chercher à travers sa création et sa famille mais selon des valeurs cette fois plus humaines d’après lui.

Les indices

Les trois premiers protocoles montrent un So/± bas donc une mentalisation poussée. Par après, cela se normalise. Le Sy% montrent une souplesse forte aux deux premiers protocoles puis cela se rigidifie un peu plus aux suivants. L’index de socialisation est normal tendance « pro-social ».

La variabilité est trop grande par rapport à la norme sans que l’index de désorganisation soit pathologique. La variabilité est maximum aux deux premiers protocoles et nous indique, d’après ce qu’il dit de cette période, qu’il s’agissait d’une période où il était perdu et cherchait à gérer toute la complexité de sa situation.

En jetant un coup d’oeil sur les formules pulsionnelles, nous voyons que c’est le facteur d qui est le plus symptomatique, c’est normal puisque tout l’enjeu consiste, nous le verrons, à se détacher par une recherche sans perdre l’attachement aux siens. Le facteur racine étant largement le facteur hy dans sa modalité hy- : cela rejoint bien l’image de Georges avec son « coma », il se cache, retient ses « chevaux » afin de ne pas briser quelque chose, de fait, il le paye en prenant tout sur lui, intérieurement.

L’ensemble des protocoles montrent un faible taux d’accentuations sur 86 profils (avant et arrière), 36 accentuations sur une possibilité de plus de 1000 cases. C’est très correct et cela nous indique que nous avons affaire à une gestion de son monde intérieur assez sereine malgré tout : être en crise et gérer cela sans surdose, c’est aussi ça la création.

Cernons plus spécifiquement le protocole 5, celui que nous avons récolté. Tous les indices  sont corrects sauf la variabilité un peu haute. Les tropismes montrent un investissement du moi le plus fort à l’arrière (« il se pense en silence »). Il présente un pic 2 (autocentré, narcissique) qui, pensons-nous, est à visée de réparation narcissique, et ce pic est suivi par un pic 4 de réalisation de soi. Le rapport à la loi et au réel est le moins investi. Cela pourrait traduire sa confiance retrouvée dans ses moyens créatifs et donc la tendance à délaisser les facettes fusionnelles et sacrifice de soi pour l’Autre afin de faire émerger sa création puisque il accepte dorénavant d’être père et mari selon nous. Maintenant, il peut se permettre de penser à lui (à l’arrière) car il est ancré dans sa famille.

Les profils moyens

Protocole 1 :

Total                 hy-     p±!    

Avant              e±!  hy-!             

Arrière           hy±      p+!!    d-  

 

Protocole 2 :

Total            s-   e±!  hy±!   k±!       m±!

Avant           s±!   e±!  hy-!!!    k+!  p±!      m+!

Arrière      s-        hy±      k±!  p+!     

 

Protocole 3 :

Total            s-   e±!  hy±   k+      m±!

Avant         h±!  s-   e+!!!  hy-!    k+!!!        

Arrière       s-        hy±             d-!   m+

 

Protocole 4 :

Total            s-!   e±!  hy±!   k±!       m+

Avant         h±!  s-!!!   e+!!!  hy-    k+!!!        m±!

Arrière       s±!         hy±        p±!    d-  m+!!

 

Donc :

   s- (±)          hy±! (-)       k± (+)              m±! (+)

Il n’y a que des ambivalences, tout est piégé par un questionnement sauf s- qui montre qu’il ne vaut mieux ne pas bouger dans ces conditions. Georges est quand même encore capable d’un k+ qui permet la création comme il l’a signalé mais à bas bruit. Nous pensons qu’il s’agit d’une complexification croissante qui n’a pas pu être gérée par Georges « englouti » dans un torrent où rien ne fut stable. La dispersion de l’énergie fut trop grande et l’unité dans l’action anéantie.

 

Protocole 5 :

Total          h±!  s-!   e+  hy±!   k+       m+

Avant         h-!  s-      e+!!!  hy-     k+!!  p-      m+

Arrière      s-!!!   e±!    hy±!    k+       d-  m+

Ici, nous retrouvons Georges un an et demi après la fin de son « coma », il est encore en questionnement mais nous voyons qu’il peut se le permettre car la stabilité est de nouveau de mise en e+, en k+ et en m+. Le s-! indiquerait le frein posé tant qu’il n’est pas sûr de lui. Il revendique ses droits (e+) à être comme il est et pousse dans ce sens avec k+ qui est accentué deux fois à l’avant-plan. e+, c’est un surmoi qui protège les autres contre l’hétéroagression mais c’est aussi une instance qui protège le sujet contre une autoagression :  « Tu ne tueras point les autres et tu ne te tueras point non plus ». Nous pensons que son e+ est posé pour limiter les risques de se perdre en n’exagérant pas. Comme il n’a pas un franc accès à son p+, nous pouvons lire en cela son manque de confiance. Une recherche est encore nécessaire pour y voir plus clair et c’est un homme à la recherche de lui-même que nous avons rencontré. Toutefois, c’est avec plus d’assurance qu’il mène sa recherche, disons qu’il a plus confiance dans sa démarche que dans ce qu’il peut appréhender pour l’instant.

Protocole n°1

 

Av

Ar

%

 

 

Av

Ar

%

h

1

4

50%

 

s

2-3

3

53% 3

e

4

1

53% 4

 

hy

3

3

70% 3

p

4-1

4

63% 4

 

k

2

3

50%

m

1

1-4

55% 1

 

d

2

2

58% 2

 

Protocole n°2

 

Av

Ar

%

 

 

Av

Ar

%

h

4

4

56% 4

 

s

2

2

68% 2

e

4

4

62% 4

 

hy

3

3

66% 3

p

1

4

56% 4

 

k

2

3

62% 2

m

1

1

66% 1

 

d

2

2-3

55% 2

 

Protocole n°3

 

Av

Ar

%

 

 

Av

Ar

%

h

4

1

55% 4

 

s

2

2

73% 2

e

4

4

63% 4

 

hy

3

2

60% 3

p

1

4

50%

 

k

2

2-3

70% 2

m

1

1

65% 1

 

d

3

2

60% 2

 

 

Protocole n°4

 

Av

Ar

%

 

 

Av

Ar

%

h

4

1-4

57% 4

 

s

2

2

76% 2

e

4

4-1

66% 4

 

hy

3

3

64% 3

p

1

4

55% 4

 

k

2

3

64% 2

m

1

1

69% 1

 

d

3

2

57% 2

 

En reprenant les pourcentages, nous avons comme position : h en 4, e en 4, p mitigé en 1 et 4, m en 1. Du côté des médiateurs, cela donne : hy en 3, s est en 2, k en 2, d en 2. Reconstituons le profil :

h- s-   e+ hy-      k+ p±               d- m+

Et voilà la clé du coma, les affects sont orientés sur un mode névrotique culpabilisateur qui freine toute possibilité de transgression de la loi, on obéit et on se cache par pudeur. Le contact est orienté vers les anciens objets et l’accrochage : pas question de détachement. Le vecteur sexuel montre le don à l’Autre associé à un frein de son emprise. Le moi est dans la cogitation pour ce qui est de savoir où commence l’Autre et quand finit son soi, tout cela en prenant comme référent sensoriel le sien et non une saisie sensorielle au service de l’Autre c'est-à-dire en négation de soi. C’est assez clair à présent : Georges est un papa de six enfants et un mari attentif. Mais la création est mangeuse de temps et d’énergie. Nous pensons que c’est en créateur qu’il a voulu régler cela c'est-à-dire avec son k+ et c’est justement là que ça coince. En effet, pour se conformer à ses rôles de mari et de père, c’est en k- que ça marche le mieux car k- est au service de l’Autre. Mais Georges a voulu maintenir son k+ car son identité passe par sa création. Le « coma », c’est le créateur qui se sait à côté de la vie, il sait qu’il doit lâcher son « trip » mais ce n’est pas facile quand on s’est battu pour préserver son identité à travers une adolescence partagée entre des homes, une quirielle d’éducateurs,...Deux facettes de lui qu’il aime et respecte se tiraillent en lui pour prendre « la couverture », cela ne peut être qu’un coma.

Protocole n°5

 

Av

Ar

%

 

 

Av

Ar

%

h

4

4-1

64% 4

 

s

2

2

77% 2

e

4

4

75% 4

 

hy

3

3

66% 3

p

1

4-1

58% 1

 

k

2

2

72% 2

m

1

1

72% 1

 

d

3

2

53% 2

La situation n’a pas changée et en effet, Georges nous a parlé souvent de ses deux facettes : le père et mari - le créateur. Il cherche mais cette fois, il s’assure ses droits avec son e+ (75%, valeur la plus haute sur les 5 protocoles), il accepte de plus en plus de se donner en h- (64%, valeur la plus haute sur les 5 protocoles), il accroche plus que jamais dans le contact en m+ (72%, valeur la plus haute sur les 5 protocoles), il active vivement son k+ (72%, valeur la plus haute sur les 5 protocoles), et le frein est posé franchement afin de ne rien bousculer en s- (77%, valeur la plus haute sur les 5 protocoles). Le d et le hy sont dans la moyenne.

Nous interprétons cela dans le sens où il accepte d’être « deux en un », nous pensons même que sa recherche d’une nouvelle forme de créativité (arrêter la composition pour l’instant et démarrer l’écriture) corresponde à son désir d’adapter sa création à sa vie de famille : l’adapter dans le sens d’être aussi disponible dans l’un que dans l’autre. Ne pouvant se couper en deux, Georges semble couper la poire en deux et il adapte ses deux facettes de manière à les faire se coïncider. C’est pour cette raison que nous observons dans le protocole 5 des réactions franches, ce sera comme ça puisque cela en est ainsi ! Le questionnement chute, les réponses se forgent et le profil moyen du protocole 5 montre une stabilité qui se fait jour. Georges illustre la difficulté de gérer son monde tout en étant participant du monde de l’Autre. Il lui a fallut plus de 8 ans pour sortir de sa « torpeur ». Ce n’est pas facile surtout quand on ne lâche pas son k+.

Niveau microscopique du protocole 5

Profils 1 et 2 : il est pris entre deux chaises : le moi Sch + - est dans la faille, un pôle à soi avec k+ au niveau du sensoriel et un pôle pour l’Autre avec son p- qui pose la prévalence du regard de l’Autre sur sa représentation de soi. Peu sûr de lui au premier profil avec un moi à l’arrière plutôt « lâcheur » (p-), il sera néanmoins plus assuré au deuxième quand son p+ viendra le fortifier à l’arrière. L’envie de changer (d+) à l’avant se voit malgré tout freinée par un d- à l’arrière. C’est encore quand même clivé comme gestion. Chose importante, il va se permettre d’avoir accès à sa haine grâce à son e± pendant trois profils à partir du deuxième : cela lui sera profitable pour se donner une marge de manoeuvre affective.

Profil 3 : Le p+ revient sur la scène dans un p± et sa création accompagnée par le k+ revient : il est content car il retrouve ses marques. Mais nous pouvons lire à l’arrière à travers son d-! une certaine peur car il met un frein. D’ailleurs, il nous dit avoir voulu vérifier si le « moteur tourne encore » et sa production est « petit-petit » : le but, semble-t-il, était de se rassurer sur sa créativité et non de se lancer à corps perdu dans la dispersion créative. Le d-! est là pour mettre une limite.

Profil 4 : Il revit la fissure entre son rôle de mari et de père et son rôle de créateur : « je suis planté ». Il est dans la participation Sch o - à l’avant et à l’arrière son k+!! vient dire : « je m’enfous de la participation, je veux créer ». Son p+ l’a « lâché », il doit attendre...

Profils 5 et 6 : Cette fois-ci, son d- accède à la scène, il accepte de freiner consciemment tout en évacuant la haine, il semble mûr pour un changement. Le moi s’est vidé (Sch o o) pour faire la place à autre chose en 5. C’est un profil « carrefour » car il nous dit vouloir arrêter la composition pour se lancer dans l’écriture. Son moi à l’arrière est tout à fait d’accord : Sch ± + qui veut dire que son regard sur lui est prédominant tandis que son k accepte une négociation entre la mise en forme sensorielle commune et personnelle. C’est d’ailleurs à partir de propos émis par d’autres que Georges écrit ses propres phrases. Les affects sont sur un mode névrotique mais Georges semble s’y habituer et cela ne freine pas de trop sa création qui malgré tout est petite et a difficile de décoller.
Le profil 6 est caractérisé par l’acceptation pleine du frein en d- à l’avant tandis que l’envie de se détacher est reléguée à l’arrière, cela doit être plus vivable. Il se concentre sur son k+ et accepte le regard de l’Autre mais à l’arrière. A l’avant, le p o pourrait indiquer qu’il a évacué la question de son projet d’être tant qu’il ne possède pas plus d’information quand à sa compétence au niveau de l’écriture comme il le dit : « J’y vais à mon rythme ». Il se sent bien dans sa famille ce qui souligne l’acceptation de son p- à l’arrière.

Nous avons donc à ce dernier profil un avant-plan orienté vers la vie de famille et à l’arrière-plan, des réactions orientées vers la création mais centrée sur le regard de l’autre en soi c'est-à-dire en p- : « créer oui mais participer aussi ».

Jeanne

A 60 ans, Jeanne est une femme qui est dans la création depuis plusieurs dizaines d’années. Céramiste à la base, elle a largement développé d’autres techniques de travail manuel (peinture sur soie, macramé, poterie, peinture,...). Elle est aussi dans le jeu théâtral et depuis peu, dans l’écriture (nouvelles, dramaturgie).

Mariée avec Jean-Marie, ils ont eu trois enfants et vivent une vie de couple agencée sur leur processus de création. Toute la « maison » est colorée fortement par la présence du processus créateur. Professionnellement, elle s’occupe d’un atelier de céramique.

 Habituellement, elle maîtrise son vécu créatif ainsi que son vécu social en ayant recours à une circulation autogérée entre ces deux pôles. Elle a, comme pas mal d’autres personnes dans la création, la prescience de ce qui est nécessaire d’activer et de rejeter pour créer.

Elle se sent à « l’aise » dans ses angoisses parce qu’elle les connaît, elle sait que cela fait partie du jeu. Elle a un très bon contact social, chaleureux et gai. Mais en même temps, elle a besoin de période de retrait dans son atelier pour s’adonner à sa création.  Dans son « antre », il ne faut pas la déranger car cela lui est pénible de suspendre un état d’esprit qui parfois demande longtemps à s’installer. Dans cette optique, le quotidien pèse parfois lourdement sur ses projets. Elle possède une bonne santé, somatise peu et ne prend pas de médicaments.

Quand sa rage apparaît, c’est dans une optique de recentrement sur soi, elle est réactionnelle et vient réorienter les investissements de sa libido sur base d’un juste équilibre entre soi et les autres. Ce rejet lui permet de couper le contact par un ras-le-bol pour permettre à son univers personnel d’émerger. Quand elle renoue le contact, elle a un réel plaisir à vivre avec les gens. Cet aller-retour est très souple et peut s’adapter selon les circonstances avec comme principe de ne pas s’oublier dans les autres.

Donc, le plaisir qu’elle a à être avec les autres est compatible avec celui d’être dans sa démarche créative (en retrait) du moment que, avant ou après le moment consacré à l’autre, existe un moment consacré à soi. Si cet équilibre est rompu, les affects de distanciation viennent remettre de l’ordre et coupent le contact. C’est ainsi que le vecteur du contact passe par toutes les positions et fluctue énormément sans pour autant que cela présage d’un processus néfaste. Cela reflète la dynamique de la gestion de son contact. Son aspect extérieur est très simple et peu provoquant.

Nous l’avons rencontrée en juin et cela nous permet d’expliquer ce qui est en jeu dans sa réflexion.

« J’ai commencé à plonger dans quelque chose que je laisse aller, une ouverture à l’inconnu au niveau de la représentation de quelque chose qui n’est apparemment pas facile à accepter. Je ne sais pourquoi ni quoi. Et, j’ai terminé huit solitaires (jeu où l’on joue seul) ». Pour elle, faire ces petites choses lui permet de retarder le moment où elle va plonger. Le fait de terminer cette « pause » lui indique que le moment où elle va plonger est très proche.

« Pour moi, plonger, c’est prendre un crayon et dessiner ce qu’il vient; avec la crainte qu’il ne vienne « rien » c'est-à-dire plutôt des choses qui ne correspondent pas à ce que je veux parce que je ne sais pas ce que je veux.
En fait, c’est le dessin, ce qui va apparaître qui va me donner l’indication de ce que je veux. Cela va être formulé à travers ce que je vais choisir dans mes dessins ».

Si nous retraçons ce qui l’a amené dernièrement à ce projet, elle situe trois étapes :

1-   Attirance pour des formes géométriques pures : cubes, sphères, pyramides. Cela rappelle fort une différenciation.

2-   Attirance pour la signification du tatouage mais c’est peut-être, d’après elle, un leurre. Cela cacherait peut-être quelque chose parce que, curieusement, sur ses pièces en projet, elle tatoue des personnages sur des formes. Elle voudrait que le « tatouage » sur la forme ait une interaction avec celle-ci. Le tatouage ne s’origine pas dans la forme basale, il est plaqué dessus. Mais, elle voudrait qu’il interfère.
La question serait alors : dans quelle mesure il interférerait ? C’est une question qui n’est pas encore aussi précise mais qui lui paraît juste. Le tatouage est une différenciation qui fait corps c'est-à-dire qui fusionne sans perdre son image car de nature différente.

3-   Lecture sur le tatouage et du livre « Le Moi-peau » de Didier Anzieu. Mais elle précise par rapport à ce livre qu’elle ne sait pas ce que cela dépose en elle, comment cela va resurgir dans la création. Ce sont des sédiments.

Depuis trois à quatre semaines (début juin 1995), sa réflexion quotidienne est inscrite activement dans son projet de création mais c’est quelque chose qui traîne depuis un ou deux ans. Depuis juin 95, elle a pris conscience de l’importance de se différencier de ses enfants dans la réalité en prenant une distance vis-à-vis de son personnage de maman. Cela tend à réveiller une culpabilité mais elle assume et gère beaucoup mieux cela depuis trois ou quatre semaines. A ce propos, elle dit : « Concrètement, mes enfants font leur vie et moi, la mienne; cela sans animosité. Cela repose sur le sentiment que ma vie diminue et qu’il est temps que j’existe ».

Les indices

Les indices du premier protocole montrent un Sy% de 46%, valeur élevée; associée à un index d’acting de 1.46 ce qui est tout à fait correct. Le Sy% serait à entendre comme une grande souplesse. Seulement nous constatons aussi un index de variabilité très élevé à 87 (limite supérieure  = 48 sur 19 profils) ainsi qu’un index de désorganisation élevé (0.2). Est-ce pour autant pathologique ? Nous pensons la négative pour trois raisons : 1- le soc % est de 75% et est à entendre comme un accrochage aux gens comme position d’équilibre; 2- le deuxième protocole est beaucoup plus dans la norme; 3- il y a très peu d’accentuation (9 sur 300 possibilités) et de plus, elles sont dispersées et ce n’est jamais plus d’une accentuation à la fois.

Ce que nous lisons dans les indices, c’est une personne qui connaît les risques de la recherche et qui sait se protéger en s’accrochant à son entourage de manière à ne pas perdre pied. C’est aussi une période de forte création où elle se lance dans des registres qu’elle connaît moins. De plus, en céramique, elle pousse loin sa recherche s’interrogeant sur des concepts difficiles. Comme elle nous l’a expliqué, elle sent le temps qui passe et elle veut vivre au sens plein du terme, elle se dit prête à concrétiser des projets plus « costauds ». En effet, elle a largement consacré son temps et son énergie à sa famille, maintenant elle dispose de plus de possibilités pour créer alors elle se lance.

Les formules pulsionnelles vont dans ce sens avec peu de facteurs racines et plus de facteurs symptomatiques. C’est le facteur d (+ ou -) qui assure la « racine » tandis que c’est le facteur m± qui est le plus au sommet de la formule. Cela traduit la gestion de Jeanne à propos de son contact qui doit être dosé à chaque instant pour équilibrer sa position.

Le premier protocole montre un pic 4 dominant suivi par un pic 3. Le deuxième protocole montre ces deux pics à égalité. Réalisation de soi en 4 et acceptation du rapport à la loi de l’Autre, ça c’est le privilège de la création sculptée par l’expérience (40 ans d’expérience dans la création...). Elle investit donc les deux positions les plus élaborées.

Profils moyens

Protocole 1 :

Total          h±!       hy±         

Avant         h±!  s+     hy±!            

Arrière    h-    s-      hy±           d±! 

 

Protocole 2 :

Total          h±!  s±!     hy±         

Avant           s+   e-   hy-           d+! 

Arrière    h-        hy+          d±! 

Reprenons les constantes :

h±!      hy±                    

Ce profil est en accord avec les indices puisque tout est mouvant comme le signalent les ambivalences. Tout son être est en question, Jeanne est une question à tous les niveaux.

Nous lisons l’accentuation en h±! comme le domaine le plus problématique. Avec un soc% élevé, la question du don de soi à l’Autre peut être difficile à concilier avec une demande d’amour et de tendresse autocentrée qui ne s’efface plus devant l’Autre.

Protocole n°1

 

Av

Ar

%

 

 

Av

Ar

%

h

4

4

65% 4

 

s

3

2

55% 3

e

4

1-4

53% 4

 

hy

3

2

53% 3

p

4

4

55% 4

 

k

2

3

52% 3

m

4

1

52% 1

 

d

2

3

55% 3

Nous ne pouvons rien dire de plus vu que les pourcentages sont tous trop près de 50% sauf le h -. C’est trop mitigé que pour apporter des éléments en plus. Nous voyons à l’oeuvre malgré tout une tendance à la position 4 (réalisation de soi, individuation) sauf dans le contact (contact, accrochage) et au niveau des médiateurs, une tendance à la position 3 (petite prégnance du réel et des autres). La tendance à l’accrochage en m+ est à comprendre selon nous comme une base en accord avec l’Autre mais sans plus. En effet, le premier protocole montre (avant et arrière) 6 m+, 5 m o, 5 m- et 3 m±; nous voyons que cela ne l’empêche pas de circuler.

Protocole n°2

 

Av

Ar

%

 

 

Av

Ar

%

h

4

4

63% 4

 

s

3

2-3

61% 3

e

1

1-4

59% 1

 

hy

3

2

54% 3

p

4

4

57% 4

 

k

2-3

2

55% 2

m

4

1-4

55% 4

 

d

3

2

57% 3

Avec des pourcentages si près des 50%, ça bouge vite et nous observons l’apparition de la haine, une rupture du contact et le k est passé en 2 (k+). On reste encore en position 4 dominante et en position 3 sauf en k.

Concrètement, le premier protocole devrait être associé à une période de questionnement et pas vraiment de création. En fait, il prépare le deuxième protocole qui devrait être très créatif puisque nous avons : 1- la haine disponible, 2- la sublimation en h-, 3- un bon p+, 4- le contact qui se ferme, 5- un s+(emprise, action sur le réel), 6- un d+, 7- un k+. Visuellement cela donne :

h -   s+   e-  hy .   k+  p+   d+  m-

C’est Le profil qui indique la possibilité créative au test de Szondi. Tout est propice pour créer surtout que cela repose sur une grande souplesse et que ça bouge. D’ailleurs, elle le donne au profil 9 : h- s±  eo (- à l’arrière) hyo k+ p+ d± m-. Georges en donne souvent surtout le bloc : k+ p+  d+ m-. C’est tellement propice que nous nous sommes contentés de ces deux vecteurs (Sch et C) pour nous lancer dans notre mémoire.

Que disent les commentaires du deuxième protocole ? Création, création, création,...Alors que ceux du premier protocole sont nettement moins portés sur la création et plus sur une mise en condition qui se prolonge pendant les six premiers profils. Puis, à partir du septième, elle crée sans arrêt et plus on se rapproche du deuxième protocole et plus elle crée. Nous pouvons dès lors ressaisir l’ « instabilité » du premier protocole, c’est la descente en soi pour aller puiser à la source pour créer et comme le dit Anzieu, c’est un travail et donc, il faut s’attendre à une exacerbation de la « pathologie », nous préférons dire une exacerbation des valeurs pathologiques aux indices.

Niveau microscopique

Sur l’ensemble, nous voyons un d+ qui essaye de se frayer un chemin pour s’asseoir dans le deuxième protocole. La haine en e- suit le d+ et le rattrape dans le deuxième protocole. L’ambivalence en s± est résolue dans le deuxième protocole par un s+. Les censures morales et réalistes sautent souvent. Le moi se vide souvent à l’avant-plan et c’est, comme Maldiney le propose, un moi qui se vide pour faire le plein.

C’est l’arrière-plan qui montre le plus la force créatrice en tant que travail psychique à l’oeuvre avec une quirielle de tritendances. Dans le deuxième protocole, le moi se pense sans arrêt et le facteur k quand il n’est pas k+, il est k±. Par contre, dans le premier protocole, il est quand même souvent k- ce qui traduit son frein qui disparaîtra par après. C’est fascinant de voir cette gestion intra-psychique à l’oeuvre sous nos yeux. Elle passe par les quatre quartiers : Sch --, Sch +-, Sch ++ et Sch-+. Il suffit de voir pour confirmer le cycle du schéma. L’empirie rejoint la théorie.

Ces deux protocoles montrent toute l’importance de l’articulation entre les deux niveaux de l’avant-plan et de l’arrière-plan et nous met en garde contre l’interprétation « légère » des indices, des formules pulsionnelles et de tout ce qui se base sur l’avant-plan. Nous faisons plus confiance aux marqueurs qui tiennent compte des deux niveaux.

Profil 1: A l’avant k + p o et à l’arrière k ± p + : saisie personnelle avec à l’arrière un moi qui travaille dans les deux sens pour jauger cette saisie. Son h- marque la capacité de sublimer c'est-à-dire qu’elle peut dépasser sa demande d’amour et qu’elle peut la transformer en don de soi par un dégagement de sa quête d’amour.

Profil 2 : Le moi se profile selon l’Autre à l’avant, Sch + - et à l’arrière complètement Sch - -, les commentaires vont dans ce sens puisqu’elle doit gérer une situation « scabreuse » selon elle. Habituellement, elle gère ces situations en donnant de son temps et de son énergie à l’Autre car elle sait que finalement, ces situations se résolvent par une écoute, une présence amicale et bienveillante. Mais cela la fatigue.

Profil 3 : Elle a évacué la fonction k (ko) à l’avant et se donne un k- à l’arrière. Pour se permettre cela, elle se réfugie dans son p+ (projet d’être). Dans ces conditions, son contact avec les autres est « agréable » selon ses termes. Elle ne travaille pas pour elle mais elle a l’avantage de calmer les choses et d’attendre un climat plus serein pour créer; apparemment elle peut se le permettre pour l’instant. En fait, nous pensons que si elle se permet cela, c’est parce qu’elle ne sait pas encore quoi créer, elle ne perd donc rien finalement.

Profil 4 : « Elle offre à l’Autre un moi vide (Sch o o) et se garde le meilleur à l’arrière (Sch ± +). » Le commentaire dit : « plus l’extérieur paraît dur, plus l’intérieur est confortable ».

Profil 5 : Nous sentons le poids de l’Autre qui commence à être pesant avec le moi qui sent abandonné à l’arrière, le d+! qui met la pression, la coupure du contact en m-, le hy+! qui indique l’envie d’exister aux yeux de l’Autre et l’évacuation du k+ à l’avant (k o).

C’est beaucoup de trop deux accentuations pour Jeanne qui maintient son p+ face à l’Autre à l’avant-plan. Cela va changer bientôt, d’ailleurs dans deux profils le s± passe en s+, la haine va s’installer mais ce ne sera pas si évident puisqu’au dixième profil, elle ne sait plus si elle fonce ou si elle freine avec son e±!; la valse du k- avec le k+ va dans ce sens. Nous verrons que le deuxième protocole est plus tranché.

Profil 6 : Le p+ s’ancre en elle et s’exprime par « le besoin de vivre mon monde et de le faire exister même si c’est très peu », fascinant commentaire qui traduit le moi en Sch - + c'est-à-dire un projet d’être qui « ne se prend pas la tête » grâce à l’action de la négation en k -. Ceci dit, cette négation est de mise pour s’adapter aux circonstances mais elle ne va pas plus loin et s’arrête là où le p+ commence.

Profil 7 : Très intéressant ce profil parce qu’il succède à un cycle de création et donc Jeanne est de retour parmi les Autres. Nous voyons dès lors la confirmation de la théorie puisqu’elle se retrouve en fin de cycle en Sch --. Toutefois, elle se permet de se garder un bon Sch + + à l’arrière. Jeanne nous dit en fait avec ces deux réactions qu’elle ne fait que passer par la position Sch - -. Elle s’est déjà préparée pour être en gestation d’un nouveau cycle. Même si le frein est mis en k- et en d-, le s+ nous dit que ça va bouger.

Profil 8 : Elle met l’accélérateur avec s+!, le d+ revient à l’arrière, les censures morale et réaliste sont évacuées (hy o et k o). Elle s’appuie sur son p+ mais elle n’a pas accès à son k+. Or, le commentaire dit : « je suis en phase de réalisation, mais le travail créatif est plus long et plus laborieux ». C’est en effet beaucoup plus difficile de créer avec un p+ sans le k+ pour nourrir le p+.

Profil 9 : Ca y est, elle a accès à son k+ avec son p+. Tout refonctionne et elle crée. En même temps, il y a un idéal (p+) et elle adhère à cet idéal, elle le concrétise, elle le met en forme (k +). Le contact est coupé car m-, c’est une rupture du contact dans une espèce de monde en retrait, de monde coupé par rapport à notre monde à nous. Le frein en d- est plus doux car ambivalent (d±). La haine à l’arrière donne consistance à son monde, elle a vidé ses affects à l’avant : décharge ou évacuation de cette question ? Qu’importe du moment que ses affects ne l’empêche pas de créer. Nous pouvons observer les formes d’existence perverses et dépressives qui nous indiquent que l’accès à la toute-puissance est réalisée et qu’un deuil se fait jour puisqu’elle crée, elle se détache de l’ancien. Le travail de différenciation est en cours.

Profil 10 : Jeanne a été malade mais elle a quand même terminé un cycle de création. Toutefois, elle est déjà dans la formulation d’un nouveau cycle. cela nous donne un mélange assez compliqué de marqueurs un peu dans des sens différents. Le k- et le p o à l’avant indique le frein posé à la fin du cycle. Le p± nous signale un travail sur la question de ses projets, or le commentaire nous dit qu’elle a commencé à formuler un projet théâtral et deuxièmement qu’elle travaille à donner un visage à une souffrance intérieure qui s’élabore à présent. Le e±! et le partage du d- avec le d+ entre l’avant et l’arrière nous donne l’image d’une personne assez hésitante. Nous avons aussi une forme d’existence hypochondriaque indicatrice d’une tendance à la réparation narcissique ce qu’elle signale d’ailleurs puisqu’elle est préoccupée par une souffrance intérieure. Finalement, ce profil 10 est un peu confus pour nous mais notre grille de lecture nous permet de dégager des « clairières » et c’est ici que la théorie vient à la rescousse de l’empirie.

Profil 11 et 12 : Elle crée et cela fonctionne. Comme elle écrit une pièce de théâtre, il est normal de s’attendre à du p- qui correspond à un spectateur et à un auditeur virtuel qu’il faut imaginer continuellement. C’est différent de la céramique qui est plus p+. Le théâtre est une création à visée participative donc p- mais sous la baguette d’un chef d’orchestre en p+. C’est une bonne image puisque le chef d’orchestre ne joue pas d’un instrument et donc il n’est pas présent dans le son mais sa présence se retrouve dans la cohérence de l’agencement des différents protagonistes. Jean-Marie nous montrera cet aspect puisqu’il est dramaturge. C’est très difficile de différencier un p- comme Autre virtuel en soi avec un p- qui signe une participation réelle comme celle où les familles se réunissent. Dans les deux cas, l’Autre est virtuellement présent en soi mais dans le premier cas, c’est le p+ qui mène la danse. Dans les deux cas aussi, il y a participation mais dans le premier cas, c’est dans l’imaginaire et pas dans le réel. C’est l’absence d’un k- franc qui oriente vers la participation imaginaire surtout; tandis que la présence du k- va dans le sens d’une participation concrète. Ici, le k est ± donc, pour nous, c’est un p- imaginaire, spectateur virtuel avec lequel il faut négocier une parole commune et un regard commun ce qu’exprime le k± surtout que le p+ n’est pas loin (profil 11). Et pour couronner le tout, le m-! nous assure la volonté que cette participation soit imaginaire. Nous n’aurions pas pu faire mieux !

Profil 13 : C’est l’illustration de notre précédent propos qui vient bien à point. Le moi est en Sch --, p- à l’arrière; donc ici, la participation est réelle et non virtuelle. C’est le jour de la famille : « Je suis dans le monde des autres » nous dit-elle. Elle nous dit aussi chercher un « climat d’exposition » comme ça en passant. Un climat, c’est du sensoriel et ici, c’est à visée personnelle, c’est ce que nous dit le k+ à l’arrière-plan. Comme il est à l’arrière, cela ne dérange pas la famille d’autant plus que bien souvent, ils parlent de leurs projets créatifs pour avoir des nouvelles de l’un et de l’autre, entendu que ce sont des bons indicateurs de la santé mentale de chacun. Donc, c’est un petit k+ à l’arrière qui se permet d’être là malgré la couleur k- du jour car, après tout, c’est quand même une famille de créateurs et donc c’est accepté. Mais l’air de rien, on peut voir que Jeanne fait un gros effort pour « être là » car sa haine est là et « regarde l’heure qui passe ». Rappelons qu’un de ses fils l’a brusquée avec une critique acerbe et inattendue sur un de ses projets. D’où « La famille oui mais sous certaines conditions », c’est un peu cela qu’il faut entendre par la présence du e-.

Profil 14 : Elle piétine sur une scène et donc, ce n’est pas bon ce qu’elle écrit, comme elle est sous tension, elle parcoure toutes les possibilités même celle du « faire le vide » pour faire entrer du frais. C’est exactement ce que dit son moi avec Sch o o à l’avant (la vidange) et à l’arrière : Sch ± ±. Le moi se pense intensément à l’arrière et parcoure l’ensemble des possibilités tandis qu’il se vide à l’avant pour faire table rase. Ce qui sortira de l’arrière pourra dès lors s’inscrire à l’avant sur une page blanche puisque ce qui a été fait a été gommé.

 

Nous pouvons remarquer que le d+ à l’avant est couplé avec un d- pendant six profils. Nous pensons que cela fait partie de sa gestion à se détacher mais pas de trop car il faut tenir compte de l’Autre dans l’écriture théâtrale. Il y a donc un frein disponible qui contrebalance le d+ de l’avant-plan.

 

Profil 15 : Elle doit se consacrer à des affaires « administratives », elle met ses projets « au frais ». Comme c’est important, elle ne peut pas vraiment dire non, elle est e±, elle le dit tout doucement. Finalement, elle accepte cette situation en dopant son p+! qui est là pour dire qu’elle ne lâchera pas sa création et qu’elle est en tension d’être pendant ce temps. Le h-! exprime le don à l’Autre « forcé » par les circonstances : « je dois le faire » et c’est ainsi qu’elle choisit les visages en fonction de cela c'est-à-dire en rejetant fort les visages qui expriment le fait qu’ils ne pensent qu’à eux. L’accentuation pourrait souligner son désir de se convaincre qu’elle « doit le faire ». « C’est un devoir de femme mariée...alors plions-nous ».

Profil 16 : Son commentaire est assez autocritique et nous retrouvons le k-. Toutefois, le p+ est franc et le k+ est à l’arrière. Cela nous montre une « utilisation » autogérée des possibilités mises à la disposition du moi. Cela doit être la force de l’expérience de la création sculptée que de pouvoir finalement permettre l’autogestion inconsciente de la castration symbolique qui à la bonne place et dans une bonne mesure est un excellent outil qui nous empêche de déraper.

Profil 17 : Ici, le moi de l’avant qui est en vidange avec un moi de type « catastrophe » à l’arrière nous indique qu’elle travaille encore sur une scène qui bloque mais cela va mieux semble-t-il. La haine s’installe franchement  (e- hyo) de plus en plus car le climat familial est très pesant d’après elle.

Profil 18 : La haine devient nécessaire car son milieu l’épuise. Elle se réfugie dans le faire-oeuvre (k±) tandis qu’elle maintient son cap à l’arrière (Sch + +). Le d- est passé dans le d+ de l’avant-plan en donnant un d± à l’avant et un do à l’arrière. Le vecteur du contact est donc avec deux ambivalences en position « catastrophe ». C’est normal puisqu’elle crée et les autres l’épuisent alors c’est presque un contact vécu dans la menace comme nous l’indique le test. Le p+ est évacué de l’avant-plan, cela doit être plus vivable puisque comme cela elle se concentre dans le faire-oeuvre. Elle peut aussi se le permettre puisqu’elle a cogité auparavant sa démarche. L’évacuation du p+ est peut-être à entendre comme protection de soi dans la tourmente ? Ou encore comme une manière de ne pas en rajouter avec son désir d’être afin de ne pas susciter des controverses ?

Profil 19 : Fascinant profil que ce profil 19 car à bien écouter ce qu’elle dit, nous observons qu’elle se regarde d’une manière critique alors que son test montre du k+ à tous les étages !! Nous pouvons toucher du doigt ici la rencontre des deux regards dont nous avons tant parlé dans notre mémoire. Le premier regard est ici k+, regard de base sur lequel elle opère un regard du regard avec un k- virtuel qui commande son discours et qui ne transparaît pas dans le test un peu à la manière du chef d’orchestre. Elle est amplement dans le quartier ++ et malgré cela, elle se donne un sentiment de némésis c'est-à-dire « attention j’existe avec le monde et les autres, ne perdons pas ce regard ». Pour nous c’est de la gestion intégrative de très haut niveau puisque étant en plein dans un état k+, elle accède à un état k- virtuel cadrant le premier état sans l’empêcher et qui  ne fait que le guider, l’orienter. Même sa haine se laisse guider par cette limite au-dessus de tout. Nous croyons que cette gestion est le privilège d’une grande expérience de soi .

Nous ne pourrons pas continuer les analyses microscopiques complètes sans dépasser la bonne mesure pour la taille du mémoire; de fait, nous irons dorénavant à l’essentiel selon nous dans les protocoles suivants.

Jean-Marie

Jean-Marie est le mari de Jeanne, il a plus ou moins 60 ans. C’est un dramaturge connu qui crée depuis plusieurs d’années. Il nous a fait part de sa vision sur son processus. Nous introduirons donc Jean-Marie par un résumé de son propos.

Pour créer, il faut :

·    du temps (à réfléchir, trouver les formes, un contenu,...)

·    du silence et s’extraire complètement des contraintes quotidiennes. « Ecouter les gens demande un effort car je suis ailleurs c'est-à-dire  dans un univers que tu vois, que tu écoutes et que tu essayes de te représenter à toi-même avant de le représenter aux autres ».

·    méditer (laisser la chose se penser, venir à soi, ne pas fermer trop vite les différentes voies investies,...)

Le théâtre est essentiellement un oeil et une oreille, c’est un langage oral. « Tu t’écoutes toi-même, si tu dois écouter les autres, tu as des scories; on te distrait ». « Il y a deux solutions possibles : tu es seul - tu es avec l’autre. Pas trop longtemps seul. Puis,  maintenant cela suffit, je suis aussi un mari, un père, un conférencier, j’ai des rôles sociaux que je dois assumer ».

« Quelqu’un qui écrit, pour moi, ce sont trois choses à distinguer :

- écriture : c’est produire (écrivain) = création pure.

- personnage : un homme avec l’image qu’il a. Image qu’on lui a donné et qu’il se donne avec tous les dérapages possibles.

- Auteur : c’est la stratégie qu’il mène pour essayer de s’imposer dans le champs littéraire du pays où il vit à un moment précis. C’est une stratégie à la fois institutionnelle, politique et financière. C’est l’étape qui prend le plus de temps dans le processus. Par contre, écrire, cela dépend de soi, cela va plus vite ».

« Le rapport entre l’écrivain et l’autre, c’est quand même de vivre avec cette autoinjonction (*) permanente d’estimer que ce qu’il écrit va aller à la rencontre de ses contemporains parce que le succès en partie dépend de cela. On travaille toujours un peu avec un spectateur potentiel que j’imagine au niveau de l’écriture théâtrale. C’est un dédoublement ».

Lecture szondienne

Son p + = « on impose sa vision, quelque soit le sort donné à l’oeuvre, ce n’est pas son problème, il l’impose ». Son p - = « on a quand même une vision participative de l’écriture. L’autre intervient au niveau de la possibilité de communiquer son processus ».

*  L’autoinjonction : « c’est un cadre existentiel à sa création qui consiste au fait que l’autre existe au bout de soi-même. Perdre cela, c’est devenir inconsistant à soi. C’est le cadre de son processus de création, une mission destinale de partage de son être propre ».

« Le créateur se démultiplie tout le temps par rapport à ses personnages et le public (lecteurs, spectateurs, critiques, politiciens,...). Il est dans une position concentrique : il a une identité qui se dilate et se recompose tout le temps; c’est une pulsation identitaire tout le temps ».

« Le créateur puisse tout le temps dans le fond de son être et c’est épuisant c'est-à-dire qu’il va rechercher à travers son intelligence, sa sensibilité et son imaginaire quelque chose qui est profond en lui. Il puise et il s’épuise. C’est jeu entre un puisé et un épuisé. C’est-à-dire qu’à un moment donné, il y a une limite et plus rien à dire, c’est aussi une limite nerveuse, il ne peut pas aller au-delà sans prendre de gros risque ».

« Ne pas aller au-delà parce qu’on a dit tout, qu’il n’y a rien d’autre à dire, on a fait le tour de la question. On a créé un cristal qui va irradier, une équation qui va entrer dans la société et, seulement, à ce moment, on aura le retour ».

« C’est une limite-plénitude ? Oui, il y a création d’un monde qui n’a plus besoin de toi pour exister : il existe en lui-même. C’est le rapport à l’harmonie qui t’arrête. Par contre, la répression fonctionne contre l’inessentiel pour toujours être dans l’essentiel ».

« Il y a un jeu dialectique entre vivre et écrire. Quand j’ai la volonté d’écrire, je ne vis pas. Quand j’ai la volonté d’arrêter l’écriture alors je vis. Ne pas vivre pendant la période où j’écris s’entend comme le fait d’avoir le sentiment que des choses t’échappent, que des choses ne sont pas assumées (les amis, se promener, sortir, s’amuser,...). Mais l’autre versant quand on s’amuse, c’est l’impression de perdre son temps, que je devrais écrire. »

« Je suis assigné à écrire suite à mon histoire personnelle, c’est un croisement, un destin. » « Le processus de limite ? Le mouvement vital nécessite une connexion avec ce qui n’est pas soi parce qu’il te nourrit ».

« Ecrire une pièce, c’est un plus au niveau de la prise de conscience de quelque chose qui me fait avancer. L’être humain, c’est quelque chose qui se construit tout le temps, c’est un travail permanent. La création, c’est gagner quelque chose pour lui; et, sa mission est de faire partager peut-être cette conquête de soi-même. C’est le passage d’un monde confus, incompris et intuitif à quelque chose qui a été écrit, compris et formalisé. L’art est une discipline qui fait naître ce questionnement, ce dévoilement de soi à soi, de l’insu au su. ».

« Un écrivain de grand envergure, c’est quelqu’un qui dévoile quelque chose qui est en gestation dans la société et en lui. Il le fait passer à la conscience individuelle et collective. D’où le fait que moi, c’est l’autre.
Mon moi est capable de traduire l’autre, ce qui est en moi est dans l’autre qui ne le sait pas encore ».

« La création est un moyen de vivre plus et mieux, de ne pas passer à côté. La création fait toujours retour sur l’homme. Je suis un humain qui crée.
Le vrai rapport, c’est que la création renvoit à l’existence (se réaliser soi-même, mieux se comprendre). Le créateur part de son existence et va vers son essence pour nourrir son existence. L’homme va vers son essence pour l’injecter dans l’existence ».

Actuellement, Jean-Marie est dans projet avec un enjeu très important. C’est une commande que les deux protocoles suivent de près. Le dernier profil se situe dans l’accomplissement de 70% du travail.

C’est une commande faite par une instance politique avec un enjeu politique. Il s’agit d’écrire une pièce de théâtre sur la commémoration du 50e anniversaire d’un congrès historique : le congrès national wallon de 1945 à Liège où une élite s’est réunie pour dire non à la Belgique unitaire et voter le fédéralisme.

Normalement, la pièce est écrite et elle intéresse ou non des gens. Dans ce cas-ci, l’argent est débloqué, des contrats sont signés et un théâtre réservé avant que la pièce n’existe. C’est la commande « la plus emmerdante » qu’il ait eu jusqu’à présent d’où le poids du stress. Tout repose sur lui en très peu de temps (3 ou 4 mois). C’est « l’homme de la situation », « il peut faire ça », et comme nous le dit Jean-Marie : « c’est un peu des innocents car c’est inconfortable mais il ne faut pas en faire un fromage ». Quelles sont les difficultés ?

1- La face visible de l’iceberg, c’est les discours prononcés qui seront ramenés à une durée d’une heure et demi mais ce n’est pas encore une écriture théâtrale.

2- La face invisible, c’est le non-dit des discours, c’est là qu’il intervient pour écrire le non-dit, les coulisses de l’histoire. D’où l’importance de penser ces gens qui ont parlé et ceux qui les écouteront à travers le théâtre.

3- Il existe des gens qui ont connu le congrès et qui vivent encore, il faut en tenir compte.

Ces trois éléments soulignent le fait que son p+ doit bien imaginer le spectateur virtuel avec son p- pour ne pas se tromper puisqu’il y a une certaine vérité à dire sur un certain passé qu’il faut reconstituer de la manière la plus vivante dans sa tête comme si on y était.

Les indices

Ils sont tous corrects. Un peu de variabilité et de désorganisation. Le Sy% est tourné vers la souplesse et le soc% vers l’Autre. La formule pulsionnelle montre une base solide dans le contact et du mouvement en e et en k. les accentuations sont correctes, elles sont plus nombreuses dans le premier protocole et c’est bien normal puisque c’est celui des premiers pas vers le projet. Les positions pulsionnelles sont 1-3, fusion et rapport à l’Autre, on ne peut pas mieux expliquer les bases de l’écriture théâtrale si on n’oublie pas que tout cela dépend d’un p+ « bienveillant pour son p- ».

Les tropismes montrent un moi et un vecteur des affects investi à l’arrière pour le premier protocole. Tandis que le deuxième protocole montre à l’arrière un moi investi et c’est les vecteurs P et C suivi par le vecteur S qui sont investis à l’avant. Pour le premier protocole, le moi investi à l’arrière traduit la cogitation dans la fusion (position 1) et le rapport à l’Autre (position 3). Cette question du rapport à l’Autre est aussi pensée à l’arrière avec le vecteur P (e : censure éthique et hy : censure morale); tandis que la scène maintient le contact. Pour le deuxième, le moi continue la cogitation mais cette fois, le rapport à l’Autre est passé à l’avant-plan peut-être à cause de sa maturation faite à l’arrière qui est devenue suffisante pour passer sur la scène.

Profils moyens

Protocole 1 :

Total          h+     e±!  hy±!        d±!  m+

Avant         h+   s+   e±!  hy-       p±!    d-  m+

Arrière    h±!     e±!  hy±    k±!        m±!

 

Protocole 2 :

Total          h+  s±!     hy-        d- 

Avant         h+         hy-!        p±!    d±!   m+!!!

Arrière    h±!  s+!     hy±!    k±!      d-!!!  m-!!

Jean-Marie est en h+, de tendance m+ avec possibilité de coupure du contact (m-) : une base d’accrochage associée à un besoin de tendresse et d’amour suscité peut-être par le poids du travail. Les autres facteurs sont en questionnement. Le facteur d est passé en d- ainsi que le hy (hy-). En fait, le deuxième protocole fait état d’une phase de concrétisation de l’écriture théâtrale tandis que le premier est plus la recherche de cette écriture. Le d- signifie une tendance à freiner la création pour gérer les acquis obtenus, une sorte de fidélisation aux mots qui sont en accord avec le projet de Jean-Marie. La problématique hy±! pointe la question de ce qu’il faut montrer ou cacher pour écrire cette pièce qui est la commémoration d’un événement politique d’envergure. Tout n’est pas important et il y a du non dit à travers les interventions des politiciens à cette époque. Jean-Marie doit donc penser ce qu’il est intéressant de montrer sur la scène et ce qui n’est pas pertinent. le deuxième moment signale la tendance à plus censurer l’écriture, il y a une censure morale en hy- qui est intéressante à utiliser dans ce genre d’écriture où un enjeu se profile dans le dire et le voir. Ce n’est pas innocent comme projet : c’est la question wallonne aujourd’hui que Jean-Marie interroge sur la base d’une événement politique qui a lancé cette question. Il est connu pour sa compétence dans ce domaine, de fait, il doit surveiller ce qu’il écrit avec son k+. Le moi doublement ambivalent inscrit la valse qu’il opère entre sa mise en forme sensorielle et celle de l’Autre et son regard et celui de l’Autre.

Protocole n°1

 

Av

Ar

%

 

 

Av

Ar

%

h

1

1

68% 1

 

s

3

3

60% 3

e

1

1

63% 1

 

hy

3

2-3

63% 3

p

1

1

60% 1

 

k

3

2

53% 2

m

1

1

70% 1

 

d

2

2

65% 2

La tendance à la fusion est nette, l’écriture théâtrale est en gestation et cherche à s’accorder avec son spectateur (« épouser le spectateur »). k est mitigé et passe donc de l’un à l’autre; s est tourné vers l’emprise; ne pas aller trop vite et trop loin avec d- et enfin, le hy - fait état de l’influence de la censure ou alors ne pas montrer signifie peut-être une intériorisation.

Protocole n°2

 

Av

Ar

%

 

 

Av

Ar

%

h

1

1

69% 1

 

s

2-3

3

64% 3

e

1

4-1

53% 1

 

hy

3

3

72% 3

p

1

4

53% 4

 

k

2-3

2

58% 2

m

1

4

53% 1

 

d

2

2

72% 2

Et voici toute la marque du travail créatif qui vient accomplir la différenciation à partir de l’indifférenciation, nous passons de la fusion à l’apparition de la position 4 à l’arrière-plan en e, en p et m. Le travail se termine puisque Jean-Marie se permet de se détacher et de revenir à lui-même, c’est donc qu’il a trouvé ce qu’il cherchait. Les tendances différenciatrices se font jour. La haine est dosée, le contact tend à se couper, le frein d- est accusé, le p+ émerge. C’est la phase d’écriture active, il se positionne dans un faire-oeuvre qui malgré tout se cadre dans une base fusionnelle dans son principe. Maintenant que c’est écrit, c’est visible, ça ne lui appartient plus, il s’est détaché de son spectateur et va bientôt le rencontrer en chair et en os, le passé est retourné au passé et Jean-Marie peut revenir dans le présent. Voilà vers quoi s’achemine Jean-Marie. Il se réapproprie d’ailleurs son k+ et fait très attention à ce qu’il dit car comme il « reprend sa parole », il se sait jugeable d’où la hausse de la censure en hy- (72% contre 63%). Le s+ et le d- s’accentue aussi et c’est à lire, à notre avis, dans le sens où il travaille sur ce qui est écrit (emprise en s+ et fidélisation en d-).

Niveau microscopique

Beaucoup de tritendances à l’arrière, la possibilité de changer de quartier et de passer de Sch -- à Sch +- pour aller en Sch ++ et arriver en Sch -+. A noter qu’il manque une période d’un mois où justement Jean-Marie commençait à activement écrire. Nous pouvons le voir au seuil de cette période avec le profil 10.

Celui-ci montre à l’arrière Sch +! ± et à l’avant Sch o o. C’est parfaitement inscrit dans son commentaire : « phase de forte création, sentiment d’avoir trouvé et qu’il faut exploiter.

Curieux est le profil 8 où il a trouvé la « longueur d’onde » en p- sur laquelle il va écrire pour communiquer avec ce spectateur. Mais nous trouvons à côté du e-!. Il se sait solide dorénavant pour accomplir son projet, il a tracé une route et c’est peut-être la pression qu’il évacue en e-. En effet, il n’était pas très à l’aise suite à cette commande et il a dû « fusionner » beaucoup pour cerner ce qu’il devait saisir, ce n’est pas facile comme position. Trouver la structure, c’est gagner le combat; maintenant, il peut se détacher, écrire et se différencier; d’où la haine qui, enfin, peut s’actualiser pour entamer cette distanciation à l’oeuvre dans la création.

Le p- assez fréquent est à analyser comme un Autre virtuel sauf par exemple dans le premier profil où c’est une participation réelle qui succède à la fin d’un cycle créateur. Le travail sur cet Autre virtuel est visible à travers les p± comme le montrent par exemple les profils 15 et 16 à l’arrière-plan. De plus, dans l’arrière-plan des profils 11 à 16, le p+ est très présent, c’est la fin du travail, donc il peut réémerger pour orchestrer ce qui est. Dans la même optique, le travail sur la mise en forme sensorielle dans le faire-oeuvre est présente par exemple dans les profils 13 et 14 avec k±. C’est amusant de constater que Jean-Marie travaille son k (k±) aux profils 13 et 14 puis juste après, aux profils 15 et 16, il travaille son p (p±).

Enfin, la haine réapparaît de plus en plus au fur et à mesure que le travail se termine, un ras-le-bol se fait sentir...

Comme mité nous le faisait remarquer, il semble que l’avant-plan soit à prendre dans le sens d’un laboratoire « d’expérience créative », et l’arrière-plan dans le sens de l’orchestration de ce laboratoire comme si les « ficelles » étaient tirées à l’arrière-plan.

Joseph

Joseph a plus de 30 ans, et est handicapé des membres inférieurs. Il se déplace avec des béquilles continuellement et n’est jamais en chaise roulante. Son habitation n’est pas agencée selon son handicap. Il monte et descend les escaliers, sort énormément, fait la manche et est poète, musicien, interprète. La création fait partie prenante de sa vie. Il connaît beaucoup de gens mais c’est un milieu plutôt fermé, genre « underground ». Nous pensons que sa rage de vivre et de créer est essentielle à son équilibre existentiel. Cela le marginalise mais cela ne l’a pas empêché de se marier et d’avoir un enfant même si le couple s’est séparé par après. Joseph est la rage de vivre.

Les indices

Ils sont corrects sauf le soc% qui est très bas, c’est sans doute sa marginalité en cause mais qu’est-ce que cela veut dire puisque mité inscrit socialement à tout les niveaux est encore plus bas à 13%. Et dans les apparences, mité est l’antithèse de Joseph : mité présente la « belle façade » tandis que Joseph s’en fout. En fait, ni l’un ni l’autre ne se préoccupe pas de trop des apparences et font leur vie comme ils leur semblent, mité concède aux règles mais pense ce qu’il veut et joseph est un peu moins « branché » sur les conventions. C’est d’ailleurs ça qui les rapproche tant et expliquerait leur soc% assez bas. A noter les accentuations (12) surtout en s- et en m aussi bien m+ que m- (il ne sait plus où donner de la tête avec ses collaborateurs).

Le tropisme montre un investissement dans le vecteur du contact afin de donner assez d’énergie pour gérer celui-ci, facteur-clé dans son attente. Les positions pulsionnelle montrent un pic 4 en accord avec sa tension en p+.

Les profils moyens

Total            s-!!!     hy±     p+!   d+! 

Avant           s-!!!     hy±     k±!  p+     d+   m±!

Arrière      s-!     e-   hy±!       p+!    d+!  m±!

Il freine fort et c’est compréhensible puisqu’il dépend d’autres personnes avant d’aller de l’avant. Il vit une sorte de « crise de freinage » qu’il gère comme il peut. La haine est présente à l’arrière et attend son heure. Le désir d’être est puissant et c’est normal car Joseph se réfugie dans ses projets puisque le faire-oeuvre est en attente. Le d+! est un peu excessif car c’est une sorte d’échappatoire pour compenser la situation. Il me disait que son envie du neuf (d+!) correspondait à quelqu’un qui cherche une maison à louer en regardant les annonces dans un journal sportif ! Le m±! traduit l’intense gestion de son contact qui doit s’adapter aux autres et à ses propres exigences. Quand ses collaborateurs vont dans son sens, il accroche et, à l’inverse, quand ils « pesants », il doit couper le contact pour se prémunir des frustrations de l’attente.

 

Av

Ar

%

 

 

Av

Ar

%

h

1-4

4

53% 4

 

s

2

2

87% 2

e

4

1

53% 1

 

hy

2

3

56% 3

p

4

4

77% 4

 

k

3

2-3

53% 3

m

4

1

50%

 

d

3

3

77% 3

« Réaliste passif » (3 en hy, k et d; 2 en s), Joseph attend avec son p+ et sa haine (e- = 1) que ses collaborateurs bougent.

Niveau microscopique

Un premier point consiste à voir le dernier profil qui se situe une petite heure avant un concert très attendu parce qu’après sa situation va évoluer vers la mise en place de nouvelles choses si le concert marche. On observe l’utilisation judicieuse du k- à l’avant pour calmer les tensions et à l’arrière, un moi qui se prépare à monter sur la scène dans les deux sens du terme. Il est Sch +! +, donc, autocentré. La négation de l’avant-plan n’est là que pour gérer la situation.

Un deuxième point, c’est le ko à l’avant-plan qui nous permet d’interroger la saturation de l’espace de saisie sensoriel par une limite-plénitude.

La limite-plénitude dans le processus de création consisterait dans une sorte de saturation de l’espace mental par son contenu. Si , dans le cas d’un peintre, l’esprit est occupé par 4 ou 5 toiles et qu’il ne peut les réaliser (contingences du quotidien, du social, matérielles,...), alors cela risque d’éteindre l’émergence d’une nouvelle saisie (de nouvelles toiles) par « embouteillage » de l’espace imaginaire. Il semble que la limite-plénitude s’exprime par un sentiment de trop plein, de trop longtemps, bref d’une récurrence d’un contenu mental qui n’évolue pas (« c’est toujours la même chose dans ma tête »).

Dans un sens plus dynamique, cette limite-plénitude offre à ressentir un sentiment d’un flux créateur en voie d’extinction parce qu’il n’a plus l’espace mental et la disponibilité accessibles pour une nouvelle « portée » créatrice. De la même manière où la main étant occupée par un objet ne peut saisir un autre objet : l’espace de saisie manuelle est limité, la fonction de saisie de la main est suspendue par la saisie permanente d’un seul élément. La configuration du mental qui a permis de saisir les éléments créatifs (tableaux, pièces, textes, musique,...) reste liée à ces éléments tant que la fonction opérotrope de k + n’a pas « évacué » ces éléments qui empêchent d’autres éléments de prendre place.

Le k o exprimerait l’évacuation du désir d’une autre saisie, cela peut exprimer par contrecoup la nécessité d’évacuer du mental ce qui n’a plus lieu d’être maintenu en soi. Cela pose un réel problème pour des créateurs qui dépendent d’autres personnes pour réaliser leurs productions (compositeur par exemple pour un groupe). La mise en forme étant associée avec l’intervention « technique » de personnes, le flux créateur s’en trouve amoindri par l’effet de cette saturation vu qu’il doit attendre l’intervention des autres pour voir le résultat et pour passer à autre chose.

JP

JP est un homme de 30 ans qui crée chez lui sur commandes des productions graphiques, des projets d’écriture,... Il vit de sa création et sa vie est centrée sur son travail créatif. Il utilise des logiciels informatiques évolués pour son travail. Il a une grande faculté d’entrer en contact avec les gens. Il nous a fait part de son parcours pour expliquer sa démarche en tant que créateur.

Il a été en prison pour détention de haschich pendant quelques mois. Cela l’a offusqué d’être considéré comme un criminel, il « avait la haine du social ». En prison, il s’est intéressé à l’ordinateur et à ses utilisations graphiques. Il a eu un regard sur lui en prison grâce à une synthèse adaptative entre la vision de gens différents de lui (plutôt violents et dangereux) et sa révolte contre l’injustice. De ces deux visions est né en prison un regard sur l’autre facette de « la chose ». L’ordinateur voulait dire « ne plus jouer avec ses règles mais avec celles des autres ». D’où la création sur commande chez lui. Cette création est obtenue très facilement par une vue synthétique et une observation attentive des choses. « J’ai besoin de voir l’autre face pour décider, besoin de voir plus qu’un point de vue. »

Avant d’ouvrir l’analyse, nous signalons que JP entrait dans une crise de couple qui a éclatée après le troisième profil.

Les indices

Ils sont tous corrects. Il y a beaucoup d’accentuations en s- et un peu moins en d et en p, cela doit sans doute être en rapport avec la crise du couple. Le tropisme factoriel est le plus haut pour s ce qui traduit que la question de la médiation du corps désirant est sujette à des fortes charges d’énergie qui sont orientées vers la passivité, au « subir » la situation. Nous avons un pic 4 dans les positions pulsionnelles qui indiquent que la situation est malgré tout vue sous un angle personnel c'est-à-dire en vue d’une réalisation de soi et sous couvert d’une cogitation par l’entremise d’un p+ qui pense les choses.

Le profil moyen

Total            s-!   e+!  hy±!   k-  p+    

Avant         h-   s-!!   e+!!!  hy+    k-!!! p+     

Arrière          e±!    hy±    k±!   p+      m-

Notons les accentuations en s- (subir), en e+ (revendiquer ses droits), en hy± (qu’est-ce qui est bien ou mal selon la plupart des gens dans cette situation ?). La négation freine sa manière de voir et de ressentir les choses globalement (comment sa compagne voit-elle les choses ?) et le p+ maintient le projet d’être personnel. Le contact est en question : partir-rester ?, accrocher-décrocher ?.

 

 

Av

Ar

%

 

 

Av

Ar

%

h

4

1-4

55% 4

 

s

2

2-3

77% 2

e

4

4

77% 4

 

hy

2

2

64% 2

p

4

4

72% 4

 

k

3

3

72% 3

m

1-4

4

55% 4

 

d

2-3

2-3

53% 2

 

La dominance 4 montre un homme décidé à poursuivre sa route et c’est ce qui se passera, il gérera la rupture et « changera d’air ». A part le k- qui est plutôt réaliste, les autres facteurs sont en 2 c'est-à-dire narcissiquement autocentré, « prêt à défendre son monde à lui ».

Niveau microscopique

Nous pouvons voir l’action freinante de d- d’après les commentaires dans le premier et le dernier profil. Le premier profil est réalisé lorsqu’il est très dispersé et il doit se critiquer pour faire avancer un projet, il met le frein pour être attentif. Le dernier vient après la rupture du couple et après une période d’intense activité et il dit : « vite terminer un projet et prendre des vacances ». Par contre, le d+! est accélérateur comme le montre le profil 5 où il doit forcer et « mettre la gomme » pour créer.

Autre facette fréquente, c’est le refuge dans le p+ quand cela ne va pas.

Il y a un aspect chez JP intéressant à découvrir avec la possible relation du k- avec les aspects techniques de création sur ordinateur où il s’agit de se plier aux procédures informatiques. Donc, pour créer, JP passe par un aspect technique d’adaptation à la machine qui doit appeler un côté k- pour s’adapter à la complexité du processus. Evidemment, plus il maîtrise cet outil et plus le k- peut laisser la place au k+. Nous ne pouvons pas aller plus en avant dans cet hypothèse car la situation de couple peut largement expliquer à elle seule la présence du k-. Toutefois, quand il crée aux profils 2 et 3, nous avons un k± à l’arrière. Quand il est k- aux profils 1, 4 et 5, il est bloqué. Cela souligne donc que le k- garde quand même sa force de frein au niveau de la création. Le dernier profil montre un moi « catastrophe » qui lui donne des difficultés à créer (« je suis écartelé de toutes parts »). Nous ne pouvons pas en dire plus.

Mité

Mité a la quarantaine. Marié et professeur dans le secondaire, il enseigne principalement le français. C’est « un citoyen on ne peut plus citoyen ». Pas du tout marginalisé, il fonctionne selon deux niveaux : le social et ses règles - la création et ses règles. Il jongle entre les deux et mène un parcours créatif reconnu. Il écrit et il peint principalement. Il connaît beaucoup de gens et se tient au courant de beaucoup de choses. On peut peut-être lui appliquer le stéréotype de l’homme qui « est dans le coup ». Lors de notre rencontre, il s’intéressait à l’articulation en peinture entre l’ « estompage des différences sexuelles » (une indifférenciation dans une figure bisexuelle de l’humain ) et la crudité du zoom perceptif sur les différences sexuelles. Cette approche lui a été suggérée par son analyse d’un peintre liégeois pour le livre qu’il écrit sur ce peintre.

Les indices

Le soc% bas a déjà été analysé avec Joseph. Les autres indices sont normaux à part l’index d’acting qui montre une tendance à l’acting plutôt qu’à la mentalisation. Les accentuations sont en h et dans le vecteur du moi. Il semble que le couple soit en crise et que mité se recentre sur lui comme l’indique le pic pulsionnel net en 2 c'est-à-dire narcissique primaire, en quelque sorte : « je m’aime et me répare ». Le tropisme va « dans ce sens » avec une charge dans le vecteur sexuel.

Le profil moyen

Total          h±!     e±!  hy+!   k+  p-    

Avant         h-!!!  s+   e-   hy+      k+   p±!      m±!

Arrière    h+!   s-!     hy+!!!    k+!  p-      

Nous interprétons les ambivalences dans le sens d’une crise que mité traverse surtout en h (s’aimer ou se donner à l’Autre ?), en e (qui a raison ? quels sont les droits de chacun dans la vie ?). Le contact est en question sans doute à cause de cette confusion. C’est peut-être pour cela que le soc% est bas, mité se recentre sur lui-même. Le moi est franchement en k+ et c’est vrai qu’il a une boulimie d’images, il crée sans arrêt et « consomme » fort le monde avec ses sens (« un grand appétit de vie »). Mais c’est le regard de l’autre qui domine sur ses représentations et nous verrons pourquoi. Il est dans la faille et ça bouge, il crée beaucoup car la faille le pousse vers son monde à lui. Nous verrons que le facteur p est ambivalent les trois premiers profils à l’arrière ce qui montre le questionnement propre à un sujet dans la faille c'est-à-dire dans la discontinuité de la participation.

 

 

Av

Ar

%

 

 

Av

Ar

%

h

4

1

66% 4

 

s

3

2

50%

e

1

1

64% 1

 

hy

2

2

80% 2

p

1-4

1

69% 1

 

k

2

2

75% 2

m

4

4-1

58% 4

 

d

2-3

3-2

53% 3

Le k+ et le hy+ sont là pour montrer que mité existe contre une tendance fusionnelle en p-. La haine est prête à servir la rupture. Le facteur s montre une indécision tandis que le d+ n’est pas franc.

Niveau microscopique

Le p est ambivalent pendant trois profils puis passe en p- ! lorsque ce présente à lui deux événements. Le premier, c’est une rencontre avec quelqu’un et le deuxième, c’est la prise de conscience que sa peinture « participe » d’un bagage universel commun à d’autres peintres à d’autres époques. Comme il se retrouve dans cette autre personne et que les « autres » (peintres) l’accompagnent dans sa démarche, il peut se laisser participer avec son p-! d’autant plus qu’il a tendance à être dans la faille - position pénible et coûteuse.

Le k+! du dernier profil de l’avant-plan montre chez lui l’envie de se différencier et il met en place son k+! pour le faire, cela signifie qu’il juge « la faille » plus adéquate puisqu’il est k+! à l’avant et p-! à l’arrière. Comme le souligne son commentaire, il veut se dégager du cadre dans lequel il s’insère et donc il veut écarter son p- qui commence à prendre trop de place. En effet, le p- a fait vaciller son k+ dans un k± au profil 4, de fait, le k+ « égratigné » revient en force au profil 5 en étant accentué (k+!). Dès lors, la « sanction » du k+! envers le p-! est : « Basta, Dehors, Ouste ! ».

Mité considère l’avant-plan comme son laboratoire d’expériences créatives qu’il différencie de son identité propre. Pour appuyer cela, la présence constante du po à l’avant montre l’évacuation de la question de son être et le ciblage sur la mise en forme sensorielle avec son k+.

Le dernier point, c’est la présence de la haine qui le suit à la trace en tant que « conseillère » pour le guider vers son chemin. Cela nous permet de relativiser la mauvaise image de la haine puisque mité n’est pas un dangereux individu mais un homme qui accepte de moins en moins de compromis dans sa manière de vivre. La haine est un outil puissant à ne pas déprécier mais à manier comme on manie un rasoir c'est-à-dire en douceur sous la responsabilité d’un p+ qui pense le « mouvement haineux ».

Patrick

Patrick est un jeune peintre qui se cherche et qui est encore en formation, il a 24 ans. Lors du testing, il vivait une relation de couple intense, chose qui apparaît pour lui comme un tournant important dans sa vie. Il a manifestement le désir de changer sa vision des choses. Ainsi, il est passé d’une vie marginale, consommatrice de détachement tout azimut dans un milieu fort marginalisé à un vie de couple sereine, équilibrée et attachée aux valeurs de « la vie ». Il fait beaucoup de projet et commence à être reconnu. La « sauvagerie » créative est devenue plus mesurée et par un regard sur lui le plus souvent, il apprend à gérer les différentes facettes de sa personnalité. C’est donc une personne en transition que nous avons rencontrée. Selon ses dires, le principal pour lui est de freiner son « moteur » sans freiner la création. Dès lors, sa peinture a subi un renouveau total par l’apparition d’un style que nous pourrions personnellement décrire comme la recherche d’une structure dans le foisonnement des formes et des couleurs.

Les indices

L’index de variabilité est un peu élevé au premier protocole. L’index de socialisation est élevé dans le deuxième protocole. Le reste est normal. En fait, le premier protocole montre sa recherche et le deuxième le besoin de l’Autre qui se met en place en même temps qu’il tend à être en position 4 en p (p+) tout en maintenant son m+. Il semble réussir sa gestion de défusion tout en restant avec l’Autre. Il y a peu d’accentuation ce qui tend à prouver que sa gestion est bonne. La formule pulsionnelle montre le facteur d- comme base et le facteur e+ comme le facteur le plus mouvant. Il s’assure son frein tout en s’interrogeant sur ses droits et ceux des autres. Les positions pulsionnelles sont équilibrées avec un petit pic 4 dans le premier protocole. L’énergie pulsionnelle est répartie « à parts plus ou moins égales ». Le tropisme montre une charge dans le moi à l’avant-plan or, le discours de Patrick est ciblé sur ses raisonnements, nous pensons qu’il met son moi sur la scène pour permettre de travailler sa représentation de l’Autre en lui grâce au regard de l’Autre réel. C’est plus net dans le premier protocole et justement nous avons un p plutôt en 1 donc fusionnel. Le deuxième protocole est déjà passé en 4 en p, donc, la défusion se stabilise, cela veut peut-être dire que le travail sur sa représentation a permis d’obtenir une image de l’Autre conforme à cet Autre. De fait, il peut retrouver ses marques puisque il est « branché » sur la bonne longueur d’onde, « il ne perdra pas l’Autre en chemin ».

 

Protocole 1 :

Total          h-!  s±!   e+  hy±!        d-  m+!

Avant         h-!  s±!   e+  hy-!      p±!    d-!!!  m+!

Arrière    h-       e+  hy±           d-     m+

Le don à l’autre est très présent comme désir tendu par une volonté, le s±! signifierait de savoir bien doser l’emprise et le subir dans le couple, le e+ exprime son accord à l’Autre, le hy±! va dans le sens de ce qu’il faut gérer pour exister aux yeux de l’Autre ou pour cacher à cet Autre (comment ne pas être pour être dans la relation à l’Autre), le moi est en travail, la fidélisation est de mise (cela fait plus de trois ans qu’il est seul, il aime sa compagne et veut rester avec elle), le m+! montre son désir d’accrocher, d’être avec l’Autre.

Protocole 2 :

Total          h-     e+  hy±!     p±!   d-!!!  m+!

Avant         h-    s+   e+!!!  hy-        p±!    d-!!!  m+!!!

Arrière    h±!          hy±    k±!  p+     d-!!!  m+

La question de l’être se précise tandis que le frein d- est maximal. Cela fait presque un an que son couple tient la route mais des efforts constants sont nécessaires pour habiter dans deux petites pièces; de plus, il a envie de vacances, de bouger et elle est coincée par ses examens scolaires.

 

 

 

 

Protocole n°1

 

Av

Ar

%

 

 

Av

Ar

%

h

4

4

76% 4

 

s

3

3

63% 3

e

4

4

68% 4

 

hy

3

3-2

66% 3

p

4

1

55% 4

 

k

2-3

2

55% 2

m

1

1

76% 1

 

d

2

2

75% 2

 

Protocole n°2

 

Av

Ar

%

 

 

Av

Ar

%

h

4

4

69% 4

 

s

3

2-3

60% 3

e

4

4

69% 4

 

hy

3

3-2

64% 3

p

4

4

66% 4

 

k

3

2

50%

m

1

1

77% 1

 

d

2

2

89% 2

 

La fusion à l’arrière-plan en p a laissé la place à un p+ ce qui nous donne finalement au terme de son processus de création de gestion de la défusion une direction 4 (réalisation de soi) avec un m+ qui accroche à l’Autre (m+ = 1). Le frein d- (2) se retrouve; le facteur k tient plus compte de la mise en forme sensoriel de l’Autre dans la configuration de la sienne; hy et s sont en 3 donc en rapport avec le réel et l’Autre. Concrètement, il est s+ à la sortie (deuxième protocole) car il peut se permettre d’agir car sa sensibilité tient compte de l’Autre, donc, il ne « fera pas de dégâts ». Le hy - dit en fait qu’il tend à intérioriser son processus de recherche (ne pas montrer) et qu’il semble intégrer la « vraisemblance morale » de ce qu’il faut faire pour être en accord avec l’Autre dans un couple.

Niveau microscopique

A part le d- illustré ici comme frein créatif, il est intéressant d’observer la fréquence à l’arrière de la réaction Sch + - qui traduirait le processus de la peinture qui puisse dans le sensible, l’intuitif pour le configurer en k+. Les commentaires permettent de se faire une idée pour chaque profil.

Pierre

Pierre a plus de 30 ans. Très créatif depuis son jeune âge, il a de multiples facettes et nous dirons simplement qu’il est dans le théâtre ces derniers temps. Auparavant, nous pourrions résumer son parcours par une recherche plastique et esthétique. « Marginalisé et non marginalisé », Pierre offre à voir une polyvalence dans sa vie qui est difficile à cerner. D’après ses dires, nous le rencontrons dans une période plutôt calme et qui selon lui succède à une tempête de plus de 10 ans. Il est manifestement dans une phase de restauration personnelle. Il a une volonté de récupérer ses forces. Comme Patrick, il freine mais Pierre ne va pas vers l’Autre pour autant, c’est vers lui qu’il va mais dans un registre de restauration narcissique, de fermeture à l’Autre.

Les indices

Ils sont normaux. Le tropisme montre une charge dans le contact à l’avant-plan ce qui traduit le gestion en cours dans ce registre. C’est compréhensible sous l’angle fusionnelle de son p- qui donne trop de place à l’Autre. Pierre veut gérer son contact pour se protéger de sa tendance à fusionner. D’ailleurs, il a accepté le test sans problème puis s’étant rendu compte de sa difficulté à gérer cela, il a coupé le contact. Son explication (« influences négatives ») est une métaphore à prendre comme un p+ qui se rend compte qu’il est trop p- c'est-à-dire « toi, l’Autre, tu as trop de puissance sur moi alors je coupe le contact pour me préserver ». Les positions pulsionnelles sont en 1-3, la fusion et le rapport à l’Autre. En fait, pour un créateur, c’est une régression vers l’indifférenciation sans pouvoir assumer cela un peu comme un scaphandrier qui irait au fond de la mer en ayant des fuites dans son scaphandre.

Le profil moyen

Total          h±!  s±!   e±!  hy±   k±!  p-!   d±!  m+!

Avant         h+!!!  s±!   e-!  hy±    k-!!!  p-!!!         m+!!!

Arrière               hy-         p-       d+!!! 

Le vecteur sexuel est très « questionné », le rapport à la loi aussi, le facteur k+ se cherche face à au facteur k-. Le p-! est l’indice du danger qu’il faut gérer. Le facteur d ne sait comment faire (rester ou partir) et Pierre a besoin d’un contact malgré tout pour se stabiliser. C’est curieux de noter que Pierre change souvent d’endroits d’habitation comme s’il ne pouvait gérer une tendance à la fusion qu’en partant et en coupant radicalement le contact. Il semble que sa création ne lui permette pas d’opérer cette gestion. En fait, sa création est sauvage et tend à l’être moins en travaillant « sur des personnes » comme metteur en scène. Cela l’oblige à gérer son contact, à ne pas trop fusionner et à éviter de partir comme un errant comme l’indique le d+!!! à l’arrière qui ne demande pas mieux de « foutre le camp » mais qui est calé par un questionnement à l’avant. C’est un homme qui a toujours eu très difficile de gérer sa violence qui intervenait le plus souvent pour mettre un terme à une trop grande influence de l’Autre sur lui. Avec Pierre, nous pourrions dire que sa sensibilité est telle qu’il est limite c'est-à-dire que son moi tend à être poreux, d’où la tendance à être violent et à partir. Plus il avance et plus il refuse ces « solutions ». Mais ne se sentant pas assez fort pour l’instant, il veut se réparer comme il le dit. En fait, il situe corporellement un mécanisme qui est foncièrement psychique. Il commence à le comprendre en s’adonnant à la méditation qui permet de prendre du recul.

 

Av

Ar

%

 

 

Av

Ar

%

h

1

4-1

61% 1

 

s

3

3-2

61% 3

e

1

1-4

61% 1

 

hy

2-3

3

55% 3

p

1

1

77% 1

 

k

3

2-3

66% 3

m

1

1-4

77% 1

 

d

2-3

3

61% 3

Nous voyons la dominante 1 et l’émergence de positions 4. Les facteurs médiateurs sont « réalistes » et proche dans le circuit de la position 4. Ainsi, malgré son désir de réparation narcissique, les « leviers » ne sont pas en position 2 (narcissisme primaire) mais en 3. Cela signifierait qu’il tend à accepter le combat symbolique de faire face à l’Autre au lieu de se réfugier dans son monde. C’est ce que les événements montrent.

Niveau microscopique

La présence d’accentuations montre sa difficulté à gérer tout cela sinon rien d’autre de neuf à dire par rapport au reste des protocoles.

Zénon d’Elée

Zénon a 24 ans et est étudiant en Philosophie. Très avide de connaissances qui « modifient le rapport du sujet à l’objet de sa connaissance », il s’inscrit dans ce que nous avons métaphorisé comme la programmation du processeur (Voir Zéphyrin). Au moment du testing, Zénon entrait dans le blocus des examens. Cela ne lui a pas empêché d’expérimenter « son inconscient » pour voir « s’il serait d’accord » avec l’idée de réussir ses examens en laissant volontairement des insuffisances dans son étude. Pour lui, c’est très sérieux, cela consiste à voir ce qui est nécessaire pour réussir et donc si, avec peu, cela marche, il peut orienter son mode de vie sur d’autres données et expérimenter sans « se casser la tête avec la culpabilité ». A l’heure où nous écrivons ces lignes, Zénon a réussit en première session et entre en dernière année. Dorénavant, il ne se fie plus au schéma traditionnel de l’étudiant et il a la nette volonté de gérer lui-même avec son propre regard la méthode d’approche des problèmes qui se posent à lui. Cette expérience lui a montré qu’il pouvait se fier à « son inconscient ». Concrètement, il a très peu étudié, il s’est basé sur sa réflexion et a bénéficié de curieuses coïncidences qui ont favorisé sa réussite (connaître un 1/4 du cours - « le plus intéressant » - et avoir les questions dont il connaît les réponses, cela plus souvent que ne le voudrait le hasard). L’enjeu d’une telle démarche est de mieux gérer sa vie et le risque, réussir ou rater son année.

Les indices

Les indices montrent une souplesse (Sy% de 52% avec un So/± normal à tendance cogitative : 1,3) ainsi que de la variabilité (17 pour une limite supérieure de 12,5) sans désorganisation (0,1). Présence d’accentuations (9) qui montrent quelques difficultés à gérer sa démarche. Un pic 3 dans les positions pulsionnelles signifie la pression des examens scolaires en cours. Le tropisme montre un moi qui se pense à l’arrière-plan.

Le profil moyen

Total                 hy±!     p+   d±!  m±!

Avant         h-   s+     hy±!      p+    d-   m+

Arrière    h+       hy±!      p+     

A part le désir d’être, tous les autres facteurs sont en questionnement. Il traverse une crise comme tend à le montrer le tropisme d’arrière-plan centré sur le moi. Nous retrouvons le refuge en p+ en cas de crise fréquent chez les créateurs.

 

Av

Ar

%

 

 

Av

Ar

%

h

4

1

60% 4

 

s

3

3-2

60% 3

e

1-4

4-1

50%

 

hy

3

3

63% 3

p

4

4

70% 4

 

k

3-2

3

57% 3

m

1

4-1

63% 1

 

d

2

2

63% 2

50/50 dans le rapport à la loi nous indique l’enjeu des examens face à sa propre loi. Il accroche dans le contact et maintient des positions 4 en h et p. Il freine en d- et est globalement en 3 - réaliste - dans les autres facteurs médiateurs. La tendance 3 n’est pas forte et lui permet d’accéder surtout en k (57%) à des positions plus autocentrées comme un k+.

Niveau microscopique

Le ko à l’avant-plan indique la saturation du mental ou l’évacuation de la question « créative » en k+ ou « négative » en k-. De toute façon, il ne veut pas se positionner à l’avant-plan sur ce sujet. La vidange du moi par deux fois (profils 3 et 5) va dans ce sens.

Par contre, l’élément dominant de ce protocole est l’énorme travail que le moi opère à l’arrière-plan allant jusqu’à se permettre d’avoir un Sch ± ±!, c’est un moi éminemment tendu, vivant les événements sous la pression. La menace est claire puisque son enjeu est de refuser de réussir comme un « obsessionnel des études » en s’orientant vers une étude autogérée selon des critères personnels plus dans le sens du k+. Cela veut dire que l’enjeu, c’est une manière de vivre selon ses choix même quand c’est dangereux car sans beaucoup d’expériences. Le risque, c’est rater son année. Il fut récompensé par son choix en réussissant par après selon sa manière de faire.

Zéphyrin

Zéphyrin est âgé de 24 ans. Il travaille dans le social comme éducateur de rue. Il sort souvent et est très porté sur les discussions de tout ordre. Il gère continuellement son contact en dosant la relation à l’Autre. Il se consacre à la musique et à la radio. Zéphyrin est continuellement en phase de changement, il intègre le fruit de ses idées dès qu’il le peut dans sa vie, expérimentant littéralement celles-ci dans ses relations. Puis, il analyse sa progression, la pertinence du processus et l’améliore le plus possible. Ces derniers temps, il n’est pas porté sur les lectures, il se fie plus à sa propre observation ainsi qu’aux intuitions des autres personnes qui l’accompagnent dans sa démarche.

L’idée commune à Anne, Zéphyrin et Zénon est le « processeur ». Le processeur, c’est concevoir l’esprit comme tel. Dès lors, tout l’enjeu consiste à repérer son programme en tant que processeur puis à dépister les impasses pour le reprogrammer. Que cela soit ou ne soit pas, le processeur est une métaphore qui situe d’emblée la référence de ces trois personnes.

Les indices

Ils sont normaux sauf le soc% qui est bas. Un recentrement sur soi se fait jour. Les accentuations sont nombreuses (14) surtout dans les facteurs p+ et hy-. La gestion de sa démarche semble difficile à ces niveaux. Le p+!! indique un fort désir d’être et le hy-! indique l’intériorisation de ce processus (ne pas montrer). Les tropismes montrent une charge dans les vecteurs centraux de l’avant-plan : la question des affects et celle du moi. Il semble que Zéphyrin travaille ces deux aspects sur la scène sans trop en parler. Il met ces deux vecteurs « près du regard de l’Autre » et c’est assez juste car il parle très souvent de sujets proches des affects et de la manière de gérer cela. En fait, c’est dans le domaine amoureux qu’il concentre tous ses efforts afin de trouver une compagne « adéquate » pour vivre avec lui.

Deux pics 3-4 caractérisent les positions pulsionnelles : le rapport à l’Autre et le rapport à soi. C’est assez cohérent avec ce qui précède. L’heure n’est pas la fusion mais à la réflexion.

Le profil moyen

Total          h±!       hy-!   k-  p+!   d±!  m+

Avant         h+!!!     e-   hy-!    k-!!  p+!!!    d±!  m+

Arrière              hy-        p±!      d±!  m+!!

La négation interroge la sensibilité de l’Autre mais le désir d’être est tendu vers lui. Rester ou partir est la question brûlante en d±!. Il accroche sans douter du contact, cela présage de sa force mais sa faiblesse se lit en h±! car c’est une question à double tranchant : comment s’aimer tout en voulant se donner à l’Autre? Ou comment ne pas se perdre soi dans l’Autre ? Le hy-! est là pour « camoufler » cette réflexion « sérieuse » peu propice aux rituels amoureux. Ne pas brusquer les choses en s± (subir ou agir ?). Finalement, la question est : de quel droit pouvons-nous avoir les prétentions à être ou à ne pas être ? C’est ce que nous lisons en e± et cela rejoint cette question fondamentale pour une personne dans la création : comment ne pas être pour être avec l’Autre ?

 

 

 

 

 

Av

Ar

%

 

 

Av

Ar

%

h

1

1

64% 1

 

s

2

3

50%

e

1

1-4

58% 1

 

hy

3

3

77% 3

p

4

1

80% 4

 

k

3

3-2

69% 3

m

1

1

75% 1

 

d

2-3

2

64% 2

Nous lisons la volonté d’accompagner le mouvement fusionnel tout en maintenant une position 4 en p à l’avant-plan (rapport à soi-même). Le p- (1) à l’arrière n’en n’est pas un vrai puisque à 80%, il est p+. Ce p- nous semble être une représentation de l’Autre qui est construite en arrière pour s’accorder avec cet Autre ou alors c’est une volonté souterraine de participer avec l’Autre

La volonté de se fidéliser est de mise en d-. Le s à 50% montre l’indécision à agir ou à subir. Les facteurs hy et k sont du côté réaliste, en censure mais le k+ reste présent à l’arrière-plan.

Niveau microscopique

Quand Zéphyrin est passé dans une phase de faire-oeuvre, presque à la fin, il était à l’arrière k ±. Ce n’est pas fréquent chez lui ce passage à l’acte, il préfère plutôt la parole. En fait, il a réalisé une émission de radio originale avec une véritable recherche musicale surtout dans les transitions c’est-à-dire le mixage en donnant un cachet original. Et son p + est redevenu normal dans le sens où les accentuations ont disparues. Il a consacré trois jours et ses nuits pour saisir ce qu’il voulait rendre. Tout cela pour un peu moins d’une heure d’émission. L’idée est que chaque passage musical choisi réveille un affect puissant et ciblé. En les positionnant selon une logique précise, il pense pouvoir agencer en lui ces affects de manière à mieux les gérer. Chaque fois qu’il écoute cette « série », il conditionne son mental à prendre en compte l’empreinte de toute sa réflexion mais de manière « subliminale ». C’est un exemple de programmation inconsciente sur base de l’idée du processeur.

La conjonction de la théorie avec l’empirie nous permet de faire une synthèse. Sa grande sensibilité le place souvent en surdose et sa « cogitation » ne peut suivre le mouvement pour gérer ce flot d’information. Sa gestion est plus dans un discours, une construction de représentations qui viennent cadrer son vécu. Il utilise peu le faire-oeuvre. Il cherche des réalités moins « lourdes » pour ne pas freiner sa cogitation, il tend vers la radio où la parole - un réel plus virtuel - lui permet de s’ancrer dans la réalité mais pas de trop, c’est « léger ». Petit à petit ses projets tendent vers des émissions où il y aura une table ronde - donc des personnes réelles présentes, c’est moins virtuel - puis il a envie que les auditeurs puissent téléphoner (il deviennent moins virtuel). Plus la gestion de sa sensibilité progresse, plus la réalité devient moins virtuelle et plus la parole tend à s’incarner; d’où des projets avec plus de concrétude. Le peu de faire-oeuvre signerait sa tendance à se situer dans le virtuel (la parole) qui est secondaire à la trop grande force du réel qui passe à travers ses sens et qu’il a difficile à gérer.

Les accentuations en p+!! sont à lire comme un refuge dans un fort désir d’être mais qui peut entraîner de la paranoïa et empêcher le processus d’aboutir sur un accord entre son monde et celui des autres.

Quelques commentaires

La grille de lecture psychiatrique peut donner une vue déformée de processus qui passent plutôt sereinement chez des créateurs dans leur quotidien. Cette grille peut ne pas permettre de serrer au plus près les mécanismes que nous observons chez les gens qui créent dans leur vie quotidienne.

Ainsi, les angoisses sont cadrées dans le cours spécifique du processus de création. Cette gestion peut les amener à accepter leur impuissance face à des angoisses trop fortes grâce à la force du cadrage (processus de création secondarisé), cela faisant partie du processus à leurs yeux. Une fois la tempête passée, il reparte avec confiance. L’image serait dans ce cas de laisser faire, un peu comme une mare dont on aurait brouiller la surface et fait remonter la vase, la gestion par le non-agir consiste à laisser reposer l’eau sereinement pour y voir plus clair. Ils sentent pertinemment bien que parfois, il faut laisser reposer et ne pas agir.

L’emprise forte des créateurs n’est pas permanente et laisse souvent la place à une perméabilité comme une porte ouverte sur l’inconnu. Le cadrage de leur psychisme au cours de ce processus permet un recul par rapport à l’état affectif général.

Jean-Marie doit se dédoubler pour écrire une pièce de théâtre c'est-à-dire que son regard sur les choses se double du regard de l’autre afin que le message inscrit soit communicable. Il s’insère dans un style de création qui est l’écriture théâtrale et qui induit en lui une instabilité pour écrire sur deux versants. De fait, il est souvent k+ p- sans pour autant être schizophrène. Il a une vie sociale très active, est un intellectuel reconnu. Sa pensée est écoutée pour sa pertinence.

Une analyse des protocoles en termes psychiatriques quoique très pertinente peut donner une fausse image de ce que ces gens gèrent continuellement. La grande différence par rapport à une population psychiatrique, c’est le dynamisme de l’ensemble, cela bouge et ne se fige pas longtemps. Le diagnostic psychiatrique s’impose souvent quand il y a blocage sur une position ; entendu que c’est la circulation dans les stades de la psyché qui signe la santé mentale.

Il faut nécessairement qu’il y ait des renversements dans le protocole. Quelqu’un qui est trop figé ne peut pas créer. Un profil de créateur en phase de création ressemble assez à un profil de psychotique.

 


Conclusions

Il en ressort de notre démarche un savoir-découverte qui n’est pas fermé. Nous posons ce mémoire sur la pierre angulaire de la psychologie clinique : la rencontre avec l’être humain. Celui-ci est une hypothèse de travail possible pour rencontrer le vécu d’un créateur. Nous ne faisons que proposer un éclairage.

Nous pensons que ce n’est pas la science qui a le dernier mot dans la clinique, pour la bonne et simple raison qu’elle évacue le sujet dans le sens où le discours devient indépendant de celui qu’il l’énonce. Lévy-strauss insiste sur le rapport fondamental entre le sujet de la connaissance et l’objet de la connaissance.

Aucun savoir n’est innocent dans l’inconscient de l’homme même si le credo général consiste à imposer un modèle comme étant neutre ou pire « objectif » dans son absolu. L’histoire de l’humanité a connu ce genre de bonne foi tout en aboutissant à des massacres au nom d’un idéal.

Donc, nous n’avons pas la prétention d’énoncer la vérité sur le processus de la création. Nous essayons d’ouvrir une porte. Pour nous, le savoir s’utilise comme un outil non comme un but en soi. A perdre les valeurs qui cadrent la finalité d’un savoir, nous attirons la némésis à soi. Pour notre part, nous mettons l’être humain au-dessus de l’outil théorique.

Cela veut dire que ce savoir est réductible à un porteur organique de cette connaissance, et que l’abstrait est profondément ancré dans le concret d’un corps sensible. Ce ying-yang de l’esprit où l’abstrait comprend du sensible et le sensible possède une part irrémédiable d’abstrait est une garantie contre l’excès de l’un ou de l’autre.

L’idée du cycle nous permet de proposer une vision très macroscopique de la création. En effet, à chaque tour de cycle, le créateur puise dans son k+ et dans son p+ et va nourrir d’autres personnes avec ce qu’il a récolté. Il augmente ainsi, dans le meilleur des cas, la qualité du k - et du p- en vigueur dans une société et une époque donnée.

 

C’est sur cette envolée que nous terminerons notre mémoire en vous remerciant d’être resté avec nous jusqu’ici.

 

 


Anne

Anne                1                      28/2/95

1 = +80% / 2 = +70% / 3 = +40% / 4 = +60% / 5 = -55% / 6 = +60% / 7 = +60%

Difficulté à choisir, nombreux commentaires sur le test mais passation plus « aisée » pour l’arrière-plan.

Ce week-end, elle a eu l’impression que l’expression de son propre flux créateur vis-à-vis de sa soeur (avec qui elle entretient une relation forte) a blessé/perturbé celle-ci, d’où la peur de lui faire du mal. Et choc en retour sur elle à cause de sa soeur : elle doute d’elle-même et de sa démarche. Cela rejaillit aujourd’hui sur le test mais en oscillation malgré tout. Elle se sent coupable par rapport à sa soeur.

· Production: dans son discours et l’écriture, actes, attitude face à la vie, aux autres. Aujourd’hui : non.

· F.E. : 4 (Refus par rapport à sa soeur mis en acte) et 6.2 à l’avant.

Anne                2                      1/3/95

1 = +80% / 2 = +100% / 3 = +100% / 4 = +85% / 5 = -20% / 6 = +100% / 7 = +100%

Elle choisit un peu plus vite, est en rage.

C’est son anniversaire mais cela n’a « pas d’importance ». Elle a envie de s’aérer (aller à Bruxelles). Elle a côtoyé quelqu’un qui n’a pas la même démarche qu’elle. Bilan : « Je me sentais étouffée, c’était conventionnel (faire les magasins), chiant, pas mal mais  ça me gonfle ». Par rapport au 28/2/95 où elle freinait sa démarche, elle dit : « j’avais raison, j’aurais pas dû freiner et j’aurais pas été à Bruxelles », elle avait envie de s’aérer et elle a accepté d’aller à Bruxelles avec cette personne « chiante » à cause du fait qu’elle pensait devoir freiner sa démarche et changer d’air.

Moins angoissée qu’hier mais à la limite elle se sentait mieux hier ! « Ce jour m’a prouvé que je ne me suis pas trompée parce que cela ne ressemble à rien ».

· Production : oui

· Continuum n°3 : « C’est un besoin intense »

· Continuum n°4 : « Je me sens quand même un bloc qui est prêt à refuser le conventionnel mais on ne m’a pas laissée faire, d’où pas l’unité (à 100%)».

· Continuum n°7 : « C’est assez informel ».

· F.E. : 9.1 (sa rage est « due » à sa soumission à la « loi », elle a cassé des objets chez elle par rage) et 6.2 à l’avant.

Anne                3                      2/3/95

1 = +75% / 2 = +75% / 3 = +80% / 4 = +80% / 5 = -70% / 6 = +60% / 7 = +90%

Elle choisit lentement, un peu « distraite » : à force d’observer les photos, elle finit par se laisser absorber et s’égarer par les sentiments qu’elles lui inspirent. Le choix est encore plus difficile. « Je ne sais plus ce qui est vrai ou faux ».

Elle a le sentiment d’avoir vécu une journée riche. Hier, elle a réfléchi à sa démarche. Aujourd’hui, sa démarche est présente (« être dedans ») mais elle a l’impression d’un vide comme si le flux créatif était bloqué.

Puis « malaise créatif » et « le robinet s’ouvre et ça coule ». Angoisses. Mais elle se sent bien, en accord avec elle, unie.

Le test « casse » son état : juste avant et juste après, sa réaction est différente par rapport au test : « cassure » progressive tout au long du test.

· Production : oui.

· Continuum 4 : « Le test a entraîné en moi un sentiment de dispersion (provenant de doutes continuels) mais j’ai coché indépendamment de ça ».

· F.E. : 8.1 à l’avant.

Anne                4                      3/3/95

1 = +80% / 2 = +85% / 3 = +80% / 4 = +95% / 5 = +55% / 6 = +75% / 7 = +75%

Répond un peu plus vite. Beaucoup d’angoisses la journée. Puis événement qui la conforte dans sa position : coup de téléphone à sa soeur. Celle-ci lui paraît réagir petitement, lâchement et a tendance à vouloir couper la communication, la relation avec elle. Ceci a tendance a augmenter son sentiment d’unité et à diminuer l’angoisse.

Même impression de vide que le  2/3, au réveil. Fluctuations importantes selon les moments de la journée et cela vaut pour les autres jours.

· Production : oui.

· F.E. : 7 et 9.1 à l’arrière.

Anne                5                      4/3/95

1 = +20% / 2 = +100% / 3 = +95% / 4 = +100% / 5 = -60% / 6 = +30% / 7 = +90%

Choisit plus vite, est beaucoup moins en proie à ses doutes continuels. Se sent dans une forme extraordinaire et a envie - et va aller - à la rencontre de l’Autre. Elle a besoin de concrétiser ce qui est né en elle, de le vivre au quotidien, avec les autres.

Elle arrive à se sentir pleinement elle dans le monde, elle sent mieux le « poids » de son existence dans la vie des autres pour les autres.

· Production : oui.

· Continuum 1 : Elle n’a pas envie de mettre la croix de l’autre côté (vers l’Autre) car elle se sent vraiment elle même si elle est dans le monde des autres parce qu’elle sent la puissance de son monde à elle dans celui des autres.

· F.E. : 6.1 à l’avant.

Anne                6                      5/3/95

1 = +65% / 2 = +65% / 3 = +95% / 4 = +85% / 5 = +55% / 6 = -25% / 7 = +85%

Le test authentifie sa démarche à ses yeux, elle a envie d’aller plus loin mais elle soupçonne dans sa démarche un manque d’équilibre qui demande un dosage : « Pas être tout le temps là-dedans bien que l’envie soit forte ».

Elle a l’impression qu’hier soir elle a franchi une étape existentielle qui mûrit depuis longtemps : c’est la confrontation à l’Autre pour authentifier sa démarche et ce qui est né de cette démarche. Hier, elle a compris qu’elle existe. Avant, il y avait la présence des autres mais elle ne sentait pas la sienne. Depuis hier, il y a les deux. Les autres sont là et elle aussi mais les parties sont séparées (« moi et l’Autre »). « J’existe sans me fondre dans l’Autre. Il fallait suivre le mouvement de l’Autre, il y avait un fil entre moi et les autres qui n’est plus là (avec le danger de le casser auparavant) ».

· Production : oui.

· F.E. : 8.1 à l’avant et 14 à l’arrière.

Anne                7                      13/3/95

1 = +70% / 2 = -30% / 3 = +60% / 4 = -30% / 5 = -120% / 6 = +100% / 7 = +65%

Aucun commentaires, est silencieuse puis elle dit : « ça n’avance pas ».

Est « molle », très angoissée, a l’impression d’exploser comme un volcan qui bouillonne. Elle a envie d’aller dormir pour se calmer mais elle s’en empêche pour travailler. Il y a un conflit entre des choses auxquelles elle n’arrive pas à se détacher et l’envie de le faire (perspective plutôt affective) : « Je retombe dans mes mauvais schémas à cause de cela ».

A un RDV demain avec son promoteur de mémoire et elle ne sent pas prête (pas assez travaillé) pour y aller : elle se sent tiraillée par cette perspective mais elle ne « fout rien pour autant ».

· Production : « oui, moins, quelque part ! ».

· FE. : 6.1 à l’avant et 11 à l’arrière (envie de se réparer par le sommeil ?).

Anne                8                      16/3/95

1 = +55% / 2 = +85% / 3 = +100% / 4 = +85% / 5 = +70% / 6 = -60% / 7 = +95%

Peu de commentaires. S’est sentie vide lundi 13/3 et mardi 14/3, elle a été sur la défensive, « agressive » (entendre « froide et sèche » dans le contact) pour tenir les gens à distance (défusion défensive). Mardi 14/3, elle aurait coché 100% nul sur le continuum 7 (flux créatif en soi). Ces deux jours avec cette impression de vide donne l’image « tout se tarit en moi, c’est une terre morte ».

Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, plutôt dans le sens du « plein » (F.E. 2.1 : fusion).

· F.E. : 2.1 à l’arrière (« parano. projectif). C’est le p -! qui agit et, quand c’est le cas, ici, elle se sent bien.

· Production : oui.

Anne                9                      19/3/95

1 = +80% / 2 = +90% / 3 = +75% / 4 = +65% / 5 = -65% / 6 = +45% / 7 = +65%

Fatiguée, « gueule de bois », le test l’a stressée sans savoir pourquoi.

· Production : non.

· F.E. : 12.2 à l’arrière.

Anne                10                    21/3/95

1 = +65% / 2 = -40% / 3 = +100% / 4 = +80% / 5 = -45% / 6 = +30% / 7 = +75%

Travaille à son mémoire facilement alors qu’auparavant cela bloquait.

· Production : tendance à produire mais pas un état de fait.

· F.E. : 14 à l’avant et 6.1 à l’arrière.

Anne                11                    3/4/95

1 = +50% / 2 = -55% / 3 = +70% / 4 = -40% / 5 = -60% / 6 = +50% / 7 = +70%

A envie de gérer l’acquis qui existe. Elle a aussi envie d’aller plus loin mais à petites doses (« petits machins qui donneraient un coup de pouce pour gérer l’acquis »). A une envie / besoin fort de l’Autre mais pas l’envie d’aller vers l’Autre.

Elle se critique : elle n’accepte plus les « justifications » habituelles (excuses pour soi) qu’elle considère comme des fuites.

Elle en a « ras-le-bol d’un truc qui va vers quelque chose et qui n’atteint jamais vraiment son but », de fait, elle a envie de concrétiser.

· Production : non.

Anne                12                    4/4/95

1 = +75% / 2 = +40% / 3 = +50% / 4 = +60% / 5 = +60% / 6 = -50% / 7 = +60%

Fait son mémoire sans trop de contraintes : « ça coule ! ». A plus envie d’aller vers l’Autre (hier, c’était l’envie d’une présence de l’Autre et pas d’aller vers lui) mais à petites doses : aménager, prévoir des rencontres pour lutter contre l’angoisse d’être seule.

Elle se sent bien toute seule mais elle a envie de partager son bien-être à certains moments. Elle sent jaillir à certains moments une angoisse qui émerge par le fait d’être seule, en dehors (surtout hier) et cela risque de revenir. D’où la prévention en allant vers l’Autre.

· Production : oui, plutôt « il y a quelque chose dans l’air ».

· F.E. : 17 à l’arrière.

Anne                13                    12/4/95

1 = +50% / 2 = -40% / 3 = +45% / 4 = +70% / 5 = -50% / 6 = +40% / 7 = +45%

Elle a peur de ne plus avoir « pied », de se perdre, de n’avoir plus de sens si elle lâche sa démarche créatrice. Elle est très stressée : angoissée tout le temps au sens physique. Intérieurement, elle sent un malaise. Elle ne comprend pas, ne sait pas cogiter dessus : « c’est une angoisse qui me laisse dans le vide ».

· Production : non.

· F.E. : 3.1 à l’arrière (désir d’être tendu en p +).

Anne                14                    13/4/95

1 = +80% / 2 = +70% / 3 = +75% / 4 = -110% / 5 = -75% / 6 = +80% / 7 = +75%

Une partie d’elle cherche à se ménager, à se réconforter et l’autre partie ne veut pas... Angoisses fortes fluctuantes sinon crises de larmes quand pas d’angoisse. Elle se repositionne différemment d’auparavant au niveau de son identité de femme et sent comme un changement de cadre mental : tout est perçu à travers « une autre lorgnette ». Elle a « viré » tous ses posters, elle a « nettoyé » son cadre de vie.

· Production : oui.

· F.E. : 13.1 à l’avant, elle présente  la triade e - p - m - (elle a « virer tous ses posters »).

Anne                15                    15/4/95

1 = +70% / 2 = +95% / 3 = +85% / 4 = -70% / 5 = -65% / 6 = +60% / 7 = +80%

« Ca bouge beaucoup, très confus, ça ne coule pas de source. C’est le besoin de se positionner par rapport aux choses qui passent dans ma tête. C’est plus que d’habitude. Ici, je ressens la nécessité de choisir en moi-même ce qui émerge en moi et faire ma sélection pour être sûre d’aller dans une bonne voie. Angoisse « de l’inconnu » qui s’en va quand j’ai un contact avec des choses faciles qui sont habituelles et qui ne remettent rien en cause ».

« J’ai un besoin de me restaurer plutôt qu’un désir d’être, d’où un flux créatif plus faible, l’envie démarre mais est stoppée ».

· Continuum 7 : « pas tout le temps, pendant le test ».

· Production : oui, concrétise ce jour des idées antérieures.

· Elle a décidé de se dissocier de son mémoire. Il existe, c’est la réalité, il faut le terminer mais elle aussi existe et c’est aussi une réalité. Il y a un virage narcissique en cours. Elle présente une augmentation des positions pulsionnelles 1 et 2, et une négation en k - dans les limites du « normal ». Son désir d’être repose plus sur des données narcissiques que sur des données de réalisation de soi (position pulsionnelle 4). Sa démarche créatrice existe et se maintient mais sa portée sur son identité est moindre : son désir d’être vire plus à la réparation narcissique ce que confirme la forme d’existence 11 à l’avant tandis qu’à l’arrière existe la forme 12.2.

 

 

Anne                16                    21/4/95

1 = +45% / 2 = +90% / 3 = +75% / 4 = -110% / 5 = -110% / 6 = +70% / 7 = +20%

« Les autres me font très peur, je me sens envahie ». D’où, elle enclenche une isolation relationnelle, un détachement plutôt défensif : « je n’écoute plus vraiment ».

« Je ne sais plus où j’en suis, on pourrait imprimer n’importe quoi sur moi mais en même temps j’ai besoin des autres pour remplir le « vide » intérieur. Je n’ai plus de repères par rapport à ma propre existence. Mon flux créateur tourne mais n’aboutit pas vraiment. Tout m’échappe : j’existe mais qu’est-ce que je fous là ? Je ne comprends plus rien. »

· Production : -

Anne                17                    26/4/95

1 = +50% / 2 = +95% / 3 = +50% / 4 = -110% / 5 = -85% / 6 = +75% / 7 = +40%

Hier, tendance marquée à la tentative de suicide (« à deux doigts ») mais contrôle via « une étincelle qui m’est revenue » mais sans saisir de quoi il s’agissait : « impression de retrouver une présence, une existence contre l’impression d’être creuse ».

Point d’accrochage avec son mémoire qui représente « la vie » contre le « vide ». Il y a donc eu un recadrage positif du mémoire qui prend dans le sens « d’une mayonnaise qui prend ». Elle se sent sur « la corde, limite, en oscillation : je reste/ je m’en vais ». Depuis 4-5 jours, « ce qui m’accrochait avant, me faisait plaisir et me permettait de garder pied s’est effondré ».

· Production : non (hier oui).

Anne                18                    28/4/95

1 = +65% / 2 = +70% / 3 = +80% / 4 = -20% / 5 = -70% / 6 = +30% / 7 = +50%

Elle ne veut plus de retour par rapport au test. « Le test est quelque part un regard sur ce que je décide et cela me met en doute ». L’accrochage réapparaît bien (musique, cinéma, aller aux chiroux,...) « mais il faut faire gaffe ». Elle va mieux, se sent mieux, se ressent en elle, se retrouve, n’a plus ce vide. Elle se sent exister. Le fait « d’aller vers » n’est plus ressenti négativement.

· Continuum 5 : le test a amplifié une pointe d’angoisse qui existait auparavant. Elle a coché à - 70% alors que pendant la journée, elle aurait coché à -40%.

· Production : non.

· F.E. : 7 à l’arrière (elle a la « bougeotte »).

Anne                19                    3/5/95

1 = +70% / 2 = +95% / 3 = +50% / 4 = -80% / 5 = -95% / 6 = +90% / 7 = +20%

Après la passation du test, elle regarde un tue-mouches accroché au plafond et rempli de mouches mortes en déclarant : « c’est quand même cruel ! ». Je lui rétorque de le jeter et elle répond : « non ».

« Ca déprime à fond », angoisse de type impuissance / abandonnique (¹ paranoïde). « Je ne trouve rien, ça ne bouge pas,  je ne sais plus quoi faire, il n’y a pas d’issue malgré que je cherche des trucs ».

Décharges d’affects dépressifs moins contrôlables, elle pleure en rue (hy +! à l’arrière). « J’ai l’impression de m’enfoncer royalement ». La création : « j’ai l’impression que c’est là mais c’est insaisissable ». Le monde des autres : « une espèce d’indifférence ».

· Production : non.

· F.E. : 6.2 (affects dépressifs) et 8.1 à l’avant. A l’arrière, 14 (pleure en rue, exprime fort ses affects) et 13.2 (« crises », décharges, moins de contrôle, « ça passe, ça déborde »). C’est un profil rare, étonnant, qu’elle « gère » assez bien grâce à sa capacité de se détacher de cela notamment en l’analysant in vivo. Nous pouvons dire avec ce genre de profil que c’est la variabilité et la circulation des pulsions qui la sauve !. C’est peut-être ce gouffre qui la menace le plus souvent comme une épée de Damoclès.

Anne                20                    8/5/95

1 = +70% / 2 = +95% / 3 = +85% / 4 = -65% / 5 = -100% / 6 = +85% / 7 = +45%

Encore dans le « vide » et cet état lui donne l’impression que ce qui émerge, c’est peu : équilibre existentiel précaire. Elle n’arrive pas à contrôler les états où elle retombe et ceux où elle émerge, ce contrôle n’est pas assez costaud à ses yeux.

· Production : oui, petitement.

· F.E. : 14 à l’avant et 2.1 à l’arrière.

Anne                21                    19/5/95

1 = +35% / 2 = +35% / 3 = +50% / 4 = +30% / 5 = -30% / 6 = +30% / 7 = +40%

Période de changement, fluctuation mentale très intense avec tentative de contrôle. « Une porte est enfin ouverte, une issue se profile ».

· Production : non.

· F.E. : 2.1 à l’avant et 12.1 à l’arrière.

Anne                22                    24/5/95

1 = +35% / 2 = +35% / 3 = +40% / 4 = -30% et +30% / 5 = -60% et +20% / 6 = +85% / 7 = -40% et +30%

« Je me sens dans la dualité violemment,  je ne sais plus et cela fait un bout de temps que je ne sais plus si je suis dans le processus de création. A mon avis, oui et dans un autre sens, cela me semble trop terre-à-terre. »

· Production : -

· F.E. : 8.4 à l’arrière.

Anne                23                    12/6/95

1 = -30%  et +60% / 2 = -20%  et +70% / 3 = +65% / 4 = -45%  et + 40% / 5 = -55%  et +35% / 6 = +45% / 7 = -45%  et +45%

« Je sens qu’il y a une direction vers le « tendu à être moi-même » mais je sens que ce n’est pas nourri par quelque chose d’intérieur : je ne suis pas sûre de ce que je pense, de ce que je fais, si c’est moi ou si c’est les autres. Il y a un truc qui manque et qui me fait douter ».

« Ce n’est pas les choses qui comptent. Les choses en elles-mêmes ne sont rien. C’est le regard qu’on a sur les choses, c’est moi qui perçoit de telle ou telle façon, qui les rend agréables ou désagréables. C’est mon regard qui voit mal les choses, c’est pour ça que je me plante. Cela (cette réflexion) me permet de me sentir mieux et de fonctionner avec les autres. Mon regard différent me permet de fonctionner dedans (la relation) même si c’est un peu détaché, même si je ne suis pas à fond dans la relation. »

« J’ai été chez ma gynéco. dans la salle d’attente, deux femmes papotaient et s’étalaient. Au lieu de prendre un bouquin et de m’enfermer (en moi), j’ai continué à les écouter et à les observer. Je ne les ai pas traitées de connes intérieurement, je les regardais et mon regard les rendait plus supportables. Alors que d’habitude, j’aurais pesté et cela m’aurait fait chier du style : Tiens, encore des connes ! . »

· Production : elle écrit son mémoire et ça roule. En tapant celui-ci dans l’ordinateur, elle se rend compte que ce qu’elle trouve dans son mémoire la renvoit à elle-même, à ce qu’elle est.

· F.E. : 7 à l’arrière. La forme maniaque est inscrite en filigrane dans son discours mais est-ce pour autant une pathologie ?

Si nous regardons le schéma suivant, nous partons de la réaction du moi Sch ± - (moi abandonné), et nous voyons du p -,  du k + et du k - en même temps dans la réaction k ±. Si nous positionnons ces tendances sur la croix, nous voyons dès lors deux choses.

 

 

 

 La première chose, c’est k - p -, c’est-à-dire « être à fond dans la relation avec l’Autre », il y du k - c'est-à-dire une position légaliste-réaliste-antifantasmatique et rationnelle; et du p - qui est la participation projective : « le regard de l’Autre prédomine sur le mien dans mon image de moi : Je suis l’Autre ».

La deuxième, c’est le k + qui donne le recul nécessaire pour sortir de cette relation à l’Autre « à fond ». C’est lui qui ouvre l’espace personnel, fantasmatique et qui amène le sentiment du détachement par rapport aux autres.

 

Georges

Georges          1                      24/4/95

1 = +120% / 2 = +120% / 3 = 0% / 4 = -120% / 5 = -60% / 6 = +120% / 7 = -120%  et +120%

Envie de partager : grand désir de communiquer mais peur à le faire. Sensation d’être bloqué depuis plusieurs mois, c’est une « impasse » mais celle-ci est jugée nécessaire pour aller vers. Il sent la nécessité impérieuse d’un changement sinon menace intense : mort - éteint - sans vie.

· Production : non

· Continuum 1 : Réassurance en étant dans son monde à soi mais nécessité d’aller vers l’Autre par grand inconfort.

· Continuum 2 : même principe que pour le continuum 1.

· Continuum 3 : « entre-deux chaises », « malaise », ni l’un ni l’autre, tantôt vers un pôle tantôt vers l’autre.

· Continuum 5 : Rester comme ça = révolte, « ne pas avancer, c’est être prisonnier ».

Georges          2                      28/4/95

1 = +60% / 2 = -120%  et +120% / 3 = +60% / 4 = +70% / 5 = -20% / 6 = -85% / 7 = +40%

L’envie de partager est plus forte que la dernière fois. La réflexion suit le même mouvement. Simultanéité de la tendance affective et mentale à aller vers l’Autre.

· Production : non.

Georges          3                      2/5/95

1 = +40% / 2 = 0% / 3 = +110% / 4 = -50% / 5 = -55% / 6 = 0% / 7 = +50%

A recommencé à produire : « c’est reparti ». « J’ai changé / ajouté une méthode de travail de composition depuis quatre jours.  C’est l’envie de faire, d’agir, du concret. Je ne vois plus le Szondi comme avant. » Il a voulu vérifier si la « machine » tourne encore et c’est le cas. Il est content et rassuré.

Il a eu très dur de se positionner sur les continuums. De même, la série 4 du test présente des visages qui, pour lui, sont tous neutres.

· Production : oui, nettement musicalement. Le reste toujours pareil (pas de production). Satisfait car a réanimé le feu intérieur. Au niveau de sa production, Il trouve que c’est petit-petit mais ça fonctionne.

Georges          4                      8/5/95

1 = +85% / 2 = -120%  et  +120% / 3 = +50% / 4 = -100% / 5 = -50% / 6 = +80% / 7 = -60%  et  +50%

Deux forces opposées luttent l’une contre l’autre. L’une consiste à se fixer dans les obligations de son rôle de père, c’est vu comme des chaînes. L’autre consiste dans la liberté, dans son propre processus et c’est vu comme le grand bol d’air. ces deux forces sont très puissantes et aboutissent à une paralysie : « je suis planté ».

Georges          5                      5/6/95

1 = +25% / 2 = +25% / 3 = +85% / 4 = -65% / 5 = -60% / 6 = +40% / 7 = +35%

C’est un carrefour qui se présente à lui. « Comme si ma musique antérieure était dépassée, donc, il n’y a plus autant de foi à l’intérieur pour lui donner une direction, elle est insuffisante et je ne vois pas de projet pour elle. »

« Une grande décision peut-être : je mets le frein » (s-! à l’arrière et d± à l’avant)

« L’écriture vient plus à moi, l’écriture veut faire le change avec la musique mais je n’en suis pas si sûr : ça me démange beaucoup. »

« J’ai envie de nettoyer les sentiments parasites pour mieux communiquer avec les autres et être plus à l’aise. »

· Production : non (pas concret).

Georges          6                      12/6/95

1 = 0% / 2 = 0% / 3 = -90%  et  +90% / 4 = -70%  et  +60% / 5 = 0% / 6 = 0% / 7 = +20%

Il y a du changement par rapport aux photos du test. Des « antipathiques de longue date » deviennent moins « anti », une photo n’a pas été reconnue.

« Je me sens très bien en famille, je m’amuse, je rigole, je les aime de plus en plus sans m’oublier. Je suis dans la création mais ce n’est pas impérieux, je ne presse pas. Il y a quelque chose quelque part et j’y vais à mon rythme. »

· Production : oui, a commencé doucement à écrire, petitement.

· Continuum 3 : « Mon désir le plus cher, c’est d’avoir ces deux positions tout le temps (se conformer et créer). »

 

Henri

Henri               1                     4/5/95              20h

1 = +50% / 2 = +20% / 3 = +80% / 4 = +70% / 5 = +50% / 6 = +20% / 7 = +75%

Henri est un créateur qui est ici comme acteur se faisant tester une demi-heure avant une première théâtrale., quinze minutes avant la présence sur le plateau.

Il me dit maîtriser son stress car, pour lui, c’est rôle peu déstructurant (dans le passé, Lord aristocrate,...), il se sent à l’aise car c’est un « rôle pas trop dur » et, de plus, il a l’expérience de la « routine ». Il ne semble pas agité.

Henri               2                     4/5/95              21h05

1 = +90% / 2 = -90% / 3 = -100% / 4 = 0% / 5 = +50% / 6 = +90% / 7 = +100%

A été sur scène et revient pour être maquillé pour son rôle (auparavant : figuration). Une scène vient d’être jouée et il entre en scène dans un ¼ heure. Il est « calme », dans l’attente, non agité mais tendu, silencieux.

· Continuum 3 : il se conforme à la réalité d’un autre. L’Autre conçu comme l’imaginaire du metteur en scène : en fait, l’Autre, c’est son rôle de théâtre.

· Continuum 6 : existe spontanément dans le sens « automatique », « dans le coup ».

Il improvisera peu après ce deuxième test pendant la première partie de cette première théâtrale.

Henri               3                     28/6/95

1 = -60% / 2 = 0% / 3 = 0% / 4 = +65% / 5 = +55% / 6 = +50% / 7 = 0%

Ce test est hors du contexte du théâtre et a été prévu pour voir la différence entre le fait de jouer un rôle et la vie quotidienne. Il est à son travail et semble très occupé par de multiples choses. Il m’insère entre deux coups de fil et passe rapidement le test. Il a l’air très pris tout en me donnant le temps qu’il faut.

Il est en congé par rapport au théâtre. Va bientôt partir en vacances. Il a oublié notre RDV deux ou trois fois et c’est tardivement que je le teste.

En tant que créateur, il n’a pas de production pour l’instant.

 

Jeanne

Jeanne             1                      29/1/95

1 = +40% / 2 = +70% / 3 = +15% / 4 = +30% / 5 = -60% / 6 = +30% / 7 = +30%

C’est le lendemain d’une fête. Cette nuit, elle a fait un rêve qui lui a révélé un état d’angoisse. Elle ne s’explique pas le sens du rêve sauf qu’elle précise que cela survient après une fête très participative un peu dans le genre carnaval.

Elle vient de terminer une série d’objets en céramique et elle poursuit lentement un processus d’écriture.

Jeanne             2                      2/2/95

1 = -70% / 2 = -30% / 3 = +50% / 4 = -20% / 5 = -40% / 6 = +55% / 7 = -70%

Elle a subi une situation « scabreuse » dans son atelier de céramique (mini scandale).

Sensation de fatigue

Jeanne             3                      9/2/95

1 = -70% / 2 = +60% / 3 = +70% / 4 = +35% / 5 = 0% / 6 = 0% / 7 = +20%

Peu d’occasions de travailler mais climat agréable avec les autres.

Jeanne             4                      17/2/95

1 = +90% / 2 = +70% / 3 = +75% / 4 = +70% / 5 = +30% / 6 = +40% / 7 = +35%

« Plus « l’extérieur » parait dur, plus « l’intérieur » est confortable même s’il n’est pas simple de le structurer. »

Jeanne             5                      20/2/95

1 = +80% / 2 = +70% / 3 = +80% / 4 = +80% / 5 = +80% / 6 = +60% / 7 = +55%

Elle a arrêté toute lecture et elle laisse libre cours à ses pensées. Elle a réalisé quelques projets.

Jeanne             6                      24/2/95

1 = +70% / 2 = +85% / 3 = +80% / 4 = +60% / 5 = +25% / 6 = +85% / 7 = +35%

Elle a besoin de vivre son monde et de le faire exister (même si c’est très peu) soit par la céramique, soit par l’écriture.

Jeanne             7                      10/3/95

1 = +85% / 2 = +75% / 3 = +95% / 4 = +95% / 5 = +40% / 6 = 0% / 7 = +50%

« Depuis deux jours je passe de longues heures à créer en pensées et en pratique. »

· C’est un commentaire global différent de celui du moment de la passation, au moment réel du test. En fait, il y a deux jours qu’elle a fait des réalisations et elle vient de terminer un cycle selon elle. C’est la fin du stade de réalisation et le retour à la disponibilité à l’Autre. Elle entre, selon elle, en zone neutre où elle prend du recul par rapport à la création : « il ne m’en faut plus ! .»

Pour l’instant, elle est dans une « zone neutre » c’est-à-dire une période assez vague qui suit la fin d’un cycle et de laquelle la disponibilité à l’Autre reprend son cours c’est-à-dire redevenir accessible.

Jeanne             8                      17/3/95

1 = +95% / 2 = +100% / 3 = +90% / 4 = +10% / 5 = -20% / 6 = +40% / 7 = +90%

« Je suis en phase de réalisation mais le travail créatif est plus long et laborieux. Je ne sais pas pourquoi. »

Jeanne             9                      22/3/95

1 = +100% / 2 = +95% / 3 = +100% / 4 = +95% / 5 = +100% / 6 = +85% / 7 = +90%

Période de réalisations avec travail positif.

Jeanne             10                    9/4/95

1 = +85% / 2 = +80% / 3 = +20% / 4 = 0% / 5 = -20% / 6 = +85% / 7 = 0%

Elle a été malade une dizaine de jours. Elle a terminé un cycle de création : une série d’objets en céramique. Sur le plan de l’écriture, elle a commencé à formuler un projet (a fait trois scènes) théâtral. Elle est restée trois semaines sur un malaise, elle se sentait mal. Elle avait la perception d’une souffrance intérieure sans pouvoir lui donner de visage. Celui-ci s’élabore à présent.

· Continuum 1 : Elle coche dans son monde à elle. En fait, c’est plus précis. Le contenu psychique vient des autres et la fait souffrir mais le regard est intrinsèquement le sien et celui-ci encadre le tout. Donc, c’est quand même son monde à cause de la prégnance de son regard sur le matériau psychique qui vient des autres. Un regard à soi, des formes à soi mais contenu extérieur.

· Continuum 5 : Petite angoisse provenant du fait que son regard personnel à une certaine précarité face à la prégnance de l’Autre.

· Continuum 7 : C’est au milieu qu’elle coche car il s’agit d’à-coups créatifs et non d’un flux continu.

Jeanne             11                    18/4/95

1 = +110% / 2 = +110% / 3 = +5% / 4 = +110% / 5 = -70% / 6 = +110% / 7 = -35%

Elle a terminé un texte pour le théâtre. Ce texte a suscité de vives polémiques tout à fait inattendues avec son fils (qui fait des mises en scènes en autre) au sujet de son contenu. Cela l’a perturbée.

Jeanne             12                    21/4/95

1 = 0% / 2 = -20% / 3 = -35% / 4 = -20% / 5 = +20% / 6 = +10% / 7 = -10%

Elle a terminé un travail de céramique et un travail d’écriture. Elle est au départ de nouveaux projets.

 

Jeanne             13                    14/5/95

1 = -75% / 2 = -55% / 3 = -55% / 4 = -30% / 5 = -20% / 6 = -45% / 7 = -65%

Ne produit pas. Elle a de la visite de famille prévue depuis quelques temps. « Je suis dans le monde des autres ». Nous en profitons pour faire le point sur sa démarche créative.

« Je cherche le climat d’une future exposition au niveau de la forme, de l’esthétique et du contenu, bref, à tous points de vue. C’est vague,  je cherche quand je m’endors et quand je me réveille. J’ai fait un ou deux dessins mais ils ne sont pas bons. Cette recherche ne me quitte jamais, c’est mis de côté, on ferme la porte mais c’est là. »

« Je cherche à trouver la forme qui rejoindrait l’abstrait et le concret. Une forme suffisamment simple mais très parlante, la ligne de base d’une exposition, le climat de base d’une expo, c’est ça que je cherche. J’ai essayé avec le monde géométrique et avec des pièces réalistes mais c’est pas ça. Je cherche des compromis entre les formes géométriques qui m’intéressent mais qui sont dénuées de vie et les pièces réalistes qui sont trop « bavardes ». Je veux une retenue, que cela soit intériorisé, suggéré. Il faut négocier une forme, le compromis.

Quelle tension choisir entre une ligne droite, une ligne courbe ? Quand j’ai trouvé, on peut y aller. »

Jeanne             14                    22/5/95

1 = -80% / 2 = -80% / 3 = +10% / 4 = -85% / 5 = -40% / 6 = +15% / 7 = -10%

« Au niveau mental, mes démarches se précisent peu à peu quant à la forme de ce que je projette de faire en céramique. Pour ce qui est de l’écriture, je piétine sur une scène. Mais depuis quelques jours, je manque de temps pratique pour travailler à mes affaires. »

Jeanne             15                    24/5/95

1 = -90% / 2 = -85% / 3 = -50% / 4 = -75% / 5 = -40% / 6 = -10% / 7 = -70%

Elle est à la veille de partir en Suisse et le temps manque.

Jeanne             16                    29/5/95

1 = +70% / 2 = +70% / 3 = +60% / 4 = +70% / 5 = +40% / 6 = +70% / 7 = +55%

Elle a commencé à dessiner des pièces. Elle a le plan d’une scène qui lui manquait. Elle doit encore terminer des travaux de céramique et d’écriture avant d’aller plus avant dans des nouveaux projets. Aujourd’hui, « je n’ai rien fait dans le ménage, j’ai travaillé pour moi. »

Jeanne             17                    3/6/95

1 = +85% / 2 = +50% / 3 = +90% / 4 = +10% / 5 = -20% / 6 = +80% / 7 = +50%

Elle a commencé à écrire la scène manquante et elle a dessiné des projets. Elle a aussi travaillé aux objets à finir en céramique.

Elle a des difficultés majeures à assumer le climat familial avec « son discours loin de mes préoccupations essentielles ». Elle a la sensation d’une solitude mentale.

Jeanne             18                    8/6/95

1 = +95% / 2 = +90% / 3 = +95% / 4 = +95% / 5 = -60% / 6 = +50% / 7 = +85%

Elle a passé de nombreuses heures à écrire : « travail difficile mais positif ». « Je suis en phase de réalisation positive. »

Ces deux derniers jours, les contacts sociaux l’épuisent particulièrement à l’atelier de céramique et dans son entourage : « je tombe endormie ». « C’est épuisant d’écouter les autres, j’ai un refus presque physique. »

· e- à l’avant et à l’arrière.

Jeanne             19                    11/6/95

1 = +95% / 2 = +100% / 3 = +100% / 4 = +25% / 5 = -30% / 6 = +100% / 7 = +80%

« J’ai beaucoup de mal à ne rien oublier des tâches quotidiennes, j’oublie d’effectuer certains achats par exemple, je dois faire un effort constant pour me maintenir ici et maintenant. Sans cesse, je dois me ramener au point zéro. »

Elle a terminé une pièce qui n’est pas tout à fait au point. Elle désire terminer une nouvelle et réaliser ses céramiques.

· Nous avons ici un discours critique alors que l’avant-plan et l’arrière-plan montre nettement un prépondérance de la réaction k +. Cela nous laisse perplexe. Il semble que Jeanne tout en ayant la réaction k + soit capable de prendre ses distances par rapport au détachement. Il semble que le test ne prenne pas en compte ce regard encadrant le k + et qui est plus de type k -. C’est étonnant de voir cette personne conserver une distance vis-à-vis de sa propre dynamique interne sans que son moi ne soit « critique » au test. C’est cet aspect curieux de la confrontation du test avec l’empirie qui nous permet d’évaluer l’approche psychiatrique comm trop réductrice dans le cadre de ses nosologies. Ce commentaires de Jeanne sur sa propre dynamique nous invite à plus de nuances.

Jean-Marie

Jean-Marie                 1                     29/1/95

1 = -70% / 2 = 0% / 3 = +85% / 4 = +85% / 5 = 0% / 6 = 0% / 7 = +85%

Vient de finir d’écrire une pièce de théâtre et doit en écrire une autre qui est en fait une commande. Cela génère un conflit entre le fait d’avoir gagner quelque chose et l’inquiétude de refaire à nouveau autre chose.

Jean-Marie                 2                     2/2/95

1 = +35% / 2 = +30% / 3 = +35% / 4 = +30% / 5 = +30% / 6 = +70% / 7 = +20%

Aujourd’hui, deux projets de création se sont mis en place, il s’agit de deux commandes. La passation vient après avoir des nouvelles de ces projets et après avoir vu les commanditaires. Les deux projets paraissent en très bonne voie de réalisation. Ils sont, actuellement, le résultat d’un effort théorique intense. Ils devront être réalisés pour les mois à venir.

Jean-Marie                 3                     9/2/95

1 = +80% / 2 = +60% / 3 = +75% / 4 = +75% / 5 = -75% / 6 = +45% / 7 = +50%

Est sur un nouveau projet. Attentes d’informations indispensables. Tension fortes. « Comment faire cette pièce ? ».

Jean-Marie                 4                     20/2/95

1 = +70% / 2 = +65% / 3 = +70% / 4 = +70% / 5 = 0% / 6 = +60% / 7 = +65%

Processus de création en route :phase de recherche. hésitations, quelques repères apparaissent. Encore de la confusion, manque d’assurance mais il y a une matière qui a un début d’organisation.

Jean-Marie                 5                     24/2/95

1 = +65% / 2 = +65% / 3 = +85% / 4 = +65% / 5 = +10% / 6 = +55% / 7 = +50%

Processus de recherche qui commence à donner naissance à des éclairs - encore incertains - de création pure.

Jean-Marie                 6                     10/3/95

1 = +70% / 2 = +70% / 3 = +125% / 4 = 0% / 5 = 0% / 6 = +70% / 7 = +60%

Phase de création volontariste contre toute dérive extérieure. forte tension (presque limite) pour maintenir un centre de création en soi avec la volonté de partager une vie quotidienne et des relations.

Jean-Marie                 7                     22/3/95

1 = +90% / 2 = +85% / 3 = +80% / 4 = +30% / 5 = -25% / 6 = 0% / 7 = +20%

Nouvelle étape : beaucoup d’informations quasi massives avec pas assez de recul pour passer à la phase créative si ce n’est quelques éclairs et quelques certitudes.

Jean-Marie                 8                     9/4/95

1 = 0% / 2 = 0% / 3 = 0% / 4 = +100% / 5 = +90% / 6 = 0% / 7 = +70%

« J’ai trouvé ! ». Processus de création en cours. Création à l’état pur (simultanéité du processus mental et de l’acting).

A difficile de choisir les « sympa » et les « antipathiques » au test.

· Continuum 1, 2, 3 : « C’est une position d’équilibre où s’attacher, se conformer ne gêne plus autant car on sait que ça roule à l’intérieur ». C’est une position de force autocentrée et suffisante pour alimenter une négociation et non une lutte contre quelque chose.

· Continuum 5 : Certitude d’être dans « l’affirmation de quelque chose » et non dans la « négation de quelque chose » comme moteur créatif.

Une structure a émergé et fonctionne : l’écriture existe. « Je sais (je crois) que je saurai le faire sauf si j’ai une « bronchite mentale ». »

Il y a donc dorénavant un saut qualitatif : c’est la passage du « non » (réagir contre quelque chose) au « oui » (agir avec quelque chose en soi).

Jean-Marie                 9                     18/4/95

1 = 0% / 2 = 0% / 3 = +75% / 4 = +75% / 5 = +45% / 6 = 0% / 7 = +60%

Toujours sur le processus de création. Vie quotidienne malgré tout présente avec les soucis des autres dont il faut tenir compte et qui contrarient le processus de création mais sans l’empêcher.

Jean-Marie                 10                   21/4/95

1 = 0% / 2 = 0% / 3 = +75% / 4 = +100% / 5 = +100% / 6 = 0% / 7 = +100%

Phase de forte création. Sentiment d’avoir « trouvé » et qu’il faut exploiter. Soulagement et sérénité. Sentiment très fort de contentement.

Jean-Marie                 11                   22/5/95

Jean-Marie n’a pas été testé pendant un mois alors qu’il s’agissait d’une phase de faire-oeuvre (écriture) intense. C’est important à signaler dans le sens où ce qui précède était les tâtonnements, la recherche de faits, les lectures, et les premiers jets. Pendant le début du mois de mai, Jean-Marie est passé à l’écriture active. Il ne nous a pas été donné l’occasion de le tester pendant ce temps. Ce qui suit est à analyser à la lueur d’une étape importante manquante et non dans la continuité des dix premiers tests. Les profils 9 et 10 montrent le seuil de cette étape, l’entrée dans cette étape.

1 = +75% / 2 = +50% / 3 = +110% / 4 = +85% / 5 = +85% / 6 = 0% / 7 = +90%

Processus de création en continuité.

Jean-Marie                 12                   24/5/95

1 = +90% / 2 = +85% / 3 = +90% / 4 = +85% / 5 = 0% / 6 = 0% / 7 = +45%

Processus de création : ce qui a déjà été écrit est soumis à l’équipe qui va monter la pièce. Climat un peu stressant : « ce qu’on a créé n’est pas toujours compris », « une certaine tension avec les autres »; ce qui n’empêche pas, n’entrave pas la suite du processus.

Est à la veille de partir en voyage pour la Société des Auteurs.

Jean-Marie                 13                   29/5/95

1 = +65% / 2 = +50% / 3 = +40% / 4 = +45% / 5 = +30% / 6 = +5% / 7 = +20%

Halte, interruption dans le processus de création qui est en veilleuse. « Il faut maintenir l’état de création en étant dans l’impossibilité matérielle d’y répondre pour l’instant ».

Jean-Marie                 14                   3/6/95

1 = +20% / 2 = +20% / 3 = +25% / 4 = +20% / 5 = +60% / 6 = -20% / 7 = +30%

Interruption dans le processus d’écriture à cause de la fatigue (voyages en Suisse et à Paris). Partagé entre la certitude que le processus de création n’est pas tari et l’impossibilité d’y répondre avant deux ou trois jours.

Il faut « recharger les batteries » c’est-à-dire récupérer nerveusement. Donc, période d’attente relativement sereine mais il est toujours un peu inquiet, « ce qui ne se produit pas en pleine activité créatrice, concrète : on écrit, on avance. »

Jean-Marie                 15                   8/6/95

1 = +85% / 2 = +85% / 3 = +80% / 4 = +80% / 5 = +85% / 6 = +85% / 7 = +80%

Période de création relancée. Le travail créatif est accompli à 60% - 70%.

« Il y a toujours implicitement le regard de l’Autre en matière de création théâtrale. On écrit pour soi et pour l’Autre : c’est un double mouvement. La difficulté consiste à avoir bien le regard et l’oreille de l’Autre en soi : dédoublement de soi. »

Est toujours sur la même pièce et doit la finir pour le 30 juin 1995 (impératif contractuel).

Jean-Marie                 16                   11/6/95

1 = +85% / 2 = +80% / 3 = +85% / 4 = +100% / 5 = +100% / 6 = -40% / 7 = +80%

70% de fait.

Processus de création en cours : « tranquille », « relativement » serein : « on ne sait jamais, la panne peut toujours arriver. »

 

Joseph

Joseph             1                      12/5/95

1 = +90% / 2 = +20% / 3 = -50% / 4 = -40% / 5 = -10% / 6 = +95% / 7 = 0%

Dans une semaine sont prévues deux représentations (concert et cabaret). Mais il y a quelques problèmes : « je suis bouffé par mes partenaires qui se repose sur moi, j’ai moins de temps pour moi. » Au niveau de la musique, même chose : « je suis coincé par la lenteur de certains. »

Pour le processus de création, à part le fait qu’il soit freiné par des facteurs extérieurs, il se situe après l’autoémergence et avant la reconnaissance. C’est le stade de mise au point et « les dés sont jetés. »

« Je m’accroche (m+!) à ce qui est pour l’instant mais j’attends avec impatience d’en finir avec les deux trucs en cours pour foncer dans des trucs plus fou. »

· Production : « difficilement, je me force. »

· Continuum 3 : coche dans « se conformer » dans le sens d’adapter le processus créatif aux autres.

· Continuum 4 : ce n’est pas un processus en soi puisqu’il y a négociation avec les autres, d’où la dispersion; c’est plutôt une dispersion due à une surcharge provenant des autres.

· Nous notons le e- et le frein qui est mis en d± ainsi que le m+! (« je m’accroche »)

Joseph             2                      20/6/95

1 = +95% / 2 = 0% / 3 = -30% / 4 = -50% / 5 = -50% / 6 = +20% / 7 = -50%

Il ne comprend pas bien ce que je lui demande, il est « dans le gaz ». Il me dit qu’il est en attente « sereine » d’appliquer un projet. « Je m’anesthésie beaucoup en ce moment. » En fait, il m’explique qu’il « consomme » pas mal ces temps-ci. Il semble accuser le coup de cette attente forcée pour ses projets.

Joseph             3                      23/6/95

1 = -20% / 2 = +30% / 3 = +30% / 4 = 0% / 5 = 0% / 6 = +20% / 7 = +20%

Il a beaucoup d’envie et de sérénité. Sur son échelle de valeur de niveau 10, il se situe à 6-7. Le lendemain du deuxième profil du 20/6, joseph a éclaté, il n’a pas été aux répétitions et a « déchargé un maximun ». Cette crise lui a fait le plus grand bien et lui a permis d’extérioriser sa souffrance intérieure.

· Production : application en cours (texte et musique).

Joseph             4                      29/6/95

1 = 0% / 2 = +30% / 3 = +50% / 4 = +20% / 5 = 0% / 6 = 0% / 7 = +50%

Il est en attente d’évacuer ce qui est maintenant « dépassé » (problèmes techniques et changement de personnes au niveau du groupe) pour actualiser le nouveau. Virage en attente. Nous sommes à l’avant-veille d’un concert important dans le sens où le dernier concert n’a pas « donné ».

· Production : il est pris par des problèmes d’argent et de quotidienneté qui le « pompe » par rapport aux choses qu’il doit faire. « Je suis bloqué par d’autres contingences extérieures au processus de création. Mais celui-ci revient tout doucement. Ou sinon, je coince car je n’arrive pas à traduire en chanson une perception très nette d’autres vérités par rapport à la réalité établie de l’éducation. »

Joseph             5                      30/6/95

1 = -30% / 2 = +40% / 3 = 0% / 4 = 0% / 5 = -50% / 6 = 0% / 7 = 0%

Testing  juste avant le concert.

Angoissé, un peu « traqué », un peu euphorique (alcool), très stressé. « Je me laisse aller avant de me concentrer ». Donc, nous le testons dans ce « laisser-aller » et nous n’insistons pas.

 

JP

JP               1              22/5/95

1 = -90%  et  +90% / 2 = -10%  et  +90% / 3 = +90% / 4 = -90% et +90% / 5 = -90%  et  +90% / 6 = -90% / 7 = +90%

Habituellement, création sur commande.

Un de ces derniers projets a été apprécié par son patron mais il se plante : il faut refaire le projet et cela dans une période où il est très dispersé et a envie de se concentrer pour éviter la dispersion. Il a envie d’utiliser son bagage pour avancer. Il a besoin d’organisation ce qui est nouveau par rapport à son fonctionnement antérieur plutôt impulsif. Ce week-end, sa distraction lui a causé une « rencontre » avec une voiture, il a été à l’hôpital mais rien de grave. « Retour sur terre plutôt violent. »

· Production : plusieurs projets dont un journal pour adolescent selon deux tranches d’âges (10-12 et 12-16) appelé « images avant les mots ». C’est un projet ayant une finalité très communicative : comment gérer (position critique très importante) une création qui se centre fortement sur la perception / sensorialité de l’Autre. Sinon, par rapport au travail, « Je dois tout le temps me mettre en question jusqu’à ce que ce soit compris et bon :  avant que quelqu’un me critique, je me critique. »

· Nous pouvons observer le d-!! qui, pensons-nous, constitue un frein à la création pour permettre de revoir le travail accompli et de faire un bilan critique dans le cas présent de ce profil. Peu après l’avoir testé, son patron est venu chez lui pour revoir le projet sous un regard plus critique. JP l’attendais et s’était préparé à « redescendre sur terre ».

JP               2              25/5/95

1 = 0% / 2 = 0% / 3 = 0% / 4 = -50% / 5 = 0% / 6 = -80% / 7 = +95%

Il a le sentiment d’être le « chaînon manquant » entre son expérience et le besoin de la partager. « Une solution de continuité en quelque sorte. » Il me raconte toute la différence entre la tortue et l’aigle. Imaginons un espace à parcourir et à découvrir. La tortue parcoure pas à pas et fait sa sélection en fonction de ce qu’elle rencontre. L’aigle, quant à lui, plane au-dessus et en une seule décision, il fonce sur ce qu’il a choisit.

Il exprime le fait qu’il a le sentiment d’être dans l’entre-deux de ces deux façons d’appréhender les choses : à la fois tortue et aigle, à la fois « à petit pas » et « d’un seul coup ».

· Production : phase de réalisation d’un projet en l’adaptant aux nouvelles contraintes. Remodelage de la base qui est acquise. C’est très pragmatique, « au millimètre près », alors qu’au début, c’était plus émotionnel.

JP               3              1/6/95

1 = 0% / 2 = -45% / 3 = +90% / 4 = -90%  et  +90% / 5 = 0% / 6 = -70% / 7 = +120%

Il est dans une phase hypersaturée de projet : neuf projets qui tourne en même temps à des stades différents et qui avancent. Il se sent à l’aise dans le flux / raz-de-marée parce que cela lui permet d’exprimer une personnalité différente. Il met cela en rapport avec sa faculté d’adaptation.

Il y a une nette reconnaissance de ses productions par les autres. C’est une victoire par rapport à son patron qui est venu le rechercher malgré un contentieux qui les avait distanciés.

Il me raconte que la création n’est qu’un moyen et non un but, il a un but très concret auquel la création sert d’ascenseur.

· Production :il est en production intense et est stressé. Il a créé sur le pouce un projet en vingt minutes. Autre chose, il avait prévu trois jours pour un travail mais il est obligé de déborder d’un jour parce que son patron est en retard. De fait, il « perd son cul » au niveau financier. C’est une situation délicate entre créer et produire.

· Continuum 2 : il coche vers « l’attachement » dans le sens où « je fais de la création pour autrui puisque c’est des commandes. » De plus, toujours par rapport à cet « attachement », il s’attache du point de vue de sa concentration car il a une grosse production ces temps-ci.

· e - à l’arrière : friction avec son patron ou avec sa compagne ?

JP               4              8/6/95

Il a coché tous les points « zéro » en mettant de chaque côté une petite flèche vers les deux pôles du continuum.

Période d’attente : dix projets en cours mais situation affective de couple en plein blocage ou au point mort. C’était déjà présent en arrière-plan depuis quelques temps. Il est en pleine contradiction par rapport aux décisions de sa compagne.

Processus créatif bloqué, en attente à cause de cette situation de couple. « Je suis un poisson entre-deux eaux. »

JP               5              13/6/95

Il a coché tous les « zéro » sans petites flèches cette fois-ci.

« Au point mort total »

Forcing au niveau de la production créatrice. Il a envie de s’occuper de son jardin.

Le couple est au point mort total, il est spectateur face à la situation du couple de plus en plus (« c’est chiant »).

· Nous avons du k o à l’avant-plan associé à du p ± ! ce qui nous donne le point mort total !

 

 

JP               6              19/6/95

1 = -40%  et  +30% / 2  = -10%  et  +30% / 3 = +90% / 4 = 0% / 5 = 0% / 6 = +40% / 7 = 0%

La situation du couple est tranchée : séparation.

« J’ai plein d’envie de me retourner sur moi-même, de sortir et de créer. Je suis tiré entre des trucs, je pars dans un sens et puis dans un autre. Je suis écartelé de toutes parts. J’ai envie de créer mais j’ai peu d’énergie. »

· Production : vite terminer un projet et prendre trois jours de vacances.

· Nous avons le d - (arrêter, freiner, vacances), le moi catastrophe Sch ±± (« écartelé de toutes parts »), la vidange du k o de l’avant-plan du profil précédent qui est passé à l’arrière plan.

 

Mité

Mité            1              20/5/95

Coche aux extrêmes des deux côtés en même temps sauf 3 = -40% et +150% / 7 = +150%

Projet d’écrire un livre en cours sur un peintre : phase de lancement. Théâtre : rien en ce moment. Toujours en méditation sur ses toiles, c’est un « état ».

Période de grande intensité créative : forte potentialité et pas nécessairement production.

Gestion des « surdoses » aux continuums par l’équilibre : « bras tendus entre deux pôles qui s’équilibrent eux-mêmes ».

· Production : forte.

· Au moment du test et de sa présentation, mité avait trois toiles en tête...tout en préservant sa relation avec nous. C’est un ambidextre très poussé dans beaucoup de domaines. Lui et un ami peignent ensemble malgré leurs différences et essayent d’intégrer une personne qui « ne sait pas » peindre pour faire quelque chose ensemble. Il a une volonté de confusion, de casser l’image du créateur replié dans son coin. C’est un « art de communication » selon lui, il veut aller vers l’Autre dans le cadre de la création.

Ils ne veulent pas dominer la création, ils veulent suivre le cours de la création tout en banalisant le processus. « Pas de mérite, pas de gonflette, c’est juste une prédisposition aiguisée par le temps comme un bon viticulteur fait un bon vin ».

« La vrai gestion doit tenir compte de l’accident. Autrement dit, on ne possède pas la création, c’est quelque chose que l’on gère. Les choses ne se passent pas nécessairement comme on le voudrait ».

Mité            2              22/5/95

Coche aux extrêmes des deux côtés en même temps sauf 3 = -80% et +150% / 7 = +150%

A une soif d’images (créées par lui ou générées par les autres), une vraie boulimie sur le plan visuel :« comme si j’absorbais ». Pour lui, le fait de créer est assimilé à une absorption parce que « ce qui sort de moi, c’est aussi quelque chose qui se montre à moi, que je dois recevoir. »

Ecriture à l’arrêt parce qu’il y a consciemment un doute quant à la forme que cela doit prendre : « plus j’ai l’intuition de ce que cela doit être, plus cela va jaillir. » « C’est une question de temps, d’incubation, de cogitation et de macération. »

· Dans ses toiles, nous retrouvons cet aspect ambidextre au niveau conceptuel. En effet, il y a une forte expressivité fortement subjective associée à une « touche » plus représentationnelle comme des mots écrits à même la toile ou des concepts. De même, nous pouvons observer une tendance à l’estompage, à la « diffusion » des limites associée à une « architecture » qui permet au sens de se « rattraper » selon des normes de type gravitationnelle, une sorte de soutien suggéré quelque part sur la toile.

Mité            3              29/5/95

Coche aux extrêmes des deux côtés en même temps sauf 5 = -120% et +150% / 7 = +150%

Suractif au niveau de la recherche d’oeuvre d’art : toujours cette boulimie sensorielle.

· Production : écriture : non; tableau : oui.

· Continuum 5 : proportion entre les extrêmes différentes. L’angoisse est plus longue et plus profonde que la paix intérieure.

Mité            4              2/6/95

Coche aux extrêmes des deux côtés en même temps sauf 7 = +150%

A rencontré une personne. Rencontre aussi avec le sacré presque simultanément.

· Production : dessins, projets divers : « La machine est en route ». A écrit un poème pour un concours et s’est retrouvé onzième sur 4600 personnes. Il a appris cela hier, il a reçu un prix. C’était un concours national avec des écrivains.

Mité            5              15/6/95

Coche aux extrêmes des deux côtés en même temps sauf 5 = -150% et +85% / 7 = +150%

Il se rend compte qu’il y a beaucoup de sacré dans son processus de création et cela semble dû à un facteur extérieur. Il juge cela drôle et curieux comme s’il devait passer par là. « C’est terrible et lourd de sens. » En fait, le contenu de ses tableaux personnels rejoint celui de tableaux d’époques différentes et de personnes différentes. Pour lui, c’est « un pied-de-nez » du destin.

· Production : dessins, projets.

· m- et k ± ! : « ne pas trop ouvrir sinon trop de confusion ». Il semble que le contact avec le « sacré » ait fait passer le k + au k ± !.

Mité            6              22/6/95

Coche aux extrêmes des deux côtés en même temps sauf 5 = -150% et +85% / 7 = +150%

« Recentrage sur soi et retour du balancier ». Il veut passer du sacré à une volonté de se dégager à nouveau d’un contexte. « A partir du moment où le sacré est un contexte, il est trop prenant ». Toute référence est pour lui « quelque soit celle-ci embarrassante à long terme car lourde à porter, « chiante ». »

Donc, tendance au dégagement du contexte sacré.

· Le recentrage sur soi est assez visible en k + ! et en d +.

 

Patrick

Patrick            1                     22/1/95

1 = -40% / 2 = +50% / 3 = +20% / 4 = -80% / 5 = -115% / 6 = -70% / 7 = +20%

Passation du premier test avant une opération à la main droite (refaire tendon du petit doigt qui a été sectionné et qui est fibrosé par le processus cicatriciel) et avant de passer au tribunal car Patrick attaque en justice le C.P.A.S. de sa localité qui refuse de lui octroyer des ressources financières indispensables pour entamer un cycle supérieur dans une académie (section peinture monumentale). Il est donc concentré sur ces deux problèmes.

Par rapport à la création, il est en observation - dans le détachement - et a envie de créer. Il n’a pas de reconnaissance par rapport à la société, c’est même l’inverse. Il n’accepte pas la vraisemblance du monde.

· Production : non mais commence une toile ce soir.

Patrick            2                     28/1/95

1 = -70% / 2 = -70% / 3 = +95% / 4 = 0% / 5 = -65% / 6 = +20% / 7 = +60%

Il est sorti de l’hôpital depuis un jour. Hier, il a eu une syncope de douleur et d’hypotension. Il a été au tribunal peu après dans cet état. Au tribunal, la décision est reportée mais de pronostic favorable. Il est assez content.

A mal à sa main et ne prend pas de médicament.

Sa compagne part ce jour pendant une période de dix jours.

Il lit beaucoup.

· Production : non, la toile du 22/1 est en suspens. Ce jour, il médite dessus.

Patrick            3                     30/1/95

1 = -70% / 2 = -30% / 3 = +70% / 4 = +35% / 5 = -10% / 6 = -40% / 7 = +75%

A bu un coup. Compagne partie.

· Production : en phase d’observation

Patrick            4                     2/2/95

1 = +70% / 2 = +60% / 3 = +55% / 4 = -60% / 5 = +30% / 6 = +20% / 7 = +70%

En a ras-le-bol, il a envie de peindre. Son est corps souffrant, sa main droite est douloureuse, son petit doigt est bloqué. Il est très fatigué.

· Production : non

Patrick            5                     5/2/95

1 = +70% / 2 = -75% / 3 = +75% / 4 = +90% / 5 = +80% / 6 = -90% / 7 = +80%

Il peint seul chez sa compagne qui est absente, il a peu fumé de l’herbe.

· Production : oui, vient d’arrêter il y a peu à cause de ses yeux qui lui font mal.

Patrick            6                     16/2/95

1 = +80% / 2 = 0% / 3 = +95% / 4 = +90% / 5 = +70% / 6 = -70% / 7 = +80%

· Production : oui, commence une nouvelle peinture. Il y travaille depuis deux à trois jours.

Patrick            7                     17/2/95

1 = +80% / 2 = 0% / 3 = +90% / 4 = +90% / 5 = +90% / 6 = -90% / 7 = +95%

Depuis cinq mois, il est en attente du verdict; or, il vient de le gagner ce jour. « J’ai gagné le droit d’exprimer ma vocation, c’est écrit dans le papier, c’est ma reconnaissance, je suis persuadé que c’est le juge qui m’a défendu. » Il va pouvoir remboursé ses dettes.

Il a bu et est rempli de grosses émotions positives. Il va pouvoir payer son minerval. « C’est la paix intérieure, c’est un cactus hors du pied. »

Il a gagné son procès par jurisprudence c’est-à-dire par indulgence du juge. C’est un des premiers à gagner ce genre de procès. La jurisprudence veut dire qu’il n’y a pas de loi pour ce genre d’affaires. En Belgique contrairement à la Hollande par exemple, l’artiste n’est pas reconnu, sur la carte d’identité, il est écrit : « sans profession ».

C’est donc pour lui un jugement d’ordre éthique, « spirituel » qui fait cas de figure.

Patrick ressent le juge depuis longtemps comme un grand-père bienveillant. Il fait le rapprochement avec la photo du facteur s dans la série 4 du test qui lui ressemble. « Il a la même tête, sévère mais qui donne bonne conscience, le grand-père quoi ! Dur avec ses fils mais tendre et protecteur avec ses petits-fils. C’est comme mon propriétaire (celui-ci lui a fait « crédit » du loyer pendant de nombreux mois allant jusqu’à accepter le cas échéant d’être payé en toiles peintes par lui). »

Patrick            8                     20/2/95

1 = +20% / 2 = -30% / 3 = +90% / 4 = +65% / 5 = +55% / 6 = -60% / 7 = +85%

C’est un lendemain de guindaille, il est fatigué. Beaucoup de démarches administratives suite au procès (banque, C.P.A.S., propriétaire,...) Au C.P.A.S., il a brandi victorieusement son papier comme quoi il avait gagné contre toute attente.

· Production : non depuis deux jours.

Patrick            9                     25/2/95

1 = 0% / 2 = 0% / 3 = +100% / 4 = +100% / 5 = +100% / 6 = -100% / 7 = +100%

« Tête en l’air ». Les problèmes d’argent sont réglés.

· Production : une toile en cours « je ferme les yeux et je la vois !. »

 

Arrêt du testing car se sent mal à l’aise. Il préfère arrêter ce 6 mars. Il reprendra par la suite. Il ne sait pas pourquoi exactement.

Patrick            10                   19/3/95

1 = -50%  et +50% / 2 = -50%  et +50% / 3 = +100% / 4 = +100% / 5 = +70% / 6 = -100% / 7 = +100%

A reçu son argent.

· Production : oui. Quatre toiles en même temps.

 

A tendance à cocher les continuums en partant de l’idée d’un « bilan » des derniers jours. Je lui explique qu’il s’agit de cocher dans l’état d’esprit au moment du test. J’ignore ce qu’il en est auparavant. Il m’assure que il venait de commencer cette façon et que les autres profils sont réglés sur l’état d’esprit pendant la passation.

Patrick            11                   21/3/95

1 = +95% / 2 = +55% / 3 = +100% / 4 = +60% / 5 = +85% / 6 = -80% / 7 = +75%

Hier, a négocié son « territoire » (son espace vital) pour créer avec sa compagne levant ainsi un certain malaise. A payer son minerval et est inscrit officiellement dans son école. A payé son propriétaire. Ce sont des choses qui le tracassaient.

· Production  : oui, intense. Débute un autre style en peinture, les toiles sont plus petites, c’est plus rétracté.

Patrick            12                   12/4/95

1 = +75% / 2 = +30% / 3 = +100% / 4 = +90% / 5 = +100% / 6 = -100% / 7 = +100%

Changement dans le style de peinture depuis un mois : c’est plus petit et plus structuré. Plus de problème matériel et normalisation au niveau du petit doigt.

Exposition prévue ce week-end : il va activement vers les gens.

· Production : intense (grosse période de productivité).

Prise de conscience de l’importance du monde des autres depuis deux semaines : « Chaque personne a une place bien déterminée. »

Avant ce déclic, c’était la guerre entre le monde des autres et le sien. « C’était le mien avant tout, j’étais égoïste à mort. » Maintenant, il a remarqué que sa compagne avait de l’importance dans sa vie et, récemment, un décès a fait émergé la sensation que les autres sont importants. A compris que s’il continuait à faire comme avant, il allait abandonné les autres et être lui-même abandonné. Il a envie de communiquer, de mettre en commun des choses dans le couple. Il a envie de produire pour montrer ce qu’il fait (exposition).

Il reste malgré tout « l’essence de l’ancien monde » : « je sors de l’eau, le temps que je sèche, il restera des parties mouillées. » Son essor pour cette nouvelle situation lui donne confiance : « il y a des pointes en coulisses, j’ai mis de l’huile pour que cela passe mieux, j’écoute les autres avant de donner mon avis ».

Patrick            13                   15/4/95

1 = +70% / 2 = -20% / 3 = +80% / 4 = +35% / 5 = +90% / 6 = -95% / 7 = +100%

Vernissage ce jour. Compagne en voyage. Vacances scolaires. A fumé de l’herbe et bu du vin.

Exposition prévue en juin.

· Production : a commencé une toile hier.

Patrick            14                   17/4/95

1 = +30% / 2 = +30% / 3 = +100% / 4 = +30% / 5 = +50% / 6 = -80% / 7 = +100%

Bons échos du vernissage.

· Production : oui.

Patrick            15                   3/5/95

1 = +25% / 2 = -15% / 3 = +100% / 4 = +40% / 5 = +10% / 6 = -10% / 7 = +100%

A trouvé son « truc » du moment et l’explore. Depuis deux mois, il est dedans, cela fait deux ans qu’il cherchait.

A été reconnu par ses professeurs (ils lui ont commandé une fresque pour le tour de France) et ses proches. Il ne se contente pas de ce qu’il fait : la toile qu’il vient de terminer lui permet de passer à l’étage suivant, c’est une progression.

· Production : oui. Il finit une toile pour demain et en commence une autre ce soir.

Patrick            16                   12/5/95

1 = +80% / 2 = -10% / 3 = +100% / 4 = +25% / 5 = +45% / 6 = -50% / 7 = +75%

Préparation de l’inauguration d’un foyer culturel prévue pour Septembre. Ce foyer a une visée créative nette qui rentre « tip top » dans sa démarche créatrice. En effet, « pour pouvoir continuer à peindre, je dois pouvoir faire autre chose que de la peinture (théâtre, musique, animation,...). Ce projet de foyer culturel est un « gros truc » pour lui pouvant aller jusqu’à la possibilité d’en faire un « gagne-pain ». Il est question de saisir la « chance de sa vie ». C’est donc un projet qui lui tient à coeur et il se sent prêt. Il n’a pas peur de se « planter ». Il connaît cette information depuis lundi 8/5/95.

· Production : oui. Une nouvelle toile en préparation et une autre en cours à l’école (il travaille 6-7h/j à l’école sur cette toile).

Patrick            17                   14/6/95

1 = +80% / 2 = -40% / 3 = +100% / 4 = -10% / 5 = +30% / 6 = -10% / 7 = +90%

Vernissage dans trois jours.

A peur parce que sa compagne part pendant deux mois d’ici quinze jours. Il rentre en lui pour ne pas craquer et se protège (il rêve qu’elle le quitte).

Il se pose la question s’il doit exposer dans une galerie et assumer la vente de ses toiles ou accepter une opportunité plus importante qui se présente et donc ne pas vendre. Cela n’interfère pas sur son processus de création mais plutôt dans son rapport à l’Autre. Il freine fort sa pensée pour éviter que cette problématique n’influence son rapport à l’Autre et ne le déstabilise.

· Production : oui, une toile en cours.

Patrick            18                   18/6/95

1 = +25% / 2 = +55% / 3 = +95% / 4 = +10% / 5 = +35% / 6 = -50% / 7 = +90%

Vernissage hier : retours positifs, est reconnu et accepté (passage du hy - au hy ±).

A la « tête dans les nuages » et a mal au dos.

Attend que sa toile sèche et des toiles qui ont été commandées.

« J’en ai marre des examens de ...(sa compagne) ». Il est hypernerveux à cause de cela et, en plus, cela l’empêche de la voir. Il a envie de profiter de ses vacances et pour le moment, il ne peut pas (e-).

 

Pierre

Pierre              1                     29/1/95

1 = -20% / 2 = +50% / 3 = +10% / 4 = -20% / 5 = -80% / 6 = +130% / 7 = +10%

En prospection.

Pierre              2                     2/2/95

1 = 0% / 2 = +50% / 3 = 0% / 4 = +40% / 5 = +50% / 6 = +20% / 7 = -50%

En cure : exercices physiques pour augmenter son tonus afin de contrer une récente dépression. Résultats encourageants mais créativité faible.

Pierre              3                     10/2/95

1 = -5% / 2 = +5% / 3 = -75% / 4 = +85% / 5 = +85% / 6 = +15% / 7 = -80%

Période de recharge du tonus général par le sport, une alimentation riche, le repos psychique.

Créativité en latence. « En observation critique de l’environnement social pour préservation contre les énergies négatives ».

 

Arrêt du test pour « influences négatives ».

 

Zénon d’Elée

Zénon d’Elée                1                     5/4/95

1 = +80% / 2 = -95% / 3 = +80% / 4 = +50% / 5 = 0% / 6 = 0% / 7 = 0%

Rupture ce jour de la relation qu’il entretenait avec sa compagne.

Pour l’instant, il cogite et fait des mises au point. Pour lui, c’est un « moment de non-réalité » : ne pas prendre en compte la réalité de la situation. Sa « fiction personnelle » est un peu inadaptée par rapport à la réalité selon lui.

· Production : non.

Zénon d’Elée               2                     20/4/95

1 = +100% / 2 = +40% / 3 = +85% / 4 = +10% / 5 = +10% / 6 = +10% / 7 = +70%

En « bloc » pour les examens.

Zénon d’Elée               3                     25/4/95

1 = +70% / 2 = 0% / 3 = +50% / 4 = +65% / 5 = 0% / 6 = +25% / 7 = +30%

Période de « blocus » pour les examens. Moins de vigueur au niveau mental.

· Production : non.

Zénon d’Elée               4                     3/5/95

1 = +10% / 2 = +20% / 3 = +60% / 4 = +10% / 5 = +20% / 6 = 0% / 7 = +20%

« Démarche apathique comme si je vivais l’instant présent. »

Il modifie son attitude par rapport à ses examens : il étudie peu et réussit. Il « expérimente » cette méthode qui repose sur la confiance dans une réussite programmée « inconsciemment ». Il essaye de ne pas laisser son angoisse l’envahir et le faire retomber dans une étude « conventionnelle, stressée, surmoïque ». Essaye de maintenir un dégagement vis-à-vis de l’attitude traditionnelle de l’étudiant angoissé face aux examens.

· Production : « non », laisse venir, observe et tire ses conclusions.

Zénon d’Elée               5                     9/5/95

1 = +70% / 2 = +65% / 3 = +50% / 4 = -20% / 5 = 0% / 6 = 0% / 7 = +20%

A fumé de l’herbe et est très lucide dans son raissonnement.

Il est partagé entre l’envie de créer complètement et celle de se mettre tout entier dans ses études.

· Production : questionnement intense sur les événements qu’il vit par rapport à son statut d’étudiant.

 

Zéphyrin

Zéphyrin         1                     2/4/95

1 = +60% / 2 = +70% / 3 = +100% / 4 = 0% / 5 = 0% / 6 = +70% / 7 = +90%

Test fait pendant une période de transition. Il est passé d’un stade de confusion à une prise de conscience en cours. Il a aboutit à saisir un concept relationnel qui lui permet d’avoir plus de cohérence par rapport à lui-même, aboutissement d’une démarche commencée il y a six mois. Se stabilise en se centrant sur ce concept.

Série d’acte convergeant vers une « Gamberge » : stade de mise en place.

Zéphyrin         2                     5/4/95

1 = +75% / 2 = +95% / 3 = +100% / 4 = 0% / 5 = 0% / 6 = +70% / 7 = +65%

Processus de mise en place toujours en cours. Essaye de donner la priorité aux actes.

Zéphyrin         3                     25/4/95

1 = 0% / 2 = +10% / 3 = +130% / 4 = -40% / 5 = -65% / 6 = +50% / 7 = +55%

Sa réflexion l’amène à se dire que s’il n’a pas de compagne d’ici quinze jours, « il pète les plombs ». Son énergie pour la création provient de la frustration de l’absence de filles dans sa vie ces temps-ci. Créer est pour lui un besoin de survie et non une démarche pour avancer : ici, il ne peut pas reculer.

A arrêté son boulot car celui-ci menace son identité (éducateur de rue dans un quartier très violent).

· Continuum 3 : c’est plus un besoin qu’une envie.

· Pas de production.

Zéphyrin         4                     28/4/95

1 = 0% / 2 = 0% / 3 = +60% / 4 = 0% / 5 = +60% / 6 = 0% / 7 = +80%

Sa recherche est « répartie sur lui et sur l’Autre parce que ma réflexion tient compte de la référence de l’Autre ». D’après lui, sa puissance créative est assez forte : « ça tourne bien rond ». Ce qui en ressort est « plutôt léger pour le moment ».

· Production en cours.

Zéphyrin         5                     9/5/95

1 = +10% / 2 = +20% / 3 = +80% / 4 = 0% / 5 = -35% / 6 = +30% / 7 = 0%

A fumé de l’herbe. A la recherche d’une inspiration pour avancer dans le processus créatif.

· Production : non.

Zéphyrin         6                     8/6/95

1 = 0% / 2 = +30% / 3 = +25% / 4 = +85% / 5 = 0% / 6 = +75% / 7 = +95%

Phase de transition au niveau mode de vie : rangement et autre approche de soi-même. Alliage voire mariage subtile entre sa conception de lui et celle des autres : meilleure gestion qui se sent nettement dans la production créative.

Celle-ci a consisté dans un arrangement musical où la touche créative se situe dans le mixage ainsi que dans l’accompagnement des musiques par des sons en arrière-plan. Il est nécessaire de bien respecter les morceaux de musique pour rester dans l’harmonie tout en amenant un « plus ».

· Production : en phase de terminer (encore quelques détails) une émission de radio musicale dédiée à une fille qui « l’a flaché ». Il a passé deux à trois jours pour faire une petite heure d’émission.

 


Continuums

1 : (-) pour Monde des autres et (+) pour Monde à soi;

2 : (-) pour Attachement et (+) pour Détachement;

3 : (-) pour Envie de se conformer et (+) pour Envie de créer;

4 : (-) pour Sentiment de dispersion et (+) pour Sentiment d’unité en soi;

5 : (-) pour Angoisse et (+) pour Paix intérieure;

6 : (-) pour Exister spontanément et (+) pour Exister avec effort;

7 : (-) pour Flux créatif en soi nul et (+) pour Flux créatif en soi intense.

Anne

Anne                1                      28/2/95

1 = +80% / 2 = +70% / 3 = +40% / 4 = +60% / 5 = -55% / 6 = +60% / 7 = +60%

Anne                2                      1/3/95

1 = +80% / 2 = +100% / 3 = +100% / 4 = +85% / 5 = -20% / 6 = +100% / 7 = +100%

Anne                3                      2/3/95

1 = +75% / 2 = +75% / 3 = +80% / 4 = +80% / 5 = -70% / 6 = +60% / 7 = +90%

Anne                4                      3/3/95

1 = +80% / 2 = +85% / 3 = +80% / 4 = +95% / 5 = +55% / 6 = +75% / 7 = +75%

Anne                5                      4/3/95

1 = +20% / 2 = +100% / 3 = +95% / 4 = +100% / 5 = -60% / 6 = +30% / 7 = +90%

Anne                6                      5/3/95

1 = +65% / 2 = +65% / 3 = +95% / 4 = +85% / 5 = +55% / 6 = -25% / 7 = +85%

Anne                7                      13/3/95

1 = +70% / 2 = -30% / 3 = +60% / 4 = -30% / 5 = -120% / 6 = +100% / 7 = +65%

Anne                8                      16/3/95

1 = +55% / 2 = +85% / 3 = +100% / 4 = +85% / 5 = +70% / 6 = -60% / 7 = +95%

Anne                9                      19/3/95

1 = +80% / 2 = +90% / 3 = +75% / 4 = +65% / 5 = -65% / 6 = +45% / 7 = +65%

Anne                10                    21/3/95

1 = +65% / 2 = -40% / 3 = +100% / 4 = +80% / 5 = -45% / 6 = +30% / 7 = +75%

Anne                11                    3/4/95

1 = +50% / 2 = -55% / 3 = +70% / 4 = -40% / 5 = -60% / 6 = +50% / 7 = +70%

Anne                12                    4/4/95

1 = +75% / 2 = +40% / 3 = +50% / 4 = +60% / 5 = +60% / 6 = -50% / 7 = +60%

Anne                13                    12/4/95

1 = +50% / 2 = -40% / 3 = +45% / 4 = +70% / 5 = -50% / 6 = +40% / 7 = +45%

Anne                14                    13/4/95

1 = +80% / 2 = +70% / 3 = +75% / 4 = -110% / 5 = -75% / 6 = +80% / 7 = +75%

Anne                15                    15/4/95

1 = +70% / 2 = +95% / 3 = +85% / 4 = -70% / 5 = -65% / 6 = +60% / 7 = +80%

Anne                16                    21/4/95

1 = +45% / 2 = +90% / 3 = +75% / 4 = -110% / 5 = -110% / 6 = +70% / 7 = +20%

Anne                17                    26/4/95

1 = +50% / 2 = +95% / 3 = +50% / 4 = -110% / 5 = -85% / 6 = +75% / 7 = +40%

Anne                18                    28/4/95

1 = +65% / 2 = +70% / 3 = +80% / 4 = -20% / 5 = -70% / 6 = +30% / 7 = +50%

Anne                19                    3/5/95

1 = +70% / 2 = +95% / 3 = +50% / 4 = -80% / 5 = -95% / 6 = +90% / 7 = +20%

Anne                20                    8/5/95

1 = +70% / 2 = +95% / 3 = +85% / 4 = -65% / 5 = -100% / 6 = +85% / 7 = +45%

Anne                21                    19/5/95

1 = +35% / 2 = +35% / 3 = +50% / 4 = +30% / 5 = -30% / 6 = +30% / 7 = +40%

Anne                22                    24/5/95

1 = +35% / 2 = +35% / 3 = +40% / 4 = -30% et +30% / 5 = -60% et +20% / 6 = +85% / 7 = -40% et +30%

Anne                23                    12/6/95

1 = -30%  et +60% / 2 = -20%  et +70% / 3 = +65% / 4 = -45%  et + 40% / 5 = -55%  et +35% / 6 = +45% / 7 = -45%  et +45%

 

Georges

Georges          1                      24/4/95

1 = +120% / 2 = +120% / 3 = 0% / 4 = -120% / 5 = -60% / 6 = +120% / 7 = -120%  et +120%

Georges          2                      28/4/95

1 = +60% / 2 = -120%  et +120% / 3 = +60% / 4 = +70% / 5 = -20% / 6 = -85% / 7 = +40%

Georges          3                      2/5/95

1 = +40% / 2 = 0% / 3 = +110% / 4 = -50% / 5 = -55% / 6 = 0% / 7 = +50%

Georges          4                      8/5/95

1 = +85% / 2 = -120%  et  +120% / 3 = +50% / 4 = -100% / 5 = -50% / 6 = +80% / 7 = -60%  et  +50%

Georges          5                      5/6/95

1 = +25% / 2 = +25% / 3 = +85% / 4 = -65% / 5 = -60% / 6 = +40% / 7 = +35%

Georges          6                      12/6/95

1 = 0% / 2 = 0% / 3 = -90%  et  +90% / 4 = -70%  et  +60% / 5 = 0% / 6 = 0% / 7 = +20%

Henri

Henri               1                     4/5/95              20h

1 = +50% / 2 = +20% / 3 = +80% / 4 = +70% / 5 = +50% / 6 = +20% / 7 = +75%

Henri               2                     4/5/95              21h05

1 = +90% / 2 = -90% / 3 = -100% / 4 = 0% / 5 = +50% / 6 = +90% / 7 = +100%

Henri               3                     28/6/95

1 = -60% / 2 = 0% / 3 = 0% / 4 = +65% / 5 = +55% / 6 = +50% / 7 = 0%

 

Jeanne

Jeanne             1                      29/1/95

1 = +40% / 2 = +70% / 3 = +15% / 4 = +30% / 5 = -60% / 6 = +30% / 7 = +30%

Jeanne             2                      2/2/95

1 = -70% / 2 = -30% / 3 = +50% / 4 = -20% / 5 = -40% / 6 = +55% / 7 = -70%

Jeanne             3                      9/2/95

1 = -70% / 2 = +60% / 3 = +70% / 4 = +35% / 5 = 0% / 6 = 0% / 7 = +20%

Jeanne             4                      17/2/95

1 = +90% / 2 = +70% / 3 = +75% / 4 = +70% / 5 = +30% / 6 = +40% / 7 = +35%

Jeanne             5                      20/2/95

1 = +80% / 2 = +70% / 3 = +80% / 4 = +80% / 5 = +80% / 6 = +60% / 7 = +55%

Jeanne             6                      24/2/95

1 = +70% / 2 = +85% / 3 = +80% / 4 = +60% / 5 = +25% / 6 = +85% / 7 = +35%

Jeanne             7                      10/3/95

1 = +85% / 2 = +75% / 3 = +95% / 4 = +95% / 5 = +40% / 6 = 0% / 7 = +50%

Jeanne             8                      17/3/95

1 = +95% / 2 = +100% / 3 = +90% / 4 = +10% / 5 = -20% / 6 = +40% / 7 = +90%

Jeanne             9                      22/3/95

1 = +100% / 2 = +95% / 3 = +100% / 4 = +95% / 5 = +100% / 6 = +85% / 7 = +90%

Jeanne             10                    9/4/95

1 = +85% / 2 = +80% / 3 = +20% / 4 = 0% / 5 = -20% / 6 = +85% / 7 = 0%

Jeanne             11                    18/4/95

1 = +110% / 2 = +110% / 3 = +5% / 4 = +110% / 5 = -70% / 6 = +110% / 7 = -35%

Jeanne             12                    21/4/95

1 = 0% / 2 = -20% / 3 = -35% / 4 = -20% / 5 = +20% / 6 = +10% / 7 = -10%

 

Jeanne             13                    14/5/95

1 = -75% / 2 = -55% / 3 = -55% / 4 = -30% / 5 = -20% / 6 = -45% / 7 = -65%

Jeanne             14                    22/5/95

1 = -80% / 2 = -80% / 3 = +10% / 4 = -85% / 5 = -40% / 6 = +15% / 7 = -10%

Jeanne             15                    24/5/95

1 = -90% / 2 = -85% / 3 = -50% / 4 = -75% / 5 = -40% / 6 = -10% / 7 = -70%

Jeanne             16                    29/5/95

1 = +70% / 2 = +70% / 3 = +60% / 4 = +70% / 5 = +40% / 6 = +70% / 7 = +55%

Jeanne             17                    3/6/95

1 = +85% / 2 = +50% / 3 = +90% / 4 = +10% / 5 = -20% / 6 = +80% / 7 = +50%

Jeanne             18                    8/6/95

1 = +95% / 2 = +90% / 3 = +95% / 4 = +95% / 5 = -60% / 6 = +50% / 7 = +85%

Jeanne             19                    11/6/95

1 = +95% / 2 = +100% / 3 = +100% / 4 = +25% / 5 = -30% / 6 = +100% / 7 = +80%

 

Jean-Marie

Jean-Marie                 1                     29/1/95

1 = -70% / 2 = 0% / 3 = +85% / 4 = +85% / 5 = 0% / 6 = 0% / 7 = +85%

Jean-Marie                 2                     2/2/95

1 = +35% / 2 = +30% / 3 = +35% / 4 = +30% / 5 = +30% / 6 = +70% / 7 = +20%

Jean-Marie                 3                     9/2/95

1 = +80% / 2 = +60% / 3 = +75% / 4 = +75% / 5 = -75% / 6 = +45% / 7 = +50%

Jean-Marie                 4                     20/2/95

1 = +70% / 2 = +65% / 3 = +70% / 4 = +70% / 5 = 0% / 6 = +60% / 7 = +65%

Jean-Marie                 5                     24/2/95

1 = +65% / 2 = +65% / 3 = +85% / 4 = +65% / 5 = +10% / 6 = +55% / 7 = +50%

Jean-Marie                 6                     10/3/95

1 = +70% / 2 = +70% / 3 = +125% / 4 = 0% / 5 = 0% / 6 = +70% / 7 = +60%

Jean-Marie                 7                     22/3/95

1 = +90% / 2 = +85% / 3 = +80% / 4 = +30% / 5 = -25% / 6 = 0% / 7 = +20%

Jean-Marie                 8                     9/4/95

1 = 0% / 2 = 0% / 3 = 0% / 4 = +100% / 5 = +90% / 6 = 0% / 7 = +70%

 

Jean-Marie                 9                     18/4/95

1 = 0% / 2 = 0% / 3 = +75% / 4 = +75% / 5 = +45% / 6 = 0% / 7 = +60%

 

Jean-Marie                 10                   21/4/95

1 = 0% / 2 = 0% / 3 = +75% / 4 = +100% / 5 = +100% / 6 = 0% / 7 = +100%

Jean-Marie                 11                   22/5/95

1 = +75% / 2 = +50% / 3 = +110% / 4 = +85% / 5 = +85% / 6 = 0% / 7 = +90%

Jean-Marie                 12                   24/5/95

1 = +90% / 2 = +85% / 3 = +90% / 4 = +85% / 5 = 0% / 6 = 0% / 7 = +45%

Jean-Marie                 13                   29/5/95

1 = +65% / 2 = +50% / 3 = +40% / 4 = +45% / 5 = +30% / 6 = +5% / 7 = +20%

Jean-Marie                 14                   3/6/95

1 = +20% / 2 = +20% / 3 = +25% / 4 = +20% / 5 = +60% / 6 = -20% / 7 = +30%

Jean-Marie                 15                   8/6/95

1 = +85% / 2 = +85% / 3 = +80% / 4 = +80% / 5 = +85% / 6 = +85% / 7 = +80%

Jean-Marie                 16                   11/6/95

1 = +85% / 2 = +80% / 3 = +85% / 4 = +100% / 5 = +100% / 6 = -40% / 7 = +80%

 

Joseph

Joseph             1                      12/5/95

1 = +90% / 2 = +20% / 3 = -50% / 4 = -40% / 5 = -10% / 6 = +95% / 7 = 0%

Joseph             2                      20/6/95

1 = +95% / 2 = 0% / 3 = -30% / 4 = -50% / 5 = -50% / 6 = +20% / 7 = -50%

Joseph             3                      23/6/95

1 = -20% / 2 = +30% / 3 = +30% / 4 = 0% / 5 = 0% / 6 = +20% / 7 = +20%

Joseph             4                      29/6/95

1 = 0% / 2 = +30% / 3 = +50% / 4 = +20% / 5 = 0% / 6 = 0% / 7 = +50%

Joseph             5                      30/6/95

1 = -30% / 2 = +40% / 3 = 0% / 4 = 0% / 5 = -50% / 6 = 0% / 7 = 0%

 

JP

JP               1              22/5/95

1 = -90%  et  +90% / 2 = -10%  et  +90% / 3 = +90% / 4 = -90% et +90% / 5 = -90%  et  +90% / 6 = -90% / 7 = +90%

JP               2              25/5/95

1 = 0% / 2 = 0% / 3 = 0% / 4 = -50% / 5 = 0% / 6 = -80% / 7 = +95%

JP               3              1/6/95

1 = 0% / 2 = -45% / 3 = +90% / 4 = -90%  et  +90% / 5 = 0% / 6 = -70% / 7 = +120%

JP               4              8/6/95

Il a coché tous les points « zéro » en mettant de chaque côté une petite flèche vers les deux pôles du continuum.

JP               5              13/6/95

Il a coché tous les « zéro » sans petites flèches cette fois-ci.

JP               6              19/6/95

1 = -40%  et  +30% / 2  = -10%  et  +30% / 3 = +90% / 4 = 0% / 5 = 0% / 6 = +40% / 7 = 0%

 

Mité

Mité            1              20/5/95

Coche aux extrêmes des deux côtés en même temps sauf 3 = -40% et +150% / 7 = +150%

Gestion des « surdoses » aux continuums par l’équilibre : « bras tendus entre deux pôles qui s’équilibrent eux-mêmes ».

Mité            2              22/5/95

Coche aux extrêmes des deux côtés en même temps sauf 3 = -80% et +150% / 7 = +150%

Mité            3              29/5/95

Coche aux extrêmes des deux côtés en même temps sauf 5 = -120% et +150% / 7 = +150%

Mité            4              2/6/95

Coche aux extrêmes des deux côtés en même temps sauf 7 = +150%

Mité            5              15/6/95

Coche aux extrêmes des deux côtés en même temps sauf 5 = -150% et +85% / 7 = +150%

Mité            6              22/6/95

Coche aux extrêmes des deux côtés en même temps sauf 5 = -150% et +85% / 7 = +150%

 

Patrick

Patrick            1                     22/1/95

1 = -40% / 2 = +50% / 3 = +20% / 4 = -80% / 5 = -115% / 6 = -70% / 7 = +20%

Patrick            2                     28/1/95

1 = -70% / 2 = -70% / 3 = +95% / 4 = 0% / 5 = -65% / 6 = +20% / 7 = +60%

Patrick            3                     30/1/95

1 = -70% / 2 = -30% / 3 = +70% / 4 = +35% / 5 = -10% / 6 = -40% / 7 = +75%

Patrick            4                     2/2/95

1 = +70% / 2 = +60% / 3 = +55% / 4 = -60% / 5 = +30% / 6 = +20% / 7 = +70%

Patrick            5                     5/2/95

1 = +70% / 2 = -75% / 3 = +75% / 4 = +90% / 5 = +80% / 6 = -90% / 7 = +80%

Patrick            6                     16/2/95

1 = +80% / 2 = 0% / 3 = +95% / 4 = +90% / 5 = +70% / 6 = -70% / 7 = +80%

Patrick            7                     17/2/95

1 = +80% / 2 = 0% / 3 = +90% / 4 = +90% / 5 = +90% / 6 = -90% / 7 = +95%

Patrick            8                     20/2/95

1 = +20% / 2 = -30% / 3 = +90% / 4 = +65% / 5 = +55% / 6 = -60% / 7 = +85%

Patrick            9                     25/2/95

1 = 0% / 2 = 0% / 3 = +100% / 4 = +100% / 5 = +100% / 6 = -100% / 7 = +100%

Patrick            10                   19/3/95

1 = -50%  et +50% / 2 = -50%  et +50% / 3 = +100% / 4 = +100% / 5 = +70% / 6 = -100% / 7 = +100%

Patrick            11                   21/3/95

1 = +95% / 2 = +55% / 3 = +100% / 4 = +60% / 5 = +85% / 6 = -80% / 7 = +75%

Patrick            12                   12/4/95

1 = +75% / 2 = +30% / 3 = +100% / 4 = +90% / 5 = +100% / 6 = -100% / 7 = +100%

Patrick            13                   15/4/95

1 = +70% / 2 = -20% / 3 = +80% / 4 = +35% / 5 = +90% / 6 = -95% / 7 = +100%

Patrick            14                   17/4/95

1 = +30% / 2 = +30% / 3 = +100% / 4 = +30% / 5 = +50% / 6 = -80% / 7 = +100%

Patrick            15                   3/5/95

1 = +25% / 2 = -15% / 3 = +100% / 4 = +40% / 5 = +10% / 6 = -10% / 7 = +100%

Patrick            16                   12/5/95

1 = +80% / 2 = -10% / 3 = +100% / 4 = +25% / 5 = +45% / 6 = -50% / 7 = +75%

Patrick            17                   14/6/95

1 = +80% / 2 = -40% / 3 = +100% / 4 = -10% / 5 = +30% / 6 = -10% / 7 = +90%

Patrick            18                   18/6/95

1 = +25% / 2 = +55% / 3 = +95% / 4 = +10% / 5 = +35% / 6 = -50% / 7 = +90%

 

Pierre

Pierre              1                     29/1/95

1 = -20% / 2 = +50% / 3 = +10% / 4 = -20% / 5 = -80% / 6 = +130% / 7 = +10%

Pierre              2                     2/2/95

1 = 0% / 2 = +50% / 3 = 0% / 4 = +40% / 5 = +50% / 6 = +20% / 7 = -50%

Pierre              3                     10/2/95

1 = -5% / 2 = +5% / 3 = -75% / 4 = +85% / 5 = +85% / 6 = +15% / 7 = -80%

 

Zénon d’Elée

Zénon d’Elée               1                     5/4/95

1 = +80% / 2 = -95% / 3 = +80% / 4 = +50% / 5 = 0% / 6 = 0% / 7 = 0%

Zénon d’Elée               2                     20/4/95

1 = +100% / 2 = +40% / 3 = +85% / 4 = +10% / 5 = +10% / 6 = +10% / 7 = +70%

Zénon d’Elée               3                     25/4/95

1 = +70% / 2 = 0% / 3 = +50% / 4 = +65% / 5 = 0% / 6 = +25% / 7 = +30%

Zénon d’Elée               4                     3/5/95

1 = +10% / 2 = +20% / 3 = +60% / 4 = +10% / 5 = +20% / 6 = 0% / 7 = +20%

Zénon d’Elée               5                     9/5/95

1 = +70% / 2 = +65% / 3 = +50% / 4 = -20% / 5 = 0% / 6 = 0% / 7 = +20%

 

Zéphyrin

Zéphyrin         1                     2/4/95

1 = +60% / 2 = +70% / 3 = +100% / 4 = 0% / 5 = 0% / 6 = +70% / 7 = +90%

Zéphyrin         2                     5/4/95

1 = +75% / 2 = +95% / 3 = +100% / 4 = 0% / 5 = 0% / 6 = +70% / 7 = +65%

Zéphyrin         3                     25/4/95

1 = 0% / 2 = +10% / 3 = +130% / 4 = -40% / 5 = -65% / 6 = +50% / 7 = +55%

Zéphyrin         4                     28/4/95

1 = 0% / 2 = 0% / 3 = +60% / 4 = 0% / 5 = +60% / 6 = 0% / 7 = +80%

Zéphyrin         5                     9/5/95

1 = +10% / 2 = +20% / 3 = +80% / 4 = 0% / 5 = -35% / 6 = +30% / 7 = 0%

Zéphyrin         6                     8/6/95

1 = 0% / 2 = +30% / 3 = +25% / 4 = +85% / 5 = 0% / 6 = +75% / 7 = +95%